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Les « beurettes » : une critique de la déviance féminine

2. UN DÉTOURNEMENT DU STIGMATE ENVERS LES « RACAILLES » LES « RACAILLES »

2.2. Les « beurettes » : une critique de la déviance féminine

Si la catégorie « racaille » est genrée et identifie les hommes, les lycéens de Doisneau utilisent également une catégorie dévalorisante pour désigner certaines jeunes filles de leurs quartiers : les « eu ettes ». Les l e s de R a ie ’o t ua t à eu ja ais eu e ou t à cette catégorie. Le terme « beurette » peut prendre des définitions variées selon les dires des lycéens rencontrés. De mani e g ale, e te e d sig e des jeu es filles d’o igi e maghrébine. Elles sont caractérisées par leur superficialité, qui est symbolisée par un usage

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jugé outrancier de maquillage, et par leur « libertinage ». Dans les discours des élèves du lycée Récamier, la figure de la « beurette » ’e iste pas, ais il a pa fois t o u u’u e « racaille » pouvait être une fille. Ces « beurettes », qui dans les représentations des adolescents de Vaulx-en-Velin constituent un groupe social déviant, sont donc identifiables ph si ue e t. Pou elles, e ’est pas le joggi g ui joue le ôle de a ueu ais le maquillage utilisé en trop grande quantité94.

« Les beurettes », ’est-à-dire ?

Loubna : C’est les filles u peu supe fi ielles ui…

Maïssa : C’est les filles agh i es ui se a uille t telle e t, u’elles so t o a ge, donc on les appelle les beurettes.

Ah oui d’a o d.

Loubna : A a t « les eu ettes » ’ tait juste les filles agh i es.

Maïssa : Et elles o t e Chi ha. Et e fait ’est des … o e t di e. Loubna : Elles sont superficielles, matérialistes.

Maïssa : Non, mais des libertines. Je ne sais pas comment dire.

Loubna : Ouais.

Maïssa : Des filles pas très fréquentables. »

Loubna et Maïssa, 2nd, lycée Doisneau, habitantes de Vaulx-en-Velin (quartier la Thibaudière et centre-ville)

Il apparaît donc que plusieurs catégories sociales sont mobilisées par les lycéens de Doisneau pou d sig e des g oupes d’i di idus o sid s o e d ia ts pa appo t à leu s st e de normes. Ces catégories sont genrées, les comportements jugés déviants par les lycéens rencontrés chez certaines jeunes filles de leur quartier sont liés à la question de la sexualité. La dépréciation morale des « beurettes » est évoquée en premier lieu à propos de leur superficialité, cepe da t, ’est leu appo t au ga ço s et plus g ale e t leu s appo ts à la se ualit ui est la p i ipale sou e d’a o alit au eu des l e s e o t s. Le terme « libertinage » que finit par utiliser la lycéenne précédemment citée offre un premier aperçu de cette question. Il apparaît toutefois une certaine pudeur face à ces questions, le terme « libertinage » ’a a t pas t da a tage a a t is lo s de l’e t etie alg les

94 La nuance est subtile : e ’est pas l’usage du a uillage e ta t ue tel ui est e is e uestio , e tai es des lycéennes qui ont évoqué les « beurettes » étant elles-mêmes maquillées.

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relances95. L’e t ait d’e t etie sui a t est epe da t sa s ui o ue sur les questions abordées et les jugements de valeur associés.

« Elmas : ouais. Et les filles oilà…en fait je traînais avec des filles aussi, mais bon ’ tait des putes e fait. Do du oup…

C’est-à-dire ?

Elmas : bah en fait elles se faisaient tourner. Anis : ouais ’est ça e fait.

Elmas : en fait avec tous les mecs.

Anis : e fait, les ga ço s, ’est la d ogue. Et les filles, ’est des putes. Elmas : ouais ’est ça e fait. Ouais ’est ça.

Anis : ’est ça, al tou . »

Anis et Elmas, TSITDD, lycée Doisneau, habitants de Vaulx-en-Velin (Vaulx La Soie et Mas du Taureau)

La thématique de la sexualité a émergé quelques fois au cours des entretiens, essentiellement pour parler du comportement des « beurettes » et des lycéennes de centre-ville. Le fait d’a oi des appo ts se uels à leu s âges est al u pa les l e es de Dois eau rencontrées. Concernant les « beurettes », la critique est élargie à leur comportement e e s les ga ço s. Le fait ue es de i es s’affi he t e p se e de ga ço s da s l’espa e public96, est tout auta t iti u ue le fait u’elles puisse t a oi des elatio s se uelles. Pa ailleu s, e de ie poi t se le t e plus suppos et de l’o d e de la u eu u’u fait a .

« Maïssa : Quand on va à Bellecour, ils sont plus normaux à Bellecour, alors que à Part-Dieu, il a plus des eu ettes, elles o t d jà jus u’à la Pa t-Dieu.

[…]

Maïssa : On va aller …elles so t au top pa e ue… parce que là-bas elles vont draguer. Elles o t… alo s u’à Belle ou , o . Au o t ai e à Belle ou , ’est plus des ge s normaux. Ils viennent des jeunes comme nous. Ils viennent. Ils se promènent. Normal.

95 Il faut noter cependant que les jeunes filles ayant évoqué cet aspect sont les plus jeunes, elles avaient environ a s au o e t de l’e u te.

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Loubna : Ils font des achats.

Maïssa : No al. Ouais. Il ’ a pas d’a i e-pensée à tout ça. Ils viennent pour se promener ou comme ça. Comme… »

Loubna et Maïssa, 2nd, lycée Doisneau, habitantes de Vaulx-en-Velin (quartier la Thibaudière et centre-ville)

Cet extrait où les jeunes filles opposent le comportement des « beurettes » et la « normalité » atteste du deg d’a o alit att i u à e type de comportement. Il est intéressant de constater que les mêmes lycéennes ont des propos différents sur les lycéennes de Lyon.

« Maïssa : Je te donne un exemple97. Nous dans notre classe, on est des gamins. Enfin on rigole pour rien. Par exemple, les filles de la lasse, l’aut e fois, ua d o a ait u e heure de perm, on jouait à cache-cache dans les couloirs. Enfin des choses des gamins, ais ’est t op d ôle pou ous. Da s les estiai es, O igole. O ha te. O da se. O se la e des… e fi ’est des histoires de gamins, mais on rigole bien comme ça. Mais elle98, quand je lui raconte ça elle me dit : hein, vous êtes des gamins. Et elle ua d elle e a o te ses histoi es et tout… elle, ua d elle a e soi e et tout… o ne va pas en soirée nous.

Loubna : Nous, la soi e, ’est M Do.

Maïssa : Ses histoires en soirée, et tout. Quand elle me raconte ça, elle, elle est passée au stade sup ieu . Elle est… e fi ’est plus da s l’âge g a d. Nous, o est e o e des gamins je trouve par rapport à eux. On est e o e… je e sais pas si ’est i atu e, u ue ua d e o est atu es, u u’o t a aille ie , ais ’est juste ue les d li es, e ’est pas les es. »

Loubna et Maïssa, 2nd, lycée Doisneau, habitantes de Vaulx-en-Velin (quartier la Thibaudière et centre-ville)

La critique émise par ces deux jeunes filles reprend une critique sociale plus générale qui est e o e aujou d’hui faite à e tai es fe es, et e à l’ helle de la so i t da s so ensemble. En effet, la critique faite aux femmes jugées li e ti es se et ou e i i à l’o igi e de la dépréciation de certaines jeunes filles des quartiers populaires stigmatisés. Ce

97 L’e e ple a pou o je tif d’illust e les diff e es de « délire » entre le lycée de centre-ville où est scolarisée une de leur amie et le lycée Doisneau. Le « elle » fait do f e e à ette a ie, d’o igi e audaise, ais scolarisée en centre-ville.

98 « Elle » désigne ici une amie des deux lycéennes qui est également vaudaise mais scolarisée dans le centre-ville de Lyon.

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jugement ne trouve pas son pendant envers les hommes puisque les « racailles » ne sont pas qualifiées de libertins (ni aucun autre groupe de ces quartiers). Ainsi, cette dépréciation orientée qui se fonde sur le rapport à la sexualité et au corps reprend les schémas de la domination masculine mis en évidence par Pierre Bourdieu (Bourdieu, 1998). Ces schémas sont toutefois exacerbés su ot e te ai d’e u te puis ue la atu e des appo ts e t e filles et garçons semblent y être plus durement jugée. La virulence de la critique envers les « beurettes » ’est pas it e à l’e o t e des jeu es filles ui olue t e e t e-ville : « elle est passé au stade supérieur ».

La lecture des travaux de Beverley Steggs nous amène à considérer que le jugement de valeur envers les « beurettes », à travers leur sexualité supposée, les prive de leur valeur morale et par là de leur respectabilité (Steggs, 2015). Ce mécanisme se retrouve dans la manière dont les classes dominantes se représentent les femmes des classes populaires à travers leur sexualité « déviante ». De plus, les dimensions ethno-raciales et religieuses accentuent ces représentations négatives. Elles ont parfois été mises en avant par les adolescents de Vaulx-en-Veli pou e pli ue la d p iatio do t fo t l’o jet les jeu es filles soupço es d’a oi des relations sexuelles. Ainsi, le mécanisme de catégorisation sociale prend la for e d’u détournement du stigmate qui permet aux jeunes filles de Doisneau, ou plus généralement aux Vaudaises non « beurettes » de se revaloriser socialement (Gruel, 1985). C’est gale e t e u’o se e Clai da s ses t a au su les adoles e ts de quartiers populaires :

« La au aise putatio joue u ôle de appel à l’o d e pou l’e se le du groupe des filles et permet la ségrégation dudit groupe en termes de ressources vertueuses sur le marché amoureux et sexuel local. La solidarité entre filles ne pouvant pas être de mise : en régime de peur, le chacun pour soi est spo ta e t de igueu , d’auta t ue de la stigmatisation des unes dépend la reconnaissance de la moralité des autres » (Clair, 2008 : 20-21)

La vision sexiste au sujet de ce que le comportement des femmes doit être est très présente chez les lycéens de Doisneau99. Cela entraine une mise en altérité puisque les « beurettes » so t les figu es f i i es à ite et à ejete . Elles ’o t pas t p se t es o e scolarisées au lycée Doisneau. Par ailleurs, la critique de la sexualité de certaines jeunes filles se dou le d’u e d p iatio o ale li e à leu appo t à l’ ole.

99 La catégorie « beurette » a rare e t t o u e pa des ga ço s, epe da t, le fait ue l’e u t i e soit une femme a pu limiter les propos en ce sens.

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Ainsi, les « beurettes » dont parlent les lycéens100 sont en premier lieu caractérisées par leur d ia e. À l’i sta des « racailles », les « beurettes » sont définies par leur comportement d ia t pa appo t à elui ue les l e s juge t a epta le. Ai si, à l’i t ieu e des quartiers, un système de normes dominantes spécifique (qui diffère du système dominant de l’e se le de la so i t pa uel ues aspe ts101) existe avec ses propres critères d’ aluatio de la d ia e. Ce so t les « racailles » et les « beurettes » incarnent les figures de la déviance au sein de ce contexte socio-urbain.

2.3. Le ôle de l’ ole da s la caractérisation de la