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Droits civils et individuels

Dans le document LES RAPPORTS DU CONSEIL D ETAT (Page 129-133)

Collectivités territoriales

3.2. Analyse d’une sélection de décisions du Conseil d’Étatdu Conseil d’État

3.2.6. Droits civils et individuels

Droit à l’effacement des données

Dans cet avis contentieux, le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions relatives au fichier « Traitement des antécédents judiciaires » (TAJ) et aux possibilités pour toute personne de demander que soient effacées les données de ce fichier qui la concernent. Ce fichier, prenant la suite notamment du « STIC », contient les données concernant les auteurs ou complices vraisemblables, ainsi que les victimes, de crimes, de délits ou de contraventions graves. Ces données ont une double utilité : d’une part, faciliter la constatation des infractions pénales et la recherche de leurs auteurs, et, d’autre part, permettre à l’administration de prendre certaines décisions, en matière d’emploi, de séjour ou de nationalité.

C’est au regard de cette double fonction que le juge administratif a reconnu sa compétence pour apprécier la légalité des refus opposés par le Procureur ou le magistrat compétent à des demandes d’effacement.

Le Conseil d’État estime tout d’abord que dès lors que l’article 230-7 du code de procédure pénale énumère de façon limitative les données que le fichier TAJ est autorisé à collecter, le procureur de la République est tenu d’ordonner l’effacement des données qui n’entreraient pas dans le champ de celles dont la conservation est autorisée.

En dehors de cette hypothèse, c’est-à-dire lorsque les données pouvaient être valablement inscrites dans le fichier TAJ, les possibilités d’obtenir l’effacement sont strictement encadrées. En effet, l’article 230-8 du code de procédure pénale ne prévoit un possible effacement, avant l’expiration du délai normal de conservation, qu’en cas de relaxe, d’acquittement, de non-lieu ou de classement sans suite.

Le Conseil d’État en déduit que, en dehors de ces cas limitativement énumérés dans la loi où les poursuites pénales sont restées sans suite, l’effacement des données avant l’expiration du délai de conservation ne peut qu’être refusé par le procureur de la République, seules leur rectification ou leur mise à jour étant possibles.

En revanche, lorsque la procédure a abouti à une décision de relaxe ou d’acquittement, le code de procédure pénale prévoit que, par principe, les données doivent être effacées.

Restait alors à régler les hypothèses de non-lieu et classement sans suite, que ce dernier soit ou non motivé par l’insuffisance des charges : en pareils cas, si le principe est la conservation des données dans le fichier TAJ avec impossibilité de consultation à des fins administratives, le procureur de la République a la possibilité de procéder à l’effacement des données. Il prend sa décision au regard d’un ensemble de considérations, telles que la nature et la gravité de l’infraction constatée, les motifs du classement sans suite, le temps écoulé et, dans la lignée de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 18 septembre 2014, Brunet (CEDH, 18 septembre 2014, Brunet, n° 21010/10), la situation personnelle du demandeur. Le juge administratif exerce sur cette appréciation un contrôle entier (CE, 30 mars 2016, M. B., n° 395119, Rec.).

Droit d’accès aux documents administratifs

Le Conseil d’État s’est prononcé sur le caractère communicable, au titre du droit d’accès aux documents administratifs, d’un dossier d’attribution d’un marché public.

La loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, dont les dispositions sont aujourd’hui reprises au code des relations entre le public et l’administration, a introduit le droit de toute personne d’accéder aux

« documents administratifs ». Plusieurs dérogations à ce principe sont toutefois prévues. En particulier, les documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle ne sont communicables qu’aux bénéficiaires de ces protections et secrets.

Dans la décision commentée, le Conseil d’État a d’abord jugé que les marchés publics et les documents qui s’y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des « documents administratifs » au sens de cette loi.

L’ensemble des pièces d’un marché est donc, en principe, communicable. C’est par exemple le cas de l’acte d’engagement, du prix global de l’offre et des prestations proposées par l’entreprise attributaire du marché.

Toutefois, la communication doit être refusée si les renseignements contenus dans les documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret industriel et commercial. Il en résulte notamment que le bordereau des prix unitaires de l’entreprise attributaire, parce qu’il reflète la stratégie commerciale de l’entreprise opérant dans un secteur d’activité, n’est, en principe, pas communicable (CE, 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, n° 375529).

Dans l’affaire Centre national de la fonction publique territoriale, le Conseil d’État devait déterminer s’il est possible d’obtenir la communication, au titre du droit d’accès aux documents administratifs, des documents relatifs à la délibération d’un jury d’examen. En l’espèce, un candidat non reçu au concours interne d’administrateur territorial avait demandé à accéder aux indications de correction des épreuves que le centre national de la fonction publique territoriale adresse chaque année au jury.

La loi du 17 juillet 1978, qui a introduit le droit de toute personne d’accéder aux

« documents administratifs », a prévu plusieurs dérogations à ce principe. Le législateur n’a certes pas mentionné, parmi celles-ci, les documents relatifs aux délibérations des jurys. Toutefois, le Conseil d’État a estimé qu’en prévoyant la communication des documents administratifs, le législateur n’a pas entendu porter atteinte au principe d’indépendance des jurys, dont découle le secret de leurs délibérations. Ce principe, consacré par la jurisprudence (cf. CE, Sect., 23 décembre 1988, nos 76473 et 76474, Aitelhadj et Boutboul, Rec.), découle de l’impératif d’égal accès aux emplois publics posé par l’article 6 de la Déclaration de 1789. Le Conseil d’État en a déduit que la loi de 1978 ne permet pas la communication des documents de leurs délibérations, ni même de ceux élaborés préalablement par les jurys en vue de leurs délibérés.

En revanche, il a jugé que les éléments de correction transmis au jury, qui n’ont pas été élaborés par ce dernier, n’ont qu’une valeur purement indicative et n’ont pas déterminé les critères de l’appréciation de la valeur des candidats, dès lors que le jury est toujours souverain, sont des documents administratifs dont la communication ne porte pas atteinte au secret des délibérations du jury. Ils sont donc communicables dès la proclamation des résultats du concours (CE, 17 février 2016, Centre national de la fonction publique territoriale, n° 371453, Rec.).

L’article L. 28 du code électoral permet à tout électeur de prendre communication et copie de la liste électorale d’une commune. Ces dispositions, qui concourent à la libre expression du suffrage, ont été complétées par le pouvoir règlementaire, qui a prévu à l’article R. 16 du même code que ce droit était conditionné par l’engagement de ne pas faire de cette liste un usage purement commercial. Par sa décision de section H. le Conseil d’État précise les conditions d’application du droit à communication des listes électorales issu de ces dispositions.

Il juge d’abord que le droit à communication de ces dispositions est ouvert au profit de tout électeur régulièrement inscrit sur une liste électorale et non des seuls électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune ou du département dont il est demandé communication.

Le Conseil d’État précise ensuite les modalités par lesquelles l’autorité compétente s’assure que les informations transmises ne font pas l’objet d’une exploitation commerciale. Il indique, en premier lieu, que les dispositions de l’article R. 16 du code électoral imposent au demandeur de prendre l’engagement de ne pas faire un usage commercial de ces informations. En second lieu, nonobstant cet engagement, il reconnaît à l’autorité compétente la faculté de solliciter du demandeur des précisions sur ses intentions s’il existe, au vu des éléments dont elle dispose, des raisons sérieuses de penser que l’usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial. L’autorité compétente peut alors rejeter la demande de communication de la ou des listes électorales dont elle est saisie ou solliciter du demandeur qu’il produise tout élément d’information de nature à lui permettre de s’assurer de la sincérité de son engagement. L’absence de réponse à une telle demande peut être prise en compte, parmi d’autres éléments, afin d’apprécier les suites qu’il convient de réserver à la demande.

En l’espèce, le Conseil d’État a pris en compte l’activité de « conseil juridique au soutien des entreprises » exercée par le requérant, l’absence de précisions fournies en complément de sa demande de communication des listes électorales de la ville du Mans et la circonstance que l’intéressé avait déjà sollicité la communication de la liste électorale de la commune d’Angers en s’abstenant de fournir toute explication sur les motifs de sa demande. Il a alors jugé que c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif avait estimé que le maire du Mans avait pu légalement rejeter sa demande de communication au motif qu’il existait des raisons sérieuses de penser que l’usage des listes électorales par l’intéressé risquait, en dépit de l’engagement pris par celui-ci, de revêtir, au moins en partie, un caractère commercial (CE, Sect., 2 décembre 2016, H., n° 388979, Rec.).

Droit au respect de la vie privée et familiale

Rendue par sa formation de jugement la plus solennelle, la décision Mme G. a conduit le Conseil d’État à faire évoluer l’office spécifique du juge du référé-liberté et la nature du contrôle de conventionnalité opéré par le juge administratif.

La requérante, de nationalité espagnole, avait saisi le Conseil d’État d’un appel contre l’ordonnance rendue par le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Paris qui avait refusé d’enjoindre à l’administration française d’exporter vers l’Espagne les gamètes de son mari défunt afin qu’elle puisse y procéder à une insémination post mortem, pratique autorisée dans ce pays.

Le premier apport de cette décision est de revenir sur une jurisprudence antérieure en permettant au juge du référé-liberté, juge de l’urgence, d’effectuer un contrôle de la décision ou de l’acte contesté au regard des conventions internationales, en particulier de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH).

Le second apport de cette décision est de préciser que ce contrôle du respect de la convention EDH s’effectue en deux temps. Il appartient d’abord au juge de rechercher si la règle générale posée par la loi et l’équilibre qu’elle définit sont compatibles avec la convention (contrôle in abstracto). Il doit ensuite s’assurer que même si les dispositions législatives en cause sont compatibles avec la convention, leur application dans la situation particulière de l’affaire n’aboutit pas à porter une atteinte excessive aux droits fondamentaux protégés par la convention (contrôle in concreto). Eu égard à l’office du juge du référé-liberté, il lui appartient ainsi de rechercher si les dispositions législatives sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou si leur mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements.

Le Conseil d’État a ensuite appliqué au cas d’espèce cette grille d’analyse renouvelée.

Il a tout d’abord relevé que la législation française relative à la bioéthique, sur laquelle se fondait le refus litigieux, n’était pas contraire aux stipulations de l’article 8 de la convention EDH. Toutefois, dans les circonstances très particulières de l’espèce, le Conseil d’État a estimé que son application méconnaîtrait le droit à la vie privée et familiale de la requérante, et a ainsi fait droit à la demande de cette dernière (CE, Ass., 31 mai 2016, Mme G., n° 396848, Rec.).

Droit au recours effectif

Une association regroupant des fidèles du culte musulman avait obtenu le permis de construire une mosquée dans la ville de Fréjus. Après l’achèvement des travaux de construction, le maire de Fréjus a cependant refusé de délivrer l’autorisation d’ouverture de la mosquée, nécessitée au titre des établissements recevant du public par le code de la construction et de l’habitation. L’association a alors engagé une procédure de référé-liberté (art. L. 521-2 CJA). Par une ordonnance du 9 novembre 2015, le Conseil d’État a enjoint au maire de Fréjus, sous astreinte, d’accorder à l’association musulmane, à titre provisoire, l’autorisation permettant l’ouverture au public de la mosquée de Fréjus. La ville n’a cependant pas exécuté

cette décision, y compris après la liquidation de l’astreinte par le Conseil d’État.

L’association s’est alors tournée vers le préfet du Var qui a mis en demeure le maire de se conformer à l’ordonnance du Conseil d’État du 9 novembre 2015. Cette mise en demeure étant restée sans suite tant de la part du maire de Fréjus que du préfet du Var, qui ne s’est pas substitué au maire, l’association a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au préfet d’user du pouvoir hiérarchique que lui confère l’article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales pour adopter, en lieu et place du maire, la décision que ce dernier refusait de prendre.

Dans son ordonnance du 19 janvier 2016, le juge des référés du Conseil d’État, saisi en appel, précise la portée de l’obligation d’exécuter les ordonnances du juge des référés. Il commence par rappeler que les décisions du juge des référés sont exécutoires et, en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice, obligatoires. Dans ce cadre, le juge des référés du Conseil d’État avait déjà jugé qu’une décision administrative qui fait obstacle à l’exécution d’une décision de justice méconnaît la liberté fondamentale que constitue le droit au recours effectif devant un juge (juge des référés, 3 avril 2010, Mme S. et Mlle B., n° 336700, T.). Il fait ici un pas de plus en relevant que l’inexécution prolongée de l’ordonnance du 9 novembre 2015 porte une atteinte grave non seulement à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif mais aussi, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales que la mesure prescrite par cette ordonnance avait pour objet de sauvegarder.

En l’espèce, le refus de faire usage du pouvoir hiérarchique pour prendre, en lieu et place du maire, qui agissait au nom de l’État et qui refusait de le faire, la mesure ordonnée par le juge du référé-liberté dans son ordonnance du 9 novembre 2015, le représentant de l’État dans le département avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif et, par voie de conséquence, aux libertés que la mesure avait pour objet de sauvegarder. Le juge des référés a alors enjoint au préfet du Var de faire usage du pouvoir qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour assurer l’exécution de l’ordonnance du 9 novembre 2015 (Juge des référés, 19 janvier 2016, Association musulmane El Fath, n° 396003, Rec.).

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