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les négociations qui ont permis la fusion de 1984. Elles consistaient, notamment, à imaginer une structure unique qui respecterait les options organisationnelles de chacune :

Le plus drôle, c’était qu’on avait tout en doublons ! Il fallait tout reprendre, et il y avait des choses complètement incohérentes d’ailleurs, mais bon, c’était la règle qui s’était imposée, il fallait arriver à cette fusion92.

Les 28 et 29 janvier 1984, « cent cinquante personnes porteuses de plus de cinq cent mandats »93 se retrouvent à Clichy pour l’Assemblée générale d’unification, tenue sous la

présidence de Guy Cambot, Yves Cochet, Roger Fischer et Jacques Doucet94. Les présents

actent la création des Verts, sans Brice Lalonde. Le compte-rendu de l’assemblée générale mentionne en effet son nom en tant que « personnalité extérieure » et stipule qu’ il fut très remarqué que M. Lalonde [i.e qui avait fait acte de candidature pour figurer sur la liste des élections européennes], qui avait adressé à l’Assemblée une lettre proposant la constitution d’une liste « de salut public » regroupant, avec les écologistes, le PSU, le CODENE95, le MRG et le regroupement centriste des deux Faure, n’obtint que 17 % des voix96.

Pour Andrée Buchmann comme pour François Degans, la création des Verts est l’expression d’un véritable projet « politique », même si ce dernier insiste plus sur son aspect « électoraliste ». Cette unification est également l’occasion de fixer, momentanément, le rapport de force entre les militants des deux structures pré existantes. De la création du parti, Andrée Buchmann garde en effet le souvenir des négociations « très dures » entre les dix membres mandatés par les organisations pour fusionner (cinq par structure) réunis dans la « Commission paritaire des 10 », entourés d’un « rassemblement d’Alsaciens et de

92 François Degans, entretien téléphonique du 2 juin 2008.

93 D’après le compte-rendu de l’assemblée générale reproduit dans la Lettre contact, bulletin de liaison des

Verts, daté du 31 janvier 1984, consultable dans la boîte « PSU/FGA. 1980-1990 », archives Yves Cochet, Centre

international de recherche sur l’écologie (CIRE). L’histoire officielle mentionne généralement que mille individus étaient présents lors de cette assemblée constitutive ce qui ne peut être le cas puisqu’un appel figure dans les documents joints au compte-rendu invitant justement les sympathisants à adhérer pour que « le premier 1000 » soit bientôt atteint. 94 Un agriculteur bio qui s’est reconverti dans le recyclage du papier. D’après Yves FRÉMION, Histoire de la révolution écologiste, op. cit., p. 160. 95 Cette structure, créée en 1981, rassemble des militants pacifistes et non violents, des Amis de la terre, des paysans du Larzac, des adhérents du PSU… d’après Yves FRÉMION, Histoire de la révolution écologiste, op. cit., p. 160. 96 Compte-rendu de l’assemblée générale, Lettre contact, bulletin de liaison des Verts, daté du 31 janvier 1984, op. cit.

lyonnais »97 dont elle dit avoir fait partie98. Le compte-rendu de l’assemblée générale

mentionne en effet que

de nombreux amendements au projet de statuts présenté par la Commission des 10 étaient proposés. Ainsi leur discussion, interrompue le soir du samedi à 0h30 dut être reprise le dimanche matin. C’est seulement vers 11h que l’adoption globale des statuts, ainsi améliorés sur de nombreux points, fut acquise, à l’unanimité moins 4 voix contre et 1 abstention, aboutissant ainsi à la naissance de la nouvelle organisation99.

Si la dénomination du parti, « Les Verts », a été rapidement actée, le sous-titre « Confédération écologiste-Parti écologiste », a en revanche fait l’objet de nombreux débats. De « sérieuses difficultés » ont en effet émaillé l’adoption de ce sous-titre, voté « après de longs débats, souvent difficiles, et marqués notamment par une suspension de séance ». Il a finalement été préféré à la mention « Mouvement écologiste », laissant, mentionne toujours le compte-rendu, d’ « importantes minorités en état de frustration et d’amertume »100. Les Verts de 1984 rassemblent ainsi des militants que l’analyse des trajectoires de nos enquêtés nous fait qualifier d’« altruistes », de « spécialistes » et d’« insoumis » et qu’ils représentent, au-delà de la diversité de leurs générations sociales101, de leurs socialisations et de leurs politisations. Les « altruistes » 102 sont des universitaires, qu’une expérience du

« lointain »103 a sensibilisé aux questions alimentaires et aux problématiques tiers-

mondistes. Les « spécialistes » sont des enseignants-chercheurs ou des ingénieurs en sciences physiques ou naturelles, que les premières catastrophes environnementales ont d’autant plus sensibilisés qu’elles concernent leurs domaines de compétences. Les « insoumis » sont des bénéficiaires de la massification scolaire, qui, conscients du caractère systémique des rapports sociaux de domination104, se sont engagés, en fonction de leur âge

et de leurs positions, aux côtés ou dans le sillage des soixante-huitards « gauchistes » ou

97 D’après Bruno VILLALBA, « Didier Anger. Du combat antinucléaire aux Verts », EcoRev’, « Figures de l’écologie politique », n° 21, 2005, p. 49-50.

98 Nous n’avons pas trouvé d’autre trace de sa présence à ces négociations puisqu’aucun des ouvrages que nous avons consultés de mentionne clairement tous les présents à ces négociations.

99 Compte-rendu de l’assemblée générale, Lettre contact, bulletin de liaison des Verts, daté du 31 janvier 1984,

op. cit.

100 Ibid.

101 Gérard MAUGER, « Générations et rapports de générations », op. cit.

102 En référence à Florence PASSY, L’Action altruiste : contraintes et opportunités de l’engagement dans les

mouvement sociaux, Genève, Librairie Droz, 1998. 103 En référence à Grégor STANGHERLIN, Les Acteurs des ONG. L’engagement pour l’autre lointain, op. cit. Sur les spécificités de ce type d’engagement et dans une perspective de carrière, voir également Johanna SIMÉANT et Pascal DAUVIN, Le Travail humanitaire. Les acteurs des ONG du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002 et Johanna SIMÉANT et Pascal DAUVIN (dir.), ONG et humanitaire, op. cit. 104 Bernard PUDAL, « Ordre symbolique et système scolaire dans les années 60 », in Dominique DAMAMME, Boris GOBILLE, Frédérique MATONTI et Bernard PUDAL (dir.), Mai juin 68, op. cit., p. 62-74.

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« contre-culturels »105. Tous se sont côtoyés, sans nécessairement s’y rencontrer, dans les

luttes sociales, sociétales et environnementales qui ont jalonné les années 1960 et 1970 et qui ont fait le milieu militant écologiste. À l’Assemblée générale de Clichy, se rassemblent les plus convaincus de l’utilité de bénéficier d’une structure nationale pour participer à la compétition électorale. C’est, nous semble-t-il, autour de ces deux enjeux, a minima, que l’unification fondatrice des Verts a été faite. Elle n’a pas exclu ceux qui militaient en faveur de rassemblements électoraux de circonstance et dont l’ancrage local, via leurs engagements dans d’autres structures et dans les luttes de terrain, et via les élections locales, leur permettait de continuer à représenter l’écologie en politique. Elle n’a pas non plus inclus tous les militants politiques, puisque bon nombre de ceux qui sont restés proches du RAT, à vocation associative, ont adhéré ou adhèrent dans le même temps au PSU, au PS ou au MRG. Si l’on ne peut pas évaluer quantitativement, faute de connaître l’ensemble des militants de l’époque, la proportion de ceux ayant déjà été adhérents de partis politiques, ou candidats à des élections locales, il semble qu’ils aient été relativement nombreux à être l’un et/ou l’autre. Les enquêtes que Guillaume Sainteny a conduites sur les dirigeants des diverses formations écologistes qui précèdent la création des Verts en 1984 confirment qu’ils n’ont rien à voir avec le « marais » des électeurs peu intéressés et peu compétents politiquement106.

Loin de l’image d’Épinal des pionniers amateurs en politique, les fondateurs verts sont, en réalité, soit des militants qui ont déjà une trajectoire dans d’autres partis politiques (notamment le PSU et le PS), soit, des militants associatifs ou syndicalistes (généralement CFDT) qui acquièrent rapidement, via les campagnes électorales et les conflits entre structures écologistes, des savoir-faire spécifiquement politiques. Issus de familles inégalement mais fortement politisées, dont quelques membres sont bien souvent militants, ou même, élus locaux, ils ont généralement découvert le militantisme durant leur enfance. Majoritairement ancré à gauche, l’engagement politique des familles est, bien sûr, enraciné dans l’histoire longue : celle de la Résistance, des oppositions aux guerres coloniales, notamment à celle d’Algérie, et plus largement, dans celle des événements de mai-juin 1968. De ces engagements familiaux, les militants tirent généralement beaucoup de fierté. Aussi s’agit-il de ne pas seulement tenir compte des événements vécus à l’âge adulte par les militants, mais de considérer le rôle que la mémoire des événements, transmise via les récits

105 En référence à Gérard MAUGER, « Gauchisme, contre-culture et néo libéralisme : pour une histoire de la ‘génération de mai 68’ », op. cit.

106 Guillaume SAINTENY, Le Rejet du champ politique, causes et chances de succès : le cas des dirigeants

écologistes en France, op. cit. et « Les dirigeants écologistes et le champ politique », Revue française de science politique, vol. 37, n° 1, 1987, p. 21-32.

des familles, joue dans la socialisation politique, « fruit de la rencontre de l’histoire de chacun avec celle de la société toute entière »107. D’autres ont découvert le militantisme à

l’occasion de leurs études et militent, en parallèle, dans diverses organisations ou mobilisations de circonstance. Ils sont nombreux à avoir participé à divers titres aux événements de Mai 68, mais sans nécessairement revendiquer d’appartenance à des organisations d’extrême gauche (beaucoup sont en effet très critiques envers les « orga » de l’époque ainsi qu’envers le PCF). Ils se sont également impliqués dans les luttes environnementales, dans lesquelles ils continuaient à côtoyer ou, pour certains, ils rencontraient, d’autres militants, notamment du PSU et de la CFDT, également très impliqués dans les luttes antinucléaires. Au moment où ils fondent collectivement les Verts, ces militants sont donc déjà « pluri-engagés »108, et sont tous, même si c’est à des degrés

différents, « politiques ».

Très diplômés, ce qui est par ailleurs le cas de la grande majorité des militants politiques dont c’est justement l’une des caractéristiques principales, les verts ne le sont pas aux niveaux généralement considérés comme prestigieux, ou dans les filières qui disposent à l’exercice du pouvoir politique109. Seuls quelques-uns ont en effet acquis des titres dans les

filières qui disposent le plus à l’engagement110 et aux carrières politiques. Si ces niveaux

attestent, nous semble-t-il, des dispositions aux apprentissages scolaires des enquêtés, lesquelles s’expriment souvent tout au long de leur vie – ce qui nous conduit à réfuter les hypothèses éparses de rancune envers l’institution scolaire ou d’anti-intellectualisme111 –,

ils n’égalent pas les niveaux de certains autres militants, par exemple du Parti socialiste, avec lesquels on les compare parfois. Les verts ne font donc ni partie de la « noblesse d’État »112, ni de ce que l’on qualifie en France d’élite politique113. La création d’un parti

107 En référence à Annick PERCHERON, « La socialisation politique. Défense et illustration », in Madeleine GRAWITZ et Jean LECA, Traité de science politique, vol. 3 : L’action politique, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p. 165-235.

108 Nous employons ce terme pour signaler que contrairement aux individus que l’on pourrait qualifier de « multipositionnés » en référence à Luc BOLTANSKI, « L’espace positionnel : multiplicité des positions institutionnelles et habitus de classe », Revue française de sociologie, vol. 14, n° 1, 1973, p. 3-26 et aux « multi- engagés » décrits dans Hélène COMBES, Faire parti. Trajectoires de gauche au Mexique, op. cit., ils n’occupent pas de positions dominantes ou de pouvoir à proprement parler dans les milieux militants dans lesquels ils sont investis. 109 Mattei DOGAN, « Les professions propices à la carrière politique. Osmoses, filières et viviers », in Michel OFFERLÉ (dir.), La Profession politique XIXe-XXe siècles, op. cit., p. 171-199.

110 Le Droit et les IEP d’après Sébastien MICHON, « Les effets des contextes d’études sur la politisation »,

Revue française de pédagogie, n° 163, 2008, p. 63-76.

111 Elles sont contenues dans Willy PELLETIER, « Positions sociales des élus et procès d’institutionnalisation des Verts », op. cit. et Hubert BILLEMONT, L’Écologie politique. Une idéologie de classes moyennes, op. cit. 112 Pierre BOURDIEU, La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Minuit, 1989.

113 Telles qu’elles ont définies à cette époque par leur formation (essentiellement Droit, IEP et ENA), leur appartenance au groupe des « hauts fonctionnaires », leur intégration dans les grands corps de l’État (Conseil d’État, Cour des comptes, Inspection générale des finances) ou les cabinets ministériels. D’après Luc ROUBAN, « La formation et les carrières des élites », in La science politique, Cahiers français n° 350, La Documentation française, 2009, p. 29-34.

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spécifique leur permet ainsi de s’affronter – notamment pour les investitures – dans un espace moins concurrentiel qu’un parti déjà constitué ne le serait – l’atypisme relatif114 de

leur trajectoire les désavantagerait dans la compétition –, et de revendiquer des positions et des prises de positions politiques à moindre coût.

L’engagement de ces militants fondateurs en faveur de la politisation de l’écologie peut dès lors se comprendre comme le moyen de défendre, dans la compétition électorale, les causes dans lesquelles ils sont impliqués. La création d’un « parti-mouvement »115 peu

formalisé et peu centralisé est le fruit de la convergence de stratégies116 développées par des

militants aux capitaux et ressources différenciés. Ceux qui bénéficient d’un fort ancrage local ont intérêt à défendre une organisation qui leur permet de rester impliqués, à titre individuel, dans l’ensemble des luttes dans lesquels ils s’investissent et qui leur offrent l’opportunité d’acquérir des capitaux militants et d’entretenir les réseaux qui leur fournissent l’essentiel de leurs ressources117. D’autres, moins dotés en capitaux strictement

politiques, ont tout intérêt à se préserver des effets de l’accroissement de la concurrence interne que provoquerait la nationalisation de la structure partisane. Les stratégies qui consistent à bénéficier tout à la fois de la visibilité d’une structure nationale, et de concevoir, dans le même temps, cette dernière, comme un assemblage de marchés politiques locaux, entretiennent la capacité de tous les militants à disposer de marges de manœuvre conséquentes et à interpréter les règles en fonction et à la faveur des rapports de force temporaires qu’ils parviennent à créer. L’anti-élitisme et le régionalisme des Verts fondateurs ne tiendraient donc peut-être pas uniquement à leur volonté de ne pas « reproduire les travers » des partis politiques classiques, mais serait également l’expression de leurs positions et intérêts structurels.

La création du parti peut de ce fait se lire de deux manières complémentaires. Elle est, pour une part, un moment de cristallisation des conflits, puisqu’il s’agit ici, non pas seulement de créer une nouvelle organisation, mais d’acter à cette occasion, un certain état

114 Guillaume SAINTENY, « L’élite verte. Atypisme provisoire ou préfiguration d’un nouveau personnel politique ? », op. cit.

115 C’est ainsi, nous l’avons souligné en introduction générale, que les Verts sont qualifiés, tant dans la littérature scientifique que dans les récits officiels, lorsque les auteurs souhaitent insister sur leur filiation avec les nouveaux mouvements sociaux ou souligner qu’ils ne sont pas, à leur sens, un parti politique à part entière. 116 Définies comme « lignes d’action objectivement orientées que les agents sociaux construisent sans cesse dans la pratique et en pratique, et qui se définissent dans la rencontre entre l’habitus et une conjoncture particulière du champ ». D’après Pierre BOURDIEU avec Loïc J.D WACQUANT, Réponses. Pour une

anthropologie réflexive, op. cit., p. 104.

117 Entendues comme des « sous-produits émergents de relations tout à la fois objectives et subjectives entre tous les acteurs », et sachant que leur « côte » varie au fil du temps, des interactions et de l’évolution des rapports de force ». D’après Emmanuel PIERRU, « Organisations et ressources », in Olivier FILLIEULE, Éric AGRIKOLIANSKY et Isabelle SOMMIER, Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les

du rapport de force entre des militants plus ou moins détenteurs d’un capital strictement politique. Guillaume Sainteny avait d’ailleurs relevé ce point lorsqu’il affirmait que s’étaient opposés, dès 1984, des militants ayant acquis des ressources proprement militantes dans des partis ou des mouvements sociaux, et des militants ayant acquis une expertise

technique via leurs études et leur profession ou leur engagement dans des associations de protection de la nature118. Elle est, d’autre part, le fruit de leurs « transactions collusives »119

du moment. La conscience du caractère nécessairement instable de ces dernières a sûrement conduit les acteurs à se doter de règles spécifiques, auxquelles les acteurs attribuent eux-mêmes la fonction de faire que chacun puisse contrôler tous les autres et limiter leur ascension dans l’appareil. Ce point de vue permet de mieux comprendre les récits des militants qui évoquent la création du parti et le caractère non pas démocratique mais « paranoïaque » des statuts de 1984, et de relativiser, sans le nier, l’attachement des Verts aux formes d’organisation considérées comme les plus « démocratiques ».

Passer par l’analyse des trajectoires des militants et de leur politisation120 permet

ainsi de faire l’hypothèse que les difficultés de la période 1973-1984 ne s’expliquent pas par le manque de vision stratégique des futurs dirigeants ou par leur amateurisme. Les concurrences entre militants apparaissent bien politiques. Leur âpreté n’est donc pas le seul résultat d’une lutte des ego, mais bien celui d’une compétition entre militants d’obédiences variées, dont les ressources sont diversifiées et les compétences politiques inégales. On peut ainsi relativiser la thèse de l’inexpérience politique des « pionniers », entrés au parti, collectivement, par fusion organisationnelle. Les luttes intrapartisanes qui les opposent pendant toute la période suivante, expriment d’ailleurs largement leur maîtrise des jeux politiques et l’éventail de capitaux dont ils bénéficient et qu’ils continuent, pour la plupart, à accumuler.

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2 :

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«

ET DROITE ET GAUCHE

»

(1984-1993)

Les récits officiels décrivent la période qui va de 1984 à 1993 comme l’ère du « ni droite ni gauche ». Elle est généralement considérée comme un ensemble relativement cohérent du point de vue de l’histoire des idées et de l’organisation verte. Antoine Waechter,

118 Guillaume SAINTENY, « Logique d’engagement et logique de rétribution au sein de l’écologisme français »,

Cahiers internationaux de sociologie, vol. CVI, 1999, p. 175-200.

119 Définies comme formes intersectorielles de domination dont l’enjeu réside dans le maintien et la solidité des définitions que les secteurs donnent d’eux-mêmes vis-à-vis de leur environnement et de leurs propres agents. D’après Michel DOBRY, Sociologie des crises politiques, op. cit.

120 Ici entendue au double sens d’inculcation de l’intérêt et de la compétence politiques et de requalification des activités.

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leader du parti à partir de 1986, incarne cette ligne idéologique, que le refus des alliances électorales et des désistements de second tour sont censés traduire. Seules les initiatives organisationnelles extérieures aux Verts (la création de l’Alternative rouge et verte – AREV – en 1989 et celle de Génération écologie – GE –, créé par Brice Lalonde en 1990) et les échéances électorales, semblent rythmer cette séquence. L’analyse fine des trajectoires des quatorze enquêtés qui entrent au parti dans cette période montre pourtant, qu’à une exception près, tous peuvent être considérés comme des militants « de gauche ». Si l’image sociale des Verts « ni ni » s’est imposée, ce n’est donc pas tant qu’elle révèle la socialisation des militants ou l’orientation de leurs engagements, mais plutôt qu’elle est le double fruit du contexte favorable aux thématiques environnementales et de l’insuccès des stratégies des tenants de l’ancrage à gauche du parti. Tenu sur fond de catastrophes environnementales, le discours de démarcation politique d’Antoine Waechter a en effet été porté par une majorité de militants qui, plutôt que « ni ni » ou encore moins « de droite », se voulaient critiques envers la gauche institutionnelle au pouvoir depuis 1981. Parenthèse dans l’histoire longue des Verts, « l’ère Waechter » a perduré jusqu’à ce qu’entrent au parti, des militants dotés des capitaux et du sens pratique leur permettant de s’inscrire dans les luttes internes et de les remporter. Pour comprendre cela, il faut tout d’abord rappeler que le parti, nouvellement créé,