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Des jouets

Dans le document Quelques pensées sur l'éducation. (Page 126-129)

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130. Quant aux jouets 1, je suis d'avis que les enfants doivent en avoir et de diverses sortes ; mais il faut toujours laisser ces jouets aux mains de leurs précepteurs ou d'une autre personne, de sorte que l'enfant n'en ait jamais en sa possession qu'un seul à la fois, et qu'il ne soit jamais autorisé à en avoir un second qu'après avoir rendu le premier. Par ce moyen, on lui apprendra de bonne heure à être soigneux, à ne pas perdre, à ne pas gâter les choses qu'on lui met entre les mains. Au contraire, si l'on met à sa disposition une grande quantité de jouets de toute espèce, on le rend capri-cieux et négligent, on l'habitue de bonne heure à devenir dissipateur et prodigue. Ce sont là, je l'avoue, de petites choses, et qui peuvent paraître indignes du souci d'un précepteur, mais il ne faut rien négliger ni dédaigner de ce qui peut former l'esprit des enfants. Tout ce qui contribue à leur faire prendre des habitudes mérite l'attention et les soins de ceux qui les dirigent, et, à raison des conséquences possibles, ne saurait passer pour une chose insignifiante.

Il y a une chose encore qu'on doit recommander à l'attention des parents, à propos des jouets de leurs enfants. Bien que j'accorde qu'ils doivent en avoir de diverses

1 Locke est l'un des premiers pédagogues à avoir compris l'importance des jouets. Montaigne avait déjà dit : « Il fault croire que les jeux des enfants ne sont pas jeux, et les fault juger en eulx comme leurs plus serieuses actions. » (Essais, I, XXII). Froebel qui, mieux que personne, a compris la nécessité de faire jouer l'enfant, disait : « L'enfant qui joue est chose sacrée ».

sortes, je ne crois pourtant pas qu'il faille leur en acheter 1. On évitera par là cette grande variété d'amusements qui trop souvent les encombre, qui n'a d'autre résultat que de disposer les esprits au goût du changement, à l'amour des inutilités, à une perpétuelle inquiétude; qui enfin les habitue à désirer toujours quelque chose de nouveau, sans savoir quoi, et à n'être jamais contents de ce qu'ils ont. Dans le grand monde, on fait à ces pauvres petits plus de mal qu'on ne pense par les cadeaux qu'on leur offre, pour faire la cour à leurs parents. Par là ils apprennent l'orgueil, la vanité, la convoitise, même avant de savoir parler. J'ai connu un jeune enfant à tel point affolé par le nombre et la variété de ses jouets qu'il forçait chaque jour sa bonne à les passer en revue ; il était si amoureux de cette abondance qu'il ne croyait jamais en avoir assez et qu'il ne cessait de répéter : « Et après? Et après? Que me donnera-t-on encore ? » La belle manière vraiment de lui apprendre à modérer ses désirs, la bonne méthode pour former un homme heureux et content de ce qu'il a !

« Mais, dira-t-on, quels jouets auront donc les enfants, si on ne leur en achète pas ? » Je répondrai qu'ils doivent se les faire à eux-mêmes, ou du moins s'y essayer, s'appliquer à ce travail; jusqu'à ce qu'ils aient acquis ce talent, il ne faut pas leur donner de jouets du tout, ou du moins ne leur donner que ceux qui n'exigent pas un grand artifice. De petits cailloux, une feuille de papier, le trousseau de clés de leur mère, enfin tout objet qu'ils peuvent manier sans se faire mal, tout cela convient » mieux pour amuser les enfants que ces joujoux coûteux et recherchés qu'on va acheter dans les boutiques et qui sont presque aussitôt dérangés et brisés 2. Les enfants ne sont jamais affligés ou de mauvaise humeur pour n'avoir pas de ces joujoux, à moins qu'on ne leur en ait déjà donné. Tant qu'ils sont petits, tout ce qui leur tombe sous la main suffit pour les divertir ; et lorsqu'ils sont plus grands, si l'on n'a pas commis la faute de se mettre follement en dépense pour leur fournir des jouets, ils sauront bien en fabriquer eux-mêmes. A la vérité, lorsqu'ils ont commencé à travailler à quel-qu'une de leurs inventions, il convient que vous les aidiez, que vous les dirigiez dans leur travail. Mais il ne faut rien leur donner tant qu'ils restent sans rien faire, attendant du travail des autres ce qu'ils ne veulent pas fabriquer de leurs propres mains. Si, dans leur travail une difficulté les arrête, aidez-les à la surmonter, et ils vous chériront plus pour cela que pour tous les jouets de luxe que vous auriez pu leur acheter. Cependant vous pouvez leur donner certains jouets qu'ils n'ont pas le talent de fabriquer eux-mêmes, tels que les toupies, les sabots, les raquettes, et autres semblables, avec les-quels on ne peut jouer sans prendre quelque peine. Ces jouets-là, il convient qu'ils les possèdent, non pour varier leurs amusements, mais pour qu'ils soient forcés de prendre de l'exercice : encore doit-on les leur donner aussi simples que possible. S'ils ont par exemple une toupie, laissez-leur le soin de fabriquer et de préparer le fouet et la courroie dont ils ont besoin pour la fouetter. Si les bras croisés ils attendent que tous ces jouets leur tombent des nues, il faut qu'ils s'en passent. Vous les habituerez ainsi à se procurer par eux-mêmes et par leurs propres efforts tout ce qui leur man-que. En même temps ils apprendront à être modérés dans leurs désirs, appliqués, actifs, industrieux, inventifs, économes: qualités qui leur seront utiles une fois qu'ils auront atteint l'âge d'homme, et qu'on ne saurait leur enseigner trop tôt, ni trop

1 Comparez Rollin : « Il ne faut pas se mettre beaucoup en peine pour leur procurer des plaisirs : ils en inventent assez d'eux-mêmes.»

2 Comparez le passage suivant de Rousseau : « ... Point de grelots, point de hochets ; de petites branches d'arbre avec leurs fruits et leurs feuilles, une tête de pavot dans laquelle on entend sonner les graines, un bâton de réglisse qu'il peut sucer et mâcher, amuseront autant l'enfant que de magnifiques colifichets, et n'auront pas l'inconvénient de l'accoutumer au luxe dès sa naissance. »

profondément leur inculquer. Tous les jeux, tous les divertissements des enfants doivent tendre à former de bonnes, d'utiles habitudes, sans quoi ils leur en donneront de mauvaises. Tout ce que fait l'enfant laisse une impression dans sa tendre nature, et par là il contracte une disposition pour le bien ou pour le mal ; rien de ce qui a une telle influence ne doit être négligé.

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