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Un modèle de coopération inadapté aux réalités de la diversification en Guadeloupe Ø Historique de formation des coopératives et groupements agricoles

FILIERE TRADITIONNELLES ET DIVERSIFICATION PRODUCTIVE

1.7. Organisation, encadrement et conseil agricole 1 Le modèle coopératif d’attribution des aides publiques

1.7.2. Un modèle de coopération inadapté aux réalités de la diversification en Guadeloupe Ø Historique de formation des coopératives et groupements agricoles

La structuration coopérative des filières agricoles a historiquement d’abord concerné les cultures d’exportation. Dans les années 50, les premières CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériau Agricole) se créent pour les travaux mécanisés de plantation, entretien, coupe et récolte des cannes. En 1958, la banane d’exportation se dote de trois groupements en vue de bénéficier d’aides publiques pour faire face aux risques cycloniques. Ces groupements vont fusionner pour former une association des producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique (ASSOBAN). La filière de bananes d’exportation est jusqu’à aujourd’hui la plus structurée. Dans les années 70, des SICA maraichères et fruitières se créent puis disparaissent, notamment à cause de pertes dues aux ravageurs. Dans les années 80, les coopératives deviennent de plus en plus conséquentes (grand nombre d’adhérents, grandes quantités de production), et sont soutenues par des fonds publics. À cette époque, des SICA cannières se créent par bassin de production. Elles assurent un

36En 2014, le secteur de la banane avait reçu près de 30 millions d’euros, celui de la canne/sucre/rhum environ 18

encadrement technique, la vente d’intrants et la distribution de financements publics. Les années 90, sont marquées par la création et la disparition de grosses coopératives (Leclerc, 2017).

Ø La faible représentativité des productions de diversification dans les OP

Les filières de diversification pour le marché local sont peu structurées en OP reconnues, comparé aux filières canne et banane. En quarante ans, plus de 20 coopératives mises en place pour la commercialisation des produits locaux ont été créées et ont disparu (Delcombel, 2005). Il existe aujourd’hui quatre coopératives reconnues OP pour les fruits et les légumes, toutes sous un format de SICA :

- Caraïbes Melonniers (Le Moule)37 ;

-

SICA des Alizées (Basse-Terre) ;

-

SICAPAG (Petit-Bourg)38 ;

-

La SICA Caribéenne de Fruits et Légumes (SICACFEL à Saint-François).

Ces 4 OP ne représentent que 127 producteurs de fruits et légumes (nombre stable depuis 201439 ;

ODEADOM 2017 ; Orain 2017), ce qui exclut de l’accès aux aides à la production environ 98% des exploitants agricoles. Ce manque d’engouement pour adhérer aux SICA vient des échecs rencontrés antérieurement qui ont rendu les producteurs réticents à s’engager dans toute action collective de ce type. De plus l'affiliation à une OP implique le respect de règles strictes comme celle de l'apport total (quand on s'engage, on apporte tout ce qui est produit), la production à fort volume ainsi que le suivi d'une comptabilité faite et fiable. Une des raisons de ces échecs réside aussi dans l’inadéquation entre l’objectif des SICA, qui relève d’une logique économique adaptée à de gros volumes à commercialiser, et celui des petites exploitations dont l’objectif peut être autre, notamment avec la forte dimension pluriactive des petits producteurs et le mode de commercialisation très répandu de la vente directe (Delcombel, 2008). Les SICA sont surtout organisées autour de trois cultures principales, la tomate, le melon et l’ananas. Aussi, les conditions d’éligibilité instaurées dans ces groupements en termes de volumes de récolte ne sont pas adaptées aux petites exploitations diversifiées qui constituent une majorité en Guadeloupe ; elles représentent en effet plus de 80% des exploitations et plus de 50% de la SAU. De fait, seul 15 à 20% des productions de diversification passent par les OP (Rasse, 2017). Jusqu’à 60% de la production agricole Guadeloupéenne s’écoulerait en dehors des circuits formels de commercialisation. S'agissant de la production animale, il existe deux coopératives en viande bovine : Cap' Viande (Baie Mahault) et SICA PEBA (Cap Viande). Or, 75% de la viande bovine consommée en Guadeloupe est produite par des "détenteurs d'animaux", les coopératives ne fournissent l'abattoir départemental qu'à hauteur de 25%40 (R.G., Abattoir départemental, 2018).

Autrement dit, les primes ne sont perçues que par seulement ¼ des producteurs. Ces chiffres

37 Caraïbes Melonniers est une OP à cheval sur la Martinique et la Guadeloupe et se compose de 32 producteurs (3

en Martinique et 29 en Guadeloupe). Elle produit 4500 tonnes de Melon et 200 tonnes d'autres produits (tout sauf canne et banane). 60% de sa production est exporté vers la métropole, le reste est destiné au marché local (Mme N., 2017).

38 La SICAPAG n'a pas répondu aux sollicitations dans le cadre de cette étude. Au cours d'entretiens avec d'autres

acteurs du secteur agricole, il a été constaté que cette OP de grande importance fournit, en plus de produits Guadeloupéens, des fruits et légumes produits en France hexagonale, ou des tubercules (ignames) produits au Costa Rica.

39 L’évolution tendancielle du nombre des producteurs sur la période 2007-2015 est positive à +5,1% par an en

moyenne.

40 Pour le porc en revanche, les deux coopératives existantes (COOPORG et Karukera Porc) représentent plus de

remettent en cause la représentativité des OP en termes d’opérateur concentrant les productions (MJE, 2015).

Ø Inadéquation du modèle coopératif à la réalité locale

La crise du modèle coopératif va progressivement jeter sur lui un certain discrédit. Les agriculteurs sont perçus comme "individualistes et non professionnels" par certains acteurs institutionnels. La gestion des groupements est dite "difficile", leur accompagnement par l’État est considéré comme "mauvais" (Leclerc, 2017). Les travaux de Delcombel (2008) permettent de nuancer ces points de vue. L’auteur approfondit d'abord l'argument de l'individualisme des producteurs. Certains agriculteurs ont connu de mauvaises expériences avec le modèle coopératif par le passé. Ils ont dû quitter les coopératives car ils perdaient de l’argent. Ne percevant plus d’aides, les exploitants agricoles se sont adaptés en tendant vers toujours plus d’autonomie. Ceci a conduit à des situations où des exploitations très autonomes individuellement décident de se joindre en groupement afin de bénéficier des aides financières distribuées à travers des structures collectives. Quelque part, les producteurs sont contraints et forcés de travailler ensemble (car les aides, qui sont vitales, sont conditionnées au regroupement) alors qu'ils n'ont pas, au préalable, construit de vision de groupe ; la dynamique collective est artificiellement créée. Ainsi, on trouve des structures communes dans lesquelles les membres ne s'impliquent pas, qu'ils ne s'approprient pas : "Ils se mettent en groupe pour obtenir un avantage immédiat et ça ne dure pas, parce que dès l'origine il n'y a pas de vision et de volonté commune" (M.D., CAG, 2018). Delcombel (2005) constate que les coopératives sont conçues comme des moyens de distribution de fonds publics et que la gestion de ces structures se fait sans stratégie de développement. Les échecs des organisations coopératives sont pour beaucoup dus à des structures qui n’ont pas été appropriées par les adhérents, la gestion étant surtout consacrée à sa survie. Ainsi, on se trouve dans une situation où l’administration reproche aux producteurs de ne créer les coopératives que dans le seul but de bénéficier des subventions, sans porter une véritable dynamique collective, alors que les producteurs, ayant besoin de financements publics, s’adaptent simplement aux règles administratives et proposent des projets "finançables" qui répondent juste aux attentes de l’administration (Delcombel, 2008).

Un autre facteur d’explication renvoie à une forme d’antagonisme entre les objectifs des petits exploitants (qui dépendent d’un ensemble de contraintes et de besoins spécifiques), et ceux des OP qui relèvent d’une logique économique adaptée à la commercialisation de gros volumes, et qui, à ce titre, ne tiennent pas compte des différents degrés de diversification. Les délais de paiements étant relativement longs quand la vente passe par les SICA, les petits exploitants favorisent donc des modes de commercialisation leur permettant d’obtenir une rémunération rapide. Ces producteurs sont souvent pluriactifs. Sans gros investissement en matériel, la recherche d’un revenu rapidement obtenu est logiquement privilégiée à celle d’un revenu optimisant les facteurs de production. L’auteur souligne par ailleurs que la structure du marché interne en Guadeloupe est bien particulière, avec une dichotomie ville/campagne beaucoup moins prégnante qu’en métropole (modèle périurbain de l’agriculture). Selon son analyse, la non prise en compte de cet élément a conduit à l’échec du modèle coopératif pour les filières ayant vocation à fournir le marché local. Ses travaux concluent à une inadaptation du modèle coopératif aux réalités locales : "La promotion et le soutien du modèle coopératif résulte de l'attitude fortement assimilationniste de l'État français, peu enclin à traiter différemment des territoires pourtant spécifiques, et qui a conduit à implanter un outil inadapté pour le développement agricole de la Guadeloupe" (Delcombel, 2008).

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