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Faire face aux vulnérabilités de l’environnement urbain

Les effets sur l’Afrique des bouleversements qui affectent le climat à l’échelle de la planète sont d’une diversité à la mesure de cet immense continent. Il est prévu que les régions subtropicales plus sèches se réchauffent davantage que les zones tropicales, plus humides, tandis que le Nord et le Sud du continent vont devenir beaucoup plus chauds et plus secs en été, avec des risques de sécheresse aggravés.55 La moyenne des précipitations en Afrique de l’Est et dans certaines parties du centre et de l’Ouest va augmenter (avec des risques accrus de maladies vectorielles – paludisme, dengue et fièvre de la vallée du Rift).56 Les sécheresses et la baisse de qualité des eaux qui en résulte vont aussi poser des problèmes de plus en plus sérieux dans les domaines de la santé et de l’assainissement.57 La fréquence accrue des

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ENCADRÉ 1.5: FRUSTRATIONS URBAINES ET PRINTEMPS ARABE EN AFRIQUE DU NORD

Vers la fin de 2010, des manifestations et des émeutes suscitées par la hausse des prix du carburant et des produits alimentaires ont éclaté dans plusieurs villes d’Afrique. Elles se sont rapidement transformées dans le Nord en une traînée de troubles sociaux, les populations descendant dans la rue pour exiger des réformes de nature politique.

Cette convulsion sociale est venue de loin.

Les tendances démographiques dans le Nord du continent ont fait apparaître une proportion anormalement forte de jeunes dans la pyramide des âges. L’accès à l’instruction a eu beau s’élargir dans les années qui ont précédé, le taux de chômage est resté obstinément élevé, et notamment parmi les jeunes, d’où un énorme écart entre les qualifications et les aspirations, d’une part, et les débouchés, d’autre part. Les inégalités ont beau n’être pas nécessairement plus prononcées dans le Nord que dans les autres parties du continent africain, le modèle étatiste de développement économique prédominant dans cette région a empêché l’avènement d’un secteur privé dynamique. Il a aussi concentré de vastes fortunes et la puissance politique dans les mains d’une élite bien délimitée. Les tentatives faites par certains gouvernements

pour redistribuer la richesse nationale tirée du pétrole et de l’aide étrangère au bénéfice de projets d’infrastructures, pas plus que l’aide alimentaire ou les programmes d’emploi publics, n’ont en fin de compte pas été capables d’apaiser le mécontentement latent qui, vu la répression, a rarement trouvé à s’exprimer de façon publique.

Ce que l’on sait ou comprend moins, en général, c’est que la jeunesse d’Afrique du Nord reprochait aussi aux pouvoirs publics de n’avoir pas anticipé la propension à la formation de ménages urbains associée à la disproportion du nombre de jeunes dans la pyramide des âges. Une sérieuse pénurie d’unités d’habitat à loyer modéré a empêché de nombreux jeunes de se marier et de fonder une famille. De sorte que les jeunes continuent généralement d’habiter chez leurs parents jusqu’à des âges relativement avancés. Vu la façon dont les relations prénuptiales sont traditionnellement considérées en Afrique du Nord, on peut dire que le Printemps arabe est issu non seulement du manque de participation politique, mais qu’il a aussi pris racine dans une frustration d’un genre beaucoup plus socio-personnel.

Ces facteurs se sont conjugués pour rendre le continent vulnérable aux conflits violents. Dans une ambiance déjà volatile de manifestations publiques

contre la hausse des prix, l’auto-immolation d’un vendeur de rue tunisien excédé par le harcèlement de la police a joué le rôle de catalyseur de tout un mouvement dans la région. En Algérie, la réduction immédiate des tarifs douaniers sur les importations de denrées alimentaires a contribué à mettre un terme aux émeutes, tandis qu’au Maroc le mécontentement a été dissipé par la réforme de la Constitution et la hausse des salaires. En Tunisie et en Egypte, qui ont traditionnellement laissé une certaine liberté à la vie associative, des régimes obstinés ont été confrontés à une mobilisation sociale massive dans leurs capitales respectives, et qui a fini par leur être fatales. En Libye, où le mouvement associatif était interdit sous toutes ses formes, la guerre civile s’est déclarée, qui a fini par déboucher sur la chute du régime de Mouammar Kadhafi.

Les villes se sont trouvées au cœur de la tempête en Afrique du Nord, et le Printemps arabe offre une leçon salutaire aux gouvernements du monde entier: s’ils continuent à ne rien faire face aux besoins, aux aspirations et aux doléances des masses urbaines, alors des troubles civils se profilent à l’horizon.

Sources: Anderson (2011); Joffe (2011); Campante and Chor (2012); Malik and Awadallah (2011) 54 V

Manifestation devant le siège à Tunis du Rassemblement constitutionnel démocratique du président démissionnaire Zine al-Abidine Ben Ali, janvier 2011. ©Nasser Nouri. Licence générique Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 2.0.

L’ETAT DES VILLES AFRICAINES

inondations dûes aux ondes de tempête va être cause de glissements de terrain et d’érosion, avec les risques que cela comporte pour les populations et leurs moyens de subsistance. L’approvisionnement en eau va aussi vraisemblablement devenir une nouvelle source de conflits.58

Le milieu urbain apparaît souvent comme le plus exposé aux catastrophes en raison tant de la densité des populations que de l’accumulation du capital matériel et autre, ainsi que de la diversité des activités dans des surfaces relativement réduites. Vu l’importance des rôles ‒ politique, social et économique ‒ que jouent les villes, ces facteurs de risque débordent souvent sur le reste du pays lorsque se produisent les catastrophes. Quant aux effets secondaires ‒ infrastructures endommagées, perturbation des services, pénuries alimentaires et diffusion de maladies vectorielles et hydriques ‒ ils tendent à rendre encore plus difficile la situation des catégories sociales les plus vulnérables.

Quand l’urbanisation est livrée à elle-même, quand les ressources d’eau douce se dégradent, quand les stratégies d’adaptation au changement climatique sont inexistantes ou défaillantes, c’est alors que les risques pour l’environnement sont à leur maximum, où que ce soit dans le monde.59 A l’échelle locale, il faut appréhender le risque environnemental comme la conjonction de risques physiques et de la vulnérabilité des populations. Pour les villes africaines en plein essor, le triple lien entre la crise de l’environnement, l’économie mondiale et la seconde vague de l’urbanisation60 intensifie encore le risque physique pour les citadins pauvres. L’analyse de l’écologie politique de la pauvreté urbaine en Afrique pourrait déboucher sur un débat très tranché mais superfétatoire concernant, par exemple, la question de savoir si les déchets solides sont un risque sanitaire ou un moyen de subsistance.61 On sait pourtant bien que les citadins pauvres se trouvent encore plus exposés du fait que les modalités d’accès au foncier, à l’eau, à l’alimentation et à l’assainissement qui les caractérisent sont de nature informelle et échappent donc à la planification et à l’urbanisme.

Il existe un lien direct entre la pauvreté, d’une part, et d’autre part la vulnérabilité aux risques liés à l’environnement.62 Dans les villes d’Afrique, les catégories à bas revenus restent relativement à l’écart des mécanismes de décision, étant les dernières à disposer des moyens voulus pour faire face aux menaces qui peuvent peser sur leurs conditions de vie, sans parler des périodes de grands bouleversements ou de catastrophes. Ces citadins pauvres, et en particulier les femmes et les très jeunes, sont le plus exposés aux risques de maladie, de pollution63 et de catastrophes,64 qui pourraient bien tous se trouver exacerbés par le changement climatique.65

Garantir des flux de ressources durables La sécurité alimentaire

Dans bien des régions d’Afrique, la productivité agricole a subi le contrecoup de la récession économique. Conflits,66 sécheresses67 et inondations68 ont aussi contribué au gonflement des populations urbaines et à l’amenuisement des modes de subsistance en milieu rural.

La dégradation des sols69 est très importante dans 32 pays d’Afrique.70 Il existe une forte corrélation entre densité de la population (là où la terre est constamment cultivée) et érosion des sols, ce qui provoque aussi l’envasement des cours d’eau et des barrages. Outre les dégâts chimiques et physiques, l’érosion a dégradé environ 65 pour cent des terres agricoles du continent,71 d’où une sécurité alimentaire réduite.

Dans la majeure partie de l’Afrique, la sécurité alimentaire des citadins dépend aujourd’hui avant tout des zones rurales72 plutôt que des denrées importées. Cela peut sembler aller de soi, mais les conséquences sont diverses. La pérennité de l’agriculture passe par la sécurité de l’approvisionnement en eau et des moyens de transport.

Il est essentiel de disposer des infrastructures voulues pour les filières d’offre et de distribution, et même les excédents de récoltes sont inutiles s’ils ne peuvent être acheminés à temps aux consommateurs.

L’agriculture urbaine et péri-urbaine, et avant tout les petites exploitations mixtes culture/élevage, forme un maillon essentiel dans la chaîne de distribution qui aboutit aux citadins. En réduisant les besoins de transport et en donnant aux ménages l’accès à des produits de première fraîcheur, on pallie à certaines carences là où cela s’impose le plus. Du coup, les cultivateurs urbains tendent à gagner davantage que les non-cultivateurs. Cela semble tenir à divers facteurs y compris l’accès au foncier (culture et pâture), à l’eau et aux marchés (voisinage, banlieues, d’où la réduction ou l’absence des coûts de transport). En outre, en produisant pour leur propre consommation, les ménages réduisent leurs propres achats de produits alimentaires externes, ce qui améliore d’autant leur revenu d’ensemble.73

La sécurité d’approvisionnement en eau

C’est en Afrique que se trouvent 10 des 12 pays du monde le plus exposés aux sécheresses.74 Rareté de l’eau et sécheresse affectent aujourd’hui des millions d’Africains répartis dans au moins 25 pays,75 dont plus de 13 millions dans la seule Corne de l’Afrique lors de la sécheresse de 2010-2011.76 La proximité d’une masse d’eau est pour toute ville un facteur fondamental d’expansion démographique et économique. L’approvisionnement en eau est l’un des divers services écosystémiques dont dépendent les villes, ce qui veut dire qu’il appartient à la planification stratégique, dans les limites comme en dehors du territoire urbain (zones humides, cours d’eau, littoral), de préserver cette biodiversité et ces «  écozones  » que l’expansion spatiale risque de mettre en péril.

Les bouleversements du climat à l’échelle de la planète vont affecter le régime des pluies. Il est relativement acquis que les précipitations sont d’ores et déjà moins prévisibles, d’où des incertitudes concernant l’ensemencement ainsi que des pertes de récoltes et l’insécurité de l’approvisionnement en eau. Les changements dans le rythme des saisons – début avancé de l’été et régimes des pluies altérés – risquent d’avoir le même effet que les sécheresses. L’approvisionnement en eau des zones urbaines va être soumis à rude épreuve, puisqu’il est largement dépendant des pluies, des infrastructures de base et de la capacité à faire un usage « durable » de la ressource. Dans les villes où la ressource en eau n’est tributaire ni du climat ni des saisons – le long des grands fleuves, par exemple – la préoccupation première doit être sa qualité plus que sa quantité. La montée du niveau des mers n’est pas seulement susceptible de causer des inondations  : l’eau douce des nappes phréatiques peut se saliniser du fait de la pénétration des eaux de mer dans les aquifères peu profonds, comme c’est le cas à Beira (Mozambique).77

L’approvisionnement en énergie

Dans toute l’Afrique, la pauvreté est causée ou exacerbée par l’accès inégal ou inexistant aux sources d’énergie, celle-ci grevant les maigres ressources des ménages (y compris leur temps).78 Plus de la moitié des

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peuplements informels en Afrique recourent aux bouteilles de gaz, à la paraffine, au fioul, au charbon ou au bois de chauffe. Dans certains pays, c’est 80 pour cent des besoins en énergie qui sont satisfaits par la biomasse.79 Certains Etats offrent des incitations pour réduire la consommation d’énergie (distribution d’ampoules électriques à basse consommation, promotion d’appareils ménagers basse tension, ou subventions au chauffage solaire de l’eau). Par exemple, au Cap, le projet Kuyasa s’est attiré le soutien du Mécanisme de développement propre (MDP) mis en place par le Protocole de Kyoto (voir aussi Encadré 1.7).

La gestion des déchets

Les villes d’Afrique ont beau ne produire que 0,3 à 0,8kg de déchets solides par tête et par jour – contre une moyenne mondiale de 1,39kg80 – leur mauvaise prise en charge fait peser des risques énormes à la santé comme à la qualité de l’eau, à travers la pollution.

Dans bon nombre de ces villes, il semble n’exister tout simplement aucun système de prise en charge des déchets solides, de sorte qu’ils sont rejetés directement en bordure des peuplements informels, que ce soit en tas, dans des tranchées ou à proximité de cours d’eau.

La proportion de déchets organiques rejetés dans les villes africaines est relativement importante, généralement très supérieure à 50 pour cent.81 Cela veut donc dire que le potentiel de développement de projets “verts” de tri et de prise en charge des déchets est lui aussi élevé, ce qui pourrait réduire le volume réutilisé sous forme d’aliments pour le bétail, comme cela se fait à Kampala, ou pour la méthanisation. La possibilité de participer au marché des certificats-carbone du MDP – telle qu’elle est mise à profit par le projet de Matadi (RD Congo)82 – peut compenser largement les coûts de collecte et d’élimination inoffensives. La municipalité d’eThekwini (Durban) a déjà mis en place un projet de production d’énergie à partir de déchets à sa décharge de Mariannhill.

Des peuplements informels et des groupes de récupérateurs d’ordures s’établissent presque invariablement à proximité des décharges officielles de déchets solides. Le recyclage peut être une activité lucrative lorsque les déchets émanent de quartiers à revenus moyens et supérieurs. Mais les récupérateurs vivent de manière dangereuse, comme en témoignent les nombreuses blessures et les infections causées par les objets pointus, les déchets médicaux et autres substances dangereuses dans les sites de décharge non contrôlés.

Menaces et chocs « externes »

Selon certaines prévisions, le nombre de réfugiés pour cause de changement climatique (les éco-migrants) pourrait atteindre 200 millions, les bouleversements de l’environnement à l’échelle de la planète étant considérés comme un facteur majeur de reprise de l’exode rural.83 Toutefois, la croissance naturelle des populations urbaines paraît jouer un rôle beaucoup plus déterminant que les migrations (y compris celles provoquées par le changement climatique) dans les mutations et la vulnérabilité en Afrique.84 Une bonne compréhension de la nature de la démographie urbaine est indispensable pour tout exercice de prévision des tendances et des interventions face aux défis et aux risques qui caractérisent le milieu urbain.

La santé et l’assainissement

Les tendances récentes ont beau faire état de progrès et même d’une

accélération de la dynamique de la santé en Afrique, l’inégalité qui semble persister dans l’accès aux services de base est préoccupante puisqu’elle bénéficie avant tout aux catégories aisées et aux zones urbaines.

Bien que 42 pour cent de la population urbaine de l’Afrique sub-saharienne ait accès à l’assainissement amélioré, son manque dans les peuplements informels en ville peut intensifier les risques de maladie. L’absence de systèmes d’écoulement et de canalisations d’égout est propice au foisonnement en ville des anophèles, ce qui aggrave le risque de paludisme et sa diffusion même en saison sèche.85 Températures et inondations vont accroître, ou en tout cas altérer, le milieu propice et la diffusion du moustique porteur du paludisme, ce qui pourrait menacer des villes situées sur des plateaux, comme Nairobi ou Harare, qui jusqu’à présent en étaient exemptes.86

La santé entre dans les indices de classement des pays les moins avancés. Les problématiques actuelles en matière de santé et d’assainissement (et en particulier dans les zones urbaines) pourraient se trouver encore exacerbées par les bouleversements du climat et sa variabilité.87 Au sud du Sahara, seuls Madagascar et le Malawi sont assurés de réaliser celui des Objectifs du Millénaire pour le développement (voir Encadré 1.10) qui porte sur la réduction de deux tiers en 2015 de la mortalité infantile.88 Le manque d’accès équitable aux ressources et aux services à travers toute l’Afrique89 reste un problème majeur en matière de santé. Et ce problème est d’autant plus grave que la population urbaine ne cesse d’augmenter.

Adaptation ou atténuation?

Les pays d’Afrique contribuent généralement peu aux émissions de gaz à effets de serre, la seule exception étant l’Afrique du Sud qui depuis plusieurs décennies figure parmi les 25 pays gros émetteurs de dioxyde de carbone.90 Les villes sont responsables de 80 pour cent de ces émissions dans le monde entier.91 Les pays se gouvernent largement à partir de leurs villes, qui accueillent aussi la majeure partie de l’industrie. Les villes fournissent des activités et remplissent des rôles qui sont souvent classés comme étant des produits exclusivement urbains. De manière générale, l’impératif consiste à œuvrer en faveur de leur résilience, en s’appuyant sur des technologies dont l’économie et l’échelle répondent aux besoins propres à chaque ville. Le bien-fondé des démarches d’adaptation dans les villes africaines est mis en relief par le nombre de maires qui ont engagé leur municipalité à mettre en application la Charte de l’adaptation de Durban, lors de la 17e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique en 2011.

Les leçons jusqu’à présent tirées de l’expérience (comme par exemple à travers le Réseau d’adaptation de cinq villes du Sud du Sahara92) montrent que l’intégration des programmes d’adaptation, d’une part, et des stratégies de réduction des risques de catastrophe, d’autre part, doit avoir pour objectif ultime la réalisation des objectifs prioritaires en matière de développement/aménagement.

Les premières analyses coûts/bénéfices montrent que les stratégies d’adaptation qui s’appuient sur les écosystèmes (ainsi que sur les initiatives des populations et les interventions institutionnelles) semblent plus susceptibles de déboucher sur des résultats « durables » que les interventions qui s’appuient sur des infrastructures gourmandes en capital financier.93

L’ETAT DES VILLES AFRICAINES