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Des cris et des pleurs chez les enfants

Dans le document Quelques pensées sur l'éducation. (Page 103-107)

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111. Les pleurs sont une habitude qu'il ne faut pas tolérer chez les enfants : non seulement à cause du bruit désagréable et désobligeant dont les pleurs remplissent la maison, mais aussi pour des raisons plus graves, relatives aux enfants eux-mêmes et au but de l'éducation.

Les pleurs des enfants sont de deux sortes : ou bien ils manifestent l'entêtement et l'humeur impérieuse, ou bien ce sont des plaintes et des gémissements.

1˚ Les pleurs trahissent souvent la prétention de l'enfant à se faire obéir ; ils sont comme la déclaration de son arrogance et de son entêtement. Lorsque l'enfant n'a pas le pouvoir d'obtenir ce qu'il désire, il tâche, par ses cris et par ses sanglots, de mainte-nir ses titres et ses droits. C'est comme une manifestation prolongée de ses préten-tions, et une espèce de protestation contre l'injustice et la tyrannie de ceux qui lui refusent ce qu'il veut.

112. 2˚ D'autres fois les pleurs de l'enfant sont seulement l'effet de la douleur ou d'un vrai chagrin qui l'oblige à se plaindre. Si on observe l'enfant avec soin, il sera facile de distinguer, d'après son air, son regard, ses actes, et souvent l'accent de ses

cris, ces deux façons de pleurer ; mais ni l'une ni l'autre ne doit être supportée et encore moins encouragée.

1˚ Il ne faut absolument pas souffrir chez les enfants les pleurs d'obstination ou de colère : ce serait une autre manière de flatter leurs désirs et d'exciter la passion que l'éducation a précisément pour but de dompter. Si, comme il arrive souvent, on leur permet de pleurer, pendant qu'ils reçoivent une correction, on détruit par là tous les bons effets que la correction pourrait produire ; car tout châtiment qui les laisse dans cet état de rébellion déclarée ne sert qu'à les rendre pires. Toutes les défenses et toutes les punitions dont on charge les enfants ne serviront à rien, tant qu'elles n'auront pas pour effet de dominer leurs volontés, de leur apprendre à régler leurs passions, de rendre leurs esprits souples et obéissants devant les ordres que leur transmet la raison de leurs parents, afin de les préparer à suivre plus tard les avis que leur donnera leur propre raison. Mais si, après les avoir contrariés pour ceci ou cela, on leur permet de s'enfuir en criant, ils s'affermiront dans leurs désirs, ils se complai-ront dans leur mauvaise humeur, leurs pleurs n'étant, je le répète, que la déclaration de leurs droits, de la ferme intention qu'ils gardent de satisfaire leur désir à la première occasion. Je trouve là un nouvel argument contre le trop fréquent usage des châtiments corporels. En effet, toutes les fois que vous en venez à cette extrémité, il ne suffit pas de frapper et de battre l'enfant. Vous devez continuer jusqu'à ce que vous soyez assuré d'avoir dompté son esprit, jusqu'à ce qu'il accepte la correction avec soumission et patience : ce que vous reconnaîtrez facilement à ses cris et à son em-pressement à se taire dès que vous l'ordonnerez. Si elle ne produit pas cet effet, la punition corporelle n'est qu'une tyrannie passionnée, une pure cruauté, et non une correction : elle torture le corps, sans améliorer l'esprit. Et si tout cela doit nous enga-ger à battre rarement les enfants, c'est aussi une raison pour que les enfants s'exposent rarement à être battus.

En effet, si toutes les fois qu'on les châtie, on le fait sans passion, avec modéra-tion, mais cependant d'une manière efficace ; si on administre les coups sans fureur, non tout d'une traite, mais lentement et par intervalles, en ayant soin d'entremêler les raisonnements et les coups, en observant l'effet produit, en s'arrêtant dès que le châtiment a rendu le patient docile, obéissant et souple, soyez assuré que vous aurez rarement besoin de recommencer, et que l'enfant sera désormais attentif à éviter la faute qui lui a mérité sa punition. En outre, si le châtiment, quand on procède ainsi, ne risque pas d'être perdu pour avoir été trop doux et sans effet, il ne risque pas non plus d'être poussé trop loin, si on l'arrête, dès qu'on reconnaît qu'il a produit son effet sur l'esprit et qu'il l'a amendé. Quand on réprimande ou qu'on châtie les enfants, il faut toujours le faire avec le plus de modération possible. Or celui qui punit dans la première ardeur d'un mouvement de colère n'est guère en état d'observer cette mesure : il s'emporte au delà des bornes, et cependant il n'atteint pas son but.

113. 2˚ Un grand nombre d'enfants crient volontiers à la moindre douleur qu'ils ont à supporter, et le plus léger mal qui les atteint est une occasion pour eux de se plaindre et de brailler.

Il est rare qu'ils échappent à ce défaut. Comme les cris sont en effet le premier moyen que la nature met à leur disposition pour exprimer leurs souffrances ou leurs besoins, tant qu'ils ne savent pas parler, la pitié que l'on croit devoir à leur âge, et qu'on pousse jusqu'à la folie, les encourage dans cette habitude et les y maintient

longtemps après qu'ils ont appris à parier. C'est sans doute le devoir de ceux qui vivent auprès des enfants d'avoir pitié d'eux lorsqu'ils souffrent de quelque mal : mais il ne faut pas le leur témoigner 1. Assistez-les, soulagez-les, le mieux que vous pour-rez, mais ne leur laissez pas voir que vous les plaignez ; sinon, vous amollirez leur esprit, vous les rendrez sensibles au moindre mal qui les atteindra ; vous développe-rez en eux les facultés de pure sensibilité et vous renddéveloppe-rez les blessures de la douleur plus profondes qu'elles n'auraient été. Il faut que les enfants soient endurcis à toutes les souffrances, surtout à celles du corps 2. Ils ne doivent être sensibles qu'à celles qu'éveillent dans un cœur bien né la honte et un vif sentiment de l'honneur. Le grand nombre d'accidents fâcheux auxquels notre vie nous expose exige que nous ne soyons pas trop sensibles au plus petit mal qui nous frappe. Tout ce qui n'atteint pas l'esprit ne fait qu'une impression légère et ne nous cause pas grand mal. C'est parce que notre esprit souffre que la douleur existe et qu'elle se prolonge. La force et l'insensibilité de l'esprit sont la meilleure armure que nous puissions opposer aux maux ordinaires et aux accidents de la vie. Et comme c'est par l'exercice et l'habitude que nous pouvons acquérir cette vigueur de tempérament, mieux que par aucun autre moyen, il est bon de commencer de bonne heure la pratique de cette vertu. Heureux celui qui l'acquiert de bonne heure ! Cette délicatesse efféminée qu'il s'agit de prévenir ou de guérir, rien ne l'accroît chez les enfants comme l'habitude de crier ; de même on ne saurait mieux la combattre et la réprimer qu'en les empêchant de s'abandonner à cette sorte de plaintes. S'ils se font mal légèrement, en tombant ou en se heurtant, ne les plaignez pas pour être tombés, mais ordonnez-leur de recommencer. Par là, outre que vous arrêtez leurs cris, vous prenez, pour les corriger de leur étourderie et pour les em-pêcher de tomber une autre fois, un moyen bien plus sûr que si vous vous avisiez de les gronder ou de les plaindre. Mais quelle que soit la gravité des coups qu'ils reçoivent, empêchez-les de pleurer : ils seront plus tranquilles et moins gênants pour le moment, et moins sensibles à l'avenir.

114. C'est par la sévérité qu'il faut imposer silence aux enfants, quand ils pleurent par obstination ; et lorsqu'un regard, un ordre formel, ne suffit pas pour les apaiser, il faut recourir aux châtiments corporels 3. En effet ces pleurs procèdent de sentiments d'orgueil, d'entêtement et de colère ; et la volonté, où est la source du mal, doit être domptée, assouplie, par une rigueur qui suffise à la maîtriser. Mais les pleurs qui ne sont que des plaintes, ayant ordinairement pour principe une cause toute contraire, la mollesse du caractère, doivent être corrigés d'une main plus douce. Les moyens persuasifs, la diversion de la pensée vers d'autres objets, le sourire moqueur avec lequel on accueille l'enfant, voilà peut-être au début la méthode qu'il convient d'appli-quer. Mais en cela il faut considérer les circonstances et aussi le tempérament particulier de l'enfant. On ne peut établir de règles invariables sur ce point ; il faut s'en rapporter à la sagesse des parents et du gouverneur. Mais ce que je crois pouvoir dire en général, c'est qu'il faut combattre sans relâche les pleurs de cette espèce, et

1 Jacqueline Pascal disait de la même façon dans le Règlement pour les enfants de Port-Royal : « On ne laisse pas néanmoins d'en avoir pitié, mais sans qu'elles aient connaissance qu'on a cette condescendance. »

2 « Qui d'un enfant, dit Montaigne, en veult faire un homme de bien, sans doubte il ne le faut espargner en cette jeunesse... Ce n'est pas assez de luy roidir l'ame, il luy fault aussi roidir les muscles... J'ai veu des hommes, des femmes et des enfants, ainsi nays qu'une bastonnade leur est moins qu'à moy une chiquenaude, qui ne remuent ny langue, ny sourcil aux coups qu'on leur donne. » (Essais. Jiv. 1, Ch. XXV.)

3 Dans la Conduite des Écoles chrétiennes, La Salle débute ainsi dans un de ces chapitres : « Il faut toujours corriger les opiniâtres.»

qu'un père, par son autorité, doit pouvoir toujours les arrêter, en mettant dans son regard et dans ses paroles plus ou moins de sévérité, selon que les enfants seront plus ou moins avancés en âge et d'un tempérament plus ou moins opiniâtre. Sous ces réserves, il faut toujours imposer silence à leur manie de pleurnicher et les obliger à rentrer dans l'ordre.

Section XIV

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De la peur et du courage

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