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CHAPITRE II : LES DIMENSIONS DE L’INCLUSION FINANCIERE

Section 1. Inclusion et exclusion financières : deux notions polysémiques

1. Définitions de l’inclusion (exclusion) financière

1.2 Exclusion financière : les causes et conséquences

Mieux comprendre l’exclusion financière est tout aussi important pour notre démarche, dans la mesure où l’inclusion financière se définit par rapport à l’exclusion. Pour cerner le phénomène d’exclusion financière, il convient de pousser les réflexions

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au-delà du simple fait de ne pas détenir un compte bancaire dans une institution financière formelle. Il s’agira à cet égard de se poser la question de savoir pourquoi une personne dispose-t-elle (ou pas) d’un compte bancaire et quelles en sont les conséquences pour la personne se trouvant dans l’une ou l’autre des deux cas. En effet, la forme la plus extrême de ce phénomène d’exclusion est le fait de considérer uniquement l’absence de compte bancaire (Gloukoviezoff et Rebiere, 2013). Il importe de préciser que « n’avoir aucun produit bancaire est l’aboutissement d’un processus

concernant une population bien plus vaste qui se voit denier la possibilité de mener une vie normale » (p.58). Si le fait de n’avoir aucun accès au système financier formel est

considéré comme une situation d’exclusion, le fait d’avoir accès ne suffirait pas non plus à parler totalement d’inclusion financière. Eu égard à la diversité des produits et services financiers existant sur le marché, « par exemple détenir un compte en banque

sans pour autant disposer d’une carte de crédit ou d’un chéquier caractérise une situation d’exclusion bancaire » (p.58). Un changement de regard s’impose alors, en considérant le

processus dans toute sa dimension. Selon les auteurs susmentionnés, il y a deux contraintes qui justifient ce changement : d’une part, les difficultés liées à l’usage même des produits et services bancaires. Et d’autre part, les conséquences que ces difficultés engendrent pour les personnes concernées. En résumé, en considérant l’exclusion comme un processus, on évoque les causes ou bien les difficultés qui gênent celui-ci (le processus). Toutefois, en prenant en compte l’exclusion financière comme un aboutissement, ce sont ses conséquences pour les personnes exclues qui intéressent notre analyse.

1.2.1 Les causes de l’exclusion financière

Quand une personne ou plusieurs personnes se trouvent dans une situation d’exclusion financière, les causes peuvent être attribuées soit à « l’inexistence de l’offre des services financiers », soit aux « difficultés réelles » de la personne ou de ces personnes à accéder et/ou à utiliser les produits et services financiers. On parle alors « d’exclusion par l’usage » ou « d’exclusion par l’accès ». Certains exclus en milieu urbain se situent dans le premier cas, car les institutions financières sont bien présentes mais s’adressent surtout à une catégorie qu’elles choisissent de cibler ; des personnes riches, instruites, ou des fonctionnaires, etc., d’autres, ceux vivant en milieu rural, se situent dans le deuxième cas. Autrement dit celui où il n’existe aucun point de services bancaires ou microfinanciers. Partant de ce constat, Morvant-Roux et Servet (2007,

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p.55) soulignent que l’exclusion financière provient de situations distinctes : elle peut être volontaire, pour les personnes qui ne voient pas d’intérêt à utiliser le système financier formel. A cet égard, là où l’offre est disponible, certaines personnes ou groupes sociaux peuvent choisir de ne pas utiliser les services financiers. L’exclusion peut aussi être involontaire, dans ce cas, les personnes éprouvent bien le besoin d’utiliser les services mais n’y parviennent pas pour des raisons diverses, par exemple, des contraintes dans l’utilisation de ces services. Ainsi, ces auteurs montrent qu’une personne exclue n’est pas nécessairement pauvre et vice versa.

Il existe plusieurs facteurs d’exclusion financière les unes plus complexes que les autres. L’exclusion financière peut être causée par une insuffisance de revenu ou du fait de la pauvreté, un faible niveau d’éducation ou elle peut être liée à des mobiles psychologiques (Morvant-Roux et Servet, 2007).

Les causes de l’exclusion financière varient aussi suivant les régions du monde. Dans les pays en développement à l’instar des pays de l’UEMOA, l’exclusion financière peut être due à l’absence ou à l’insuffisance d’infrastructures bancaires (nombre d’agences bancaires par habitant). Pour les pays développés par contre, elle peut être due à « l’absence d’usage, subie ou choisie » Morvant-Roux et Servet (2007, p.58). A titre d’exemple de comparaison, la France dispose de 43 agences bancaires pour 100.000 habitants et de 46 agences pour 1000 Km2. Le Niger quant à lui dispose d’une seule agence bancaire pour 100.000 habitants et de 0,03 agences pour 1000 Km2.

Sous un autre angle, Ebermeyer (2004) voit à l’origine de l’exclusion financière, un déficit d’information pour montrer à quel point le fait de connaitre et comprendre les produits est capital pour expliquer le statut d’exclusion (inclusion) d’une personne. Ainsi une personne peut se trouver au sein d’une institution financière et être exclue juste parce qu’elle ne maitrise pas la nature des produits disponibles, dans ce cas « un

exclu financier n’est pas forcément un exclu des institutions financières » (p.89). Ce faisant,

les causes de l’exclusion financière peuvent être soient internes aux institutions financières, soient externes.

1.2.2 Les conséquences des difficultés liées à l’accès et l’usage

Les auteurs tels que (Servet (2002, 2006 et 2015), Ben Rogaly et al. (1999), Gloukoviezoff et Rebière (2013), etc) et les organismes comme la Banque Mondiale se sont intéressés aux conséquences découlant des difficultés d’usage ou d’un manque

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d’accès aux produits et services financiers formels. Les conséquences de l’exclusion financière peuvent se situer au niveau d’une personne (niveau micro), d’un groupe ou d’un pays (niveau macro).

Au niveau microéconomique : l’exclusion financière peut être considérée comme

un aspect de l’exclusion sociale dans la mesure où des difficultés d’accès ou d’usage des services financiers engendrent des conséquences sociales. Goukoviezoff (2008) a fait une analyse détaillée des conséquences des difficultés bancaires procédant à des analyses croisées du processus d’exclusion sociale en termes de privation des capabilités de SEN49 et l’articulation des composantes du lien social à savoir, le lien à soi, le lien communautaire et le lien sociétaire. A l’issue de son analyse, les conséquences se déclinent comme suit : « impossibilité d’établir des relations marchandes dès lors qu’elles

s’inscrivent dans la durée (location, abonnement, etc.) ; difficultés accrues pour convertir ses droits marchands et juridiques formels en droits réels (absence de compte bancaire pour percevoir un salaire ou des prestations sociales) ; appauvrissement monétaire compliquant la satisfaction des nombreux besoins monétarisés ; isolement affectif lié à l’épuisement de la solidarité amicale ou familiale ou à la honte de sa sollicitation ; mise à l’épreuve des liens qui unissent le couple ; perte de l’estime de soi pouvant s’accompagner de dépression ou de problèmes de santé ».(p.200)

Il faut surtout apporter quelques précisions pour cette analyse. Le fait que les conséquences ne seront pas toujours les mêmes pour une femme et pour un homme, pour un couple et pour une famille monoparentale, pour un cadre et pour un chômeur, etc. Elle est relative à une personne donnée au sein d’une société donnée.

Le plus souvent les difficultés bancaires se mêlent avec d’autres difficultés d’emploi, familiales, etc. Leurs effets sont alors confondus. La dégradation d’un lien peut affecter les deux autres. De même, les difficultés bancaires sont systématiquement l’élément déclencheur de la dégradation de l’un ou l’autre des trois types de liens identifiés. Si cela peut être le cas, le plus souvent, il semble que des difficultés préexistent et que celles de nature bancaire viennent les aggraver.

Au niveau macroéconomique : si l’analyse de Gloukoviezoff (2008) est une analyse

à microéchelle sur les conséquences des difficultés bancaires, sur un autre plan, l’analyse pourrait être menée au niveau macroéconomique. Notamment, en investiguant sur les effets d’un faible accès (ou un accès très large) des services financiers sur le

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développement économique ou d’autres indicateurs ou variables macroéconomiques. L’objectif est d’analyser un lien ou des effets au plan économétrique d’un certain nombre d’indicateurs du secteur financier sur ceux du secteur réel. Ce sont, l’accès au compte ou au crédit (qui matérialise l’inclusion financière), le taux de pauvreté monétaire, le coefficient de Gini ainsi que les inégalités de revenus.

Les travaux se concentrant sur les facteurs influençant l'inclusion financière au niveau macroéconomique sont pratiquement récents et peu nombreux. A titre illustratif on peut citer les travaux de Sarma et Pais (2011). Ces derniers ont réalisé une étude en recourant à des données transversales portant sur 49 pays et ont trouvé une relation positive significative entre des facteurs tels que le revenu, le développement humain, l'éducation physique et infrastructure pour la connectivité et les TIC. Ils ont également trouvé une relation négative significative avec les facteurs tels que les prêts bancaires de mauvaise qualité, les ratios d'actifs de fonds propres des banques, la part importante des banques étrangères dans le total des actifs du secteur bancaire et la taille de la population rurale.

Une étude empirique de Honohan et Beck (2007) a montré que les systèmes financiers sains et compétitifs avec un bon fonctionnement sont un outil efficace de lutte contre la pauvreté en offrant aux populations un large éventail de produits et services pour leurs besoins tels que l'épargne, le crédit, le paiement et les services de gestion des risques. En effet, il est admis dans la littérature que le développement financier stimule la croissance économique et le lien de causalité opère à travers trois liaisons, à savoir : de l'approfondissement financier à la croissance économique, de la croissance économique au développement financier et, le sens bidirectionnel. Kempson et al. (2004) et Kempson (2006) quant à eux, ont observé pour le cas des pays développés, une influence positive sur l’inclusion financière des niveaux d'inégalité des revenus, tel que mesuré par le coefficient de Gini. Dans le même ordre d’idées, Honohan (2007) a abouti aux résultats selon lesquels l’accès au compte bancaire est négativement corrélé aux inégalités de revenus, par contre il n’existe aucun lien significatif avec le taux de pauvreté, à partir des bases de données de plus 160 pays. Par ailleurs, il ressort une corrélation négative entre le taux de pauvreté et l’accès au crédit.

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