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Des réprimandes

Dans le document Quelques pensées sur l'éducation. (Page 67-71)

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77. S'il est vrai qu'il ne faut que rarement recourir aux coups pour corriger les enfants, il ne l'est pas moins que les réprimandes, quand elles sont fréquentes, et surtout quand on y met de la passion, produisent des conséquences presque aussi fâcheuses 1. Elles amoindrissent l'autorité des parents et le respect des enfants : car, je vous prie de ne pas l'oublier, les enfants distinguent vite entre la passion et la raison.

S'ils ne peuvent avoir que du respect pour tout ce que la raison inspire, ils en viennent bien vite à mépriser ce que dicte la passion ; ou s'ils éprouvent tout d'abord un sentiment de terreur, cette impression s'efface rapidement, et leur naturel les dispose aisément à dédaigner de vains éclats de colère, quelque bruyants qu'ils soient, s'ils ne sont pas inspirés par la raison. Les enfants ne devant être corrigés que pour leurs actions vicieuses, qui, dans leurs tendres années, ne sauraient être fort nombreuses, un regard ou un signe suffira pour les reprendre, lorsqu'ils sont en faute ; ou bien s'il faut parfois recourir aux paroles, elles doivent être graves, douces et discrètes. On doit souvent représenter à l'enfant ce qu'il y a de mauvais et de méchant dans sa faute, plutôt que se hâter de le gronder : car la gronderie fait qu'il ne distingue pas suffisamment si c'est à sa personne ou à sa faute que s'adresse votre mécontentement.

La passion dans la réprimande entraîne d'ordinaire avec elle un langage rude et violent, ce qui produit encore ce fâcheux effet d'en donner l'exemple à l'enfant et de le justifier à ses yeux. Les noms que leurs parents ou leurs précepteurs leur donnent, ils ne rougissent pas, ils ne craignent pas de les appliquer à d'autres personnes, ayant d'aussi bonnes autorités pour en justifier l'usage.

L'obstination

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78. Je prévois l'objection qu'on va me faire : « Quoi ! dira-t-on, n'y a-t-il donc aucune faute qui mérite que l'on fouette ou que l'on gronde l'enfant? Mais ce serait ouvrir la porte à tous les désordres. » Non, le mal ne serait pas si grand qu'on se l'imagine, si du moins on a suivi une bonne méthode dans la première éducation morale de l'enfant, si on lui a inspiré pour ses parents le respect dont nous avons déjà

1 « Il ne faut pas user fréquemment des réprimandes un peu vives. Une médecine donnée mal à propos aggrave le mai au lieu de le soulager, et si on l'emploie continuellement, elle cesse d'être une médecine et n'opère pas plus que ne ferait un mets désagréable et peu salubre. » (Erasme, Sur l'éducation des enfants.)

« C'est un défaut assez ordinaire d'employer la réprimande pour les fautes les plus légères, et qui sont presque inévitables aux enfants ; et c'est ce qui leur ôte toute la force et en fait perdre tout le fruit. » (Rollin, t. IV, p. 470.)

parlé. Les coups, comme le prouve une expérience constante, ne font que peu d'effet, quand la douleur cuisante qu'ils produisent est tout le châtiment que l'enfant redoute et qu'il sent : l'influence de cette douleur s'efface vite, en même temps que le souve-nir. Mais il y a une faute, et il n'y en a qu'une, pour laquelle, selon moi, les enfants doivent être battus : c'est l'obstination ou la rébellion 1. Et même dans ce cas je voudrais, s'il était possible, que l'on s'arrangeât de telle manière que la honte d'être fouetté, et non la douleur physique, devînt l'élément principal du châtiment. La honte d'avoir mal fait, d'avoir mérité une punition, c'est la seule discipline qui ait des rapports avec la vertu. La douleur causée par le fouet, si la honte ne l'accompagne pas, est vite passée, vite oubliée, et par la répétition elle cesse d'être effrayante. J'ai connu les enfants d'une personne de qualité, qui étaient tenus en respect par la crainte d'être condamnés à marcher sans souliers, aussi bien que d'autres le sont par la crainte du fouet. Des punitions de ce genre vaudraient mieux, je crois, que les coups. Si vous voulez en effet développer chez l'enfant des sentiments dignes d'un homme libre, c'est de la honte de la faute, c'est de la disgrâce qui en est la conséquence, qu'il faut lui faire peur, plus que de la peine elle-même. C'est seulement l'opiniâtreté, la désobéis-sance obstinée, qui doit être réprimée par la force et par les coups : car dans ce cas il n'y a pas d'autre remède. Quel que soit l'ordre ou la défense que vous adressez à l'enfant, veillez à être obéi : pas de quartier sur ce point. N'admettez pas de résistance : car si une fois vous laissez se produire entre vous deux comme un combat de ruse, si vous en êtes à disputer avec lui pour savoir qui sera le maître, ce qui arrive quand vous lui donnez un ordre et qu'il refuse d'obéir, il faut que vous l'emportiez, à quelque prix que ce soit, dussiez-vous en venir aux coups, si un signe de tête ou les paroles ne suffisent pas ; autrement il faudra vous résigner à vivre le reste de votre vie dans la dépendance de votre fils. J'ai connu une mère douce et prudente, qui, dans une occasion semblable, la première fois que sa fille revint de chez sa nourrice à la maison, fut obligée de la battre huit fois de suite, dans la même matinée, avant de réussir à vaincre son opiniâtreté et d'obtenir qu'elle lui obéit pour une chose très facile en elle-même et indifférente 2. Si elle s'était arrêtée plus tôt, si elle avait suspendu le châtiment à la septième fois, l'enfant était perdue pour toujours. Par un châtiment qui aurait manqué son effet, elle n'eût fait que fortifier chez sa fille l'instinct de l'opiniâtreté, qu'il eût été fort difficile de guérir dans la suite. Mais ayant eu la sagesse de persévérer jusqu'à ce qu'elle eût plié son esprit et assoupli sa volonté, ce qui est le seul but de la correction et du châtiment, elle établit son autorité dès la première occasion, et désormais elle obtint de sa fille en toutes choses une prompte et docile obéissance. Comme ce fut la première fois qu'elle la fouetta, ce fut aussi, je crois, la dernière.

La première fois qu'on a recours aux châtiments corporels, il faudrait prolonger et redoubler la punition, jusqu'à ce qu'elle eût entièrement triomphé de la résistance, que l'esprit de l'enfant fût assoupli, et l'autorité des parents établie : dès lors, pour la maintenir, il suffira d'une gravité mêlée de douceur.

1 Cette célèbre restriction ne in-que point de netteté. En rapprocher l'extrait de la lettre à Clarke cité dans la biographie. De même Montaigne, s'il critique les verges avec violence dans des passages sans cesse cités, écrit que < le châtiment tient lieu de médecine aux enfants » et n'hésite pas à donner des soufflets à ses domestiques. Il ne faut pas leur faire dire plus qu'ils ne pensent : lorsque ces grands pédagogues parlent, ils se laissent facilement emporter par leur réaction contre les excès du temps, niais ils savent aussi éviter les excès en sens inverse. C'est pourquoi on dénature si aisément leur pensée par des citations isolées du contexte.

2 On peut s'étonner que Locke appelle douce et prudente une mère qui se laisse aller à battre sa petite fille « huit fois de suite », la première fois qu'elle la revoit, et pour « une chose indifférente

».

Tout cela, si l'on y réfléchissait, inspirerait aux parents plus de modération dans l'emploi du fouet et du gourdin, et les détournerait de croire aussi aisément que les coups sont un remède sûr et universel, qu'on peut appliquer au hasard dans n'importe quel cas. Ce qui est certain, c'est que les châtiments corporels, quand ils ne font pas de bien, font beaucoup de mal. S'ils n'atteignent pas l'esprit et n'assouplissent pas la volonté, ils endurcissent le coupable ; et quelque douleur qu'il ait soufferte pour sa faute, il n'en chérit que plus son opiniâtreté, ce péché mignon qui lui a déjà donné la victoire ; il n'en est que plus disposé à rechercher, à espérer pour l'avenir de nouveaux triomphes. C'est, je n'en doute pas, par l'effet de ces corrections mal entendues qu'un grand nombre d'enfants sont devenus obstinés et réfractaires, qui, autrement gouver-nés, auraient été très souples et très maniables. Si vous ne punissez votre enfant que pour vous venger de la faute passée qui a excité votre colère, quel effet pensez-vous produire ainsi sur son esprit, qui est précisément ce qu'il s'agit d'amender? S'il n'y a dans sa faute aucun mélange d'opiniâtreté ou de volonté obstinée, elle ne renferme rien qui réclame le sévère châtiment du fouet. Des observations douces et graves suffisent pour remédier aux fautes qui ont pour principes la faiblesse, l'inattention ou l'étourderie, et c'est tout ce que méritent de pareilles fautes. Mais si vous reconnaissez une perversité réelle de volonté, si vous avez affaire à une désobéissance préméditée et intentionnelle : alors vous ne devez pas mesurer le degré de la punition d'après la grandeur ou la petitesse apparente de la faute, mais d'après l'esprit d'opiniâtreté qu'elle révèle et la résistance que l'enfant oppose à ses devoirs de soumission et de respect vis-à-vis de son père. L'obéissance en effet est de rigueur, et il ne faut pas hésiter à employer les châtiments corporels, en les administrant par intervalles jusqu'à ce qu'ils aient fait impression sur l'esprit, et que vous distinguiez les marques d'un vrai chagrin, de la honte et du désir d'obéir.

Mais, d'après moi, il ne suffira pas que vous ayez fixé une tâche à l'enfant, et qu'il ne l'ait pas remplie à votre fantaisie, pour qu'il vous soit permis de le frapper sans autre façon. Il faut, avec beaucoup d'attention, de soin et de finesse, observer le tem-pérament particulier des enfants, et apprécier exactement la nature de leur fautes, avant d'en arriver à une correction de ce genre. Mais cela ne vaut-il pas mieux que d'avoir toujours le fouet dans les mains comme le seul instrument de votre autorité, et de vous exposer, par le trop fréquent usage des verges, à rendre ce suprême remède inefficace et inutile dans les cas où il devient nécessaire ? C'est ce qui arrive en effet lorsqu'on emploie sans discrétion le fouet pour les fautes les plus légères. Lorsque pour une faute contre les règles d'accord, ou pour une syllabe mal placée dans un vers, on frappe de la peine sévère du fouet un enfant laborieux et d'un bon naturel, comme on ferait pour une action criminelle ou volontaire un enfant obstiné et per-vers, comment espérer qu'une semblable méthode de correction fasse du bien à l'esprit et le redresse ? Et c'est là cependant l'unique but qu'il faut avoir en vue : car si une fois l'esprit est droit, tout ce que vous pouvez désirer suivra naturellement.

79. Ainsi, lorsqu'il n'y a dans la volonté aucun mauvais penchant à corriger, il n'est pas besoin de recourir au fouet. Toutes les fautes qui ne témoignent pas d'une mauvaise disposition d'esprit, qui ne trahissent pas l'intention de résister à l'autorité et au gouvernement d'un père ou d'un précepteur, ne sont que des méprises, et l'on peut souvent ne pas en tenir compte. En tout cas, si l'on s'y arrête, il ne faut employer d'abord que de doux remèdes : avis, directions, remontrances ; jusqu'à ce que le mé-pris persistant et prémédité de ces avis prouve que le principe de la faute réside dans les mauvaises dispositions de l'esprit, et qu'une perversité manifeste de la volonté est

la source de la désobéissance. Partout où l'obstination, qui est une révolte ouverte, s'est révélée au point qu'elle ne peut plus être négligée ou dédaignée, et qu'il est nécessaire dès le début de la réprimer et de la vaincre, notre seule préoccupation doit être de ne pas nous tromper, de nous assurer que nous avons affaire à une obstination réelle, et non à autre chose.

80. Mais puisque l'on doit éviter le plus possible les occasions de punir, surtout de punir par des coups, vous aurez soin d'en venir rarement à ces extrémités. Si vous avez inspiré à votre fils les sentiments de respect dont j'ai parlé, un simple regard suffira dans le plus grand nombre des cas pour l'arrêter. Il ne faut pas assurément demander à de jeunes enfants autant de tenue, de sérieux ou d'application, qu'à des jeunes gens plus avancés en âge. On doit leur permettre, je l'ai déjà dit, tous les enfan-tillages, toutes les folies qui sont en rapport avec leur âge, sans y faire la moindre attention. L'étourderie, l'imprévoyance, la gaieté, sont les caractères de l'enfance. La sévérité ne doit pas s'étendre à ces actions et imposer sur ce point d'inopportunes restrictions. Ne nous pressons pas non plus de voir de l'obstination, de la mauvaise volonté, dans des actes qui ne sont que l'effet naturel de l'âge et du tempérament.

Dans ce cas, il faut simplement venir en aide aux enfants, leur tendre la main, pour les ramener doucement, comme à des personnes faibles qui souffrent d'une infirmité naturelle ; et bien qu'une fois avertis ils retombent dans les mêmes fautes, il ne faut pas cependant que chaque rechute soit comptée pour un mépris formel de vos ordres, et considérée tout de suite comme un acte de révolte. Les fautes qui proviennent de la faiblesse de l'âge, il ne faut pas sans doute les négliger, les laisser passer sans la moindre attention ; mais à moins que la volonté n'y soit mêlée, on ne doit jamais en exagérer la gravité, ni les reprendre trop rigoureusement. Redressez-les seulement d'une main douce, comme l'exige leur âge. De cette façon les enfants comprendront ce qu'il y a de véritablement répréhensible dans chacune de leurs actions et s'habitue-ront à l'éviter. Par là aussi vous les encouragerez, ce qui est la grande affaire, à n'avoir jamais que de bonnes intentions, puisqu'ils auront reconnu que leur bonne volonté les met à l'abri de tout désagrément grave, et que, dans les fautes qu'ils laissent échapper, au lieu de subir les reproches passionnés et irrités de leur gouverneur ou de leurs parents, ils sont traités avec ménagement et avec douceur.

Détournez vos enfants du vice et des dispositions vicieuses, et avec chaque progrès des années vous les verrez prendre les manières qui conviennent à leur âge et à la société qu'ils fréquentent. A mesure qu'ils grandiront en âge, ils grandiront aussi en application et en sagesse. Mais afin que vos paroles aient toujours de l'autorité et de la force, s'il arrive à l'occasion que vous leur ayez enjoint de laisser ceci ou cela, dans leurs amusements enfantins, ayez grand soin d'avoir toujours le dernier mot, et ne leur laissez jamais prendre l'avantage. Mais, je le répète, je voudrais que le père ne fît que rarement intervenir son autorité et ses commandements dans ces occasions-là, et qu'il se réservât pour le cas où les enfants sont sur le point de contracter quelque habitude vicieuse. il y a, selon moi, de meilleurs moyens de diriger leur esprit, et lorsqu'une fois vous aurez gagné ce premier point de les soumettre à votre volonté, vous réussirez mieux le plus souvent en raisonnant doucement avec eux.

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