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L’INDUSTRIE TEXTILE HABILLEMENT TUNISIENNE

1. La demande en sous-traitance dans l’industrie textile habillement :

Dans cette nouvelle économie livrée à la seule loi de l‟offre et la demande, les donneurs d‟ordres sont entrainés par la tourmente concurrentielle. Face à un large choix de sous-traitants compétitifs, les donneurs d‟ordres ont redéfini leurs stratégies de sous-traitance dans le but d‟acquérir un plus fort avantage concurrentiel.

Nous assistons, aujourd‟hui, à une nouvelle catégorie de donneur d‟ordres distributeurs plus exigeants ; qui ont de plus en plus recours à la sous-traitance pour se concentrer sur le cœur de l‟activité. A la recherche de flexibilité, ils limitent de plus en plus leur portefeuille de sous-traitants pour confier toute la production au sous-traitant le plus compétitif.

1.1. Apparition de nouveaux donneurs d’ordres-distributeurs :

Le contact direct des distributeurs avec le consommateur final confère à ces derniers un pouvoir dans la détermination de la structure de l‟industrie textile habillement. Avec le développement de la création, du design et de la mode, les distributeurs prennent de plus en plus de pouvoir dans la chaîne. Ils cherchent à créer la mode et à l‟imposer en multipliant les collections.

Généralement, la mode est crée par des stylistes et des cabinets de tendance qui publient des cahiers de tendances à tirage limité (200 à 600 exemplaires) vendus entre 1500 et 4000 dollars par pièce aux industriels du monde entier (WARNIER V. et LECOQC X., 2003, p.14-15)51. Pendant les années quatre-vingt, nous avons assisté au développement d‟un nouveau type de distributeurs, appelés « distributeurs-concepteurs », qui sont rapidement devenu les donneurs d‟ordres de l‟industrie textile habillement. Avec la collaboration des médias, ces acteurs imposent la mode. Il s‟agit généralement des propriétaires des grands groupes de distribution implantés dans le monde entier, tels que, ZARA, H&M, PROMOD… Ils proposent des articles conçus et fabriqués en moins de deux mois et qui ne restent en rayon pas plus de 30 jours (PARAT E., 1998, p.4)52. Ils essayent de provoquer les achats impulsifs en proposant des variétés de produits attractives et en misant sur leur notoriété provoquée par une grande médiatisation.

Ainsi, ces acteurs qui décident de la tendance et de sa durée, mènent toute la nouvelle industrie textile habillement innovante. A la recherche de la compétitivité, ces acteurs dépassent les deux collections traditionnelles pour avoir jusqu‟à six collections à l‟année (WARNIER V et LECOQC X., 2003, p.19)53. Ils fonctionnent, ainsi, de plus en plus en cycle court pour présenter le plus de collections possible à l‟année. Ils proposent à leur clientèle de petites séries qui viennent s‟ajouter aux produits des collections annuelles traditionnelles et qui sont fabriquées dans un très court délai. Ils s‟appellent « produits d’actualisation » (PARAT E., 1998, p.5) ou « produits mode à renouvellement rapide »

(COURAULT B., 2005, p.10)54.

Ces groupes internationaux55 investissent beaucoup de ressources dans la gestion de leur structure et dans l‟élaboration de leur stratégie. Ils se concentrent de plus en plus sur le marketing et le benchmarking en externalisant la production vers des sous-traitants spécialistes. Afin de rester compétitifs face à des magasins qui renouvellent régulièrement leur offre au cours de la saison, les distributeurs n‟acceptent plus de supporter seuls les

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WARNIER V et LECOQC X. (2003) : « La mode comme processus de coordination dans un secteur : le cas du prêt à porter », XIIème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique, pp.1-26, Les Côtes de Carthage le 3, 4, 5 et 6 juin 2003

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PARAT E. (1998) : « La filière Textile-Habillement-Distribution », La documentation Française, Dossier n°15, CEE, Paris.

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WARNIER V et LECOQC X. (2003) : « La mode comme processus de coordination dans un secteur : le cas du prêt à porter », XIIème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique, pp.1-26, Les Côtes de Carthage – 3, 4, 5 et 6 juin 2003

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COURAULT B. (2005) : « Les PME de la filière textile-habillement face à la mondialisation : entre restructurations et délocalisations », Revue de l’IRES, n°47.

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Annexe n°2 : Classement des géants mondiaux de la distribution de vêtements en 2003 selon une étude de marché réalisée en 2006 par la Chambre de Commerce du Luxembourg.

risques de stockage. Ils passent des commandes de petites séries, le plus tard possible dans la saison et usent au maximum des possibilités de réapprovisionnement.

Ils se mettent, alors, en lien direct avec des sous-traitants capables de leur fournir des séries de production courte. La compétitivité est désormais liée à la flexibilité du sous-traitant et sa capacité de répondre rapidement aux nouvelles exigences.

Plus le sous-traitant est capable de présenter des petites séries dans les délais les plus courts et les prix les plus bas, plus il est compétitif et plus il influe dans la création de valeur au donneur d‟ordres innovant.

Le rôle de la mode dans l‟innovation de l‟industrie ne revient pas uniquement au sens créatif des produits créés. Mais également, elle mobilise tout le système productif autour de certains produits standardisés. Elle détermine les stocks de matière première, ainsi que, les délais du circuit court. Le pouvoir des distributeurs-concepteurs a causé un affaiblissement du pouvoir de négociation des sous-traitants. Ces distributeurs dotés d‟une large base commerciale font jouer la menace d‟un changement de prestataire en cas d‟insatisfaction. Ils alimentent ainsi la pression concurrentielle dans l‟industrie du secteur textile habillement.

1.2. Généralisation de l’externalisation : externaliser pour innover ou mourir :

Avec l‟intensification de la concurrence au niveau de la distribution, nous assistons à une introduction accrue de la variété. Les produits sont de plus en plus au goût d‟une mode, tellement volatile et influente, qu‟elle oblige aussi bien ceux qui la consomment, que ceux qui la distribuent et la produisent à la suivre au risque de disparaître.

Avec la montée du critère d'efficacité et de flexibilité, la taille des series commandées diminue, les usines occidentales connaissent de grandes difficultés et la taille des confectionneurs se réduit, voire se délocalise complètement dans les pays les plus compétitifs. Par exemple, les entreprises fabricantes du Roubaix en France, ont externalisé progressivement leurs productions à l‟étranger, les entreprises de 100 à 800 salarié ont fermé pour ne garder que de petites unités de 10 à 50 employés qui sont également menacées de fermer (EL OUALIDI N. et VAESKEN P., 2000, p.7)56. Se retrouvant sous la pression concurrentielle, les décisions d‟externalisation sont prises de plus en plus rapidement pour répondre à des solutions de court terme au risque de toucher des activités critiques de l‟entreprise mère ou principale (BARTHELEMY J. et DONADA C., 2007,

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El OUALIDI N., VAESKEN P. (2000) : « L‟entreprises et son territoire dans le cadre d‟un système productif localisé : le cas de la cité de l‟initiative », Colloque CIFPME, Lille, 2000.

p.99)57. Par besoin de flexibilité (ATKINSON A., 1985, p.125)58, la totalité des marques dans l‟industrie textile habillement font appel à la sous-traitance. Une grande majorité des grands groupes internationaux de distribution de l‟habillement sous-traitent en Tunisie59

(ANNEXE n°3). Nous assistons à des cascades d‟externalisation (BARTHELEMY J. et al., 2007, p.99) ; qui consistent à sous-traiter progressivement toute l‟activité de production vers le sous-traitant capable de répondre aux nouvelles exigences en flexibilité.

Derrière la nécessité d‟externaliser (externaliser ou mourir) se cache la recherche de la compétitivité par la nécessité de stimuler l‟innovation (innover ou mourir) (PELTRAULT DHONT E. et PFISTER E., 2007, p.5)60 ; (BAUM J. et al., 2009, p.6)61. La sous-traitance est un atout clé à la compétitivité qui permet au donneur d‟ordres de se concentrer sur le cœur du métier et de gagner en flexibilité :

1.2.1. Concentration des ressources sur le cœur du métier :

La distribution est de plus en plus absorbante de ressources. Sous-traiter auprès d‟une petite ou moyenne entreprise permet de réduire les coûts de la recherche (PELTRAULT DHONT E. et PFISTER E. 2007, p.6). Ces petites structures disposent généralement d‟un processus de R&D diffus et informel plus flexible et moins coûteux (SAINT PIERRE et al., 2004, p.2)62. Les dépenses de conception et de distribution font que, selon la qualité de l‟article, le prix de vente au détail varie entre trois (produit basique) et quinze fois (article de mode sophistiqué) de son prix à la sortie de l‟usine (CHAPONNIERE J.R., 2003, p.3)63. Au niveau du secteur textile habillement, les investissements effectués en dépenses de recherche et les investissements commerciaux sont donc prioritaires par rapport aux investissements productifs. Ils sont aujourd‟hui les facteurs clés de succès des entreprises du textile habillement : c‟est par l‟augmentation des investissements immatériels qu‟une

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BARTHELEMY J. et DONADA C. (2007) : « L‟externalisation : un choix stratégique », Revue française de gestion, n°177, pp. 97-99.

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ATKINSON A. (1985) : « Manpower Strategies For Flexible Organisation », Personal Management, vol.16, n°8, pp.123-127.

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ANNEXE n°3 : les principaux clients de la sous-traitance de l‟industrie textile habillement tunisienne.

60 PELTRAULT-DHONT E. et PFISTER E. (2007) : « R&D cooperation versus R&D subcontracting : empirical evidence from French survey data », Bureau d‟économie théorique et appliquée (BETA), Document de Travail n°17, Mai, pp.1-10.

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BAUM J., COWAN R. et JONARD N. (2009): « Network-independent partner selection and the evolution of innovation networks”, Working paper of United Nations, pp.1-26.

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SAINT-PIERRE J. et MATHIEU C. (2004), « Innovation de produits et performance : une étude exploratoire de la situation des PME canadiennes » Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME 7ème Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME, Montpellier, 27, 28 et 29 Octobre 2004.

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CHAPONNIERE J.R. (2003), « Les enjeux du textile et de l‟après textile pour les PSM », Conférence Femise, Marseille, décembre 2003.

entreprise de l‟industrie textile-habillement peut acquérir ou renforcer son avantage compétitif (TREGAN J.M., 2006, p.45)64.

La sous-traitance permet d‟acquérir des compétences spécialisées inexistantes à l‟intérieur de la firme et de diminuer le coût de revient en fabrication variable (élevé pendant la période d'approvisionnement et de fabrication, bas pendant la période de conception). En achetant des prestations ou des produits sur devis, le donneur d‟ordres allége ses coûts fixes (salaires, logistique, unités de production…) et concentre ses ressources sur le cœur du métier (le marketing et la distribution) (ATKINSON A., 1985, p.127).

A court terme, les entreprises disposent d'une capacité de production fixe pour faire face à une charge variable en fonction des demandes du marché. Les stocks devenant rapidement obsolètes, les entreprises du secteur textile habillement ne peuvent jouer sur des décalages temporels (créer des stocks en période de sous charge et satisfaire la demande à partir de ces stocks en période de surcharge). En recourant à la sous-traitance, les entreprises équilibrent le différentiel entre charges et capacité (POISSONNIER H., 2010, p.132)65.

1.2.2. Recherche de la flexibilité (facteur clé de succès de l’innovation) :

En externalisant auprès de jeunes ou petites et moyennes entreprises, les donneurs d‟ordres mettent en cause des modalités et des routines existantes dans leur processus de production (BROUSSEAU E., 1998, p.8)66. Ils assurent une autonomie à l‟unité externalisée (TETHER B.S., 2002, p.951)67, ce qui permet d‟assurer une plus grande concentration sur le cœur du métier à savoir, les activités stratégiques ou « critiques » gardées à l‟intérieur de l‟entreprise. Le développement de relations avec des entreprises plus petites, plus jeunes ou de pays en développement est un moyen pour les grandes entreprises de distribution de bénéficier d‟une plus grande flexibilité et réactivité (VAN DIJK B. et al., 1997, p.338)68 ; (MENKVELD B. et THURIK A.R., 1999, p.99)69 et (ROPER 1997, p.531)70 ; ce qui

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TREGAN J-M (2006), Stratégie concurrentielle du donneur d’ordres et mode de relation avec ses sous-traitants, les petites entreprises marseillaises de l’habillement, thèse de doctorat en science de gestion, Université de la Méditerranée-Faculté de Sciences Economiques et de Gestion, 22 septembre 2006.

65 POISSONNIER H. (2010), « Globalisation des achats et contrôle inter-organisationnel dans la filière THD française », Revue Française de Gestion, n°201, pp.121-139.

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BROUSSEAU E. (1998) : « Analyse Economique des Pratiques Liées a l‟Externalisation », Petites Affiches, décembre, n° 147.

67 TETHER B.S. (2002): « Who Cooperate for Innovation and Why: An Empirical Analysis », Research Policy, n°31, pp.947-967.

68

VAN DIJK B., DEN HERTOG R., MENKENKVELD B. et THURIK R. (1997): « Some new evidence on the determinants of large and small firm innovation », Small business Economics, n°9, pp.335-343.

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MENKVELD B. et THURIK A.R. (1999): « Firm size and efficiency in innovation », Small Business Economics, vol.12, n°1, pp.97-101.

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ROPER S. (1997): « Product Innovation and small business growth: a comparaison of strategies of German, U.K, and Irish companies », Small business Economics, n°9, pp.523-537.

favorise une prise de décision rapide et stimule la prise de risque (MINTZBERG H., 1992, p.34)71.

L‟évolution des chiffres de sous-traitance de spécialité s‟explique par la recherche de la flexibilité (DONADA C. et DOSTALLER I., 2005, p.92)72. Les donneurs d‟ordres limitent leur portefeuille de sous-traitants vers le partenaire le plus flexible capable d‟ajuster ses commandes en fonction des exigences du marché. Les relations de sous-traitance évoluent alors, vers la co-traitance et la production de produits finis, en cédant de plus en plus d‟activités vers le même sous-traitant.

Ce phénomène s‟explique, également, par les cascades d‟externalisation. Les donneurs d‟ordres, désireux de concentrer leurs ressources sur le cœur du métier, externalisent progressivement la producion vers des sous-traitants spécialistes. L‟évolution du taux de valeur ajoutée permet de rendre compte de la désintégration des entreprises du secteur de l‟habillement des pays développés qui se désengagent des stades de production. Ces pays à fort avantage en distribution préfèrent se concentrer sur leur avantage compétitif et sous-traiter dans les pays en développement innovants à moindre coût. Le taux de valeur ajoutée73 est l‟indicateur le plus couramment utilisé pour exprimer le degré d‟intégration verticale d‟une entreprise ou d‟un secteur, mesurant ainsi l‟intensité de l‟activité de transformation. Un ratio élevé traduit l‟existence d‟un processus de production comportant une part importante de transformation des produits dans la filière de fabrication. Pour le secteur de l‟habillement, nous observons une baisse sensible de cet indicateur sur la période 1993- 2003, qui passe de 34,64 % à 25,6 % (TREGAN J.M., 2006, p.45)74. Cette évolution reflète la baisse du degré d‟intégration des entreprises de l‟industrie textile habillement des pays développés.

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