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Chapitre 1. Problématique

1.4. Processus de conceptualisation

1.5.2. La représentation : de quoi est-elle le nom ?

1.5.2.4. Vers une définition de travail

Sans vouloir réduire la cognition animale-humaine à la cognition animal-non-humaine, notons toutefois qu’un élément non négligeable du « virage des sciences cognitives » a été la « démystification de la cognition humaine » (Jensen, 2011). Dans ce contexte, il doit être remarqué que l’hypothèse selon laquelle l’animal non-humain possède une activité cognitive fondée également sur l’élaboration et le traitement des représentations est aujourd’hui largement acceptée (Chameron & Beugnon, 1999 ; Gallo & de Gaulejac, 1999 ; Gervet, 1999 ; Gervet & Pratte, 1999 ; Kreutzer & Vauclair, 2004 ; Lassalle, 2004 ; Leblanc, 2010 ; Menzel & Fisher, 2011 ; Poucet & Cressant, 1999; Poucet & Save, 2004; Saidel, 2009; Scapini, 1999; Viciana, 2011). Gervet et Soleilhavoup (1999) précisent à ce propos que « les termes de volonté et de représentation ne font qu’indiquer les formes prises dans l’espèce humaine par des processus qui remplissent des fonctions de mise en route orientée de l’organisme (volonté

concernant le déclenchement de comportement) et d’ajustement aux caractéristiques de l’environnement (représentation) » (p. 47).

Par-delà la complexité des comportements étudiés, ainsi que la complexité de la cognition visée, postuler et recourir à la notion de représentation afin de rendre compte d’un certain nombre de processus cognitifs et comportementaux complexes paraît donc indispensable. Pourquoi faut-il associer la « propriété de représentation » (Roy, 2011) aux systèmes cognitifs pour pouvoir expliquer leurs performances ? Introduire la notion de représentation dans les modèles d’analyse permet aux cognitivistes de « rendre compte de la conservation de l’information non plus directement accessible par la perception, des possibilités de reconnaissance et d’identification des objets, du guidage et de la régulation des conduites, ou encore de la planification des actions » (Koenig, 2011, p. 5). La propriété de représentation permet, premièrement, d’expliquer la mémoire et, de ce fait, la capacité de catégoriser, d’identifier, d’abstraire, d’établir de relations, d’inférer, de conceptualiser et d’apprendre. On comprend mieux, dès lors, les raisons pour lesquelles Vergnaud (1985) a affirmé que la fonction principale de la représentation est de permettre à l’individu de conceptualiser le réel afin d’agir efficacement : « sans représentation, pas d’optimisation de l’action » (Munera, 2011, p. 133). La propriété de représentation associée aux systèmes cognitifs se trouve donc à la base de l’ensemble des opérations mentales allant au-delà du simple flux perceptif (Viciana, 2011). Un organisme incapable d’élaborer et de traiter des représentations du réel physique et social auquel il appartient serait un organisme condamné à (ré)agir uniquement en fonction des stimuli détectés par leur sens. Ce serait donc un organisme présentant des comportements peu flexibles et disposant d’une capacité d’adaptation particulièrement limitée, voire aucune.

L’élaboration et le traitement de représentations mentales est une ruse de l’évolution permettant aux animaux de multiplier leurs performances cognitives et, par la même, leur capacité d’adaptation et leurs chances de survie : en plus de permettre à l’animal de s’émanciper du flux perceptif, une cognition représentationnelle nous permet également de (ré)agir et d’opérer mentalement sur des contenus mentaux qui ne sont pas « la chose en soi », mais qui « la représentent »43. Cela présente un avantage fonctionnel considérable : face à un problème ou à une tâche donnée, une cognition de type représentationnelle est capable d’orienter et de réguler l’activité de l’individu en cherchant, dans sa mémoire ou dans son

43 En effet, dotés d’une cognition capable d’élaborer et de traiter des représentations du réel, les animaux sont

non seulement capables de (ré)agir en fonction de « la chose en soi », mais aussi en fonction de ce qui « représente la chose ». Cela élargit considérablement les possibilités d’action.

environnement perceptuel, n’importe quel représentant fonctionnel pouvant se substituer – soit représenter – à l’information nécessaire à l’accomplissement de la tâche ou du problème visé. Du point de vue fonctionnel, la représentation peut donc se définir comme une

information de substitution indispensable au fonctionnement cognitif afin d’assurer un comportement optimal ou adapté face à une situation ou à un problème donné. Information

de substitution, car, comme le remarque Daniel Kayser (2003, p. 386), « représenter E n’a d’intérêt que si E lui-même n’est pas disponible, ou est impropre à la tâche envisagée ». Dans cette perspective, les représentations rendent donc compte de nos contenus de pensée (Meunier, 2015). Par conséquent, plus un système cognitif est capable d’élaborer et de traiter des représentations du réel, plus les comportements et les activités qu’il guide et régule seront à la fois complexes, performants et adaptés. Cela explique la suprématie cognitive et comportementale de l’Homme sur l’animal : en plus d’élaborer et de traiter des représentations mentales à partir des signaux physico-naturels – la couleur d’un fruit représente son état de maturation, par exemple –, le système cognitif de l’Homme élabore et traite également des représentations à partir des signaux symbolico-artificiels créés par lui- même, à savoir des signes44. De ce fait, remarque Vygotski, « la signification devient un nouveau principe régulateur du comportement humain » ([1931] 2014, p. 201).

Nous sommes maintenant en mesure de caractériser les représentations telles que nous les entendrons dans cette recherche. Du point de vue fonctionnel, nous définirons la représentation comme étant une information de substitution mobilisée par l’élève en vue de

faire face à une situation ou de résoudre un problème. De ce point de vue, les représentations

sont, par définition, contextualisées, c’est-à-dire dépendantes des exigences de la situation. Cela signifie donc que les représentations que l’on peut recueillir dans une recherche dépendent en premier lieu des exigences de la tâche, de la situation ou du problème auquel les élèves sont effectivement confrontés. En effet, contrairement aux connaissances45, d’après Richard (2004, p. 9), « la construction des représentations est finalisée par la tâche et la nature des décisions à prendre ». En conséquence, « il suffit, toujours selon Richard, que la situation change, ou qu’un élément de la situation non remarqué soit pris en compte, alors qu’il ne l’était pas, pour que la représentation soit modifiée » (2004, p. 9). D’où l’importance

44 Chez l’être humain, les représentations se trouvent aussi et surtout dans l’univers des significations, c’est-à-

dire dans la signification des mots, des concepts, des phrases, des formules, des équations, des modèles, bref dans tous les artefacts symboliques créés par l’Homme.

45 D’après Richard (2004), les connaissances « ne sont pas entièrement dépendantes de la tâche à réaliser : elles

sont stockées en mémoire à long terme et, tant qu’elles n’ont pas été modifiées, elles sont supposées se maintenir sous la même forme » (p. 9). Le Ny (1995) pense, quant à lui, les connaissances comme des « représentations- types », tandis que Meunier (2015) définit des « représentations permanentes ».

méthodologique de modifier les caractéristiques de surface des situations et des problèmes proposés aux élèves afin de recueillir des représentations indépendantes de ces caractéristiques de surface et de viser, de ce fait, leurs représentations par rapport au sujet de la recherche.

Enfin, quant à leur format, Koenig (2011) précise que le format des représentations peut varier selon la discipline et la théorie à laquelle il est fait référence. Ainsi, « les représentations peuvent être considérées comme des patrons d’activité neuronale mono- ou multi-localisés dans le cerveau, comme des codes linguistiques ou symboliques, comme des entités analogiques incorporant la structure spatiale des objets, … » (p. 6). Cependant, en ce qui concerne le domaine de la psychologie, la « meilleure hypothèse », selon Le Ny (1995, p. 379), consiste à considérer que « leur format (à tout le moins d’une grande partie d’entre- elles) est propositionnel ». Nous adhérons à cette hypothèse, car, comme nous l’avons vu précédemment, chez l’Homme les représentations sont principalement liées à l’univers des significations et du langage. Meunier (2015) précise à cet égard que les représentations propositionnelles « expriment notre savoir sur les propriétés des objets qui nous entourent et sur les relations que ces objets entretiennent » (p. 66). Nous retrouvons finalement ici la notion de « théorèmes-en-acte » discutée précédemment à propos de la conceptualisation de Vergnaud, à savoir des propositions pouvant être tenues pour vraies ou pour fausses dans l’activité de l’individu dans une situation donnée.