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Prendre en compte les représentations des élèves : oui, mais avec quelle intention ?

Chapitre 1. Problématique

1.4. Processus de conceptualisation

1.4.4. Conceptualisation et représentation

1.5.1.3. Prendre en compte les représentations des élèves : oui, mais avec quelle intention ?

un certain nombre de chercheurs. On a vu également qu’une partie de ces attributs semblent être unanimement acceptées, comme leur caractère contextualisé et leur résistance à l’enseignement, alors que d’autres, comme leur cohérence et systématicité, font encore l’objet des débats. Compte tenu de ces éléments, la recherche ne semble pas justifier ni accorder la même importance à l’étude des représentations des élèves.

En effet, la première idée, « largement répandue » selon certains auteurs (Caillot, 2001 ; Firode, 2013 ; Goubet, 2013), consiste à dire qu’une bonne connaissance des représentations des élèves favorise la mise en place de stratégies d’apprentissage visant à modifier ces dernières. L’argument classique voudrait ainsi que l’étude des représentations se justifie car il s’agit de faire passer les apprenants de leurs représentations primitives ou initiales à des représentations plus scientifiques (Astolfi & Peterfalvi, 1993 ; Giordan, 2013). Dans cette perspective s’inscrit également ce que les anglo-saxons appellent le paradigme du « changement conceptuel » (Chi, 2013 ; diSessa, 2013 ; Vosniadou, 2013). Le « conflit cognitif » constitue dans cette approche « la stratégie d’enseignement la plus importante » (Vosniadou, 2013b) en ce sens où il vise à produire l’insatisfaction de l’élève avec sa représentation du concept ou du phénomène étudié et de le conduire ainsi à la substituer par la représentation adéquate. Or le lien entre le conflit cognitif et la modification des représentations ne se vérifie pas toujours dans la pratique. Duit et Treagust (2003, p. 673) affirment à cet égard qu’« aucune étude n’a montré que la conception d'un élève en particulier

pourrait être complètement éteinte, puis remplacée par le point de vue de la science ». Le fait est que l’éradication ou le remplacement d’une représentation erronée du point de la science s’est révélée, dans la pratique, difficile à justifier à partir de leur seule prise en compte. Caillot (2001) ne laisse en ce sens place à aucun doute lorsqu’il affirme que « tous les travaux en didactique montrent la difficulté à procéder au changement conceptuel, en partant seulement du repérage des dites conceptions » (p. 144).

En effet, l’approche qui voudrait que la connaissance des représentations, conceptions ou idées naïves des élèves permettrait de les substituer ou les remplacer après enseignement ne semble pas être confortée par la recherche. Cette approche est « fortement critiquée » dans le numéro 17 de la revue Recherches en éducation. Les auteurs y ayant contribué se sont proposés, en effet, « de mesurer exactement le sens et la valeur de la notion de représentation en pédagogie et en didactique et plus exactement la valeur de cette notion en tant que principe pratique, c’est-à-dire susceptible d'orienter correctement notre action éducative » (Vincent, 2013, p. 3). Deux contributions se remarquent nettement par leur positions critiques : celles des philosophes François Gobet et Alain Firode.

Quant à la contribution de Goubet (2013), l’auteur s’y interroge sur le sens et les usages induits par l'expression « faire bouger les représentations » et, plus particulièrement, sur la conviction chez certains didacticiens des sciences qu'« il existe une transformation des représentations initiales, une mutation de l'idée fausse en idée vraie ». L’auteur s’attaque donc au principe selon lequel il serait possible de « faire bouger les représentations », de les faire « disparaître ». Gobet s’affiche contre le « transformisme », contre « la purge » des idées naïves, pure et simple. De manière plus essentielle encore, Gobet critique toute approche prenant parti pour une rectification « non de la manière de penser, mais de la représentation elle-même, comme si la conception héliocentrique de la nature pouvait surgir de mon expérience quotidienne » (p. 30).

Chez Alain Firode (2013), philosophe également, la critique est encore plus radicale. Dans une perspective « radicalement anti-psychologiste » de la connaissance scientifique, la contribution de Firode met notamment en question l’usage et les attributs associés actuellement à la notion de représentation. En effet, en prenant appui sur les propositions épistémologiques poppériennes, Firode, insiste d’abord sur la distinction entre ce qui est de l’ordre du « logique » de ce qui est de l’ordre du « psychologique », pour refuser ensuite toute approche psychologique, mentale ou subjective de la connaissance. Dans sa conception, tout comme dans la conception poppérienne, la connaissance est avant tout une construction

langagière, symbolique et externe à l’individu. Par conséquent, conclut Firode (p. 42) « le passage d’une représentation à l’autre n’est pas un processus d’ordre logique. Pour qu’il puisse y avoir une évolution rationnelle de la connaissance scientifique, il ne faut pas mettre en concurrence des constructions mentales, des représentations, mais des constructions symboliques, des théories détachées du sujet pensant ». Cette perspective est sans doute questionnable. Or elle a le mérite de « distinguer jusqu’à les opposer radicalement ce que les pédagogues et les didacticiens ralliés au constructivisme tendent au contraire à identifier sans véritable recul critique : à savoir, d’un côté, l’ordre psychologique des causes d’une représentation mentale à une autre ; de l’autre côté, l’ordre logique des raisons par lequel celui-ci compare et sélectionne des objets logiques (des théories) en concurrence » (p. 44). Les résultats empiriques de certaines recherches constituent en ce sens des critiques plus concrètes du paradigme des représentations ou du changement conceptuel. C’est le cas par exemple de la recherche de Potvin et Thouin (2003) évoquée précédemment. Tout en constatant une variabilité particulièrement forte des « itinéraires cognitifs empruntés » par les élèves confrontés aux mêmes situations, les auteurs concluent qu’« il semble alors clair que la première assertion concernant les conceptions, à savoir que, dans l’étude des problèmes de physique, les conceptions jouent le rôle d’un mobile sur lequel on peut construire ou faire évoluer sa compréhension, et qu’elles permettent de suivre les itinéraires cognitifs des individus, ne soit pas vérifiée par nos observations » (p. 536).

D’autres critiques repérées dans la littérature concernant l’étude des représentations des élèves sont également d’actualité. D’une part, Sinatra (2005) et diSessa (2002) pointent respectivement le fait que peu de recherches tiennent compte dans leurs analyses des aspects volitifs et affectifs et de l’influence des facteurs sociaux et contextuels. Ce dernier aspect renvoie en didactique disciplinaire française à la tendance dans les recherches à considérer l’élève essentiellement comme « sujet épistémique », c’est-à-dire en tant que « sujet qui entretient des relations avec le savoir » (Maury & Caillot, 2003, p. 10, cité dans Lebeaume, 2011, p. 38).