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Le ôle de l’ ole da s la caractérisation de la déviance

2. UN DÉTOURNEMENT DU STIGMATE ENVERS LES « RACAILLES » LES « RACAILLES »

2.3. Le ôle de l’ ole da s la caractérisation de la déviance

La d p iatio o ale op e pa les l e s à p opos de eu u’ils o e t les « racailles » et les « beurettes » pa ti ipe d’u p o essus de d tou e e t du stig ate du « jeune de banlieue » puisque le discrédit ai si jet o stitue u e diff e e e t e l’ide tit so iale i tuelle et l’ide tit so iale elle de es i di idus « déviants » (Goffman, 1975 ; Gruel, 1985). L’ide tit so iale i tuelle, elle atte due pa les l e s hez l’e se le des habitants de leur environnement urbain, est caractérisée par un statut urbain (être habitant de Vaulx-en-Velin) et par certaines valeurs morales (en partie induite par les origines

ethno-a iethno-ales et lethno-a eligio usul ethno-a e . Le fethno-ait de oi e, de p f e l’ « ethno-argent fethno-acile » ethno-au trethno-avethno-ail,

etc. sont autant de caractéristiques qui éloignent lesdites « racailles » de l’ide tit so iale virtuelle des Vaudais telles que la définissent les lycéens de Doisneau. La stigmatisation est structurée par une dimension morale. Parmi les trois types de stigmates102 identifiés par Goffman, celui-ci constitue une « tare de caractère » (Goffman, 1975 : 14).

« Et du coup « ghettos » tu penses à quoi quand tu dis « ghettos » 103?

Maïssa : Un peu à la mode américaine. Enfin ceux qui sont dans les ghettos a i ai s, ’est des g a ds ghettos. Ils so t…

Loubna : Ouais. Mais il ’ a ua d e pas des ga gs i i.

100 Cette catégorie est moins employée que celle de racaille, cependant, un quart des lycéens de Doisneau e o t s l’o t o u . Et la a i e do t e te e est utilis et e pli u à l’e u t i e laisse pe se ue ’est u te e ou a t pa i es jeu es.

101 O l’au a do o p is, ’est esse tielle e t da s le appo t à l’al ool et la se ualit ue les s st es diffèrent, mais également la place laissé aux origines immigrées et la reconnaissance des « racailles ».

102 Goffman différencie trois types de stigmates selon ce sur quoi ils portent : les « monstruosités du corps », les « tares de caractère » et les stigmates « tribaux » lié à une appartenance ethno-raciale ou nationale (Goffman, 1975 : 14).

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Maïssa : Ils o t u e faço de s’ha ille . Mais e fi oilà. Mais e fi ils essa e t u peu de faire ça Vaulx quand tu regardes. Quand ils font les shows un peu.

Loubna : Mais ils ’ a i e t pas. Maïssa : C’est ai, ça fait piti . […]

Maïssa : No oi je t ou e f a he e t ils so t tes, pa e u’ils essa e t de e opie la ode a i ai e, ’est de fai e ghettos, au lieu d’essa e de… au contrai e… au lieu de… ils este t da s leu dio it au lieu d’essa e d’ t e ieu en fait.

Il faud ait u’ils fasse t uoi pou t e ieu du oup ? Maïssa : D jà leu faço de pa le , ils l’ou lie t. Loubna : Ouais.

Maïssa : Le trafic de drogue, ils oublie t pa e ue l’a ge t fa ile ’est… Loubna : L’a ge t sale.

Maïssa : L’a ge t sale ça e… Ça e à la pe te. Ap s si tu as u e fa ille… »

Loubna et Maïssa, 2nd, lycée Doisneau, habitantes de Vaulx-en-Velin (quartier la Thibaudière et centre-ville)

À Vaulx-en-Velin, la morale devient un vecteur de mise à distance de la déviance. Lapeyronnie constate un processus similaire au cours de ces travaux : « Ces stratégies de

dénégation et de mise à distance des individus « détruits » sont à la base de la construction d’u e helle de la dig it su la uelle ha u essa e de se pla e . » (Lapeyronnie, 2008 : 85).

L’auteu o se e ue le fait de t a aille o stitue u e li ite e t e eu ui appa tie e t au « monde normal, aux classes moyennes » et les exclus (Lapeyronnie, 2008 : 88). Cette li ite se le gale e t fo tio e a e l’ ole. Le t a ail ou l’ ole, ota e t pou les adoles e ts, de ie e t alo s des sig es de disti tio et des ga a ts d’u e o alit . La d ia e s’i s it e p e ie lieu da s e u’u e des l e es it es p de e t appelle « l’ loge de la dio it » ’est-à-di e, le fait d’effe tue des hoi ui e t à l’ he s olai e, et au app o he e t a e des i di idus i pli u s da s des t afi s de drogue. À une échelle plus proche des lycéens, le fait de quitter les filières générales faute de bons résultats scolaires est considéré comme une première étape de cette déviance104.

104 Le terme « déviance » a été proposé par un lycéen pour illustrer ce glissement entre les lycéens et les « racailles ».

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« Qua d je dis ça à o p e, o p e il est tout o te t et tout, de oi u’o a e ie d’a oi ça, et tout. Qu’au o t ai e o e este pas o e… Je e sais pas o e t di e, ais… o e toutes les aut es filles ui e t toutes d’ t e… d’ t e la plus elle, ou o e ça. E fi je pe se il…juste e t il est o te t u’o … u’o mise plus sur le métier. Parce que mon père surtout quand il va au travail, il passe de a t les Ca uts. Les Ca uts, ’est la pou elle de Vaul -en-Velin. Le lycée p ofessio el. Il oit toutes les eu ettes ui… et o p e il e ie t et il fait : ah j’ai vu des filles, elles étaient maquillées, mais à fond, mais à fond. Elles avaient la iga ette à la ai . Il fait : heu euse e t es filles, ous ’ tes pas o e ça. Heureusement. Et il est content. »

Maïssa, 2nd, lycée Doisneau, habitante de Vaulx-en-Velin (centre-ville)

À la volo t de ussi ses tudes et à l’a itio des l e s s’oppose t la supe fi ialit et l’a se e de pe spe ti e d’a e i alo isa te105. À l’i sta des « racailles », dont elles sont le pendant féminin, les « beurettes » sont à la fois proches et fortement dépréciées. Proche da s la esu e où e so t sou e t d’a ie es a ies, ou u’elles au aie t pu l’ t e puis u’elles ha ite t les es ua tie s. Cette p o i it a e tue la essit de se ett e à dista e. Les dis ou s des l e s à l’e o t e des « beurettes » est sans appel : à la d i e ph si ue s’ajoute l’a se e d’a itio i telle tuelle. Le appo t à la s ola it et la

ussite pa l’ ole so t do là aussi u e teu de ise à dista e.

Une opposition dichotomique est de la sorte instaurée par les lycéens rencontrés parmi les jeunes de Vaulx-en-Velin, et plus largement au sein des communes périphériques populaires défavorisées. Dans ces quartiers, il existerait donc des jeunes « racailles » et d’aut es jeu es dont les lycéens font partie. Tous sont issus du même milieu socio-urbain et à mesure que les jeu es g a disse t, e tai s d’e t e eu adopte t des p ati ues « déviantes » qui les font devenir des « racailles » et des « beurettes ». Ce g oupe d ia t s’i stitue do pa u a t progressif aux no es o sid es o e l giti es pa les l e s. Ces a ts s’i stitue t à travers différentes dimensions : appo t à l’ ole, au t afi s de d ogues et à la se ualit (pour les filles). Cette opposition dichotomique mise en avant par les lycéens de Doisneau rencontrés et les « déviants106 » fait écho aux études sur les sociabilités adolescentes de milieu populaire. En effet, comme le rapporte la sociologue, Agnès Van Zanten, les travaux scientifiques ont depuis longtemps identifié deux formes de sociabilité : « [un] plus centrée su l’ ole et su les aleu s l giti es da s la so i t glo ale, l’aut e plus o ie t e e s la ue et vers des valeurs locales « déviantes » par rapport à celles de la société globale. » (Van

105C’est du oi s e ui est suppos pa es l e es pou ui le l e p ofessio el de Vaul -en-Velin est

s o e d’ he .

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Zanten, 2000 : 377). Cette distinction se le op a te i i puis ue l’o pou ait att i ue au lycéens de Doisneau le premier type de sociabilité évoqué et aux « déviants » le second type. E e se s, l’ ole et le appo t à l’ ole o stitue t u p e ie fa teu ou, pou le di e autrement, un premier vecteur de normalisation, vis-à- is du uel s’ ta lit la d ia e. èt e en marge du système scolaire, être en dehors ou dans un degré moindre, être en échec scolaire, constituent un premier écart à la norme. En outre, dans les discours des lycéens de Doisneau, les établissements reconnus comme légitimes et valorisés sont en nombre limité. Le lycée professionnel de Vaulx-en-Veli , ie u’appa te a t au s st e s olai e, ’est pas reconnu comme légitime. Il a été qualifié à par plusieurs lycéens de « poubelle de Vaulx »107. Le passage du collège au lycée professionnel de Vaulx et a fortiori du lycée général au lycée professionnel constitue pour les lycéens de Doisneau le premier pas vers la déviance. Quitter le système scolaire est considéré de la même manière.

« D’a o d. Il a u e diff e e e t e eu ui o t à l’ ole, et eu ui ’ o t pas ? Anis : bah oui.

Elmas : Ça ’est sû . Ouais.

A is : pa e ue eu ui o t à l’ ole, s’i ui te t u peu pou leu a e i . Quand même.

Anis : un petit peu quand même. Ils ont une petite conscience. Et toi, tu t’i ui tes108 ?

Anis : Je sais pas ce que je ais fai e. Mais eu ui… eux qui préfèrent rester, je les o p e ds pas. E plus j’ai des a is oi, et tout. O a fait le oll ge e se le. Et en plus il e a ai e t pas… tu peux pas te dire : ouais u jou ils o t to e … ils vont to e da s ela. D’u seul oup.

Et u’est- e ui s’est pass alo s ?

Anis : Je sais pas. G ale e t ’est o e ça. Ils se ette t à fu e . D’a o d la cigarette.

Elmas : Non déjà ils finissent à la rue. Anis : non. Non. Non.

107 Par ailleurs, des projets e s aup s d’adoles e ts audais au sei d’u e t e so ial o t pe is d’o se e les railleries provoquées par un jeune lorsque celui-ci a dit être scolarisé dans le lycée professionnel de Vaulx. “i l’e seig e e t p ofessio el est d alo is de a i e assez générale dans toute la société française, la dévalorisation est particulièrement violente pour cet établissement.

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Elmas : Ils fo t uoi ? L’a ge t fa ile.

A is : o . No . No . Moi il e a, ils taie t au l e a e oi. Et d’a o d ils o t commencé à fumer. Ensuite ils passaient de Doisneau aux Canuts là tu se s ue… Canuts, ’est u l e aussi ?

El as : T s, t s al u. C’est la d hette ie de Vaul e fait. C’est tous les ge s ui ont un truc, ils sont là-bas.

A is: ’est elui ui est à ôt , là. E fait ’est u l e p o. Tu ois, il a les l es p o, ah lui, ’est t op, p o. »

Anis et Elmas, TSITDD, lycée Doisneau, habitants de Vaulx-en-Velin (Vaulx La Soie et Mas du Taureau)

“i le appo t à l’ ole o stitue u e p eu e ta gi le de la d ia e, l’ ole ’est pas considérée comme constitutive de cette déviance. Par ailleurs, le discours des lycéens de Doisneau sur ces questions ne met pas en avant une prédisposition à la déviance109. Les l e s a a t a o d e th e ’e pli ue t pas l’adoptio de p ati ues d ia tes pa l’e i o e e t fa ilial. Pa ailleurs, dans la dichotomie entre « eux » et les « racailles », les caractéristiques socio-ethniques et urbaines ne constituent pas non plus des facteurs de mise à distance. En effet, les lycéens rencontrés et les « déviants » partagent le même environnement urbain, ils ont tous des origines immigrées et appartiennent à diverses st ates des lasses populai es. Pou ta t, e tai s so t o sid s o e d ia ts et d’aut es o . “i le fait d’ha ite et de g a di da s des o u es populai es d fa o is es ’e traine pas nécessairement la déviance, les « racailles » et les « beurettes » sont issues de ces communes. Les lycéens interrogés incriminent comme facteurs moteurs de la déviance les « mauvaises fréquentations ».

« Et alors par exemple quand un enfant nait à Vaul ’est uoi le plus p o a le pou lui ? C’est u’ils de ie e t u e a aille ? Ou ui…

Loubna : Ca dépend des fréquentations en fait.

Maïssa : Oui. Ça dépend des fréquentations. Il y a des fréquentations qui changent.

109 Les travaux dont A. Van Zanten fait état proposent plusieurs h poth ses ua t au ôles de l’i stitutio scolaire dans la constitution des identités « déviantes ». E effet, selo e tai es tudes, l’i stitutio s olai e ’est pas ot i e da s l’adoptio pa e tai s adoles e ts de o es d ia tes, la d ia e s’i staurant i d pe da e t de l’ ole. À l’i e se, d’aut es tudes o t e t l’i po ta e de l’i stitutio s olai e da s l’i stau atio de p ati ues d ia tes. C’est alo s l’ a t e t e des id au so iau l giti es et la diffi ult à les atteindre pour certai s adoles e ts ui e ge d e la dista e Va )a te , . Not e tude ’a pas o atio à trancher ce débat, ce sont les réflexions des lycéens sur cet aspect qui nous intéressent ici puisque leur positionnement permet de mieux comprendre le processus de mise à distance que cela engendre.

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Loubna : M e si il a… ême s’il a de t s o s pa e ts, s’il fréquente des personnes oilà… des racailles.

Maïssa : Comme Sophia. Loubna : Voilà.

Maïssa : Sophia. Il y avait une fille qui était en primaire. En primaire franchement elle t a aillait ie , et tout. Elle tait… ’ tait l’ t … elle était bien et tout, mais arrivée au oll ge…

Loubna : Arrivée au oll ge, elle a f ue t des… des filles pas t s… Maïssa : Fréquentables.

Loubna : Et elle est devenue comme elles.

Maïssa : Là elle ’a plus de… elle ’a pas de oll ge. Elle ’a rien.

Loubna : L’aut e jou je l’ai ue, j’ai u u’elle a ait a s. Ma uill e o e… Maïssa : Une beurette. »

Loubna et Maïssa, 2nd, lycée Doisneau, habitantes de Vaulx-en-Velin (quartier la Thibaudière et centre-ville)

Ainsi, les lycéens rencontrés e o sid e t pas le appo t à l’ ole o e le fa teu déclenchant de la déviance, mais plutôt comme une première conséquence. Par ailleurs, si les « fréquentations110 », ’est-à-dire les amis, sont considérées par tous les lycéens ayant évoqué le sujet comme le facteur déterminant de déviance, il apparaît parfois que le contrôle pa e tal da s les seau de so ia ilit ai si ue l’e i o e e t u ai de p o i it et do les pe so es ue l’o est sus epti le de f ue te da s le oisi age so t gale ent des facteurs complémentaires. Dans les perceptions des lycéens, ce qui est considéré comme un facteur en partie aléatoire explique la perméabilité qui semble se dégager entre les « déviants » et les lycéens rencontrés. En effet, la proximité physique, ’est-à-dire la coprésence au sein des mêmes quartiers des lycéens rencontrés et des « déviants » rend possible le risque de dévier soit même111. Et e d’auta t plus, ue pou e tai s jeu es, les « déviants » sont présents au sein même de leur famille, rendant cette réalité encore plus palpable. Des dispositions personnelles telles que la volonté de réussir ou encore la maturité sont mises en avant comme des facteurs explicatifs de ces différences intrafamiliales.

110Les o es ou au aises f ue tatio s peu e t p o a le e t se fai e au sei de l’ ole ou e deho s, ais le appo t e t e ole et f ue tatio ’a ja ais t fait pa les l e s e o t s.

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2.4. L’a i ale e du appo t au ua tie : des lycéens