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De la complexit´ e num´ erique

Dans le document La forme ou l'arithmetique du temps (Page 76-81)

2. Histoire du concept num´ erique

2.4. De la complexit´ e num´ erique

2.4. De la complexit´e num´erique

D’une fa¸con g´en´erale, il peut ˆetre mis en ´evidence la diversit´e la plus extrˆeme des syst`emes de num´eration (Ifrah). Diversit´e des supports (bois, argile, pierre, os, corne, papyrus, bambou, papier, parchemin, etc.), diversit´e des symboles ´ecrits, diversit´e des bases [regroupements ´ecrits] de d´enombrement (10, 12, 60, . . . ) et diversit´e des modes de lecture : horizontal de gauche `a droite et de droite `a gauche, vertical de bas en haut. Seul le sens bas vers haut semble n’avoir pas ´et´e utilis´e, mais comment en ˆetre sˆur ? Ainsi l’´ecriture en base dix correspond bien `a une ´ecriture en ligne des chiffres de (( un )) `a (( neuf )) puis au (( retour )) [retro-acte] ana-logique `a l’unit´e ´ecrite-lue initiale et sa r´e´ecriture suivie de l’´ecriture en ligne de l’effacement [´ecrit 0] du groupe des chiffres ´ecrits.

1 2 3 4 5 6 7 8 9

10

Figure 7. Effacement-unification

Cette primaut´e de la pr´ec´edence ´ecrite d´efinit forc´ement ce qui sera appel´e plus loin (( prime polarisation )) `a l’´ecrit-lu [polarisation directe]. Ainsi, seul le burin peut (( effacer )) la gravure sur la pierre ; ce qui a ´et´e entaill´e en creux le demeure. La rature s’efface difficilement dans la pierre et imp´erativement par ´evidement de mati`ere. Il doit ˆetre soulign´e que toute forme de transition ´ecrit-lu-r´ecrit au sens large est(( support )) temporel num´erique d’un-mouvement. C’est l’application ou le d´eploiement successif des doigts en {gestes des doigts} d’une main qui(( compte )) les doigts, parfois mˆeme accompagn´e d’un mouvement de l’avant bras. C’est l’application du(( glissement )) des boules du boulier sur la tige qui d´enombre les boules compt´ees de celles qui restent `a compter. C’est l’application du mouvement qui est g´en´eralement l’unit´e fugitive de la pratique calculatoire : la graphie pure [le lu re-´ecrit] n’est l`a in fine que pour fixer et enregistrer [m´emoriser] le geste [d´efinitionnel] (( r´esultant )) du mouvement : le r´esultat du calcul op´eratoire. L’exemple des chiffres romains est `a cet ´

egard significatif : comment multiplier par exemple XVI par XLIX aussi facilement que 16 par 49 ? Il est clair que l’id´eographie romaine ne le permettait pas, aussi, tous les calculs se faisaient-t-ils `a l’aide d’abaques `a cire ou `a sable. La transposition des quatre op´erations en chiffres arabes apprises `a l’´ecole peut ˆetre tent´ee avec des chiffres romains : il est facile de v´erifier qu’une simple addition est quasiment impossible en raison des caract´eristiques mˆeme de l’id´eographie. Les complications chrono-logiques [complexit´es ´ecrites-lues-re-´ecrites] n´ecessaires pour y parvenir apparaissent comme une description [re-pr´esentation] re-´ecrite du fonctionnement des abaques ana-logiques

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ecrites-lues-r´ecrites qui conservent alors une sup´eriorit´e op´eratoire manifeste sur le re- ´

ecrit. La repr´esentation subjective suivante (forme ´ecrite /d´efinition lue) m,c,d et u repr´esentant respectivement les chiffres (arabes) d´efinis-lus par les (( mots )) ´ecrits : milliers, centaines, dizaines et unit´es, re-´ecrit l’identit´e suivante :

mcdu = m × 10 × 10 × 10 + c × 10 × 10 + d × 10 + u

identit´e qui ne peut ˆetre re-´ecrite en chiffres romains simplement par l’absence du (( z´ero )) qui est r´e´ecriture de l’effacement [le pr´e-requis] de l’´ecriture chiffr´ee pr´ec´edente. L’algorithmique et la technologie contemporaine permettraient facile- ment la r´ealisation d’une calculatrice romaine de poche, mais l’id´ee mˆeme de cette r´ealisation pr´esenterait imm´ediatement une inhomog´en´eit´e formelle manifeste. Cette inhomog´en´eit´e tient `a l’insertion du z´ero dans le calcul interm´ediaire [l’algorithme] de conversion [translation] et fait qu’un tel type de calculette rel`everait strictement du(( gadget )).

Cet aspect mat´eriel trivial du calcul ancien n’est pas tr`es diff´erent de celui repr´esent´e par le calcul ´electronique (informatique). Les(( boucles d’incr´ementation )) d’un calcul (( n’existent )) qu’en images (( d’oscillations )) [analogiques temporelles] d’un(( processeur )) [op´erateur] tant que rien n’est ´ecrit-lu sur le support magn´etique, le CDROM, l’´ecran ou le listing papier. Seul le (( temps de calcul )) de l’´ecrit-lu varie, imagin´e en (( nombre de boucles )). La seule forme lisible est la forme affich´ee sur l’´ecran ou le papier. Le temps de persistance de cette forme ´ecrite finale est de quelques minutes `a l’´ecran, quelques ann´ees sur le papier. La forme ´ecrite magn´etique ou magn´eto-optique n’est pas directement lisible par un humain et n´ecessite l’in- term´ediaire [transition ´ecrit-re-´ecrit, traduction = (( translation )) en anglais] de la machine et des logiciels qui l’ont engendr´ee. L’unit´e num´erique n’a dans ce cas encore qu’une existence d’image purement transitoire [lue-re-´ecrite] : images de bits de courant d´efilant sur le BUS interne, images de (( portes logiques )) qui s’ouvrent et se ferment, images de bits magn´etiques ´ecrits `a la vol´ee sur le disque... Certes, un analyseur ana-logique des [´ecrits-lus] logiques d’un certain nombre de broches du microprocesseur pourrait re-pr´esenter [re-´ecrire] cette activit´e de transition sous forme d’affichage de (( cr´eneaux logiques )) sur un ´ecran d’oscilloscope. Mais cette autre repr´esentation ´ecrite n’aurait rien `a voir avec le d´eveloppement du calcul proprement dit, `a savoir le prime ´ecrit-lu.

La seule r´ealit´e tangible du calcul est l’affichage d’un ´ecrit (sur ´ecran, barrettes de diodes, ou imprimante). Lorsqu’il ne se passe rien hormis le bruit des moteurs de la ventilation et des disques et que le r´esultat se fait attendre au-del`a de ce qui est instamment imaginable, l’op´erateur est souvent tent´e d’arrˆeter brutalement le pro- gramme de fa¸con(( analogique )) [Escape, Control-C, Control-Alt-Supp., interrupteur

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sur (( off )) !] en effa¸cant [imaginant effacer] un fonctionnement pr´ec´edent re-´ecrit [`a tort ou `a raison] chrono-logiquement faux justement par cette action d’effacement.

Le probl`eme de l’Un -l’unit´e- pr´eoccupe les philosophes occidentaux depuis Pythagore. Il est trait´e d’une fa¸con assez confuse chez Aristote dans son trait´e de m´etaphysique(8). En particulier, le chapitre ∆,6 , intitul´e (( l’un )), distingue

pr´ealablement un double sens `a l’unit´e : un par accident et un par essence(9). Le

lecteur non sp´ecialiste suivra d’abord p´eniblement le raisonnement [logique ´ecrite-lue] d’Aristote s’appuyant sur (( Coriscus instruit )) comme exemple pertinent de l’unit´e par accident. Au sens [´ecrit-lu] aristot´elicien, l’unit´e formelle d´efinie dans la pr´esente th´eorie s’inscrit sans conteste dans le sens de l’Un par essence :(( Il y a d’abord ce qui est dit un par continuit´e[mat´erielle]))

Insistant sur ce concept de continuit´e, Aristote pr´ecise qu’il entend par continu (( ”Ce dont le mouvement est un essentiellement et ne peut ˆetre autre” ; or le mouve- ment est un quand il est indivisible, et il est indivisible selon le temps(10)))

Cette conception est difficile `a cerner, les exemples de la suite du chapitre n’apportant que peu de lumi`ere. L’´ecrit d’Aristote laisse cependant imaginer au lecteur averti que l’unit´e se compose de sa forme et de sa d´efinition(( [. . .] en quoi peut enfin constituer l’unit´e dans l’ˆetre d´efini, dont nous disons que la notion est une d´efinition [. . .] Mais il faut bien que soit r´eellement un , tout ce qui rentre dans la d´efinition ; la d´efinition est en effet une notion une et une notion de substance(11))). la suite se perd dans

les m´eandres d’un expos´e autour de l’exemple trivial(( homme, animal bip`ede )) sans grand int´erˆet pour le pr´esent travail.

L’antiquit´e, ou plutˆot les ´ecrits qui la d´efinissent `a notre lecture instante, fournit plus d’´ecrits de g´eom´etrie que d’arithm´etique pure. Les Livres VII, VIII et IX des El´ements d’Euclide portent n´eanmoins sur les propri´et´es des nombres. Le livre VII commence notamment par ces d´efinitions :

1. Une unit´e (ou monade) est ce qui par la vertu de chacune des choses qui existent s’appelle Un (d’apr`es la traduction anglaise de Thomas L. Heath(12))

2. Un nombre est une multitude compos´ee d’unit´es.

(8)Aristote. M´etaphysique, Tome 1, Livres A-Z Paris, Vrin, 2000. Trad. J.Tricot. En fait, l’aspect

confus de cet ouvrage provient largement de son unit´e artificielle constitu´e de textes et de notes disparates dont la paternit´e n’est pas toujours attribuable avec certitude `a Aristote lui-mˆeme, et dont la r´edaction couvre une bonne partie de la vie active de l’auteur d’o`u l’aspect contradictoire de nombreux passages.

(9)Ibid. ∆,6 p. 172. (10)Ibid. ∆,6, p. 174. (11)Ibid. Z,12, p. 287.

(12)Euclide. The Thirteen Books of the Elements. Translated with introduction and commentary

by Sir Thomas L. Heath. Vol. 2 (Livres III-IX), Dover, New-York, 1956. Traduction fran¸caise des auteurs.

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Les commentaires qui suivent ne sont pas inint´eressants [T.II, p.279]. Pour Jamblique [commentaire sur Nicomaque, ed. Pistelli, p.11,5] d’apr`es(( certains pythagoriciens )), (( une unit´e est la fronti`ere entre nombre et parties car d’elle, comme de par la graine et la racine ´eternelle, les rapports s’accroissent continuellement de part et d’autre)). Une d´efinition quelque peu similaire est donn´ee par Thymarid`es, un ancien pythagoricien, qui d´efinit une monade comme (( quantit´e limite )), le d´ebut et la fin d’une chose ´etant ´egalement une extr´emit´e. Re-´ecrire ce qui pr´ec`ede en (( limite de petitesse)) expliquerait mieux ce qu’on peut en lire. Th´eon de Smyrne (p.18, ed. Hiler) ajoute que l’explication de la monade est (( ce qui, lorsque la multitude est diminu´ee par le biais de soustractions continues, est priv´e de tout nombre et prend une position durable de repos. Si, en arrivant `a l’unit´e de cette fa¸con nous proc´edons `a la division en parties de l’unit´e elle-mˆeme, nous obtenons directement de nouveau une multitude )). Certains, s’accordant avec Jamblique (p.11,16) la d´efinissaient comme la(( forme des formes )) car elle comprend potentiellement toutes formes de nombre, c’est `a dire (( un nombre polygonal de n’importe quel nombre de cˆot´es sup´erieur ou ´

egal `a trois, un nombre solide de toute forme et ainsi de suite)). . . .de mˆeme encore, une unit´e dit Jamblique, (( est la premi`ere ou la plus petite dans la cat´egorie du combien)) . . .

Etymologiquement, la signification du mot µoνας [monade] est [d’apr`es Th´eon de Smyrne, p.19,7-13] soit ce qui demeure inalt´er´e si multipli´e par soi-mˆeme un certain nombre de fois, soit ce qui est s´epar´e et isol´e de la multitude des nombres. Nicomaque observe : (( Alors que, tout nombre est moiti´e de la somme des nombres adjacents de part et d’autre ou de nombres ´equidistants de part et d’autre, l’unit´e est la plus solitaire du fait qu’elle n’a pas de nombre de chaque cˆot´e mais seulement un d’un seul cˆot´e et qu’elle est la moiti´e de ce seul dernier, `a savoir de 2 )).

Concernant la d´efinition du nombre(( deux )), Nicomaque combine plusieurs d´efinitions en une seule disant qu’il est(( une multitude d´efinie ou un flux de quantit´es constitu´e d’unit´es )). Th´eon de Smyrne ´ecrit (p.18, 3-5) : (( Un nombre est une collection d’unit´es ou une progression de multitude commen¸cant par une unit´e et une r´egression cessant avec l’unit´e )), en un propos analogue `a celui attribu´e par Stob´e (Eclogae, I.1,8) au Pythagoricien Moderatus. S’accordant avec Jamblique et conform´ement au point de vue Egyptien, Thal`es applique la description de (( la collection d’unit´e )) au (( combien )), alors qu’Eudoxe le Pythagoricien pr´etend que le nombre est (( une multitude d´efinie)).

Les autres d´efinitions du livre VII d’Euclide portent sur les concepts de parties, c’est `a dire de sous-multiples, de multiples, de nombres pairs et impairs, de nombres premiers ou composites, de carr´es, de cubes, de nombres parfaits. Chez Euclide, la vision du nombre [le nombre-lu] est purement g´eom´etrique. C’est ainsi que la d´efinition

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de la multiplication renverra `a l’aire du rectangle et que carr´e et cube renverront aux figures g´eom´etriques du mˆeme nom. La lecture de l’´ecrit euclidien tend `a repr´esenter graphiquement l’unit´e sous forme d’un petit segment AB et le nombre sous forme d’un segment CD de longueur multiple de celle du segment unit´e.

C D

A B

Cette repr´esentation g´eom´etrique, donc strictement graphique, euclidienne des nombres a-t-elle jamais exist´e ? Elle semble l´egitim´ee par les sp´ecialistes `a la fin du XIXe si`ecle (Heiberg). D’autres ´editeurs auraient substitu´e le mot point au mot ligne

mais cette interpr´etation a ´et´e remise en cause car l’utilisation de nombres sp´ecifiques ne semble pas homog`ene `a la forme des ´ecrits euclidiens(13).

La repr´esentation g´eom´etrique de l’unit´e a ´et´e reprise par Descartes dans son trait´e de G´eom´etrie (Cf. I, 298) :

(( Ainfi n’at’on autre chofe a faire en Geometrie touchant les lignes qu’on cherche, pour les preparer a eftre connu¨es, que leur en adioufter d’autres, ou en ofter, Oubien en ayant vne, que ie nommeray l’unit´e pour la rapporter d’autant mieux aux nombres, & qui peut ordinai- rement eftre prife a difcretion, puis en ayant encore deux autres, en trouuer vne quatriefme, qui foit `a l’vne de ces deux, comme l’autre eft a l’vnit´e, ce qui eft le mefme que la Multiplication ; oubien en trouuer vne quatriefme, qui foit a l’vne de ces deux, comme l’vnit´e eft a l’autre, ce qui eft le mefme que la Diuifion ; ou enfin trouuer vne, ou deux, ou plufieurs moyennes proportionnelles entre l’vnit´e, & quelque autre ligne ; ce qui eft le mefme que tirer la racine quarr´ee, ou cubique, &c. Et ie ne craindray pas d’introduire ces termes d’Arith- metique en la Geometrie, affin de me rendre plus intelligible. Soit par exemple AB l’vnit´e, etc..))(14)

L’informatique implique plusieurs sortes d’unit´es h´et´erog`enes. La premi`ere est un temps pur ; c’est le cycle de l’horloge du processeur dans lequel toute op´eration ´

el´ementaire s’imagine d´ecompos´ee [´ecrite-lue-re-´ecrite].

La seconde est l’unit´e de la base de l’adressage m´emoire. Par exemple, si un ordina- teur encode les entiers sur 64 bits (8 octets), l’unit´e sera repr´esent´ee par 00000001 (hexad´ecimal).Cette repr´esentation porte en elle-mˆeme sa propre limite : l’unit´e dont il est question ne pourra figurer des entiers sup´erieurs `a FFFFFFFF (hexad´ecimal) soit 169− 1 (d´ecimal).

(13)Ibid., p. 297.

(14)R.Descartes. The Geometry of Ren´e Descartes with a facsimile of the first edition, Dover, New-

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Il convient de noter que, bien que le fonctionnement des circuits ´electroniques soit binaire par d´efinition de son ´ecrit premier(( d’ordinateur logique binaire )), le syst`eme n’offre `a aucun instant, sauf affichage p´edagogique ad hoc, une repr´esentation bi- naire ´ecrite des donn´ees qu’elle traite. Certains dispositifs tr`es particuliers peuvent pr´esenter un affichage [´ecriture] par diodes ´electroluminescentes de certains registres, mais cette(( ´ecriture ana-logique )) est formellement h´et´erog`ene `a tout ´ecrit graphique et de fait tr`es pauvre en signification-lue [seuls sont d´efinis-lus les registres instam- ment ´emul´es]. Si l’´ecriture/lecture d’un octet est toujours graphiquement possible, une valeur logique (binaire) ne peut (( s’´ecrire )) autrement que sous forme (( d’un entier virtuel)) [image enti`ere] fractionn´e en 8, 16 ou 32 bits, ou maintenant 64, de valeur d’effacement [0] ou d’unification [1].

Enfin, une troisi`eme unit´e pourrait ˆetre le pixel d’´ecran qui r´egit l’affichage de l’´ecrit : aucune forme de taille inf´erieure `a un pixel ne peut ˆetre affich´ee.

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