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Une distanciation sociale avec les « bourgeois » du centre-ville

1. UN RETOURNEMENT DU STIGMATE CONTRE LES « FROMS » LES « FROMS »

1.1. Une catégorisation sociale et ethno-raciale

1.1.1. Une distanciation sociale avec les « bourgeois » du centre-ville

1.1.1.1. Les Lyonnais : les « bourgeois » du centre-ville

Au cours des entretiens semi-di e tifs, les l e s de Dois eau o t is l’a e t su les différences de statuts socio-économiques qui existent entre les habitants de Lyon et ceux de Vaulx-en-Velin. Dans leurs représentations, la ville de Lyon est habitée par des individus de nationalité française, sans autres origines nationales, blancs, de classes sociales supérieures. Les l e s les su o e t les « F a çais » ou « froms » diminutif de « f o age la  » e référence à la couleur de peau des individus ainsi désignés. Le terme « bourgeois » revient fréquemment dans les discours pour désigner ces Lyonnais. Le fait d’ha ite à L o o stitue pou les adoles e ts u e p eu e ue l’o dispose de essou es o o i ues sig ifi ati es. L’ ha ge e t e les l e s de Dois eau ui a eu lieu lo s d’u d at e lasse po ta t su le fait d’ t e jeu e e ua tie populai e pe et d’ide tifie di e ses ises e oppositio e t e les « froms » et les habitants des quartiers populaires qui alimentent les représentations des l e s. L’e t ait d’e t etie i-dessous illustre la manière dont le qualificatif « bourgeois » est mobilisé pa les adoles e ts pou e p i e l’alt it pe çue. E effet, les diff e es de revenus entre leurs propres familles et les familles lyonnaises sont une lecture des caractéristiques socio-u ai es ui se le pa tag e pa tous. L’a hat de te e t o stitue par exemple une expérience concrète des différences de niveau de vie et la société de consommation au sein de laquelle évoluent ces jeunes les renvoie constamment à cet état de fait. Par ailleurs, plusieurs lycéens ont rapporté que Vaulx-en-Velin était la « troisième

commune la plus pauvre de France », d’ap s les lasse e ts de l’IN“EE. Ce t pe d’i fo atio ie t e t i e u e alit so iale ue, la pau et 59, et l’a e tue. Ces

59 Les différences réelles entre les revenus des familles des jeunes existent, mais de manière générale, ils appartiennent aux classes populaires et vivent dans un environnement urbain où la majorité des ménages ont des ressources financières restreintes. Pa ailleu s, d’ap s les do es de l’IN“EE, « À Vaulx-en-Velin, deux

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classements renforcent la distance perçue entre eux (les Vaudais) et ceu u’ils appelle t les « froms ». Toutefois, e ’est pas le a ue de o e s fi a ie s ui est is e a a t da s la d fi itio de l’ « autre » comme bourgeois.

Parmi les lycéens rencontrés au lycée Doisneau, un seul a identifié des individus de son entourage comme étant des « froms » ou des « bourgeois ». Chez les autres adolescents, ette at go ie est o ilis e de a i e g i ue pou fai e f e e à l’ « autre » et non à un individu personnellement identifié. Ainsi, la catégorisation est dépersonnalisée et engendre une vision stéréotypée des modes de vie des « froms ». Pour Anis, qui habite à Vaulx-en-Velin depuis de nombreuses années, les écarts de niveaux de vie rendent disparates les quotidiens des Vaudais et des Lyonnais.

« Et du coup toi, comment tu imagines la vie des gens qui ne sont pas du quartier ? A is : ils o t u e ie o ale. Nous, o a u peu u e ie o ale aussi, ais… Eu

’est… Pa e e ple, da s u ua tie … ua d… o so t de l’ ole, tu au as toujou s quelques familles où les parents se parlent pendant je ne sais pas combien de temps, et les e fa ts, ils joue t e se le. Tu ois. Pa e e ple u e ole e ille ça e ’est pas possible.

Pou uoi e ’est pas possi le ?

A is : pa e ue d jà la dispositio de l’ ole, e ’est pas la e. Il ’ a pas la pla e du a h juste de a t. Du oup… Et les pa e ts, ils ’o t pas le te ps aussi. Pou uoi ils ’o t pas le te ps ?

A is : o ’a pas les es pa e ts. Pourquoi ?

A is : soit l’aut e, il t a aille. L’aut e60, elle est femme à la maison, ou elle a des horaires laisse tomber. Donc elle a le temps de parler, et tout ça. Et en ville, la mère, elle est ad e. Du oup elle a juste le te ps d’alle he he …

Toutes les mères en ville sont cadres ?

ménages sur cinq sont en dessous du seuil de bas revenus, soit plus du double de la moyenne de l'agglomération ».

60 Anis fait ici référence aux femmes au foyer des quartiers périphériques populaires et à celles qui possèdent des emplois précaires aux horaires décalés tels que les emplois de femme de ménage. Ces horaires décalés ou l’a se e d’e ploi leu pe ette t de p e d e le te ps de dis ute a e d’aut es pa e ts d’ l es à la so tie de l’ ole. À l’i e se des L o aises, ui selo A is, ’o t ue t s peu de te ps pou alle he he leu s e fa ts à l’ ole ou d l gue t ette tâ he à u e ou i e.

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A is : ouais. C’est toutes des ad es. Cad es. Elle ie t le he he . Ou ’est la ou ou ui ie t la he he . Du oup elle ’a pas le te ps… Ta . Ta . Ta .61[…]

Les es so t ad es et les p es, ils so t… Anis : eux ils sont les cadres des cadres.

D’a o d. Ils so t au-dessus des femmes forcément ? Anis : ouais.

OK. Et pour toi, ils sont tous cadres ?

A is : ouais. C’est sû u’ils e so t pas tous, ais la ajo it , ’est sû . Bah oui pou ha ite e ille… Il faut t e ad e au oi s. »

Anis, TSITDD, lycée Doisneau, habitant de Vaulx-en-Velin (Vaulx La Soie)

Da s et e t ait, A is i agi e le ode de ie de eu u’il appelle les « froms » ie u’il e les côtoie que rarement. Ces représentations stéréotypées accentuent la mise à distance entre les Lyonnais et les habitants des quartiers populaires puis ue l’adoles e t e p e d pas en compte de la diversité des modes de vies et des positions sociales des habitants de L o . Les situatio s u’il d it e so t pas pou auta t d o e t es de la alit et lui pe ette t d’illust e les diff e es so iales u’il pe çoit et ai si, de ett e e a a t les inégalités sociales entre la ville centre et la périphérie.

Lo s des e t etie s, l’oppositio e t e les L o ais a a t is s o e poss da t des moyens financiers élevés et les Vaudais comme population modeste est fréquente. Cepe da t, si la ep se tatio st ot p e à l’ ga d des L o ais est sou e t si ilai e, les échanges laissent voir des nuances. De plus, les familles des lycéens présentent des statuts socio-économiques hétérogènes. La distance perçue avec les groupes dominants, les « froms », est par conséquent plus ou moins importante. Pour la majorité des jeunes rencontrés, si leurs familles ne vivent pas dans des conditions financières optimales, ils ne se considèrent pas dans des situations de grande pauvreté.

« Moi je e o sid e o e o al. Je suis i i he, i… Ni da s la gal e. Je ’ai e pas di e pau e, ’est p jo atif je t ou e, je p f e di e da s la gal e. Tu ois. Et i he, je t ou e ue ’est t s… Et il e a ui so t i hes. Logi ue e t pa e e ple, oi si… Moi pa e e ple si je ois u e oitu e, je e di ais : j’ai e ais ie l’a hete . Je sais ue je ais gal e , ais ai e t u e gal e, pou e la pa e , alo s u’il e a, ils

61 Ces onomatopées font référe e au uits des talo s des fe es u’ o ue t A is et o ue t gale e t un certain empressement dans les déplacements.

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’o t pas de sou i à se la pa e . Mais je e pa le pas de uel u’u ui a a s, ui a u e e t ep ise. Ce so t des ge s de o âge. Pa e ue papa et a a …»

Anis, TSITDD, lycée Doisneau, habitant de Vaulx-en-Velin (Vaulx La Soie)

La disti tio effe tu e i i pa A is e t e l’i di idu qui possède des ressources financières pa e u’il t a aille et u adoles e t ui a a s au essou es le es de ses pa e ts a t e o t e da s les dis ou s d’aut es jeu es. La uestio du ite apparaît ici en filigrane. Les inégalités sociales sont e pa tie a ept es pa les l e s lo s u’elles leu se le t justifiées par le travail et donc liées à des différences dans les positions sociales. En effet, les critiques des lycéens envers les « froms » portent ouvertement sur les adolescents qui sont qualifiés de « fils à papa » et moins directement sur les adultes. Le terme « bourgeois » est employé de manière négative, pour autant, la position sociale des « f o s » adulte ’est pas fondamentalement remise en cause.

1.1.1.2. Des représentations des Vaudais parfois réductrices

Les ep se tatio s so iales des l e s audais à l’ ga d des ha ita ts de leu o u e peu e t gale e t t e du t i es, o e le o t e l’ ha ge e t e A is et El as, deu amis proches scolarisés à Vaulx-en-Veli . L’adoles e t d ou e ue les pa e ts d’El as so t p op i tai es de leu loge e t. La t a s iptio de l’e t etie e pe et pas de o t e la su p ise de l’adoles e t, pou ta t il se le ahi de a t ette i fo atio ui est e contradiction avec ses représentations.

« Anis : parce que tu vas me dire que tu as habité à la Part-Dieu62 ? Elmas : o je ’ha itais pas da s la Pa t-Dieu, ais…

Anis : non, mais vers Part-Dieu. Elmas : oui.

Pou uoi ’est si to a t ? Elmas : bah ouais ?

A is : ’est he e ille !

Elmas : Oui mais u’est-ce que tu veux que je te dise. C’est pou ça u’o a d ag , j’ai e ie de te di e. No . No . C’est le p o l e de pa ki g.

62 A is s’ad esse i i à El as, u e a ie p o he ui l’a o pag e da s tous les ha ges ue ous au o s ensemble.

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A is : oui. Vaul ’est ieu pou se ga e . Et pourquoi vous avez déménagé?

Elmas : oui pa e ue d jà il ’ a pas d’e d oit pou joue . Et le pa ki g aussi oûtait he . O a ait toujou s des a e des. Et a e oulait s’a hete u e aiso . Du oup, s’a hete u e aiso e ille, ça oûte he . Du oup…

Anis : vous êtes propriétaires ! Non. Il faut le dire ça : Elmas est propriétaire. Elmas : non mes parents.

A is : Les pa e ts d’El as so t p op i tai es. Et du oup ça ha ge uoi ? Tu as l’ai e eill . A is : Vaul ’est lo atai e. À Vaul , ’est lo atai e. Pou uoi, ’est lo atai e à Vaul ? Il a plei de aisons63.

A is : ouais. Mais… No ais da s les i eu les et tout oi je pa le pas des aiso s. C’est lo atai e.

Elmas : et o e o âti e t ’est u ua tie p i . Il a de uoi se pa e u e petite aiso …

A is : o , ais il e a… Il e a ui appa tiennent les maisons, mais tous ceux qui ha ite t ’est des lo atai es aussi. Ce ’est pas des…

Et ça ha ge uoi d’ t e lo atai e ou p op i tai e ?

Anis : quand on est propriétai es d jà tout de suite… [fait sig e a e la ai de haut niveau]

Elmas : on est là.

A is : ça ha ge. O ’est pas… O ’est pas pe çus pa eil. Qua d tu es lo atai e, tu es normal. »

Anis et Elmas, TSITDD, lycée Doisneau, habitants de Vaulx-en-Velin (Vaulx La Soie et Mas du Taureau)

Cet e t ait d’e t etie laisse appa aît e différentes perceptions des lycéens rencontrés, et e, alg l’usage d’u o a ulai e o u . Pou A is, la situatio o o i ue de la fa ille d’El as est a o ale, da s la esu e où elle est dis o da te a e la a a t isatio du o de so ial u’il effe tue, d’où so if to e e t. El as est u e a ie p o he et ha ite à Vaulx-en-Veli , tout o e lui. A is est do su p is pa l’aisa e fi a i e u’il asso ie au fait d’ t e p op i tai e de la fa ille de la jeu e fille.

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Au cours des divers échanges avec Elmas, la jeune fille mettra également en opposition les « froms » et les « Vaudais » e plo a t u o a ulai e si ilai e à elui d’A is. Cepe da t, les at go ies de la jeu e fille se le t oi s fig es ue elles d’A is. Elle e se le pas o sid e u’u e distance sociale aussi importante existe entre elle et les « froms ». Par ailleu s, El as e fait pas tat du e se ti e t d’i f io it u’A is is-à-vis des groupes do i a ts. E pa ti ulie , elle s’asso ie pa fois au L o ais afi d’a e tue la distance entre elle et certains jeunes de quartiers populaires64.