1. Chapitre 1 : Mise en contexte des travaux de thèse et rappels de notions de cristallographie
1.2. Couverture IR par les systèmes optiques
1.2.1. Laser cascade quantique (LCQ)
Les Lasers à cascade quantique sont des lasers basés sur l’utilisation de composés semi-conducteurs dont l’émission lumineuse provient de la transition énergétique de deux sous bandes au sein de la bande de conduction du composé utilisé (Figure 16-b). Cette technique a été développée au sein des laboratoires Dell en 1994 par l’équipe de J. Faist et al. [31]. Ces sources diffèrent des diodes laser bipolaires par la transition mise en jeu, car les diodes émettent grâce à une transition inter-bandes qui dépend donc du gap (largeur de la bande interdite) du semi-conducteur utilisé et dont l’émission provient de la recombinaison d’une paire électron-trou entre les deux bandes (Figure 16-a).
Comme toutes les sources laser, les LCQ possèdent trois parties distinctes afin d’obtenir une émission stimulée, ce qui permet une amplification de la lumière et donc un gain laser [32] :
- Une énergie de pompe qui va apporter l’énergie au système pour provoquer l’inversion de population et la maintenir. Cette énergie est souvent apportée grâce à un courant électrique ou un pompage laser. Pour les LCQ et la plupart des lasers à semi-conducteur, un courant électrique est utilisé ;
- Un milieu excitable (composé de semi-conducteurs) qui permet d’amplifier la lumière grâce à l’émission stimulée de photons issus d’une inversion de population où les niveaux énergiques les plus élevés sont plus peuplés que les niveaux les plus faibles ;
- Une cavité optique (le montage optique) qui permet d’amplifier le signal provenant du milieu excitable. Cette cavité est généralement constituée d’une paire de miroirs semi-réfléchissants
26 à chaque extrémité du milieu amplificateur, ce qui permet à la lumière de se réfléchir et ainsi de s’amplifier en repassant dans le milieu excitable.
Figure 16: Schémas simplifiés de diagrammes de bandes illustrant les deux types de transition pouvant intervenir dans les semi-conducteurs : (a) transition entre la bande de conduction (bande haute) et la bande de
valence avec la recombinaison électron-trou à travers le gap ; (b) transition inter sous-bande entre deux états électroniques dans l’une des bandes [33]
Les LCQ sont basés sur l’utilisation d’un semi-conducteur qui, grâce à la présence d’un puit quantique lié à sa structure, crée un confinement quantique qui permet la relaxation d’un électron en le faisant passer d’un état haut en énergie à une sous bande de plus faible énergie au sein de la bande de conduction (comme sur la Figure 16-b). Cette relaxation électronique émet ainsi l’énergie de la transition sous la forme d’un photon, d’énergie qui dépend de la différence d’énergie séparant les deux sous bandes mises en jeu. Dans les LCQ, le semi-conducteur est constitué d’un enchainement de puits quantiques qui permet à l’électron ayant relaxé sur la sous bande inférieure, de traverser l’interstice entre les puits par effet tunnel pour repeupler une sous bande de haute énergie dans le puit suivant. Etant de nouveau dans un état haut en énergie, l’électron concerné peut de nouveau se relaxer dans une sous bande de plus faible énergie et repasser dans un nouveau puit quantique par effet tunnel (Figure 17). Cet enchaînement de relaxation est l’un des avantages de cette technologie car cela permet de générer à partir d’un électron autant de photons que de nombre de puits quantiques présents (en moyenne 30 et au maximum 75 [2]) et ceci est à l’origine de l’appellation de la technique « cascade » de ce type de laser.
Figure 17: Schéma illustrant l'enchaînement de puits quantiques et de relaxations présents au sein d'un LCQ. La descente globale en énergie des puits est provoquée par la mise sous tension du système
27 Dans les LCQ, l’enchaînement de puits quantiques est obtenu par la structuration en série de couches minces (tailles nanométriques) de différents matériaux semi-conducteurs. La différence d’énergie des sous bandes peut être ajustée en modifiant l’épaisseur de ces couches de semi-conducteurs, ce qui permet ainsi de sélectionner la longueur d’onde émise (Figure 18). La fabrication de telles hétérostructures quantiques est aujourd’hui bien connue, principalement à partir de semi-conducteurs tel que GaAs ou InP dont les techniques d’élaboration sont largement connues. Dans cette technologie, la longueur d’onde la plus courte (de plus haute énergie) est limitée par le décalage en énergie de la bande de conduction entre les différents matériaux composant l’hétérostructure. Ces valeurs de longueurs d’onde pour les systèmes basés sur les composés GaAs et InP sont respectivement à 8 µm et 3,4 µm. Il a été possible de descendre à une émission à 2,75 µm [34] en contrôlant la profondeur des puits quantiques et en utilisant des hétérostructures basées sur les systèmes InAs/AlSb. De plus, il n’y a pas de limite théorique pour les grandes longueurs d’onde, où seul l’élargissement des niveaux quantiques devient problématique. Des systèmes opérant à température ambiante ont été capables de générer des signaux jusqu’à 16 µm [35]. Des systèmes capables d’atteindre des longueurs d’onde dans le domaine THz jusqu’à 161 µm ont été proposés [36], mais ces systèmes requièrent alors un refroidissement cryogénique pour fonctionner.
Figure 18: Schéma illustrant la dépendance de la transition inter-bande avec la largeur du puit quantique pour une hétérostructure de même composition [33].
L’un des problèmes majeurs de l’utilisation des LCQ provient de la grande quantité de chaleur émise par le système lors des émissions lasers, ce qui nécessite un important refroidissement du système afin de générer des rayonnements continus. Malheureusement, dans ces systèmes, l’efficacité de conversion de l’énergie initiale n’est généralement que de quelques pourcents et n’est au mieux qu’une dizaine de pourcents d’après des simulations [37].
Ainsi, plus de 90% de l’énergie électrique injectée dans le système est convertie en chaleur, ce qui explique l’emploi de systèmes de refroidissement : un système travaillant à 10V avec un courant de 1 A produit un peu moins de 10 W de chaleur qui doivent être dissipés pour conserver une température constante et basse. Cet échauffement est problématique car il diminue l’efficacité de la conversion du système et peut même bloquer l’émission en permettant le remplissage de niveaux dans la bande de conduction à partir d’électrons de la bande de valence. Il est donc nécessaire de dissiper cette chaleur, ce qui est d’autant plus problématique compte tenu des petites surfaces qui sont mises en jeu pour réaliser des échanges thermiques (5x20x2000 µm3) [38]. Deux principales techniques sont utilisées pour pallier à la production de chaleur. La première technique est un système de refroidissement, la seconde est de moduler le courant de la pompe pour réaliser des cycles d’émission et éviter que le système ne chauffe en continue. Cela permet d’améliorer l’utilisation des LCQ tout en conservant une bonne puissance moyenne. Le rapport cyclique (pourcentage d’une période pendant lequel un signal
28 est actif) d’un LCQ émettant à 8.9 µm en fonction de la puissance moyenne est montré en Figure 19.
Dans cet exemple, la puissance moyenne atteignable pour ce LCQ est d’environ 170 mW pour un rapport cyclique de 42%, c’est-à-dire quand le signal est coupé 58% du temps. Des puissances de l’ordre de 5 W ont été générées dans des LCQ à base d’InP, qui opéraient en régime continu à 8 µm et à température ambiante [39], tandis que des puissances de 15 W ont été atteintes à l’aide d’interféromètres cette année [40] .
Figure 19: Puissance moyenne d'un LCQ émettant à 8,9 µm en fonction du rapport cyclique d'utilisation, à température ambiante [33]
L’accordabilité de ces systèmes continue également de s’améliorer depuis leurs débuts. En 2005, les systèmes ne pouvaient émettre que sur une gamme de 200 cm-1 [41] [42] [43]. L’accordabilité était d’environ 500 cm-1 [44] en 2010, d’environ 1100 cm-1 en 2014 [45], pour atteindre près de 1800 cm-1 en 2017 [46]. Du fait des fortes puissances d’émission disponibles et de leur accordabilité de plus en plus croissante, les LCQ sont les plus importants concurrents des sources paramétriques.
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