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Chapitre IV Evolution de la sensibilité à la fissuration avec la taille de grains

IV. E Discussion

Afin d’évaluer l’influence de la taille de grain d’un acier austénitique sur la fissuration intergranulaire en milieu REP, l’acier 304L de notre étude a été traité thermo-mécaniquement dans le but d’obtenir des aciers de même composition mais avec des tailles de grain différentes. Ce paramètre permet de faire varier la limite d’écoulement du matériau mais également l’intensité de la localisation de la plasticité, et donc l’objectif était d’étudier plus en avant comment ces deux paramètres peuvent jouer sur la sensibilité à la fissuration intergranulaire en milieu REP.

Les observations réalisées par cartographies EBSD ont confirmé l’obtention de matériau de différentes tailles de grains différentes (5 µm et 60 µm). Contrairement aux deux autres nuances, le matériau ayant la plus petite taille de grains montre une certaine hétérogénéité de la taille de grain, puisque des zones contenant de nombreux petits grains sont observées aux côtés de zones dont la taille moyenne est plus élevée. Le comportement des 3 matériaux de l’étude (PG, GN et GG) a été caractérisé. Conformément à ce qui pouvait être attendu, ces matériaux montrent une limite d’élasticité croissante avec la diminution de la taille de grain. Malgré cette augmentation de la limite d’élasticité, les essais de nanoindentation réalisés sur ces aciers montrent une dureté équivalente entre les différents aciers. Il semble que les volumes sollicités lors d’un essai de nanoindentation sont trop faibles par rapport à la taille de grain moyenne des échantillons testés (de l’ordre de plusieurs microns) pour pouvoir déceler par cette technique une différence de dureté entre les échantillons à gros grains et à petits grains.

Le durcissement induit par irradiation à 5 dpa et 10 dpa réalisées à 450°C avec des ions fer 10 MeV sur les différents aciers ont été caractérisés. Après l’irradiation à 5 dpa, l’acier PG a durci de 53% et GG de 62%. La réduction de la taille des grains induit une proportion plus importante de joint de grain, qui constitue des puits de défauts. Des études ont montré que lorsque la taille de grain

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diminue fortement, la densité de défauts d’irradiation diminue également (Sun and Zheng 2015; Cheng et al. 2016). Cette diminution de défauts induit alors un durcissement moins important. Ce phénomène a été constaté au niveau des boucles de dislocations dans le Mo notamment (Cheng et al. 2016), et au niveau des cavités dans l’acier austénitique inoxydable (Singh 1973b; Sun and Zheng 2015) Cependant, l’effet de la taille de grain sur les défauts d’irradiation semble être significatif pour des tailles de grains inférieures au micron, du fait de la portée des puits de défauts qui est plus importante relativement à la taille de grain. Cependant, cet effet semble être malgré tout présent ici. Une observation par MET des microstructures induites par cette irradiation à 5 dpa permettrait de valider ou d’infirmer l’hypothèse avancée ici.

Pour les irradiations à 10 dpa, GN a durcit de 78%, GG de 90% et PG de 76%. Le durcissement des aciers irradiés à 10 dpa est plus important que celui des aciers irradiés à 5 dpa, tant pour l’acier à petits grains que pour l’acier à gros grains. Ceci montre que le durcissement n’a pas saturé à 5 dpa, bien que l’augmentation de la dureté soit bien moins marquée qu’entre les matériaux non irradié et irradié à 5 dpa. Ce résultat est cohérent avec les résultats de la littérature montrant que la dureté peut saturer entre 5 et 10 dpa (Pokor et al. 2004a).

Les essais de traction in-situ en MEB ont permis de rendre compte de l’évolution de la plasticité en fonction de la contrainte macroscopique et de la déformation imposée aux échantillons à l’état irradié et non irradié. Sur l’acier GN, une diminution de la densité des bandes a été observée après irradiation, ce qui traduit une localisation de la déformation dans ces bandes. Cette localisation a déjà été observée par différents auteurs (Miura et al. 2009; Jiao et al. 2014; Gupta et al. 2018; Gussev and Leonard 2019). Cette localisation est clairement présente dans les travaux de Gussev et Leonard (Gussev and Leonard 2019) sur un acier 304L irradié aux neutrons et déformé en MEB in-situ à température ambiante (Figure IV-23), et la différence entre le matériau irradié et non irradié est beaucoup plus marquée. Cette différence de localisation pourrait être expliquée par l’importance du substrat non irradié, qui est accentuée lorsque le ratio entre profondeur d’irradiation et taille de grain diminue. En effet, les travaux de Jiao (Jiao and Was 2014) et de Gupta (Gupta et al. 2018) lors d’irradiations aux protons et aux ions fer sur des aciers austénitiques montrent une localisation de la déformation plus marquée pour les irradiations aux protons, du fait qu’une plus grande proportion du grain est irradiée dans ce cas. Jiao a observé qu’un ratio profondeur d’irradiation/taille de grain supérieur à 0,3 permettait d’avoir une sensibilité à la localisation constante. En dessous de 0,3, la localisation, bien qu’existante, diminue. Dans notre cas, les rapports sont de 0,5 pour PG, 0,12 pour GN et 0,03 pour GG. D’après Jiao, une plus grande localisation de la déformation lorsque ce rapport est élevé serait dû au fait que les canaux de dislocations s’initient au niveau des joints de grains. La trop faible proportion de joints de grain irradiés dans le cas des irradiations aux ions lourds sur l’acier GN ne permettrait pas d’obtenir une quantité importante de bandes créées au niveau des joints de grains, d’où une faible localisation. L’acier GG irradié n’a pas montré de différence de déformation par rapport au matériau GG non irradié, ce qui conforte cette hypothèse. Pour la nuance PG, bien que le ratio soit plus important que pour GN (0,5 contre 0,12), la densité de bandes émergentes en surface augmente par rapport à l’acier GN, ce qui implique une diminution de la localisation de la déformation à l’échelle du grain. L’acier PG a cependant montré une forte disparité après irradiation, où les grains dont le système de glissement activé avait un fort facteur de Schmid montraient une forte concentration de bandes de glissement, tandis que les grains à faibles facteurs de Schmid montraient de très faibles densités de bandes. Ces hétérogénéités de déformation entre grains peuvent également induire des chargements mécaniques plus importants entre certains grains,

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pouvant alors conduire à une sensibilité plus grande à la fissuration. Une perspective intéressante à notre étude sera de conduire des irradiations aux protons sur les 3 matériaux de notre étude, afin de rendre les trois microstructures plus propices à la localisation (les ratios profondeur d’irradiation/ taille de grain seraient de 5, 1, et 0,5 pour PG, GN et GG respectivement) et de comparer si la localisation est différente en fonction de la taille de grain.

Figure IV-23 : Clichés MEB d'un échantillon non irradié (a-b) et irradié aux neutrons à 5,9 dpa (c-d) déformés plastiquement en traction in-situ à température ambiante. La déformation est clairement localisée dans le cas de

l’échantillon irradié, avec des bandes de glissement très espacées (Gussev and Leonard 2019) .

Pour finir, l’impact de la taille de grain sur sensibilité à la fissuration intergranulaire a été évalué à l’aide d’essais SSRT réalisés en milieu REP jusqu’à un taux de déformation de 4%. Les échantillons PG et GG utilisés pour ces essais ont été irradiés à 5±1 dpa, tandis que l’échantillon GN a subit une irradiation Fe-450, à 8±1 dpa. Les essais réalisés sur l’acier GN, PG et GG ont provoqué une densité de fissures de 347 mm-2, 3300 mm-2 et 137 mm-2,respectivement. La quantité de joint étant plus

grande pour une surface donnée lorsque la taille de grain diminue, le nombre de grains sensibilisés augmente en conséquence. Pour comparer les résultats entre eux, la densité de fissures a été normalisée en prenant en compte la proportion de joint de grains fissurés. Ces résultats normalisés montrent une sensibilité identique entre les aciers GN et PG (2,1% des joints fissurés), tandis que l’acier GG s’est révélé moins sensible (1,6%). Le durcissement induit par irradiation pour chacune de ces nuances est de 78%, 53% et 62% pour GN, PG et GG respectivement. L’évolution du durcissement et son impact sur la sensibilité à la fissuration est cependant à mettre en regard du ratio profondeur d’irradiation/taille de grain. Malgré le plus faible durcissement de la nuance PG, cette nuance est aussi sensible que GN. La localisation de la déformation entre les grains de la nuance PG semble être plus efficace en termes de sensibilisation à la fissuration. Cet aspect n’a pas pu être vérifié par une corrélation des joints fissurés avec les facteurs de Schmid des systèmes activés. Comme expliqué précédemment, le comportement en plasticité de l’acier GG irradié est identique à celui de l’acier GG non irradié ce qui a induit une sensibilité plus faible par rapport aux deux autres nuances. De

Conclusions

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plus, la faible dureté de cette nuance a pu induire une faible sensibilité à la fissuration. La localisation de la déformation, qui dépend du rapport entre profondeur d’irradiation et taille de grain, montre un effet dans la sensibilité à la fissuration intergranulaire d’après ces essais. Cette conclusion pourrait être vérifiée par l’utilisation d’irradiation aux protons sur l’acier GG, qui permette a priori d’accentuer la localisation de la déformation.