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Droit souple

Dans le document LES RAPPORTS DU CONSEIL D ETAT (Page 102-105)

3.1.15. Régime contentieux

L’importance des actes de « droit souple », c’est-à-dire ne présentant pas le caractère de décisions au sens strict, dans les nouveaux modes d’action des personnes publiques est un point d’attention croissant du Conseil d’État. Sans véritablement créer d’obligation juridique ni accorder de nouveaux droits aux usagers, l’administration peut utiliser des instruments de communication pour influencer ou dissuader les acteurs, et peut émettre des prises de position ou des recommandations qui n’ont pas de valeur obligatoire mais vont, dans les faits, être écoutées et suivies d’effet. Le Conseil d’État, qui y avait consacré son étude annuelle en 2013, a eu à connaître de plusieurs affaires par lesquelles il s’est prononcé sur ces nouveaux modes d’action publique.

3.1.15.1. Le Conseil d’État avait admis en 2012 que certains actes de « droit souple » étaient susceptibles de recours pour excès de pouvoir : ainsi, il est possible de demander l’annulation des avis, recommandations, mises en garde et prises de position s’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou de prescriptions individuelles dont l’autorité pourrait ultérieurement censurer la méconnaissance (CE, 11 octobre 2012, Société Casino Guichard-Perrachon, n° 357193, Rec. et même jour, Société ITM Entreprises et autres, nos 346378,346444, Rec.). Par deux décisions d’assemblée du 21 mars 2016 (CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, nos 368082, 368083, 368084, Rec. ; même jour, Société Numericable, n° 390023, Rec.), le Conseil d’État confirme cette ouverture du recours pour excès de pouvoir aux actes de droit souple, en étendant les hypothèses dans lesquels ces actes peuvent être déférés au juge de l’annulation et en apportant des précisions sur l’étendue de son contrôle. Désormais, sont également susceptibles de recours les actes des autorités de régulation qui, quoique dépourvu de caractère décisoire, sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou qui ont pour objet d’influencer de manière significative les comportements des personnes auxquelles il s’adresse.

S’agissant de son office, le Conseil d’État indique qu’il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation. Le juge administratif peut en outre, si des conclusions lui sont présentées à cette fin, faire usage de ses pouvoirs d’injonction.

L’affaire Société Fairvesta International GMBH et autres portait sur des communiqués de presse publiés par l’Autorité des marchés financiers sur son site internet. Dans ces communiqués, l’autorité avait entendu inviter les investisseurs à la vigilance s’agissant de placements immobiliers proposés par une société qu’elle estimait commercialisés de façon « très active par des personnes tenant des discours parfois déséquilibrés au regard des risques encourus ». Estimant que les éléments produits par la société requérante pour établir que la publication de ces communiqués, dont la diffusion a été large, a eu pour conséquence une diminution brutale des souscriptions des produits de placement qu’elle commercialisait en France étaient sérieux, le Conseil d’État regarde ainsi les communiqués contestés comme étant de nature à produire des effets économiques notables et comme ayant pour objet de conduire des investisseurs à modifier de manière significative leur comportement vis-à-vis des produits qu’ils désignent. Il les juge donc susceptibles de recours, de même que le refus opposé à la demande de la société tendant à leur rectification.

Après avoir admis qu’un recours contre ces communiqués était possible, le Conseil d’État se prononce ensuite sur la compétence de l’AMF : relevant que le législateur a entendu lui confier une mission de protection de l’épargne et d’information des investisseurs qui s’étend à l’ensemble des placements offerts au public, il juge qu’il est loisible à l’AMF d’appeler l’attention des investisseurs sur les caractéristiques et les modalités de commercialisation de placements immobiliers, alors même qu’ils ne relèvent pas de la réglementation applicable aux titres financiers. Par ailleurs, il opère un contrôle restreint sur l’appréciation portée par l’AMF ; en l’espèce, il estime qu’aucune erreur manifeste n’avait été commise.

La seconde affaire concernait l’exécution de la décision par laquelle l’Autorité de la concurrence avait, le 23 juillet 2012, autorisé le rachat de TPS et CanalSatellite par Vivendi et le Groupe Canal Plus sous certaines conditions. L’une de ces conditions posait des difficultés d’application à la suite de l’évolution du cadre concurrentiel sur le marché des services de télévision, du fait du rachat de SFR par Numericable.

Le Groupe Canal Plus avait alors interrogé l’Autorité de la concurrence sur la portée qu’il convenait de donner à cette condition et celle-ci avait répondu qu’elle estimait qu’elle était devenue en partie sans objet.

Le Conseil d’État estime que cette prise de position a pour effet, en reconnaissant à la société Groupe Canal Plus la possibilité d’acquérir des droits de distribution exclusive de chaînes de télévision sur la plateforme de Numericable, de permettre à la société Groupe Canal Plus de concurrencer la société NC Numericable sur sa plateforme. Elle est ainsi de nature à avoir des effets économiques notables et a, en outre, pour objet de modifier le comportement des opérateurs sur le marché de l’acquisition de droits de distribution de chaînes de télévision. Il juge donc que la délibération attaquée peut faire l’objet d’un recours. Au fond, le Conseil d’État juge que l’Autorité de la concurrence était compétente pour veiller à la bonne exécution de ses décisions, notamment en modifiant la portée pratique d’une injonction ou d’une prescription en fonction de l’évolution du marché. Il juge que la procédure a été régulière, et exerce un contrôle entier de l’analyse de l’Autorité de la concurrence, qu’il confirme en l’espèce.

3.1.15.2. Dans plusieurs décisions portant sur d’autres cas de droit souple, le Conseil d’État a par la suite confirmé les principes qu’il avait ainsi dégagés. Il a été admis que des recommandations, émises par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur les conventions, conclues entre les entreprises d’assurance et les intermédiaires en assurance, concernant la distribution des contrats d’assurance-vie pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, au motif que ces conventions avaient pour objet d’inciter les entreprises d’assurance et les intermédiaires, qui en sont les destinataires, à modifier sensiblement leurs relations réciproques (CE, 20 juin 2016, Fédération française des sociétés d’assurances, n° 384297, T.).

De même, le Conseil d’État a eu à connaître d’une délibération adoptée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui avait estimé qu’un message de sensibilisation à la trisomie 21 intitulé « Chère future maman » et qui avait fait l’objet d’une diffusion à plusieurs reprises par certains services de télévision ne constituait ni un message publicitaire ni un message d’intérêt général et ne pouvait donc pas être inséré au sein d’écrans publicitaires. Le CSA avait ensuite publié un communiqué précisant la portée de son intervention. Le Conseil d’État estime que ces actes, s’ils n’ont produit aucun effet de droit, ont eu pour objet d’influer de manière significative sur le comportement des services de télévision, en les dissuadant de procéder à l’avenir au sein de séquences publicitaires à de nouvelles diffusions du message litigieux ou à la diffusion de messages analogues. Dans ces conditions, il admet qu’ils peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 10 novembre 2016, Mme M. et autres, nos 384691 et autres, Rec.).

Enfin, le Conseil d’État a admis qu’un justiciable puisse demander l’abrogation d’un acte de droit souple à l’autorité de régulation qui l’a adopté. Il peut, le cas échéant, contester devant le juge de l’excès de pouvoir le refus que l’autorité oppose à cette demande (CE, Sect., 13 juillet 2016, Société GDF Suez, n° 388150, Rec.).

3.1.15.3. Cette dernière décision a enfin permis d’apporter une importante précision quant au déclenchement du délai de recours contre un acte de droit souple.

Le Conseil d’État avait jugé, s’agissant d’actes décisoires, le cas échéant à caractère règlementaire, qu’en l’absence de dispositions prescrivant une formalité de publicité déterminée, la publication sur le site internet de l’autorité qui avait pris la décision les rendaient opposables (s’agissant d’une délibération règlementaire d’un établissement public : CE, 24 avril 2012, Voies navigables de France, n° 339669, Rec.). Il avait tiré les conséquences de la possibilité de recourir à pareille modalité de publicité en jugeant que la mise en ligne sur le site Internet de l’ARCEP des décisions de cette autorité fait courir le délai de recours à l’égard des professionnels du secteur dont elle assure la régulation, même si aucune disposition législative ou réglementaire n’a prévu une telle publication (CE, 25 novembre 2015, Société Gibmedia, n° 383482, Rec.).

Le Conseil d’État transpose ces solutions aux actes de droit souple dans sa décision Société GDF Suez, dans laquelle il était saisi d’une demande d’annulation d’une communication de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) relative à certains contrats conclus entre ERDF et les fournisseurs d’électricité. Ainsi, il juge qu’en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant un autre mode de publication, la mise en ligne d’un acte de droit souple sur le site internet de l’autorité de régulation qui l’édicte, dans l’espace consacré à la publication des actes de l’autorité, fait courir, à l’égard des professionnels du secteur dont elle assure la régulation, le délai de recours de deux mois prévu par l’article R. 421-1 du code de justice administrative.

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