1. Chapitre 1 : Mise en contexte des travaux de thèse et rappels de notions de cristallographie
1.1. Les applications principales des sources lasers infrarouges
1.1.2. Détection de gaz à distance
En plus de la présence de gammes de transparence de l’atmosphère (de 3 à 4 µm, de 4,5 à 5,5 µm ou de 8 à 14 µm visibles dans la Figure 8), le moyen infrarouge est le domaine de la signature spectroscopique de nombreuses molécules (Figure 9). Il est ainsi possible de réaliser la détection et l’identification à distance de composés au sein des gammes 3-5 µm et 8-14 µm. Cette application de détection permet de couvrir de nombreux domaines [2] :
- Mesure de la qualité de l’environnement avec l’analyse de la qualité de l’air à l’intérieur de pièces (formaldéhyde, dioxyde d’azote, toluène…) ou la détection de polluants atmosphériques (méthane, dioxyde et monoxyde de carbone, halocarbures…);
- Détection de composés toxiques (gaz sarin, arsine…) ou explosif (TNT, PETN, nitroglycérine…) pour le domaine de la défense ;
- Maintenance et surveillance de sites grâce à la détection de fuites ;
- Diagnostic et optimisation de performance de moteurs en analysant les gaz rejetés ;
- Développement de diagnostics en biomédical par l’analyse de l’air expiré où le contrôle de glucose de manière non invasive [15] ;
- Contrôle de l’alcoolémie au volant en analysant l’air des habitacles de véhicules passant à travers le laser.
19 Figure 8: Gamme de transparence de l'atmosphère dans l’infrarouge, avec les principales molécules
responsables de l’absorption [16]
Figure 9: Raies d'absorption spectroscopique dans l'infrarouge de plusieurs molécules gazeuses
20 Figure 10: Raies d'absorption de différents composés chimiques dangereux
Plusieurs technologies présentant un fort potentiel pour ces applications sont basées sur des méthodes spectroscopiques :
- La spectroscopie par absorption différentielle LIDAR, « Differential Absorption Lidar » (DIAL) [17]
- L’imagerie de gaz par analyse du signal rétrodiffusé, « Backscattered Absorption Gas Imaging » (BAGI) [18]
- La spectroscopie Raman [19]
- La spectroscopie par diffusion cohérente anti-Stokes en Raman, « Coherent anti-Stokes Raman Diffusion » [20]
- La fragmentation par laser pulsé, « Pulsed Laser Fragmentation » (PLF) [21]
- La spectroscopie de plasma induit par laser, « Laser Induced Breakdown Spectroscopy », (LIBS) [22]
Grâce à leur forte sensibilité et la possibilité d’utilisation à longue portée, les deux premières technologies présentées, DIAL et BAGI, semblent les plus prometteuses. Cependant, elles ont besoin de sources laser de fortes puissances afin d’avoir un rapport signal rétrodiffusé collecté sur bruit suffisant pour l’identification des composés et pour pouvoir réaliser la détection à plusieurs kilomètres de distance. D’autre part, les deux technologies requièrent des sources accordables en longueur d’onde afin de pouvoir discriminer les différentes espèces chimiques qui présentent des pics d’absorption distincts (Figure 9). Ces deux technologies vont être présentées dans la suite de ce chapitre concernant la détection de gaz.
1.1.2.1. La technologie DIAL : « DIfferential Absorption LIDAR »
La technologie DIAL/LIDAR (LIght Detection and RAnging), permet d’évaluer la distance avec un objet, qu’il soit solide ou gazeux, en émettant un signal dans sa direction et en mesurant la durée de trajet du signal pour atteindre la cible et revenir jusqu’au détecteur [23] (Figure 11).
21 Figure 11 Principe de la technique DIAL sur deux cibles (dégagement de fumée) [23]
La technologie LIDAR nécessite l’utilisation de rayonnements dans la lumière visible ou dans l’infrarouge. Les dispositifs utilisés pour cette application possèdent trois éléments distincts :
- Un laser émettant le signal lumineux à envoyer sur la cible ;
- Un télescope afin de réceptionner les ondes rétrodiffusées émises par la cible suite à l’interaction avec le signal initial ;
- Un système de traitement de données pour analyser les résultats apportés par les ondes rétrodiffusées.
Les molécules diffusent, en général, le signal de manière élastique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’échange d’énergie entre la molécule et le photon interagissant avec la molécule. Une telle interaction photon-matière occasionne ainsi une conservation de la fréquence de l’onde lumineuse diffusée. Dans le cas où la longueur d’onde est plus grande que la taille des particules, le type de diffusion qui se produit est la diffusion de Rayleigh. Si la taille de la molécule est du même ordre de grandeur ou plus grande que la longueur d’onde interagissant, on se retrouvera dans le cas de la diffusion de Mie.
La technique DIAL permet de mesurer la concentration d’une cible grâce à l’utilisation de deux rayonnements lumineux de longueurs d’onde proches, qui vont dépendre de la molécule à étudier (Figure 12 – (a)) : (i) une longueur d’onde λon de même longueur d’onde que la bande d’absorption de la molécule à détecter, qui sera donc en résonnance avec cette bande ; (ii) une longueur d’onde λoff dont la longueur d’onde ne correspondra pas à la bande d‘absorption de la molécule et qui ainsi n’entrera pas en résonance avec cette dernière pour servir de référence. Cependant, les deux rayonnements doivent posséder des longueurs d’onde suffisamment proches afin que la diffusion par les molécules soit identique pour les deux signaux.
22 Ainsi la différence occasionnée entre les deux signaux rétrodiffusés provient de l’absorption du rayonnement λon par la molécule, ce qui va permettre de donner le profil de concentration et la distance de la cible (Figure 12 (b)). Grâce à l’effet Döppler, il est aussi possible de déterminer la vitesse de la cible par rapport au système de mesure.
Figure 12: (a) Absorptions caractéristiques de la vapeur d’eau et longueurs d’ondes émises –on (λon) et –off (λoff) et des résonnances de λon avec les molécules. (b) Variation de l’intensité des signaux –on et –off en
fonction de la distance [24]
Grâce à cette technologie, il est ainsi possible de réaliser des détections à plusieurs kilomètres de distance si les conditions atmosphériques le permettent, tout en ayant une résolution spatiale de quelques dizaines de centimètres. Cette technique est ainsi utilisée, par exemple, pour mesurer la concentration et le déplacement de produits polluants et gaz à effets de serre tel le dioxyde de carbone (CO2), le protoxyde d’azote (NO2) ou le méthane (CH4).
Les premiers modèles de système DIAL utilisaient des diodes laser pour émettre les signaux lumineux. Mais du fait de la faible puissance émise par ces sources à l’époque et de leur manque d’accordabilité, les systèmes ne permettaient pas d’effectuer des mesures à longues distances. Pour remplacer ces sources, les Oscillateurs Paramétriques Optiques ont été envisagés et ils se sont imposés comme une source prometteuse de rayonnements de grandes puissances. Ils seront décrits plus loin dans ce chapitre, ainsi que les Lasers à Cascade Quantique, qui sont des concurrents pour ces applications.
1.1.2.2. La technologie BAGI : « Backscattered Absorption Gas Imaging »
La technologie BAGI est, contrairement à la technique DIAL, une méthode d’imagerie en temps réelle. Elle ne permet pas d’évaluer la concentration de la cible, mais elle permet de visualiser en temps réel la position ainsi que la forme du nuage de gaz ciblé [18] [25]. On peut ainsi la considérer comme une technique au croisement entre le LIDAR et l’imagerie laser radar (LADAR). Grâce à l’imagerie qu’elle permet, cette technologie est pratique et facile d’utilisation pour la détection de fuites de gaz lors d’accident. Par exemple une fuite sur un gazoduc ou sur un réservoir de produits chimiques [26], ou bien la détection de fuites de gaz naturel dans l’environnement pour la prospection [27] (Figure 13). En effet, la visualisation des nuages de composés chimiques sur un écran rend la prise en main aisée et permet à n’importe quel utilisateur de repérer le composé gazeux à distance et rapidement (Figure 14).
23 Le gaz est observé à l’aide de l’appareil quand la cible, en passant dans le champ de vision du capteur, absorbe une partie de la lumière émise ce qui diminue la quantité de rayonnement rétrodiffusé et ainsi fait ressortir la zone du milieu ambiant [28]. La source laser doit être accordable en longueur d’onde afin de pouvoir cibler des composés différents. De plus, elle doit émettre une forte puissance afin de permettre une meilleure identification à longue portée et permettre un meilleur contraste entre le signal rétrodiffusé et le bruit de fond. En réglant la longueur d’onde du système, il est possible de discriminer les composés chimiques.
Figure 13: Schéma d'utilisation du système BAGI à bord d'un hélicoptère, permettant de discriminer la présence d'un gaz toxique (b) issu d'un accident (a), face à un gaz toxique (c) produit par une usine (d) [18]
24 Figure 14: Schéma du principe de la technologie BAGI en visé sur une cible, avec un rayonnement à 3.314
µm [28]
Les premières sources utilisées pour ce système, développées par McRae et al. [25] dans les années 1990, étaient des lasers CO2 qui fonctionnaient en régime continu dans la gamme de longueurs d’onde 9-11 µm et émettant entre 5 et 20 W. Cela permettait au système de détecter des fuites de produits chimiques, allant respectivement jusqu’à 30 et 125 m de distance. Par la suite, les sources ont été remplacées par des lasers pulsés [27] qui permettent une plus grande accordabilité en longueur d’onde ainsi qu’une plus grande puissance crête. Ces améliorations ont permis d’améliorer la sensibilité de la technologie BAGI, permettant de détecter des fuites de plus en plus diffuses à des distances de plus en plus lointaines [25, 29].