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Eléments liés à la transition écologique

DONNEES GENERALES ET GRANDES TENDANCES

1.10. Eléments liés à la transition écologique

1.10.1. Prise de conscience environnementale et producteurs sous pression

Du point de vue environnemental, la révélation de la pollution des eaux et des sols par le chlordécone a accéléré la prise de conscience de l'impact des pratiques agricoles intensives sur l'environnement et la santé humaine, spécifiquement pour la filière banane. La médiatisation de cet événement a suscité un débat sur l'utilisation des pesticides dans les Antilles françaises. L'Europe a renforcé la réglementation sur l'utilisation et la commercialisation des produits phytosanitaires (directive 91, paquet hygiène). La principale conséquence de cette directive est le retrait de produits phytosanitaires fortement usités dans les Antilles (Houdart et al, 2009). Les nouvelles normes et Autorisations de Mise sur le Marché (AMM), en interdisant certaines molécules chimiques, posent de nouvelles contraintes aux agriculteurs engagés dans une agriculture conventionnelle. Les intrants restant à disposition des producteurs sont moins polluants et moins dangereux mais souvent moins efficaces et plus onéreux.

En Guadeloupe, les mouvements sociaux de 2009 contre "la vie chère" se sont accompagnés d’une demande de plus en plus forte de produits locaux, notamment avec l’intervention du docteur Henry Joseph qui milite pour la consommation d’aliments locaux en mettant en valeur leurs qualités nutritionnelles. D'une manière générale, les agriculteurs sont de plus en plus fortement soumis à des "pressions" visant à les engager dans la mise en œuvre de pratiques respectueuses des ressources naturelles et de la santé des consommateurs. Les institutions déploient des mesures réglementaires, coercitives, incitatives ou encore pédagogiques pour une écologisation des pratiques (Houdart et al, 2009). Les agriculteurs doivent gérer cette nouvelle donne à la fois environnementale et sanitaire, tout en devant faire face à d'autres contraintes et perturbations (d’ordre climatique, économique et social).

1.10.2. Multifonctionnalité de l’agriculture et gestion de la diversité

En France, une Loi d’Avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, a été votée le 13 octobre 2014. La Loi d’Avenir a trois principales priorités (Rasse, 2017):

- l’installation de nouveaux agriculteurs ; - la promotion de l’élevage ;

- la promotion de la triple performance, c'est-à-dire, à la fois économique, environnementale et sociale des territoires ruraux, à travers notamment la transition agro-écologique de l’agriculture.

Les systèmes dits agroécologiques sont basés sur la valorisation des processus écologiques. Il est aujourd'hui admis que les agricultures familiales peu capitalisées (faible accès aux moyens de production) sont les plus adaptées en vue de mobiliser les processus naturels au service de la production pour développer des systèmes "agroécologiques". Et dans cette perspective, la PAF est au cœur des débats sur le développement agricole (l’année 2014 ayant été proclamée "année internationale de l’agriculture familiale" par l’Organisation des Nations Unies).

Ainsi, la Loi d’Avenir incite les agriculteurs inscrits dans une agriculture conventionnelle à favoriser la transition de leurs systèmes de production. Dans le contexte insulaire contrasté et fragile de la Guadeloupe, l’un des enjeux est celui du développement d’une "agriculture multifonctionnelle" qui doit permettre d’atteindre des objectifs de souveraineté alimentaire, contribuer à l’aménagement du territoire, créer des richesses pour soutenir le dynamisme économique, maintenir et développer l’activité et l’emploi, préserver les patrimoines naturels (entre autres la biodiversité) et culturels. Notion consacrée dans le cadre du premier sommet de la Terre à Rio (1992) et institutionnalisée à travers les diverses lois nationales d’orientation agricole (1999, 2006), la "multifonctionnalité" promeut la durabilité de l’activité. Cela passe par la reconnaissance et la valorisation de fonctions autres que productives (environnementale et socio- culturelle) de l’agriculture et appelle à une modification des pratiques agricoles (Angeon, 2011 ; Angeon et Ozier, 2013). Notons que ce changement vise surtout les systèmes spécialisés de l’agriculture conventionnelle (monocultures sur grandes et moyennes surfaces), et dans une moindre mesure la PAF qui constituerait plutôt un réservoir d’innovations et de pratiques agro- écologiques. La recherche agronomique développe aujourd’hui ses réflexions sur les possibles alternatives à un développement de l’agriculture orienté vers des systèmes spécialisés et fortement consommateurs en intrants (Fanchone 2016, Stark 2016, Rasse, 2017 ; Orain, 2017 ; Leclerc, 2017). Le postulat de départ est que la contribution des exploitations agricoles à un développement durable du territoire, tant au niveau agro-écologique que socio-économique, passe par une gestion de la diversité présente sur une exploitation et par l’optimisation des interactions existant ou pouvant exister entre les productions, tout en maintenant des niveaux de productivité élevés (Kédochim, 2010).

1.10.3. Trois types de transition écologique parmi les agriculteurs guadeloupéens

L’étude de Orain (2017) analyse les dynamiques inhérentes aux changements de pratiques d’agriculteurs, dans le cadre de systèmes diversifiés, et notamment aux changements d’usages des intrants57. Cette étude exploratoire a été réalisée sur toute la Guadeloupe, 29 agriculteurs ont

été enquêtés dont 22 expérimentateurs58. Sur la base de cet échantillonnage, l'auteur distingue

57 L’auteur répertorie quatre types d’intrants utilisés par les producteurs de son enquête : intrants de synthèse

importés, intrants alternatifs importés comme les engrais organiques, intrants alternatifs produits localement, et intrants alternatifs auto-produits.

58 Dans le cadre de son étude, Orain (2017) a mené des entretiens auprès de producteurs afin de repérer et

caractériser les processus expérimentaux paysans à l’œuvre en Guadeloupe, et de relever les attentes des expérimentateurs en termes d’accompagnement. Cela s'inscrit dans une démarche où il s’agit de considérer les

trois catégories de producteurs guadeloupéens selon les démarches agro-écologiques qu’ils ont développées.

Ø Le "choix" initial d’une production écologique

Les producteurs qui s’inscrivent dans une démarche dite "de choix" ont opté dès l’installation pour des systèmes "diversifiés" sans l’usage des intrants de synthèse (Agriculture Biologique ; AB). Cette catégorie d’agriculteurs (ils sont 7/22) a intégré le schéma mental agro-écologique. Les exploitants qui la composent sont convaincus et informés. Toutefois, ces systèmes de production diversifiés et écologiques sont fortement contraignants : fort coût des intrants biologiques importés et débouchés restreints pour la valorisation des produits labellisés AB. De fait, ces agriculteurs tendent à augmenter l’autoproduction de leurs intrants (engrais et produits phytosanitaires).

Ø Une transition agro-écologique contrainte et progressive

Pour cette catégorie comme pour la suivante, la transition agro-écologique a été contrainte. Il s’agit de producteurs qui sont ou qui ont été dans un système de production conventionnel. La diminution du nombre de produits autorisés et la moindre efficacité des intrants de synthèse autorisés (du fait de la directive UE) les a conduits à augmenter les fréquences de traitements (et ainsi leurs achats) sur leurs productions horticoles, fruitières et bananières. Mais en 200859, une

redevance pour les pollutions diffuses a été instaurée et a eu pour conséquence d’augmenter le prix des produits phytosanitaires. D’autre part, ces producteurs consomment leurs produits. Dans un contexte local de défiance croissante vis-à-vis des intrants de synthèse, l’augmentation des traitements leur a fait prendre conscience du danger potentiel pour leur propre santé. Dans le cas d’une transition "progressive", le remplacement des produits phytosanitaires a induit une baisse de la rentabilité du système de production mais a laissé aux producteurs la possibilité de s’adapter progressivement à ces changements. Cela concerne des exploitations contraintes par des facteurs conjoncturels tels que la baisse des cours de la canne ou celle des subventions pour la filière banane. L’auteur indique que ce sont surtout les systèmes de production "canniers diversifiés" qui se retrouvent le plus dans cette catégorie de transition. Progressivement, ces systèmes se tournent vers des pratiques alternatives dans l’objectif de diminuer leurs coûts de production : "Dans le cas de la canne, il s’agit aussi de pouvoir augmenter la sole de cultures diversifiées destinées au marché local pour se détacher de la culture d’export" (Orain, 2017). Cette catégorie de producteur explore les différentes voies possibles et accessibles (achat d’intrants alternatifs importés ou produits localement, autoproduction ou récupération de ses produits).

Ø Une transition agro-écologique contrainte et brutale

Dans ce cas, la transition agro-écologique est brutale et résulte d’une impasse liée à un élément perturbateur qui est venu s’ajouter aux contraintes évoquées ci-avant. Il peut s’agir d’éléments conjoncturels comme la fermeture d’un débouché, l’effondrement de la production qui n’est pas assez compétitive sur le marché. L’auteur évoque le cas d’un producteur qui s’est fortement

agriculteurs comme producteurs de connaissances et d’innovations pour aller vers une construction sociale de l’innovation sous le contrôle d'agriculteurs-expérimentateurs.

59 En 2008, à l’issue de Grenelle de l’environnement, avait été lancé le plan Ecophyto dont l’ambition était de réduire

"si possible" de 50% l’usage des pesticides d’ici 2018. Le plan est loin d’y être parvenu puisque l’utilisation des produits chimiques en agriculture a progressé de 5% entre 2009 et 2013. Une deuxième version du plan a été proposée, l’objectif de réduction de 50% étant maintenu, mais à l’horizon 2025.

endetté avec son élevage porcin intensif dont le modèle était calqué sur l’élevage métropolitain mais non adapté au milieu tropical. Il s’est par la suite réorienté vers un système de polyculture- élevage, adoptant une stratégie similaire à ceux issus d’une transition "de choix". Des impasses agronomiques peuvent aussi survenir avec des résistances aux produits chimiques. Enfin des facteurs exogènes peuvent expliquer ce changement radical de cap : les ravages d’un incendie, les vols à répétition des cheptels, des cultures et de la maison. Tous ces facteurs conduisent l’endettement et/ou obligent les producteurs à supprimer ou à réduire fortement leurs pratiques liées à l’usage d’intrants de synthèse (pour s’orienter vers l’autoproduction de leurs intrants). L’étude de Orain (2017) montre que ce sont les systèmes basés sur des productions d’export qui sont les plus sujets à une transition "brutale" : "Cela peut venir du fait de la crise du modèle agro- exportateur sans réflexion prospective visant à une quelconque transition. L’arrivée d’éléments perturbateurs rend néanmoins tous les types de systèmes potentiellement exposés à cette transition" (2017 : 45).

PARTIE II.

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