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CHAPITRE 4 RÉCIT D'UNE RECHERCHE CRÉATION EN COMMUNAUTÉ

4.5 L’an 5 (2013-14) : laisser des traces et créer des liens

4.5.2 Un film inspiré de l’expérience

Martine Gignac et Geneviève Genest ont commencé à rêver avec moi sur le projet de film dès l’été 2012. Je tenais à travailler avec ces deux documentaristes de Rimouski, d’abord

parce qu’étant d’une plus jeune génération, elles injecteraient un souffle nouveau sur notre sujet. Mes collègues tenaient elles aussi à cette collaboration entre la métropole et le Bas-St- Laurent, car elle reflétait l’aventure provinciale de Nous, les femmes. Certes, travailler collectivement sur le contenu d’un film avec des femmes éloignées géographiquement présentait un défi de taille, en plus du fait que cette procédure est assez inhabituelle dans le monde du cinéma, qui fonctionne de façon très hiérarchisée. Il faudrait s’inventer une façon de faire.

Les documentaristes se sont jointes à l’équipe de coanimatrices dès septembre 2012, alors qu’elles sont venues vivre avec nous les trois premières journées de tournée sur la Côte- Nord. Durant l’automne, elles ont pris connaissance de l’abondante documentation du projet, incluant des verbatim, des photos, des livres de référence, des rencontres individuelles avec les coanimatrices. Elles sont ainsi devenues peu à peu parties prenantes de Nous, les femmes. À l’hiver 2013, elles ont fait plusieurs séjours à Montréal, en profitant pour tourner des entrevues exploratoires avec les conanimatrices et les travailleuses de La Marie Debout. Pour ma part, je les ai accompagnées de différentes façons, à Rimouski et à Montréal : à travers plusieurs rencontres de tempêtes d’idées, d’échanges informels, de réunions skype. L’idée de départ était de retourner dans certaines régions où nous étions passées au cours de notre tournée et de reconstituer une journée d’atelier, échelonnée sur quelques jours de tournage, afin d’optimiser les prises de vue et créer une atmosphère de groupe intensifiée. Nous tournerions les femmes qui se joignent à l’aventure afin de vivre avec elles, à travers elles, ce vivre-ensemble intergénérationnel dans l’installation utilisée depuis le début de la tournée. Nous voulions profiter aussi de la diversité des femmes présentes pour tourner hors les murs, en décors naturels, des « vignettes » – une série d’entrevues et de témoignages des participantes. Nous allions réunir des femmes ayant déjà vécu l’expérience de l’atelier, ce qui permettrait d’approfondir les réflexions et les contributions. En plus d’être porteur pour le documentaire, il me semblait que ce serait une excellente façon de stimuler ces leaders positives et que plusieurs d’entre elles trouveraient dans cette expérience le coup de pouce pour poursuivre dans leur milieu des actions collectives inspirantes sur la question de l’âgisme.

Les coanimatrices avaient un rôle clé dans ces tournages, nous avions le mandat de « créer du vivant », pour donner du matériel vibrant et authentique aux documentaristes. Martine et Geneviève ont aussi initié les coanimatrices au langage cinématographique, ce que représentait un contexte de tournage, les différences entre ce qui est visuellement intéressant dans le vif de l’action et ce qui transparaît sur un écran. Les coanimatrices initiaient les documentaristes à leurs façons de procéder en atelier, les besoins essentiels pour arriver à créer « ce vivant ». Bref, nous avons fait plusieurs réunions, sur skype ou toutes réunies à Montréal, afin de préparer nos premiers essais.

Au mois de mars 2013, nous avons fait un premier tournage collectif exploratoire à Montréal, en réunissant dix-huit femmes de trois centres montréalais, dont La Marie Debout, puis un deuxième essai à Rivière-du-Loup, avec vingt-et-une femmes du Bas-St-Laurent. Martine et Geneviève ont ensuite scénarisé durant l’été, à partir de ce riche contenu. Après avoir soumis leur scénario et qu’il fut accepté par l’équipe et les travailleuses de La Marie Debout, nous avons préparé les trois tournages prévus à l’automne : à Ville-Marie, de nouveau à Montréal, mais cette fois avec les femmes de l’atelier d’écriture de La Marie Debout, et à Victoriaville. Pour chacun des tournages, il y avait des préparations spécifiques à faire, en termes de type de tournage, d’espace, de thèmes à aborder. Les documentaristes et moi-même avons entretenu les liens avec chacune des femmes pressenties, dans chacune des régions. Hormis pour Ville-Marie qui était trop éloignée, nous avons procédé à des repérages de lieux dans la période de préproduction, ce qui nous a aussi permis de renforcer nos liens avec les travailleuses des centres concernés. Les thèmes lors des tournages portaient sur la transmission, la transformation du corps et l’évolution de notre rapport à la beauté, la transformation des rôles et de notre présence au monde au gré des âges. Au total, 71 femmes âgées de 34 à 83 ans ont participé aux tournages. Au cours de l’automne, Geneviève se retira du projet, laissant Martine seule réalisatrice pour le reste des tournages et les longues étapes de postproduction. Afin d’avoir un appui artistique pour le montage, Martine s’assura le concours de Natacha Dufaux, dont l’expérience en montage documentaire ainsi que l’accompagnement de jeunes créateurs en faisait une collaboratrice parfaite.

Les allers-retours entre Rimouski et Montréal se sont poursuivis, la réalisatrice venait à La Marie Debout nous montrer son montage en cours et intégrait les commentaires. Parfois,

c’était moi qui me rendais à Rimouski pour suivre le travail en cours. Plusieurs meetings se sont faits par skype. Un premier visionnement avec les coanimatrices et les travailleuses de La Marie Debout a eu lieu le 12 février 2014, un second le 6 mars, un autre le 30 avril. Enfin, nous avons organisé un « screen test » avec des artisans de cinéma documentaire et un dernier visionnement avec les collaboratrices le 28 mai. À la lumière de tous les commentaires, Martine termina le film, d’une durée de 64 minutes, durant l’été 2014. Mon rôle se borna alors à lui assurer mon « soutien psychologique » et de liaison avec les travailleuses de La Marie Debout. Le film fut finalement lancé à Montréal le 1er février 2015, puis commença sa vie en tournée : Ville-Marie, Rimouski, Mont-Joli, Louiseville, Trois- Pistoles, Rivière-du-Loup – tournée toujours en cours au moment d’écrire ces lignes. Une

version DVD est également sortie au moment du lancement, avec en complément, un court documentaire sur le processus du projet.