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2. GENESE D’UN QUESTIONNEMENT

2.2. Des interactions de secours à la tiercéité

Le projet d‘analyser les différentes formes de présence et d‘engagement dans la situation de secours a mis en évidence le fait que sur nos terrains, le « requérant » n‘étant,

37 Nous n‘évoquons pas ici les résultats de l‘enquête au 18, cf. notre mémoire de maîtrise : F. Chave,

Pompiers, j’écoute, compétences et interactions au 18, Université de Paris X Nanterre, 2000.

souvent, pas le « bénéficiaire »39, une tierce partie, passant, parent, collègue, etc., était donc

présente à l‘interaction. Loin d‘être un témoin passif, le fait est qu‘en général, elle intervient dans le cours de la prise en charge, au minimum comme déclencheur d‘intervention et souvent à travers une participation directe aux secours. Ce tiers, donneur d‘alerte ou accompagnant, est l‘acteur clé de l‘interaction de « démarrage ». C‘est à travers lui – son initiative, ce qu‘il dit, son comportement- que la situation est définie et que des décisions sont prises.

La présence d‘un acteur distinct du bénéficiaire a des conséquences sur le récit déclencheur d‘intervention – l‘alerte –, sur la prise en charge et, dans le cas des SAU, sur l‘activité même du service. Les services ont en effet besoin des tiers, pour donner l‘alerte, mais aussi pour tenir lieu de responsable et pour participer à la prise en charge. Les soignants, infirmiers et aides-soignants, tiennent d‘ailleurs certains rôles laissés à l‘entourage lorsqu‘il est présent.

Pour les services, ce tiers, non expert (même s‘il peut être compétent, comme nous le verrons) et souvent ému, doit être intégré à la prise en charge sur un plan communicationnel (lui expliquer ce qui se passe, quel rôle il peut jouer) psychologique (éviter qu‘il ne nuise au service, le rassurer), écologique (lui trouver une place), etc.

Une partie essentielle de cette thèse consiste donc précisément à analyser ces interactions à trois protagonistes et à les envisager comme une forme caractéristique des

interactions de secours.

Nous verrons que dans certains types de situations, cette tiercéité, et ses effets,

s‘exercent même au sein d‘apparents duos, notamment le duo enfant-secouriste40

.

39 Nous reprenons ici les termes des pompiers eux-mêmes. Le « requérant est celui qui appelle le 18, et le bénéficiaire celui qui reçoit l‘aide et les soins des pompiers. On parlera également de «victime » ou de « patient », quand l‘aide est médicale.

40 On utilisera quelquesfois le terme « secouriste », pour désigner de façon générique le prestataire de secours, qu'il soit pompier, médecin ou chirurgien.

Le fait, enfin, que les secours reposent largement sur des donneurs d‘alerte distincts des victimes conduit également à interroger la vulnérabilité liée à l‘absence d‘un tiers capable et désireux de donner l‘alerte. Il s‘agit d‘étudier l‘inscription de tiers dans l‘interaction de secours sous l‘angle des ressources et des difficultés que cette inscription représente pour eux. L‘objet de la thèse est ainsi d‘étudier ce que font les tiers (professionnel mais aussi parents et passants) au démarrage de la prise en charge par des services d‘urgence (pompiers, urgences pédiatriques), une fois observé que ces situations comportent toujours la présence de tiers, intervenants bien sûr, mais encore simples témoins, accompagnateurs et donneurs d‘alerte.

Sans entrer encore dans le détail des différences entre ces « rôles », on peut constater que la fréquence d‘une présence tierce, en plus des professionnels, en fait un donné, généralement négligé, du « secours institutionnel ». Dans la mesure où l‘on s‘intéresse spontanément toujours plus au héros qu‘au second rôle, et plus au second rôle qu‘au figurant, la présence de tiers non-professionnels autour de l‘usager est le plus souvent naturalisée et peu explorée. Nous proposons, au contraire, une approche formelle des « relations de secours », qui mette en évidence leur caractère ternaire et engage à prendre au sérieux les effets de ces configurations particulières41.

Cette « morphologie des interactions » de secours et d‘urgence qui s‘attache à trois personnages de la prise en charge (le professionnel, le donneur d‘alerte et l‘accompagnant) vise à rendre compte de la pleine participation de tiers, dans les cas spécifiques des appels au 18 et de l‘accueil dans les services hospitaliers d‘urgences pédiatrique.

41 Sur les formes et les effets des groupes et en particulier des trios, voir G. Simmel, Sociologie,

études sur les formes de la socialisation, Paris, PUF, 1999 ; T. Caplow, Deux contre un, Paris, Armand Colin,

1971. Voir aussi l‘article de G. Lits, « Tiers et objectivité sociale chez Georg Simmel. Possibilité d‘approche des sociabilités au temps de la mondialisation ? » Émulations, n° 5, vol. 3, 2009, pp. 21-30.

Pour ce faire, nous devrons commencer par analyser la manière dont le professionnel joue sa partition et observer la manière dont elle s‘articule avec celle d‘autres intervenants non-professionnels : le parent et le passant.

Nous découvrirons notamment combien l‘activité du professionnel est marquée par le caractère nombreux et fugace de ses contacts avec le public, et combien son expérience de la crise et de l‘activité du service est différente de celle du public.

Nous montrerons également, à travers l‘articulation de son activité et de celles de tiers, que les situations de secours et d‘urgence sont plus larges que leur seule prise en charge institutionnelle, impliquant des acteurs et des scènes au-delà des services eux-mêmes.

Nous serons enfin amenés à proposer une perspective qui ressaisit et renouvelle le rapport à la situation comme cadre et expérience chez E. Goffman42.