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Approche du sens de l’immanence chez Maître Eckhart

Dans le document DIGITHÈQUE Université libre de Bruxelles (Page 193-200)

S éb astien La o u r e u x

« Qu’est-ce que la vie ? L’être de Dieu est ma vie. Mais si l’être de Dieu est ma vie, ce qui est à Dieu doit être à moi, et l’étantité (isticheit) de Dieu doit être mon étantité (isticheit), ni plus ni moins » '.

A fréquenter l’œuvre de M aître Eckhart, on ne peut manquer d ’être frappé par le langage extrême dont il fait usage. L a citation que nous plaçons en exergue, qui fut d’ailleurs examinée lors du procès d ’inquisition, est un exemple parmi bien d ’autres.

Les phrases qui affirment l ’unité, l’égalité ou l’absence de toute distinction entre l’homme et Dieu en la Déité ne sont pas rares. Quel sens, néanmoins, faut-il leur attribuer ? Doit-on parler de la pensée eckhartienne comme d’une forme de panthéisme ? La Déité est-elle l’indice de l ’expérience d’une fusion avec Dieu où l’âme perdrait sa singularité ? Autour de ces questions, déj à posées à de nombreuses reprises à sa pensée, se joue ce que l ’on se risquera à nommer le sens de l ’immanence chez Maître Eckhart.

Aussi voudrions-nous, dans ces quelques pages, tenter de ressaisir modestement le sens philosophique qui se dissimule derrière de telles affirmations. Deux concepts, étroitement liés, nous serviront de fils conducteurs : ceux de causalité essentielle et de pli. Ces concepts se révèlent, selon nous, les meilleurs outils pour comprendre, avec toutes les nuances qui s’imposent, la conception eckhartienne de l’immanence. Mais ils permettent également d ’esquisser une hypothèse de travail beaucoup plus vaste que nous ne ferons qu’évoquer dans la conclusion de ces quelques pages. Il s’agirait de s’interroger sur l ’insertion de cette conception de l ’immanence dans l ’histoire de la philosophie. Un tel travail, comme nous l’indiquerons brièvement, pourrait mettre en lumière la complexe généalogie philosophique du concept d ’immanence tel qu’on le retrouve sous diverses formes, au sein même de la philosophie la plus contemporaine.

Nous pensons à des auteurs comme Michel Henry et Gilles Deleuze qui, tout en se réclamant tous deux de l’immanence, n ’en développent pas moins deux conceptions radicalement différentes. En s’attachant aux philosophes dont ils se réclament, on peut espérer tisser patiemment les mutations des figures de l ’immanence dans l ’histoire de la philosophie. Mais avant d ’en arriver à ces hypothèses, et pour approcher notre

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problématique du pli, il convient de ressaisir certaines distinctions essentielles qui traversent l ’œuvre eckhartienne.

1. Dieu et Déité : l’équivocité de 1’« être » chez Maître Eckhart

Même si le terme de Déité (Gotheit ou Deitas) n ’est pas utilisé de façon systématique chez Eckhart 2, la distinction Dieu-Déité se présente néanmoins comme une clé d ’intelligibilité possible de l ’œuvre eckhartienne dans son ensemble. Comme nous aurons l ’occasion de le redire, M aître Eckhart utilise nombre de terminologies si différentes qu’elles peuvent laisser croire à des changements doctrinaux.

Néanm oins, derrière ce foisonnement des formules, l’œuvre eckhartienne apparaît cohérente et extrêmement homogène d ’un bout à l’autre de son parcours. La diversité terminologique serait une façon d ’affronter le problème du langage, une façon de ne pas verser dans l ’idolâtrie du concept, une façon de désigner ce « quelque chose » qui échappe pourtant au langage 3. On trouve chez Eckhart cette idée que Dieu ne prend son sens que pensé corrélativement à la création : « Quand je (...) reçus mon être créé, j ’eus un Dieu ; car avant qu’il y eut des créatures, Dieu n ’était pas Dieu, Il était ce qu ’il était » 4. Dans ce passage, le concept de Dieu implique clairement une relation à l ’altérité, il est relatif à la création. On ne pourrait parler de D ieu (cause) sans évoquer dans le même m ouvement son rapport aux créatures (effets). Nous serions là dans l’ordre de l ’extériorité, de l ’efficience. Dieu ne prend son sens que pensé comme corrélat ou vis-à-vis de la créature. Il renvoie à la figure du Créateur ou du fondement.

Au contraire, la Déité n ’implique qu’une relation à soi. Et peut-être augure-t-elle une façon de ne pas recourir au concept de transcendance : « Penser l ’origine comme Déité, c ’est refuser de la représenter à la manière d ’un arrière-monde transcendant le monde créé, c ’est probablement l’abrogation d ’une telle transcendance. La Déité est la destruction de toute configuration métaphysique, extérieure ou intérieure à D ieu » 5.

En d ’autres termes, cette distinction entre la Déité et Dieu offre la possibilité d ’envisager le rapport de Dieu et l ’être créé selon deux points de vue. Ce passage nous l ’indique clairement : « Si l ’on prend une mouche en Dieu, elle est plus noble en Dieu que l’ange le plus élevé ne l ’est en lui-même. En Dieu, donc, toutes choses sont égales et sont Dieu lui-même » 6 . Les termes « Dieu », « Dieu lui-même », tels q u ’ils apparaissent dans ce passage, renvoient à la Déité. On peut chercher à appréhender « Dieu lui-même ». A ce niveau, toutes choses sont égales. On peut également considérer les créatures non plus en Dieu ou In principio, mais en elle-même. Néanmoins, comme la créature possède son esse ab alio, si on la considère en elle-même, nous n ’avons que du néant : « Toutes les créatures sont en elles-mêmes néant » 7. C ’est pour cette raison que l’ange pris en lui-même est bien inférieur à la mouche prise en Dieu.

La possibilité d ’appréhender les choses selon cette dualité de point de vue se retrouverait également dans l ’œuvre eckhartienne à travers l’équivocité frappant le terme d ’« être » lui-même. Certains textes eckhartiens semblent en apparence contradictoires. D ’aucuns attribuent l ’être à Dieu — en tant que Déité - d’autres lui dénient formellement. Il ne faut point y voir une contradiction, mais plutôt un changement de point de vue. Le jeu sémantique travaillant certains termes au cœur

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même de l’œuvre eckhartienne, ne signifie pas qu’il y ait une révolution, un tournant, ou de quelconques contradictions dans sa pensée. Si l ’être est attribué à Dieu, comme c’est le cas dans les Prologues, qui déclarent - « L’être est Dieu - Esse est Deus 8 » - l’être ne peut être attribué à la créature.

Si l’être - en accord avec la proposition IV du Liber de causis - désigne la première chose créée, il ne peut en aucun cas être attribué à Dieu. Une telle perspective est défendue dans les célèbres Questions parisiennes : « L’auteur du De causis dit que

« la première des choses créées est l ’être ». Aussi, dès que nous accédons à l ’être, nous accédons à la créature. L’être a donc en premier lieu la raison du créable (...). C ’est pourquoi Dieu, qui est créateur et non créable, est intellect et connaître intellectif, et non pas étant ni être — deus, qui est creator et non creabilis, est intellectus et intelligere et non est vel esse » 9. Ou plus loin : « Puisque l ’être s’applique en propre aux créatures, il n ’est pas en Dieu si ce n ’est comme dans sa cause ; c ’est pourquoi l’être ne se trouve pas en Dieu, mais la pureté de l ’être - puritas essendi » 10. Dans ce contexte précis, où il s’attache pourtant à dénier l ’être à Dieu, Maître Eckhart n’hésite pas à s ’affronter à Exode 3, 14. Bien loin d ’y voir l ’affirmation de Dieu comme être, il y voit une tout autre interprétation : « De même lorsqu’on demande de nuit à quelqu’un qui veut se cacher et ne pas dire son nom : « qui es-tu ? », il répond :

«je suis qui je suis » ; de la même façon, le Seigneur, voulant montrer qu’en lui est la pureté de l’être, dit : « Je suis qui je suis ». Il ne dit pas simplement : « je suis », mais il ajouta : « Qui je suis » » ". En d ’autres termes, à travers la formule Ego sum qui sum, il ne faut pas voir l’affirmation de l’être comme nom propre de Dieu 12. C ’est bien plutôt le contraire ; par cette formule Dieu refuse de donner son nom, de la même façon que quelqu’un cherchant à ne pas être reconnu dans la nuit déclare : je suis qui je suis, et tu ne le sauras point. Une telle interprétation repose sur la répétition, ou mieux la reduplication : « Il ne dit pas simplement : « Je suis » [auquel cas, la réponse eût été claire], mais il ajouta : « Qui je suis » ».

Dans le non moins célèbre Sermon 9 — Quasi stella matutina — Maître Eckhart revient sur ce qu’il a déclaré dans les Questions parisiennes. C ’est pour lui l ’occasion de préciser ce qu’il faut entendre par la négation de l’être en Dieu. Ces précisions, nous allons le voir, permettent de « réconcilier » les passages en apparence contradictoires de son œuvre. M aître Eckhart déclare : « Des maîtres frustres disent que Dieu est un Etre pur (lûter wesen), mais il est aussi au-dessus de l ’être que l’ange le plus élevé l’est au-dessus d ’une mouche. Je parlerai aussi incorrectement de Dieu en l’appelant un être, que si je disais du soleil qu’il est blême ou noir. Dieu n ’est ni ceci ni cela.

(...) Quand j ’ai dit [dans les Questions parisiennes] que Dieu n ’était pas un être et qu 'il était au-dessus de l ’être, j e ne lui ai pas p a r là dénié l ’être, au contraire : j 'a i exhaussé l ’être en L ui » ° . Et pour expliciter cette conception, Eckhart donne un exemple tiré de l ’alchimie : « Si je prends le cuivre dans l’or, il y est sur un mode supérieur à celui qu’il a en lui-même » 14. On le voit : dire que Dieu n ’est pas un être, ce n’est pas lui dénier l ’être, c ’est Vexhausser en lui. On voit également comment les contradictions apparentes de l’œuvre eckhartienne s’effacent. Il s’agit en définitive d’une différence de point de vue 15. M aître Eckhart affirme l’irréductibilité entre deux modes d’être. Le problème n ’est pas tellement d ’attribuer l ’être à Dieu, l ’important est de ne point se méprendre sur le sens à donner à cet être si l ’on se risque à l ’attribuer à

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Dieu : « L’être ne s ’applique pas en propre à Dieu, à m oins que l ’on appelle être une telle pureté » 16.

Comme nous le m ontre l’ensemble de ces remarques, si l ’on en reste au niveau de l ‘être créé, on est nécessairement m aintenu à un point de vue dualiste. Dieu se présente nécessairement comme une Cause extérieure (efficiente ou finale) à l’ordre créaturel. Il en est en quelque sorte au fondement. Les choses créées possèdent alors un esse ab alio. Et l ’on peut appréhender le rapport Créateur-créature de façon somme toute classique : en termes d ’analogie. Il y a ime production analogique. Et dans une telle production, ce qui est produit n ’a plus la m ême nature que son producteur. Tout cela suppose l ’intervention de la causalité efficiente, l ’efficience créatrice. Il y a donc bien chez M aître Eckhart une doctrine de l ’analogie - l ’analogie dite d ’attribution l7.

Néanmoins, celle-ci demeure une simple ontologie de la finitude 18.

Mais ce n ’est pas là le dernier m ot de M aître Eckhart. Comme nos citations précédentes l ’indiquent, on peut également considérer les choses — l’être créé - en Dieu (dans la Déité) ou dans la puritas essendi, dont parlent les Questions parisiennes. Comme nous l ’avons vu également, ce qui caractérise les choses en la Déité, c ’est Y égalité : « A toutes choses Dieu donne de façon égale (glîch) et durant que ces choses émanent de Dieu, elles sont égales (glîch) » 19. D ’autres concepts sont à m ême de caractériser ce q u ’il faut entendre par cette égalité. Comme nous le m ontrent ces autres citations, on peut égalem ent parler d'immanence, d'unité, d ’absence d ’altérité ou de transcendance : « Dieu est une fixation à sa pure et propre essentialité, à quoi rien n ’arrive d ’extérieur » 20 ; « Il n ’y a rien d ’étranger dans l’unité (einicheit) » 21 ; « Tout ce qui est en Dieu est Dieu » 22 ; « Dieu et moi sommes un dans l ’opération » 23 ; « Dieu engendre l ’homme « sans aucune distinction » » 24 ;

« Celui qui veut saisir en son entier Y œuvre intérieure (...) se confie à l ’unité qui est libre de toute diversité et de toute limitation, l ’unité où se dépouille et se perd toute différence » 25.

Face à ce court bréviaire de citations, la question se pose de savoir quel sens il convient de donner à cette égalité, ou encore à / ’unité propre à la Déité. Comment Eckhart décrit-il cette unité ? S ’agit-il d ’une suppression pure et simple de toute distinction ? Faut-il parler de la pensée eckhartienne comme d ’une forme de panthéisme ? La Déité est-elle l’indice de l’expérience d ’une fusion avec l’absolu- Dieu où l ’âme perdrait sa singularité ? A utour de ces questions se joue sans aucun doute le sens de l ’immanence chez M aître Eckhart. Alors que chez Spinoza, c’est le recours à la causalité immanente qui perm et de comprendre le rapport immanent substance-mode, chez Eckhart, il convient d ’être attentif au concept de causalité essentielle 26 pour tenter d ’apporter des éléments aux questions que nous posons. Il s ’agit là d ’une notion qui serait impliquée dans la plupart des passages-clés de l’œuvre eckhartienne et qui ne serait in fin e q u ’une autre façon d ’envisager la spécificité de la Déité.

2. Le concept de causalité essentielle : la « vie » chez Maître Eckhart

E n adoptant le point de vue de la Déité ou de la « pureté de l’être », il ne s’agitplus de connaître la cause dans ses effets créés. Il s ’agit d ’inverser l ’analyse et de ressaisir les choses dans leur véritable cause, leur cause essentielle, qui diffère radicalement de

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toute causalité efficiente ou finale. Comme l’écrit Vladimir Lossky : « Avant d ’être la cause créatrice de tout ce qui « existe » extérieurement, (Dieu) est le principe formel et « essentiel » de tout ce qui vit, étant par soi-même, sans cause extérieure » 27. Si la notion de cause implique l ’extériorité de l’effet, la causalité essentielle n ’a sans doute plus de la causalité que le nom. En considérant les choses dans leur cause essentielle, il s’agit de ne plus les considérer comme des effets produits ad extra. Il s’agit de les considérer là où elles sont vraiment ce qu’elles sont : « Ce qu’il faut connaître, il faut le connaître dans sa cause. Jamais on ne peut connaître une chose en elle-même, si on ne la connaît pas dans sa cause » 28. En se plaçant du point de vue de la cause essentielle (ou de la Déité), il s’agit de connaître les effets extérieurs dans l ’intériorité de leur cause. Là, l’effet est le verbe et la cause, le principe. La distinction entre l’intériorité et l’extériorité ne prend son sens que du point de vue de l ’être créé. Le point de vue divin ou de la Déité exclut toute dualité de cette sorte.

Cette causalité essentielle se trouve tout particulièrement explicitée dans le Commentaire sur le Prologue de Jean. A u § 38, dans l ’exégèse de Jean 1, 1 — In principio erat verbum - Maître Eckhart s’exprime ainsi : « Il faut remarquer qu’il y a quatre conditions concernant la nature de tout principe essentiel. La première : ce dont il est le principe doit être contenu en lui comme l ’effet dans sa cause. Et c ’est ce qui est indiqué par la parole Dans le Principe était. La deuxième : cet effet dont il est le principe non seulement doit être dans sa cause, mais encore y préexister de façon plus éminente qu’en lui-même. La troisième : le principe lui-même est toujours l ’intellect pur en qui l’être ne saurait différer du connaître, puisqu’il n ’a rien de commun avec quoi que ce soit (...). La quatrième : l’effet qui est dans le principe et auprès de lui doit être en vertu (opérative) contemporain de ce principe. Ces trois dernières conditions sont indiquées par le Verbe » 29. Sans vouloir nous engager dans un commentaire exhaustif de ces quelques lignes 30, nous en retiendrons pour notre problématique cette idée : la causalité essentielle désigne l ’immanence du Principe au principié et du principié au Principe.

Comme on pouvait s ’y attendre dans une exégèse de l ’Evangile de Jean, la causalité essentielle est étroitement liée au concept de vie : « De plus, toute cause et tout principe essentiel sont quelque chose de vivant et sont vie ; or ce qui est dans la vie est vie » 31. Dans ce sens, tout ce qui est de l’ordre de l’extériorité ou de l’apparaître ek-statique, tout ce qui relève de la causalité en général - et non plus de la causalité essentielle - est extérieur à la vie : « Rien de ce qui a une cause efficiente antérieure ou supérieure à soi, ou une fin extérieure à soi ou autre que soi, ne vit au sens propre. Mais c ’est le cas de tout ce qui est créé. Dieu seul vit et est vie » 32.

En d’autres termes, tout ce qui trouve son principe d ’intelligibilité - son principe de raison - à l’extérieur de soi, n ’est pas vie. C ’est ce que confirme le commentaire de Jean 1 ,4 :« en lui était la vie, c ’est-à-dire « principe sans principe ». En effet, au sens propre, ce qui vit est sans principe, car tout ce qui tient d ’un autre en tant qu’autre le principe de son opération à proprement parler ne vit pas » 33.

C’est de cette façon que s’explicite le thème fameux du « sans pourquoi » des sermons allemands. La vie est « sans pourquoi », parce qu’elle possède son propre

«pourquoi». Le « p o u rq u o i» de la vie lui est totalement immanent. C ’est ce qu’exprime de façon exemplaire cette formule du Sermon 5b : « Vous demanderiez

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mille ans durant à la vie : « Pourquoi vis-tu ? », si elle pouvait répondre, elle ne dirait rien d ’autre que : « Je vis parce que je vis » (ich lebe dar umbe daz ich lebe). La raison en est que la vie tire sa vie de son propre fond et jaillit de ce qui lui est propre : c ’est pour cela qu’elle vit sans demander le pourquoi, parce q u ’elle ne vit que d’elle- m ême » 34. De façon toute aussi limpide, le Sermon 6 : « D e toutes les choses, aucune ne nous est si chère ni désirable que la vie. Il n ’est vie si misérable et si pesante qu’un homme ne veuille cependant vivre. (...) Pourquoi vis-tu ? Pour vivre, et cependant tu ne sais pas pourquoi tu vis. La vie est si désirable en elle-même q u ’on la désire pour elle-même. (...) Q u’est-ce que la vie ? L’être de Dieu est m a vie. Mais si l’être de Dieu est m a vie, ce qui est à Dieu doit être à moi, et l ’étantité (isticheit) de Dieu doit être m on étantité (isticheit), ni plus ni moins » 35.

3. Le pli, le sens de l’immanence chez Maître Eckhart

L’ensemble de nos derniers développements l ’indique, la notion de causalité essentielle serait étroitement liée à celle de vie. Peut-on trouver des passages qui perm ettraient d ’en dire plus au sujet de ces notions ? Certes, nous avons parlé de l’immanence de l ’effet à sa cause. Nous avons vu également de quelle façon la vie - ou la causalité essentielle - ne renvoyait à rien d ’autre qu’à elle-même. Mais ne peut-on caractériser plus avant le sens à attribuer à cette immanence ? Nous nous tournerons vers un passage où l ’on trouve, sans doute, l ’une des plus belles définitions de la vie dans l ’œuvre eckhartienne. Passage qui relie directement Exode 3 ,14 et Jean 1, 4. Il s’agit du § 16 du Commentaire du Livre de l ’Exode. Maître Eckhart écrit :

« « En lui était la vie ». La vie, en effet, signifie ime sorte de jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement,

« « En lui était la vie ». La vie, en effet, signifie ime sorte de jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement,

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