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5. Cadrage théorique de l'objet

5.4. Pour une analyse socio-économique des finances solidaires

5.4.2. Deuxième niveau d'analyse : territoire

A un deuxième niveau d'analyse, nous observons le rapport entre les finances solidaires et les initiatives d'économie solidaire sur un territoire. L'ancrage territorial constitue, avec le fonctionnement démocratique et la solidarité économique, l'une des caractéristiques essentielles de l'économie solidaire (Pecquer et Itçaina, 2012).

L'approche territoriale de l'économie solidaire est développée en France par Pascal Glémain, Danièle Demoustier, Gabriel Colletis, Xavier Itçaina, parmi d'autres auteurs. Au Brésil, cette approche est peu développée malgré de récents travaux qui essaient de situer l'économie solidaire dans le débat du développement territorial. Dans cette perspective, nous pouvons souligner les contributions de Genauto C. de França Filho et Ladislaw Dowbor, ainsi que des récentes thèses de doctorat en économie, géographie et science politique.

L'utilisation du concept de territoire permettant d’appréhender une nouvelle perspective de développement dans laquelle s'inscrit l'économie solidaire peut conduire à incorporer différentes dimensions de l'espace géographique, au-delà du physique et de l'économique, en insistant particulièrement sur les caractéristiques de ses propres acteurs. En termes de programme de recherche, il s'agit de réintégrer les travaux sur l'économie solidaire au cœur d'une double approche, économique et politique, des constructions territoriales (Pecqueur et Itçaina, 2012). Cependant, dans la plupart de ces travaux, l'usage du concept de territoire reste peu exploré. Au niveau de l'analyse, le territoire est souvent conçu comme un espace territorial donné, qui

« […] est la portion d'espace constituée (le plus souvent un découpage infranational) qui est le sujet de l'observation. Dans ce cas, on postule le territoire comme préexistant et on analyse ce qui s'y déroule. C'est en quelque sorte le territoire a priori, pour lequel on ne cherche pas à analyser sa genèse et les conditions de sa constitution mais qui constitue un support. Il

s'agit généralement de territoire institutionnel : la région, le canton, le « pays », l'espace du contrat de développement, etc. » (Pecqueur, 2009, p. 3-4)

Pecqueur (2009) insiste sur deux conceptions du territoire, souvent confondues. Il est à la fois un contenant et le fruit d'un processus d'élaboration d'un contenu. Dans le cadre de ce travail, le territoire comprend un concours d'acteurs (comme un processus), dans un contexte géographique délimité (comme un contenant) qui vise à identifier puis tenter de résoudre un problème sociétal ou productif jugé ou ressenti comme partagé par ces acteurs. (Pecqueur, 2009 ; Pecqueur et Itçaina, 2012)

L'analyse territoriale englobera trois dimensions. La première est la dimension historique. Construire le territoire consiste d'abord à désigner les contours d'un problème, à commencer par ceux du territoire, et à envisager les scénarios de résolution (Pecqueur, 2009 ; Pecqueur et Itçaina, 2012). Cela dit, nous chercherons à identifier le problème autour duquel des acteurs s'organisent pour démarrer un projet de développement du territoire à partir de l'économie solidaire, dans les deux terrains choisis pour notre étude.

La deuxième dimension est l'intervention des acteurs sur le territoire, qui comprend les actions mises en place en réseau et les résultats. Nous supposons qu’il y a un environnement institutionnel dans lequel les pratiques de finances solidaires se développent. Et c'est à l'intérieur de cet environnement qu'on peut comprendre son activité et son intervention sur le territoire. Nous constatons que l'activité économique n'est pas dissociée des activités sociales, politiques et culturelles. Ainsi, les initiatives de finances solidaires seront étudiées dans la perspective de réseau territorial.

Un réseau d'économie solidaire articule diverses initiatives d'économie solidaire en vue de constituer un circuit propre de rapports économiques et d'échange d'expériences, de savoirs et de valeurs. Les principaux objectifs d'un réseau d'économie solidaire sont : 1) permettre la pérennité des initiatives d'économie solidaire ; et 2) renforcer les capacités du territoire à promouvoir son propre développement (França Filho et Cunha, 2009).

De cette manière, les cas sont présentés dans une perspective historique qui remonte à l'origine de chaque initiative et présente leur trajectoire. La présentation des cas rendra compte du contexte institutionnel de chaque expérience dans une perspective de réseau territorial. Cette approche historique et institutionnelle fournit des éléments pour comprendre le rapport entre cette initiative de finances solidaires et un tissu socio-associatif pré-existant.

L'analyse de la genèse et de la problématique à laquelle les initiatives étudiées cherchent à répondre, ainsi que ses principales caractéristiques, nous permettent de les situer dans l'économie solidaire, selon l'approche de Laville (2010, 2016).

À travers les études de cas nous analyserons les rôles que les pratiques territoriales de finances solidaires peuvent jouer auprès des initiatives de l'économie solidaire du territoire. Cela nous offrira des pistes pour penser le rôle de la finance solidaire dans le développement des réseaux locaux d'économie solidaire au-delà du financement et de la dimension économique.

La troisième dimension concerne les défis et les limites des initiatives. En analysant aussi les limites de ces initiatives, nous nous interrogerons sur les résultats de leurs actions en matière de développement du territoire. Ces initiatives de finances solidaires parviennent-elles à générer de nouvelles dynamiques socioéconomiques sur le territoire ?

La première étude de cas est un réseau régional d'économie solidaire en France. Nous nous penchons particulièrement sur les actions menées par la société coopérative Initiatives pour une Economie Solidaire (IES) dans la région Midi-Pyrénées. IES et l'ADEPES ont été créées à Ramonville-Saint-Agne à la fin des années quatre-vingt-dix, respectivement en décembre 1997 et en janvier 1998, avec l'objectif de développer le territoire à travers le soutien aux entreprises solidaires. L’analyse découlant de cette étude de cas devra faire ressortir les résultats de leur intervention sur le territoire, dans une perspective de développement local. Le second cas étudié est le modèle de Banco Comunitário de Desenvolvimento (BCD) au Brésil. Il s'agit d'un modèle de finance solidaire diffusée dans ce pays ces dernières années qui articule microcrédit, monnaie locale et gestion communautaire en vue du développement économique et social des territoires appauvris. Après la création de l'expérience emblématique du Banco Palmas (Banque Palmas) en 1998, les BCD se sont vite développées au Brésil. Actuellement, une centaine d'expériences adhèrent au réseau national. Nous présenterons l'origine de la Banque Palmas et le passage d'une expérience locale à un modèle de finance solidaire ainsi que la constitution d'un réseau national. Notre travail examinera plus précisément la Banque Bem, une expérience créée par l'Atelier de Ideias (Atelier d’Idées) dans la ville de Vitória (Espírito Santo, région sud-est du pays).

Cette analyse sera conduite par les questions suivantes : Quels sont les acteurs qui se sont rassemblés autour de ce projet ? Quel était le problème initial autour duquel les citoyens se

sont organisés ? Comment les acteurs ont déterminé le territoire sur lequel ils devraient intervenir ? De quel territoire parle-t-on ? Quelle est la finalité de l’intervention de l'initiative de finances solidaires sur le territoire ? Comment les acteurs ont-ils envisagé d’atteindre leurs objectifs ? Le projet initial construit par ces acteurs s’inscrit-il dans une économie solidaire ? Quelle est la représentation économique des acteurs impliqués dans cette initiative ? Le projet est-il révélateur d’une représentation substantive de l’économie ? Ou, au contraire la représentation de l’économie par les acteurs impliqués dans cette initiative est-elle celle d’une économie formelle ? Finalement, ces initiatives parviennent-elles à générer de nouvelles dynamiques socioéconomiques sur le territoire ?

L'appréhension de l'économie solidaire comme un réseau territorial constitue un défi méthodologique, dans le sens de dépasser les limites d'une analyse organisationnelle et, en même temps, proposer un niveau d'analyse intermédiaire entre celui-ci et le niveau national.