• Aucun résultat trouvé

La représentation et ses propriétés : consensus et débats autour de ses attributs

Chapitre 1. Problématique

1.4. Processus de conceptualisation

1.4.4. Conceptualisation et représentation

1.5.1.1. La représentation et ses propriétés : consensus et débats autour de ses attributs

Personne ne conteste aujourd’hui le fait qu’élèves et étudiants arrivent en cours avec des nombreuses représentations sur certains concepts et phénomènes visés par l’enseignement. En revanche, la recherche est bien moins unanime sur les propriétés et caractéristiques associées aux représentations des élèves. On distingue dans la littérature deux tendances correspondant à leur caractérisation. Certaines propriétés, comme leur robustesse ou résistance à l’enseignement ainsi que leur contextualisation ou subordination à un champ notionnel donné, semblent être largement partagées par l’ensemble des auteurs évoqués ci-dessous. En revanche, d’autres caractéristiques, comme le fait d’être des entités cohérentes et bien structurées, fait encore l’objet de débats.

En effet, premièrement, la littérature consultée est assez unanime sur le fait que les représentations des élèves résistent à l’apprentissage (Astolfi & Peterfalvi, 1993 ; Balacheff & Gaudin, 2002 ; Brousseau, 1997 ; Chi, 2005 ; diSessa, 2013 ; Duit & Treagust, 2003 ; Givry, 2003 ; Joshua & Dupin, 1993 ; Migne, 1994 (1970) ; Özdemir & Clark, 2007 ; Pastré, 1994 ; Reiner, Slotta, Chi, & Resnick, 2000 ; Roth, 2008 ; Tiberghien, 2003 ; Vosniadou, 2013 ; Zirbel, 2004). Les tenants de cette perspective affirment que les représentations des élèves « tendent à perdurer, de façon quasi-inchangée, jusqu'au niveau de l'enseignement supérieur inclus, malgré une importante pression d'enseignement » (Astolfi & Peterfalvi, 1993, p. 105). Tiberghien (2003, p. 22) rajoute à ce propos que l’ensemble des recherches en didactique ayant étudié les représentations des élèves dans le domaine de l’électricité « montrent que, pour des questions associées aux circuits simples (générateur, ampoules ou résistors en série ou en parallèle) certaines des réponses obtenues sont semblables quel que soit le niveau des élèves, de la 6ème à la maîtrise ». Cette « résistance » des représentations est également constaté par Brousseau (1997, p. 18) pour qui « certaines des conceptions acquises ne disparaissent pas immédiatement au profit d’une conception meilleure. Elles résistent, provoquent des erreurs et se constituent ainsi en « obstacles ». La recherche anglo-saxonne parlera ainsi de « robustesse » (Chi, 2005 ; Vosniadou, 2013), soulignant de ce fait la difficulté rencontrée par l’enseignant lorsqu’il vise l’évolution dans l’esprit des élèves de certaines représentations (misconceptions) erronées. D’après Chi (2013, p. 56), la robustesse des représentations des élèves par rapport aux phénomènes thermiques, mécaniques, électriques et optiques « a été démontrée par littéralement plus d’un millier d’études ». De son côté, Vosniadou affirme que « chercheurs et enseignants sont déçus de voir que les misconceptions ne disparaissent pas facilement et cela même si l’élève constate qu’elles sont

erronées » (2013b, p. 25).

Malgré le consensus général ici évoqué, certains travaux avancent toutefois des résultats solidement construits allant à l’encontre de l’idée que les représentations des élèves résistent au changement et montrent, à l’opposé des positions précédentes, que les élèves abandonnent aisément leurs représentations initiales. C’est le cas par exemple de la recherche de Potvin et Thouin (2003). Cette dernière avait pour but d’interroger la notion même de conception « en tant qu’objet fertile », c’est-à-dire en tant qu’objet solidement ancré dans l’esprit des élèves et sur lequel il serait possible de fonder des stratégies d’enseignement. Les auteurs montrent toutefois que les représentations explicitées par les élèves sont très facilement abandonnées par ceux-ci. Leur étude consigne effectivement des nombreux épisodes où les élèves abandonnent complètement leurs conceptions, pourtant efficaces, soit après une simple intervention du chercheur, soit après que l’élève lui-même « fait une mauvaise prédiction dont la raison est... une faute de frappe ! » (p. 533). Les auteurs concluent en affirmant que la résistance ou robustesse associée aux représentations n’est pas confirmée par leur recherche. Ce constat est également partagé par Wells (2008) qui, à partir de l’étude d’une série d’extraits d’entretiens constate « la rapidité déconcertante avec laquelle les enfants peuvent produire des nombreuses représentations en très peu de temps afin de rendre compte des différents aspects du problème présenté » (p. 332).

Deuxièmement, la littérature citée ci-dessus laisse également transparaitre un second consensus, à savoir que les représentations des élèves ne sont pas universelles mais fortement contextualisées. Les différents auteurs s’accordent en effet sur le fait que la pertinence des représentations, le plus souvent, ne se définit que par rapport à une classe de situations et de problèmes. Cette dépendance des représentations du contenu et du domaine semble faire l’unanimité dans la communauté des chercheurs (Chi, 2005). Le caractère contextualisé des représentations avait déjà été remarqué dès leur introduction dans le domaine de la didactique française lorsque Migne caractérise ces dernières comme un « modèle personnel d’organisation de connaissances par rapport à un problème particulier » (1994 (1970), p. 23). Les représentations correspondent, dans cette conception, à « des explications, interprétations, ou prédictions produites dans une situation spécifique » (Tiberghien, 2003, p. 22). De manière générale, les différents auteurs ici cités s’accordent sur le fait que les représentations de définissent « localement », c’est-à-dire « domaine notionnel par domaine notionnel » (diSessa, 2013).

s’accordent à la fois sur le caractère local ou contextualisé des représentations et sur leur résistance à l’apprentissage. La première caractéristique, à savoir le caractère situé des représentations, est expliquée à partir de l’état des connaissances de l’élève par rapport à la situation ou le problème où la représentation est repérée. C’est la perspective défendue par Zirbel (2004) pour qui les représentations doivent être associées en premier chef « à l’état de compréhension des étudiants par rapport à la situation dont il est question » (p. 65). Néanmoins, nous proposerons une autre explication dans la deuxième partie de cette section. Quant à la supposée « résistance » des représentations à l’enseignement, nous avons repéré dans la littérature trois approches visant à rendre compte de cet aspect.

Les explications les plus classiques avancent la thèse selon laquelle les représentations résistent car elles seraient des objets stables et solidement ancrés dans l’esprit de leurs détenteurs (De Vecchi & Giordan, 2002 ; Demougeot-Lebel & Perret, 2008 ; Sinatra, 2005). Les supporteurs de cette position affirment, comme corollaire, que si l’on ne tient pas compte des représentations des élèves « le savoir proposé glisse à la surface des élèves sans même les imprégner » (De Vecchi & Giordan, 2002, p. 11). Sans pour autant négliger ce premier aspect, d’autres chercheurs avancent l’idée selon laquelle les représentations résistent à l’apprentissage car elles sont des modes de connaissances « opératoires » et « efficaces » pour l’individu (Astolfi & Peterfalvi, 1993 ; Joshua & Dupin, 1993 ; Paba, Ginestié, & Agostini, 2013). Dans cette perspective, ce ne serait pas tellement l’ancrage des représentations dans l’esprit des élèves que leur caractère fonctionnel qui les rendrait si solides et résistantes. C’est la position défendue par Astolfi & Peterfalvi, pour qui « elles fonctionnent, chez lui [l’élève], comme un mode de connaissance parmi d'autres ; elles correspondent à un système d'interprétation cohérent des phénomènes scientifiques qu'il s'est construit de longue date, et qui pour lui "marche" (Jonnaert, 1988). C'est bien pour cela que les représentations résistent à l'enseignement et perdurent tout au long de la scolarité » (1993, p. 106).

Un troisième groupe de chercheurs présente des arguments moins classiques mais plus proches de notre conception (Chi, 2013 ; Chi & Roscoe, 2002 ; Reiner, Slotta, Chi, & Resnick, 2000 ; Vosniadou, 2013). Ces auteurs considèrent que si certaines représentations – notamment celles rattachées à des concepts scientifiques – sont si difficiles à éradiquer c’est bien parce que cela exige des changements fondamentaux au niveau ontologique. Le postulat implicite à cette approche se fonde sur l’idée de Lakof (1987) selon laquelle « attribuer des catégories ontologiques aux phénomènes constitue une compétence humaine fondamentale » (Chi, 2005, p. 164). Dans cette perspective, les représentations erronées seraient donc des connaissances attachées par les élèves à des catégories ontologiques inadéquates. Par

« catégorie ontologique » il faut comprendre « les classes d’existants de la réalité tels que les objets concrets, les événements et les abstractions » Chi (2005, p. 165). Chaque catégorie se distingue du reste dans la mesure où les entités qu’elle contient sont affectées par des « attributs ontologiques » exclusifs à la catégorie en question : alors qu’il est possible, par exemple, de peser un processeur (objet tangible), il est impossible de peser le traitement de l’information (processus).

La résistance de certaines représentations à l’enseignement s’expliquerait donc en tenant compte du fait que celles-ci peuvent être rattachées par les élèves à des catégories ontologiques inappropriées. En effet, dans la mesure où chaque catégorie possède ses propres attributs — la catégorie des objets tangibles possède les attributs surface, volume, poids, etc. ; la catégorie « processus » possède les attributs durée, causalité, etc. — les élèves doivent donc être amenés à associer les concepts et phénomènes avec les attributs de leurs catégories ontologiques propres. De ce point de vue, la difficulté associée à l’éradication ou à l’évolution d’une représentation vers une autre plus acceptée ou validée scientifiquement, réside fondamentalement dans le travail de déplacement vers la catégorie ontologique à laquelle le concept ou le phénomène appartient effectivement (Chi, 2013). Par exemple, la modification des représentations associées aux concepts chaleur, force, mouvement ou électricité, serait si difficile et coûteuse en termes de temps d’enseignement, car, selon la théorisation précédente, les concepts sont placés par les élèves dans la catégorie ontologique correspondante aux « choses », c’est-à-dire la catégorie contenant des objets tangibles et non pas dans la catégorie « processus » (Reiner, Slotta, Chi, & Resnick, 2000). Chacun de ces concepts prendra ainsi les attributs de la catégorie « objet matériel », ce qui implique, du point de vue des élèves, qu’ils pourront être contenus, avoir du poids, être déplacés, être au repos, être localisés, être consommés, enfin, tout ce qu’on peut attribuer aux objets tangibles.

Cette approche présente un certain intérêt du point de vue de cette recherche. Elle nous met en garde par rapport à la catégorie ontologique que les élèves font correspondre au concept d’information : est-elle placée par les élèves dans la catégorie ontologique adéquate ? En outre, compte tenu du rôle clé de l’information dans le fonctionnement des systèmes numériques, on peut s’interroger aussi, de manière plus fondamentale encore, sur la catégorie ontologique que les élèves font correspondre aux systèmes numériques en général. Ces derniers, on l’a vu, doivent être conçus essentiellement comme des systèmes de traitement de l’information. Ce qui implique donc de se représenter son fonctionnement à partir du bloc fonctionnel « Traitement », les autres y étant subordonnés.