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La Déité comme Unité pure et nue 1

Dans le document DIGITHÈQUE Université libre de Bruxelles (Page 44-55)

H e rv é P a s q u a

Saisir Dieu dans « l’océan sans fond de son infinité », tel est le dessein de Maître Eckhart. Chercher Dieu quand « il n ’était pas Dieu » et « était ce qu’il était » 2, c ’est-à-dire Déité, cela signifie dépasser Dieu. Dieu au-delà de Dieu, autrement dit, la Déité conçue comme Unité piare et nue dans laquelle l’Etre de Dieu lui-même doit s’abîmer avec tout ce qui est, tel est le terme ultime et impensable au seuil duquel la pensée nous conduit en s ’effaçant.

Même si nous devons reconnaître, avec Wolfgang Wackemagel, que la notion de Déité est peu fondée textuellement 3, il faut bien admettre que les passages ne manquent pas où Eckhart distingue nettement la Déité (Deitas, Gotheit) et Dieu (Got) 4. Les textes les distinguent comme Unité pure et nue et comme Etre : « Lorsque je me tenais dans le fond, dans le sol, dans la rivière et la source de la Déité, personne ne me demanda ce que je voulais ni ce que je faisais. I l n y avait personne p o u r m ’interroger 5. Lorsque je sortis, alors toutes les créatures dirent : Dieu. Si l’on m ’eût demandé : « frère Eckhart, quand êtes-vous sorti de la maison ? » J ’eusse répondu :

« j ’y étais à l ’instant ». C ’est ainsi que toutes les créatures parlent de Dieu. Et pourquoi ne parlent-elles pas de la Déité ? Tout ce qui est dans la Déité, cela est Un, et il n ’y a rien à en dire. Dieu opère, la Déité n ’opère pas, elle n ’a rien à opérer, il n ’y a en elle aucune opération. Elle n ’a jam ais connu aucune opération. Dieu et la Déité diffèrent comme l ’opération et la non-opération » 6. Et ailleurs, Eckhart parle dans le même sens : « « Un Dieu ». D u fait que Dieu est Un, la Déité de Dieu est accomplie. Je dis que Dieu ne pourrait jam ais engendrer son Fils unique s ’il n ’était pas « Un ». Du fait que Dieu est Un, il prend là tout ce qu’il accomplit dans les créatures et dans la Déité.

Je dis en outre que Dieu seul possède la Déité. La nature propre de Dieu est l’Unité ; c ’est de là que Dieu tire le fait q u ’il est Dieu, sans quoi il ne serait pas Dieu. Tout ce qui est nombre dépend de l ’Un et l ’Un ne dépend de rien. La richesse, la sagesse et la vérité de Dieu sont absolument Un en Dieu ; il n ’est pas Un, il est l ’Unité » 7.

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Ces passages affirment nettem ent la distinction opérée entre Dieu et la Déité, en montrant la dépendance du premier par rapport au second. « La nature propre de Dieu est l ’Unité », l ’Unité est la Déité, nous disent-ils : Dieu n ’est pas Un, il est l’Un.

Pourquoi le frère dominicain prêche-t-il cette distinction ? Parce que, sans la Déité, Dieu ne serait pas Dieu. La Déité désigne, en effet, la nature de Dieu, son essence

« pure et nue » ou, en d ’autres termes, son intériorité la plus profonde, son Fond sans fond, l’Unité. Après avoir distingué le fait d ’être U n et l ’Unité, le Thuringien identifie l’Un au Tout : « Dieu a tout ce qu’il a dans l ’Un, précise-t-il, c ’est Un en lui ». Il parle, cette fois, de Dieu et non de la Déité. Que veut-il dire par là ? Son propos est-il contradictoire ? Il veut dire que, en tant que tel, le Père contient tout dans le Fils qu’il engendre, l’Intellect ou le Verbe. Mais, quand rien n ’est pensé encore, il n ’y a que l’Unité pure et nue c ’est-à-dire la Déité. Voilà pourquoi il n ’y a pas de contradiction entre les deux affirmations du Dieu-Un et l’Unité de la Déité. La Déité, en effet, se situe au-delà du pensable et du nommable. Les Sermons 22 et 51 interprètent la Déité comme « ténèbres cachées », comme « Tout-Autre » situant ainsi Eckhart parmi les tenants de l ’apophatisme. Dieu lui-même ne peut y pénétrer. Cette Unité pure et nue, sans l’Etre, est en effet imparticipée et imparticipable, elle rappelle l ’Un de la première hypothèse du Parménide, qui n ’est plus s ’il est 8 et elle renvoie peut-être davantage à la monade plotinienne, qui demeure en elle-même et de laquelle émane la dyade renvoyant au Père qui est tout ce q u ’il pense. Le Noûs, ou l ’Intellect, apparaît en effet au niveau de la dyade uniquement. Cette distinction entre Dieu qui est tout dans l’U n qui pense son Etre et l ’Unité de la Déité qui n ’est rien recoupe donc la distinction néoplatonicienne entre l ’U n-qui-n’est-pas de la monade plotinienne et l ’Un-qui-est de la dyade.

Il y a donc bien distinction entre Dieu et Déité, et telle qu ’elle va conduire Eckhart à exalter le désert de la Déité en la situant au-dessus de la Trinité. Les textes sont explicites :

L’Un est aussi absolument un et simple que Dieu est un et simple, de sorte que l’on n’est capable selon aucun mode d’y regarder. En toute vérité, et aussi vrai que Dieu vit, Dieu lui-même ne le pénétrera jamais un instant, ne l’a encore jamais pénétré de son regard selon qu’il possède un mode et la propriété de ses Personnes.

On le comprend aisément, car cet un unique est sans mode et sans propriété. C’est pourquoi, si Dieu doit jamais le pénétrer de son regard, cela lui coûtera tous ses noms divins et la propriété de ses Personnes. Il lui faut les laisser toutes à l’extérieur pour que son regard y pénètre. Il faut qu’il soit l’Un dans sa simplicité, sans aucun mode ni propriété, là où il n’est en ce sens ni Père ni Fils ni Saint-Esprit, et où il est cependant un quelque chose qui n’est ni ceci ni cela 9.

L’âme doit demeurer dans sa nudité, sans aucun besoin ; c’est ainsi qu’à l’aide de l’égalité, elle réussit à parvenir à Dieu. Rien n’unit mieux, en effet, que l’égalité ; car Dieu aussi est dans sa nudité et sans aucun besoin. En d’autres termes, c’est dépouillée de la matière que l’âme parvient à Dieu. C’est ainsi qu’elle arrive dans l’unition de la sainte Trinité. Mais son bonheur peut encore devenir plus grand, si elle recherche la Déité toute nue, car la Trinité n’est qu’une manifestation de cette Déité '°.

Dans la pure Déité il n’y a absolument plus aucune activité ; aussi bien l’âme n’atteint-elle à la béatitude parfaite qu’en se jetant dans le désert de la Déité, là où il n’y a plus ni opérations ni images, pour s’y plonger et se perdre dans le désert où son moi s’anéantit et où elle se soucie aussi peu de toutes choses que du temps où elle

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n’était pas encore. Alors seulement elle est morte à elle-même et ne vit plus qu’en Dieu 11.

La Déité est au-delà de la Trinité parce que dans l’Unité pure et nue aucune distinction ne peut se concevoir, pas même celle des Personnes divines. Marie-Anne Vannier écrit en ce sens : « En se référant à l’idée de Déité, Eckhart introduit une notion spécifique qui l’oriente, non vers la théologie trinitaire, mais vers ce Grundlose tie f apgrunt, cet « abîme sans fond » qu’est Dieu, cette essence divine absolue, supérieure à tout et dont on ne peut rien affirmer, sinon qu’elle est unité. Si Eckhart introduit cette notion de Déité, c ’est pour essayer de rendre compte de la nature de Dieu, pour faire comprendre q u ’il est le Tout-Autre qui appelle un dépassement continuel ( . . . ) » 12. Quand, en effet, l ’unité n ’est plus en elle-même, c ’est-à-dire dans la Déité, mais en Dieu alors elle peut recevoir une distinction. Eckhart est acculé à instaurer un rapport dialectique entre le Dieu-Trine de la Révélation et la Déité-Une du néoplatonisme : « Aucune distinction n ’existe ni dans la nature de Dieu ni dans les Personnes divines d ’après l’unité de leur nature. La nature divine est Un, et chaque Personne est également Un ce même Un qui est leur nature. La distinction entre l’être et l’essence se résorbe ici dans l’Un et ne fait q u ’Un. C ’est seulement l ’Un cesse d ’être en lui-même q u ’il reçoit, a et donne une distinction. Voilà pourquoi c ’est dans l ’Un que l ’on trouve Dieu et pourquoi celui qui veut trouver Dieu doit devenir Un » 13.

« Ici », écrit Pierre Gire, « l’accent de la simplification néoplatonicienne est posé sur la nature divine. Appliqué à Dieu-Trinité, le processus de réduction hénologique insiste sur l ’Origine de la diffusion des Personnes divines, à savoir sur la nature théologique envisagée comme Fond sans fond (ce qui va soutenir l ’idée d ’une

« Gotheit » des Personnes d ’où flue la « Gotheit des créatures »). ( ...) Le mouvement de réduction hénologique implique la critique de toute détermination, l ’insistance linguistique maximale sur l’affirmation de l’Absolu divin comme Un et l’orientation de la pensée en direction de l ’idée d ’Origine radicale » 14.

Cette distinction, pour inquiétante qu’elle paraisse, est cependant une exigence essentielle de la pensée du maître rhénan et lui donne son orientation décisive. La conception eckhartienne de l ’Un implique en effet de comprendre la nature de Dieu comme Deité, c ’est-à-dire, comme Unité sans l ’Etre. Elle résulte, d ’un côté, de son point de départ hénologique qui ramène l ’Un au Non-Etre ; et répond, de l ’autre, à la logique qu’elle entraîne en imposant l’identification de l’Intellect et de Dieu. Tourné vers son origine, l’Intellect « voit » le Non-Etre de l ’Un qui se confond avec la Déité ; tourné vers le bas 15, il « voit » le néant des créatures alors même que l’Etre surgit auquel Dieu s’identifie : on reconnaît le schéma plotinien du passage hypostatique de la monade à la dyade, de l ’Un-pur-qui-n’est-pas à l ’Un-qui-est, c ’est-à-dire au Noûs qui rassemble en lui tout ce qui est “ .

L’U n sans l ’Etre est le « Fond sans fond », le « Principe sans principe ». Il est le « point immobile », « l’anneau merveilleux », le pur «jaillissem ent » que chante le Poème Granum sinopsis. Telle est la Déité, « boucle des Trois ». L’Unité entoure sans se confondre avec ce qu’elle entoure. Ainsi, elle est source de la Trinité sans être la Trinité. La Trinité n ’est pas sans elle, mais l’Unité est sans les Trois. Car, tout ce qui est plus qu’Un est de trop 17. « C ’est seulement là où cet Un n ’est plus en lui-même q u ’il reçoit, possède et produit une distinction » l8. Tout ce qui, hors

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d ’elle, se distingue de l ’Unité est sans distinction en elle. La Trinité est donc sans distinction dans la Déité, quand bien m ême il y aurait cent personnes en elle on n ’y reconnaîtrait q u ’un Dieu : « Pour celui qui pourrait saisir la distinction sans nombre et sans multitude, « cent » serait autant que « un ». M ême s ’il y avait cent personnes dans la Déité, celui qui pourrait saisir la distinction sans nombre et sans la multitude n ’y reconnaîtrait cependant q u ’un Dieu » 19. Origine de toute distinction, elle est indistincte et elle est d ’autant plus indistincte q u ’elle se distingue de toute distinction 20. L’Un pur et nu demeure en retrait de tout ce qui le nie, il est negatio negationis. Mais il demeure faible. Sans Etre pour se recevoir, il glisse sur lui-même, il a besoin d ’un récepteur, ce Fond sans fond a besoin d ’un fond pour se reposer. Toute sa Déité en dépend : « Et c ’est une vérité si sûre et une vérité nécessaire que Dieu a un tel besoin de nous chercher, comme si vraim ent toute sa Déité en dépendait, ainsi qu ’il en est réellement » 2I.

Ainsi, en étant reçu, l ’U n demeure en lui-même sans dehors et sans dedans :

« Tout demeure l ’U n qui jaillit en lui-même » 22. Le point immobile devient source et jaillissem ent, l ’abîme de la Déité devient plénitude, l ’U n devient Père. L’Un qui-n’est-pas engendre l ’Un-qui-est. A partir de l ’Unité pure et nue, écrit Eckhart,

« Dieu, le Père étemel, diffuse la plénitude de l ’abîme de toute sa Déité. Il l ’engendre ici dans son Fils unique et pour que nous soyons le même Fils. Et engendrer est pour lui demeurer en lui-même, et demeurer en lui-même est engendrer hors de lui-même » 23.

Ce passage perm et de comprendre pourquoi la notion de naissance a un sens majeur dans la pensée de maître Eckhart, q u ’il résume à lui seul. Le commencement sans commencement de la Déité commence enfin avec la naissance du Verbe qui flue sans trêve : « où commencement fait naître commencement » 24. Le Père, qui n ’est que par la génération du Fils, est « le commencement de la Déité » 25, au sens où elle se distingue de toute distinction. Et en tant que naissance, il désigne l ’Un-qui-est en qui le désir de l’Etre s’apaise 26.

La Déité-Une surplombe donc le Dieu-Etre. Elle est la « pureté première », la

« plénitude de toute pureté », d ’où se répand sa lumière 11. Cette transcendance de l ’U n pur et nu se caractérise par la communicabilité. Si la Déité ne se communiquait pas, en effet, non seulement elle ne serait pas la Déité, mais Dieu ne serait pas Dieu :

« Et je dis que sa Déité dépend de ce qu’il peut se communiquer à tout ce qui lui est réceptif et s’il ne se communiquait pas, il ne serait pas Dieu » 28. La communicabilité de l ’U n traduit le double m ouvement de transdescendance et de transcendance 29 : descente de l ’Un dans l ’Etre, par laquelle il déborde de lui-même en perdant sa pureté ; remontée de l ’Etre vers l ’U n dans lequel il se perd en s’effaçant. Dieu est ainsi la « manifestation » de la Déité et la Déité le « voilement » du Dieu caché. Cette double relation dans le sens de la descente et celui de la montée est sans médiation.

Absence de médiation qui explique que l’U n continue de se communiquer jusque dans le fond de l’âme dans lequel il se retrouve. Le néant de l ’Unité pure et nue de la Déité et le néant de la créature se rejoignent ainsi dans le fond de l ’âme : « Dans le fond de l ’âme ne peut être que la pure et nue Déité » 30. Sois un et tu trouveras Dieu, enseigne le maître. Le retour de l ’âme à Dieu et de Dieu à la Déité s’effectue par la conversion de l ’Intellect lui-même qui se détourne de l’Etre pour se tourner vers l’Un dans le Néant duquel tout est appelé à s ’abîmer : l ’âme doit « s’anéantir en se jetant

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dans le désert de la Déité, là où il n ’y a plus ni opérations ni images, pour s’y plonger et se perdre ». Cette conversion est-elle un dépassement destructeur ? Oui, dans la mesure où elle s’obtient par le détachement conduisant à la percée qui débouche sur le néant.

L’union à Dieu, d ’ordre intellectif dans un prem ier temps, transcende dans un deuxième temps l ’intellection pour accéder à l ’union mystique, ineffable, sans voix et sans regard 31, avec la Déité. C ’est pourquoi nous ne saurions confondre la Déité et l ’Intellect 32. Tout ce qui est aspire à retourner vers ce dont tout est issu. Ce qui s’est déployé dans le multiple, qui est pur néant, doit se replier dans l ’unité pure de l’Un-qui-n’est-pas. Et ce repli est une perte. Car là où deux doivent devenir Un, il y en a un de trop : « Où deux doivent devenir un, l ’un doit perdre son être. De même, si Dieu et l ’âme doivent devenir un, l ’âme doit perdre son être et sa vie. Autant il en demeurerait, autant certes ils seraient unis, mais s’ils doivent devenir Un, l’un d ’eux doit perdre entièrement son être et l’autre conserver son être, ainsi ils sont U n » 33.

Unie à Dieu, l ’âme serait encore quelque chose, Eckhart insiste en précisant qu’elle doit devenir un avec lui et non unie 34, ce qui signifie q u ’elle doit être réduite à néant.

C ’est l ’exact opposé de la vision béatifique où la déification culmine dans un face à face : « Et quand l’âme parvient là, elle perd son nom et Dieu l’attire en lui, en sorte qu’en elle-même elle est réduite à néant, comme le soleil attire en lui l’aurore, en sorte qu’elle est anéantie » 3S. L’âme de retour en Dieu cesse d ’ex-sister pour in-sister. Elle perd son étant qui est non-être, parce qu’il est - comme on le verra - par un autre, et se retrouve dans l’Etre divin qui est un non-étant. Quand, au terme du mouvement d’in-sistence, l ’Etre et l ’Intellect se seront retrouvés à égalité grâce au rassemblement en Dieu de tout ce qui s ’était dispersé dans la multiplicité extérieure du monde créé, alors l ’étant pensé et l ’Etre pensant se perdront à leur tour dans l’unité pure et impensable de la Déité. L’union sans différence sera atteinte entre le fond de l ’âme et l’insondable Déité 3S.

Pour rejoindre la Déité, conçue comme l’U n sans l ’Etre, au-delà de l’étant créé et de son néant, Eckhart recourt à l’image du désert. On la retrouve dans le poème Granum sinapsis :

Deviens tel un enfant, Rends-toi sourd et aveugle!

Tout ton être doit devenir néant, dépasse tout être et tout néant !

Laisse le lieu, laisse le temps, Et les images également ! Si tu vas par aucune voie

Sur le sentier étroit, ^

Tu parviendras jusqu’à l’empreinte du désert

Le désert est l ’image de l’Un sans l ’Etre, de la Déité pure et nue ; et son empreinte, ou sa trace 38, est la figure de l’Etre dans lequel le créé est appelé à se rassembler avant de rejoindre avec lui le Fond sans fond de l ’Origine : « Je conduirai la noble âme dans un désert et là je parlerai à son cœur. L’U n avec l ’Un, l’Un venant

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de l ’Un, l ’Un dans l’U n et, dans l’Un, éternellem ent» 39. L’expression poétique

« empreinte du désert » réunit Dieu et sa Déité. Trace de l’Un-qui-est qui s’est effacé dans l’U n-qui-n’est-pas : d ’où viendrait, en effet, l ’empreinte dans ce désert « par aucun pied foulé » 40 si elle n ’était l ’empreinte de l ’Etre arrivé ju sq u ’à l’Un pur et nu en s’effaçant, ou celle de l’Intellect en se taisant ? N ul n ’entre dans l ’Unité pure et nue sans s’anéantir ! Pour devenir un avec l ’Un, « il faut que le désert croisse », pour reprendre un mot de Nietzsche ; Simone Weil dira « il faut se décréer » ; Eckhart prêche : il faut dé-devenir (entwerden), c ’est-à-dire, perdre son ex-sistence. L’Un et l ’Etre ne sauraient, en effet, se confondre dans la Déité.

Notre lecture diffère sur ce point de celle d ’Emilie Zum Brunn et d ’Alain de Libera qui écrivent que l ’Un - le Fond ou la Déité - finit par devenir chez Eckhart un synonyme de Yesse divin. Cette assimilation est quelque peu rapide, elle réduit la monade de l ’U n-qui-n’est-pas à la dyade de l ’Un-qui-est. Or, Y esse ne s’ajoute à

Notre lecture diffère sur ce point de celle d ’Emilie Zum Brunn et d ’Alain de Libera qui écrivent que l ’Un - le Fond ou la Déité - finit par devenir chez Eckhart un synonyme de Yesse divin. Cette assimilation est quelque peu rapide, elle réduit la monade de l ’U n-qui-n’est-pas à la dyade de l ’Un-qui-est. Or, Y esse ne s’ajoute à

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