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L’ ENGAGEMENT VERT : UNE RÉINVENTION DE SOI EN CONTEXTE PARTISAN

208 Everett C HUGUES, “Careers”, texte inédit utilisé vers 1967 par Hugues pour son enseignement à Brandeis,

3. L’ ENGAGEMENT VERT : UNE RÉINVENTION DE SOI EN CONTEXTE PARTISAN

leurs trajectoires et sur l’ensemble de leurs croyances et de leurs pratiques. Nous tenterons

ainsi de nous placer dans la perspective à la fois (dis)positionnelle, processuelle et séquentielle qu’il convient désormais d’adopter dans le cadre d’une sociologie politique du (dés)engagement militant et de la professionnalisation politique. Cette approche nous permettra de confronter au réel un certain nombre d’hypothèses anciennes, et d’en formuler de nouvelles, à partir de notre enquête240.

3.

L’

ENGAGEMENT VERT

:

UNE RÉINVENTION DE SOI EN CONTEXTE PARTISAN

Dans le mouvement caractéristique d’aller et retour entre théorie et empirie que suscite l’interprétation des données d’enquête, nous sommes sans cesse revenue sur notre problématique de départ. Puisqu’elle consistait à tenter de comprendre comment des individus peuvent s’engager et tenir dans un militantisme qui nous semblait – à tort ou à raison – plus « prenant » que les autres militantismes politiques actuels, nous nous sommes finalement interrogées sur l’existence d’une signification sociale – et laquelle ? – du militantisme vert et sur les – éventuelles – spécificités du parti vert qui pourraient la révéler.

L’immersion longue dans un milieu militant comporte de nombreux avantages, dont ceux de procurer une connaissance fine des phénomènes observés et l’occasion d’éprouver, en continu et jusqu’à saturation, les hypothèses que l’on formule au fil de la recherche. Elle a l’inconvénient de brouiller sporadiquement l’appréhension des réalités observées et d’amoindrir les capacités à distinguer les spécificités. Rester longtemps sur un terrain, c’est en effet se donner l’occasion de toujours trouver un contre-exemple, une irrégularité, qui fait courir au chercheur le risque de s’incliner, ne serait-ce que momentanément, devant le caractère apparemment morcelé et épars de l’ensemble. À les regarder de – trop – près, les Verts ne ressemblent en effet à aucun autre parti politique, au point que l’on peut se demander s’il ne faudrait pas, pour les comprendre, s’affranchir totalement des cadres théoriques généralement utilisés pour analyser les partis politiques241. À prendre de la

distance, on s’aperçoit qu’ils ont en réalité de nombreux traits communs avec d’autres partis. Leur manque apparent d’homogénéité ne serait-il pas, comme à la Ligue communiste révolutionnaire, l’expression du côtoiement de cohortes militantes dont les différences se cristallisent dans l’opposition entre tendance mouvementiste et tendance centrée sur la

240 Elle a été effectuée de 2002 à 2012. Pour les détails, voir le chapitre suivant.

241 Guillaume Sainteny se posait clairement la question en ces termes en ouverture de sa thèse. Voir Guillaume SAINTENY, La Constitution de l’écologisme comme enjeu politique en France. Mobilisation des ressources et

construction du parti242 ? Le parti vert n’est-il pas, comme le Parti socialiste, de moins en

moins encastré dans les réseaux sociaux qui l’irriguaient initialement, et de plus en plus centré sur ses élus, attachés à faire prospérer la culture de gouvernement243 et à préserver,

cela va de pair, leurs positions de pouvoir244 ? Ne comporte-t-il pas, comme la Nouvelle UDF

en son temps, une proportion tout à fait non négligeable d’individus ayant reçu une éducation catholique et qui sont heureux d’avoir trouvé à s’engager dans une organisation dont la plasticité leur laisse de nombreuses marges de liberté245 ? Leur militantisme ne

provoque-t-il pas de véritables conversions de pratiques et de croyances, qui permettent l’élaboration d’une identité partisane d’autant plus forte qu’elle est auto-consacrée, et qui perdure au-delà de l’éventuel désengagement, à la manière du communisme thorézien246 ?

Leur idéologie autant que leur système d’action ne sont-ils pas, comme ceux du Parti Communiste, les cibles de disqualifications diverses247 qui tendent à saper leurs bases

sociales et électorales dans le même temps que contrairement à lui, leurs écosystèmes locaux ne sont pas désagrégés248 mais florissants ? Ces comparaisons rapides, sorte de

portrait en creux des Verts, ne suffisaient évidemment pas à les définir. Elles nous ont tout malgré aidé à reformuler un ensemble de questions qui nous semblaient rassemblées dans une interrogation globalisée autour de celle de l’identité des Verts.

L’utilisation généralisée de ce concept d’identité – pour soi et pour les autres –, très présent dans les travaux existants249 et dans la littérature la plus récente sur les

mobilisations collectives et les mouvements sociaux250, suscitait chez nous de nombreux

doutes, tant épistémologiques que méthodologiques, que semblaient partager quelques

242 Florence JOSHUA, De la LCR au NPA (1966-2009). Sociologie politique des métamorphoses de l’engagement

anticapitaliste, Thèse pour le Doctorat de Science politique, IEP de Paris, 2011, et plus rapidement, « Les

conditions de (re)production de la LCR », in Florence HAEGEL (dir.), Partis politiques et systèmes partisans en

France, op. cit., p. 25-67. 243 Rémi LEFEBVRE et Frédéric SAWICKI, La Société des socialistes. Le PS d’aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2006. 244 C’est également le cas, dans une certaine mesure, du PCF. Voir sur ce point Bernard PUDAL, « PCF : un parti peut-il en cacher un autre ? », in Bertrand GEAY et Laurent WILLEMEZ, Pour une gauche de gauche, Bellecombe- en Bauges, Éditions du Croquant, 2008, p. 239-258. 245 Julien FRETEL, Militants catholiques en politique. La nouvelle UDF, op. cit. et plus rapidement, Julien FRETEL, « L’UDF au prisme du jeu d’échelle », in Florence HAEGEL (dir.), Partis politiques et systèmes partisans en France, op. cit., p. 183-218. 246 Bernard PUDAL, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989.

247 Bernard PUDAL, « La beauté de la mort communiste », Revue française de science politique, vol. 52, n° 5-6, 2002, p. 545-559 et Un monde défait. Les communistes français de 1956 à nos jours, op. cit.

248 Tel qu’exposé dans Julian MISCHI, « Pour une histoire sociale du déclin du Parti communiste », in Florence HAEGEL (dir.), Partis politiques et systèmes partisans en France, op. cit., p. 69-101.

249 Voir notamment ceux de Bruno Villalba et Sylvie Ollitrault qui utilisent tout spécifiquement ce concept. 250 Voir notamment spécifiquement Michaël VOEGTLI, « Quatre pattes oui, deux pattes non ! L’identité collective comme mode d’analyse des entreprises de mouvement social », in Olivier FILLIEULE, Éric AGRIKOLIANSKY et Isabelle SOMMIER, Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés

contemporaines, op. cit., p. 203-223 et Muriel SURDEZ, Michaël VOEGTLI et Bernard VOUTAT, Identifier- S’identifier. À propos des identités politiques, op. cit.

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chercheurs. Martina Avanza et Gilles Laferté en avaient en effet montré les insuffisances et les biais, y compris dans la version constructiviste de l’acception de la notion251, et

proposaient de lui substituer une approche qui articulerait « identification », « image sociale » et « appartenance », permettant d’envisager, dans le même temps, les interdépendances complexes entre les multi appartenances des acteurs, la multiplicité des institutions identificatoires et le travail de représentation par les images des différents groupes sociaux. Nous cherchions encore la meilleure manière d’aborder les questions que pose la mise en sens des carrières militantes vertes lorsque nous avons été frappée par une remarque lancée un peu à l’emporte-pièce par un militant : « Les Verts, on est les homosexuels de la politique, et on en est fiers ! »252. Dans un premier temps, nous avons

entendu cette phrase dans le cadre du processus de construction de l’image sociale des Verts, laquelle est largement structurée, nous l’avons déjà souligné, par la production de caricatures dévalorisantes. Nous l’avons donc tout d’abord comprise comme une manière, pour les militants, de jouer de l’injure253 et de prendre à revers le stigmate254 dans le cadre

des interactions qui les confrontent à des individus « non verts ». Ayant par ailleurs souvent été surprise par la facilité avec laquelle de nombreux militants font usage des caricatures dans des contextes d’entre-soi, s’en servant dans la compétition interne pour stigmatiser par exemple le passéisme des « Verts canal historique » [i.e les militants les plus anciens] ou rire des liens amoureux entre candidats investis, nous avons également perçu, à partir de cette phrase, les formes d’autodérision et d’humour partisan à laquelle elle renvoyait. Nous avons enfin considéré les usages politiques que les verts font de ces caricatures dans leurs relations avec leurs partenaires et concurrents politiques, rappelant par exemple qu’ils n’ont que peu de pouvoir dans les exécutifs en même temps qu’ils se vantent d’être les seuls à ne pas astreindre leurs élus à une discipline de vote, ou à présenter des candidats transsexuels aux élections locales. La fierté qu’ils tirent de leur position, et qui est clairement énoncée dans la phrase entendue à ce moment, nous a invitée à faire une lecture complémentaire du militantisme vert, inspirée de travaux sur les groupes discriminés, qu’ils le soient du fait de leur sexe, de leur classe sociale, de leur « race » ou encore de leurs pratiques (sexuelles, alimentaires, religieuses…).

251 Voir Martina AVANZA et Gilles LAFERTÉ, « Dépasser la construction des identités ? Identification, image sociale, appartenance », op. cit.

252 Cette remarque a été faite lors d’une discussion suivant une projection du documentaire de Sébastien Lifshitz, Les Invisibles. Extrait de carnet de terrain n° 10, 2013.

253 Ici entendue comme un énoncé performatif dont l’unique objectif est de blesser l’individu à laquelle elle est adressée. D’après Judith BUTLER, Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Péronnas, Édition Amsterdam, 2004 et Didier ÉRIBON, Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999.

254 Entendu comme un « attribut qui jette un discrédit profond » dans le cadre spécifique d’une relation donnée. D’après Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, (1963), 1975.

S’interrogeant sur les assignations identitaires et les mécanismes d’infériorisation sociale, tout autant que sur les moyens – notamment politiques – dont les individus disposent pour les affronter et s’en libérer, ces travaux évitent, le plus souvent, les écueils auxquels conduisent généralement les interrogations sur « l’identité » des individus en tant que telle. Parmi la quantité d’ouvrages publiés sur ces sujets255, les travaux de Didier

Éribon256, qui nous ont invitée à considérer l’engagement comme une forme de « re-

subjectivation », que nous entendons comme une réinvention politique de soi, nous ont semblé les plus à même de rendre compte des attaques auxquelles les militants verts devaient faire face au moment de notre enquête. En effet, si ces derniers sont régulièrement accusés de « laxisme » ou d’« angélisme » envers les consommateurs de drogues, les prostitués, les « délinquants » ou les populations migrantes, les remarques qui concernent leur soutien aux luttes LGBTQ257 ou leurs propres préférences sexuelles ont été, durant

notre immersion, qui a couru de la préparation du mariage de Bègles aux débats sur « le mariage pour tous », les plus nombreuses. Une telle approche n’aurait peut-être pas eu sa place dans ce travail sociologique si elle ne nous avait pas permis de comprendre ce processus de réinvention dans le cadre de problématiques sociologiques, évoquées dans quelques travaux qui envisagent l’identité comme une « manière de tenir son rôle »258, un

élément structurant le maintien de l’engagement via l’incitation à la solidarité avec le groupe militant259, ou encore dans le cadre des travaux qui ont considéré les « subjectivations

dissidentes »260 accompagnant l’engagement dans les événements de mai-juin 68 auquel

nombre de nos enquêtés avaient participé. Elle nous a semblé d’autant plus pertinente que nous avancions dans notre réflexion et qu’il nous semblait important de prendre au pied de la lettre l’insistance de nos enquêtés à se considérer comme des « militants de l’autrement ».

255 Leur multitude interdit de les mentionner dans leur intégralité. Parmi les ouvrages les plus récents, et sans citer ceux qui concernent spécifiquement le militantisme ou le métier politique, nous avons plus particulièrement été intéressée par Judith BUTLER, Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, op. cit. et Vie précaire. Les pouvoirs

du deuil et de la violence après le 11 septembre 2001, Paris, Édition Amsterdam, 2005 ; Didier FASSIN et Éric

FASSIN (dir.), De la question sociale à la question raciale ?, Paris, La Découverte (2006), 2009 ; Joan W. SCOTT,

Théorie critique de l’histoire. Identités, expériences, politiques, Paris, Fayard, 2009 et De l’utilité du genre, Paris,

Fayard, 2012 ; Delphine DULONG, Christine GUIONNET et Érik NEVEU (dir.), Boys don’t cry ! Les coûts de la

masculinité, Rennes, PUR, 2012.

256 Nous pensons ici aux lectures croisées que nous avons faites, dans l’ordre de parution, de Réflexions sur la

question gay, op. cit., Une morale du minoritaire, Variations sur un thème de Jean Genet, Paris, Fayard, 2001 ; Sur cet instant fragile… Carnets, janvier-août 2004, op. cit. ; D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Paris, Léo Scheer, 2007 ; Contre l’égalité et autres chroniques, Paris, Cartouche, 2008 ; Retour à Reims, Paris, Fayard, 2009 ; De la subversion : droit, norme et politique, Paris, Cartouche, 2010 ; Retour sur Retour à Reims, Paris, Cartouche, 2011 et La Société comme verdict, Paris, Fayard, 2013. 257 Pour lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, transexuel-le-s et queer. 258 Jacques LAGROYE, « L’institution en pratiques », op. cit. 259 D’après Frédéric SAWICKI et Johanna SIMÉANT, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », op. cit. 260 Voir Boris GOBILLE, Crise politique et incertitude : régime de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en mai 68, Thèse pour le Doctorat de Sciences sociales, EHESS, 2003, ou plus rapidement « Mai-juin 68 :

crise du consentement et ruptures d’allégeances », in Dominique DAMAMME, Boris GOBILLE, Frédérique MATONTI et Bernard PUDAL (dir.), Mai juin 68, Paris, Édition de l’Atelier, 2008, p. 15-31.

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Soucieuse de tenir compte de la manière dont ils concevaient et proclamaient leur appartenance au parti, nous avons interrogé le rôle de ces caricatures dans la fabrication de l’habitus partisan vert, et tenté d’évaluer celui de l’institution partisane dans la co- construction de ces dernières. Nous avons ainsi pu cerner la part que joue le parti dans la production d’éléments discursifs et/ou pratiques qui participent de la construction et de la sédimentation sociale des caricatures, ainsi que celui qu’il joue, dans le même temps, dans la prescription des manières de faire de ces caricatures des usages strictement politiques et valorisants. Nous avons également cherché à évaluer les conséquences des remarques – plus ou moins violentes –, et de leurs contenus – plus ou moins – infériorisants et disqualifiants, sur les carrières militante et extra-militante des enquêtés. C’est dans ce cadre, et complémentairement aux usages faits des autres concepts que nous avons précédemment mentionnés, que nous avons pu qualifier la structuration, sur le mode minoritaire, de l’habitus partisan vert, et concevoir l’engagement dans ce parti comme une réinvention de soi en contexte partisan. *

Dans le chapitre 1, nous nous sommes intéressée aux logiques socio-historiques de la fabrique partisane. Nous souhaitions en effet réhistoriciser la création du parti vert et les engagements auxquels il a donné lieu au fil du temps. Nous avons ainsi cherché à montrer dans quels contextes ces engagements prennent sens, et à partir de quels types de trajectoires sociales ils sont envisageables. Ceci nous a permis de redéfinir la place des événements historiques dans le développement de l’écologie politique et du parti vert, et de donner des sens nouveaux aux politisations auxquelles ces événements ont donné lieu.

Dans le chapitre 2, nous avons tenté de faire droit aux logiques socio-biographiques de l’engagement vert. Il s’agissait très concrètement de pénétrer ce que l’on nomme parfois la « boîte noire » de l’engagement, et de comprendre comment l’on passe concrètement de la possession de dispositions au militantisme vert à l’engagement concret chez les Verts. Nous avons ainsi interrogé dans le même temps, la force des habitus et le poids des milieux partisans, et tenté de déterminer le rôle que jouent les interactions de proximité dans la politisation des engagements et la prise de carte du parti.

Dans le chapitre 3, nous nous sommes attachée à décrire le parcours d’intégration des militants au parti, définissant les multiples rites institutionnels qui jalonnent les débuts de leur carrière militante. Nous avons, à cette occasion, montré comment l’institution partisane,

par l’intermédiaire du groupe local, (re)façonne les croyances, les pratiques et les savoir- faire des militants. Nous avons ainsi expliqué de quelle(s) manière(s), soutenu par l’acquisition progressive des « fondamentaux » de l’idéologie verte, le processus ascétique de (re)fabrication de soi qui caractérise les premiers moments après l’entrée au parti des plus disposés à y militer avec « bonheur », trouve son aboutissement dans la constitution d’un habitus partisan caractéristique. Structuré sur le mode minoritaire, ce dernier participe de leur certitude d’appartenir à l’avant-garde politique et sociale. Dans le chapitre 4, nous avons décrit, à partir du cas des politiques publiques d’économie dite « économie sociale et solidaire », le processus de construction de l’offre politique verte. Partant de l’homologie de positions et de stratégie qui lie les militants verts et les acteurs de l’économie dite « solidaire », nous avons montré comment Les Verts ont fait de l’action publique dans ce domaine un élément de démarcation dans la compétition électorale permettant l’entrée de nombreux militants verts dans la carrière politique.

Constatant à cette occasion le caractère limité de la professionnalisation politique par l’expertise sectorielle, nous nous sommes, enfin, dans le chapitre 5, interrogée sur les modalités d’apprentissage du métier politique et sur les mécanismes de sélection du personnel politique vert. Suivant la logique des éliminations successives, nous avons (re)construit les étapes du processus de professionnalisation, de l’investiture à la sélection ministérielle. Nous avons ainsi pu repérer, pour chacune de ces étapes, les points de passage obligés, et tracer, à partir d’eux, les profils de semi-professionnels de la politique qui caractérisent si bien les élus verts.

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE - POLITIQUE DE L’ENQUÊTE

« N’être ni dedans à la manière d’un gardien de l’ordre, ni dehors comme un barbare ou un béotien. » Louis Pinto, « Volontés de savoir. Bourdieu, Derrida, Foucault », in Louis Pinto, Gisèle Sapiro, Patrick Champagne, Pierre Bourdieu, sociologue, Paris, Fayard, 2004, p. 38. Dire que le chercheur en sciences sociales est littéralement pris dans son objet de recherche n’a rien de novateur ou d’original. Cette familiarité du chercheur avec son univers social, « obstacle épistémologique par excellence »1 tout autant que « condition de la

connaissance »2, occupe une large part des débats qui animent depuis longtemps la

sociologie et l’ethnologie, disciplines dans lesquelles les chercheurs en science politique puisent la plupart de leurs références en matière de terrain. Sociologues et ethnologues, d’autant plus préoccupés de réflexivité qu’ils étaient amenés par les mouvements de décolonisation à travailler sur des terrains avec lesquels ils entretenaient une forme de proximité géographique et/ou sociale, ont en effet consacré de nombreux ouvrages à l’analyse des problèmes auxquels confrontent les enquêtes qualitatives3. N’hésitant pas à

adopter sur le terrain des postures d’observation tout à fait engageantes4, ou à enquêter sur

des milieux auxquels ils appartenaient ou avec lesquels ils entretenaient des liens d’extrême

1 Pierre BOURDIEU, Jean-Claude PASSERON et Jean-Claude CHAMBOREDON, Le Métier de sociologue, Paris, Mouton Éditeur, 1983, p. 27. 2 Didier FASSIN, « L’anthropologie entre engagement et distanciation. Essai de sociologie des recherches en sciences sociales sur le sida en Afrique », in Charles BECKER, Jean-Pierre DOZON, Christine OBBO et Moriba TOURÉ (dir.), Vivre et penser le sida en Afrique, Paris, Codesria, Karthala & IRD, 1998, p. 41-46 et p. 42 pour cette citation. 3 On pourra citer, parmi les ouvrages plus récents : Everett C. HUGUES, Le Regard sociologique. Essais choisis, op. cit. ; Daniel CÉFAÏ (dir.), L’Enquête de terrain, textes réunis, présentés et commentés par Daniel Céfaï, Paris,

La Découverte, 2003 ; Didier FASSIN et Alban BENSA (dir.), Les Politiques de l’enquête. Épreuves

ethnographiques, Paris, La Découverte, 2008 ; Jean-Pierre Olivier de SARDAN, La Rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 2008 ;

Jean PENEFF, Le Goût de l’observation, Paris, La Découverte, 2009 ; Daniel CÉFAÏ (dir.), L’Engagement

ethnographique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010 ; Sylvain LAURENS et Frédéric NEYRAT (dir.), Enquêter : de