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La diversification productive

FILIERE TRADITIONNELLES ET DIVERSIFICATION PRODUCTIVE

1.5. La diversification productive

Durant les cinquante dernières années, la tendance en Guadeloupe, notamment dans les régions cannières, a été à la diversification productive et à l’implantation d’élevages professionnels. Outre la production de canne à sucre (Nord Basse-Terre et Grande-Terre) et de banane (Sud Basse-Terre), la Guadeloupe connait une diversité de productions : vivrières (tubercules variées, igname, madère, malanga etc.), maraîchères, fruitières, florales et aromatiques. L’élevage est aussi présent avec des caprins, des bovins, des ovins, des volailles et des porcins.

1.5.1. Des filières qui peinent à s'imposer

Lors des années 75-80, le développement socio-économique de la Guadeloupe entend passer par la réhabilitation de l'activité agricole. La stratégie envisagée consiste en l'expansion du modèle agro-exportateur et son extension à d'autres monocultures. Des coopératives sont créées pour développer les nouvelles filières d’exportation (comme le melon), dont une partie des productions est destinée au marché intérieur. Mais les coûts salariaux et de productions n'ont cessé d’augmenter en parallèle du niveau de vie. En conséquence, les produits tropicaux provenant de

pays voisins, peu chers car moins coûteux à produire, sont privilégiés par les circuits de la grande distribution. Les produits locaux, bien que très demandés par les consommateurs guadeloupéens, rencontrent des difficultés en termes de valorisation et de commercialisation. La forte structuration des filières d’exportation (canne à sucre, banane et melon) contraste avec les défauts d’organisation des filières de diversification (productions végétales et animales hors exportation) destinées au marché local.

Selon l’Office de Développement de l’Economie Agricole d’Outre-Mer (ODEADOM), 1900 agriculteurs sur 7 802 recensés (RA 2010) produisent des légumes frais en 2017. Selon cette même source, la Guadeloupe serait presque autosuffisante en tomate (cette culture a cependant connu une diminution du fait d'une maladie bactérienne, ce qui a conduit à une augmentation de l'importation), concombre, laitue et melon (Orain, 2017). Les productions de fruits concernent les agrumes (qui couvrent 8% de la surface agricole) et l’ananas. Les fruits produits localement répondent aux besoins de l’île à hauteur de 73%. Les plantes aromatiques et médicinales sont généralement transformées. Dans la catégorie des racines et tubercules, l’igname est la culture amylacée la plus cultivée. Les freins à cette culture sont toutefois pluriels : la concurrence des ignames importés du Costa Rica, les effets d’une maladie foliaire fongique (l’anthracnose), les effets de la pollution des sols (chlordécone) et, en termes de consommation, la substitution par le riz pour les consommateurs les moins aisés (Leclerc, 2017).

S'agissant de l'élevage, huit filières (bovin, porcin, caprin et ovin, volaille, cunicole, apiculture, œufs et aquaculture) composent l'interprofession Iguavie30 qui a été fondée en 2006 pour

améliorer la distribution des productions locales. Les viandes bovines, porcines et caprines sont les plus produites et consommées (chaque années, environ 6 000 bovins, 19 000 porcs et 700 caprins passent par l'abattoir départemental ; R.G., directeur, 2018). Le marché de viande porcine est décrit (par le représentant du syndicat des bouchers et par le président de l'Iguavie) comme quasi-saturé depuis 2017, les éleveurs de porcs locaux couvrant 30% de la consommation totale de viande de porc31. Il apparaît que 70% de la viande consommée en Guadeloupe est fournie par

des petits "détenteurs", qui ne sont pas déclarés "exploitants agricoles" (non référencés), ni organisés et dont les animaux n'ont pas été identifiés (R.A., CAG, pôle élevage, 2018). Malgré les efforts des producteurs guadeloupéens pour produire de la viande et des œufs frais, les produits sont fortement concurrencés par ceux de la métropole (d'autant plus que les Antilles constituent des "marchés de dégagement" pour la surproduction hexagonale ; G.B., Président Iguavie et abattoir, 2018), au points qu'en matière de production d'œufs, certains agriculteurs en viennent à jeter des parts de leur production, quand des œufs de plus 18 jours continuent d'être importés de métropole. Les différences de prix vont du simple au double et sont un obstacle au "manger local" pourtant plébiscité par les institutions, collectivités et politiques publiques. Pour exemple, les cantines scolaires engagées dans cette dynamique "locale" ne peuvent prévoir que quelques services (3 ou 4) annuels composés de viande fraiche : "on se fournit à 90% de viande importée (…) Un poulet frais nous revient à 10,50 euros le kilo quand un sauté de dinde importé vaut 4,50 euros, 9,50 euros le bœuf contre 5,75 euros le bourguignon importé (Mme C., cuisine centrale de MAE, 2018).

30 L'interprofession rassemble 5 catégories d'acteurs : producteurs, transformateurs, distributeurs, bouchers, pro-

venderie.

31 "Ils sont à 1 400 tonnes et veulent passer à 2 000 tonnes. Mais pour ça il va falloir trouver des alternatives de

transformation. Sur la masse consommée de porc en Guadeloupe, les producteurs locaux couvrent 30%, or quand on atteint ce niveau là, il faut passer à la transformation, on ne pourra bientôt plus écouler en viande fraiche pure, le marché sature. Il faut penser à la mise en place de la pratique charcuterie" (Mr. G., boucher et président d'un des deux syndicats de bouchers, SBCMV, 2018).

1.5.2. Forces et faiblesses des productions de diversification Ø Les atouts de la diversification

Les cultures de diversification présentent un certain nombre d’atouts. Parmi ceux-là :

- Elles permettent une bonne valorisation agronomique du sol au travers de rotations culturales ;

- Elles participent à la diversité paysagère ;

- Elles contribuent au maintien d’une main d’œuvre agricole car elles sont intensives en travail ;

- Les produits locaux ont une certaine notoriété sur les marchés, surtout lorsque les producteurs peuvent préciser aux consommateurs leurs modes de conduite ;

- Ce sont des productions à forte valeur ajoutée qui permettent une augmentation du revenu des producteurs en comparaison de la canne à sucre (production à prix garanti qui mobilise un temps de travail restreint et qui rapporte peu au planteur). Aussi, la diversification autant végétale qu’animale permet à l'agriculteur d’augmenter son revenu.

L’étude de Kédochim (2010) montre que les bassins canniers de Guadeloupe, bien que dominés par la canne à sucre, présentent une diversité importante en terme de fonctionnement : "diversité qu’il ne faut pas négliger compte tenu de l’évolution de la politique agricole commune concernant les aides directes" (2010 : 49). Toutefois, cette même étude montre que la diversification des exploitations a trouvé ses limites depuis une quinzaine d’années et une simplification est observée. Elle concerne en particulier les élevages confinés dont les effectifs sont fortement diminués.

Ø Les limites de la diversification

Orientés vers la satisfaction du marché local, les systèmes de polyculture/élevage paraissent faire preuve d’un réel dynamisme, bien qu’ils se heurtent à un certain nombre de contraintes. Les cultures de diversification peinent à se développer en grande partie pour des problèmes d’échaudages, mais aussi de ravageurs tels que la fourmi manioc pour laquelle on ne connaît pas encore de méthode de lutte préconisée (Rasse, 2017). Quant à l’élevage, il est fortement contraint par la problématique du vol d’animaux et des attaques de chiens errants, particulièrement pour les petits ruminants. Il ressort de l’étude de Kédochim (2010) que les principaux freins au développement de systèmes polyculture-élevage sont de nature exogène :

- Les exploitants, suite à des vols ou à des problèmes de commercialisation liée à un manque de structuration de filières, développent ces élevages dans leur lot complémentaire. Or il leur est difficile de garantir un revenu du fait de risques agricoles et commerciaux trop élevés ;

- L’autre frein est l’accès à l’eau d’irrigation, élément indispensable au développement de nombreuses cultures de maraîchage ;

- L’accès au foncier reste un problème en Guadeloupe. Les conflits sont nombreux et la SAFER, en charge de résoudre bon nombre d’entre eux, rencontre des difficultés dans leur gestion.

Ce serait donc des facteurs externes aux exploitants et sur lesquels ils ont peu de prise qui les contraindraient à limiter leur diversification. Les exploitants veulent se diversifier mais ils disposent de peu de marge de manœuvre. Le potentiel des filières de diversification se révèle encore sous exploité. Cela conduit à préconiser aux pouvoirs publics trois actions qui lui

paraissent déterminantes pour le développement d'alternatives aux monocultures d'exportation (Kédochim, 2010) :

- L’extension du périmètre irrigable ; - La résolution des conflits sur le foncier ; - La structuration des filières.

1.5.3. Jaden et petite diversification de grande ampleur

Survivance du système esclavagiste, les jaden n’ont jamais disparu. Cette culture de diversification sur des petites surfaces, très répandue sur toute la Guadeloupe, renvoie à une réalité difficilement appréhendable et quantifiable. Les jaden contribuent à la survie de nombreuses familles en leur apportant une part non négligeable de leur alimentation et/ou un revenu supplémentaire, leur permettant d’améliorer le niveau de vie. Ils peuvent aussi remplir d’autres fonctions et services comme la fourniture en bois de chauffage ou de construction, en plantes médicinales destinées à une médication curative et préventive. Ces systèmes hautement intensifs et productifs permettent la culture d’un grand nombre d’espèces végétales différentes sur une surface limitée, et de manière respectueuse de l’environnement (séquestration de carbone, conservation de la biodiversité; Chevalier, 2017) ; autrement dit, ce sont aussi des espaces d’innovations agro-écologiques.

Quantifier la proportion des jardins créoles, leurs volumes de production et les chiffres d’affaire réalisés au terme d’une commercialisation en vente directe ou circuits courts est complexe. De même pour l'élevage dans la mesure où 70% de la viande bovine passant par un abattage contrôlé et consommée en Guadeloupe provient de petits éleveurs non professionnels32 (30% vient des

SICA ; R.G., CAG pôle élevage 2018). À cette donnée, il faut ajouter le "chiffre noir" de la production animale issue de l'abattage non contrôlé, effectué sur le lieu de l'exploitation (l'expression communément employée est l'abattage "sous le manguier"). Il est aujourd'hui impossible de quantifier le nombre de caprins, porcins et poulets de chair abattus de manière informelle sur le territoire.

Les recensements de la DAAF et de l’INSEE ne nous renseignent pas dans la mesure où ils ne tiennent pas compte de cette agriculture non déclarée et de cet élevage non identifié qui (pris isolément) représentent peu de volume de production, mais qui sont à prendre en considération au regard du nombre de "cultivateurs" et "détenteurs d’animaux" vivant de ce qu’ils produisent et faisant vivre d’autres groupes et catégories sociales de leurs productions. Lors des crises de 2009, on peut d'ailleurs supposer que c’est grâce à cette petite agriculture de diversification et à l'élevage local que "les gens n’ont pas manqué de denrées" (F.T., CANGT, 2017). Une plaisanterie est souvent un puissant révélateur d’un système de représentations collectivement partagé. De ces petites cultures de diversification, l’on entend que "ce ne sont pas de vrais agriculteurs", où comme au temps de la colonisation, c’est de la "fouti-culture", sorte de foutoir culturale, chaotique et désordonné. Ces considérations renvoient parfois à un certain "mépris" ou pour le moins, à une occupation qui serait marginale ou anecdotique. Seules des études qualitatives permettent d’aborder cette réalité et d’apporter quelques éléments de compréhension des logiques et fonctionnements de la petite agriculture de diversification, de son importance socio-culturelle, de sa valeur économique et de ses bénéfices écologiques (Chevalier, 2017). Il

32 Ces détenteurs d'animaux ne sont pas référencés dans les bases de données, ils ne sont pas déclarés "exploitants

convient alors de mieux comprendre ces systèmes agricoles traditionnels et les mécanismes qui expliquent leur performance et leur résilience.

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