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Discussion des résultats relatifs à l’étude N°3 : question avec contrainte

Chapitre 5. Étude N°3 : comment ça marche un écran tactile ? Réponses sous contrainte lexicale

5.4. Discussion des résultats relatifs à l’étude N°3 : question avec contrainte

L’objectif principal de l’étude N°3 était d’examiner dans quelle mesure les conclusions de l’étude N°2 constituent des indicateurs permettant d’inférer les représentations et les conceptualisations des collégiens à l’égard du fonctionnement des écrans tactiles. Plus précisément, l’étude N°3 avait pour but de tester l’hypothèse selon laquelle la formulation de la question proposée aux élèves dans l’étude N°2 était susceptible d’orienter leurs représentations de la situation et donc les explications recueillies : la plupart des élèves de l’étude N°2 se sont focalisés sur la suggestions ou l’explicitation des processus et des phénomènes se manifestant quasi-exclusivement à la surface des écrans tactiles.

Rappelons que, en réponse à la question proposée dans l’étude N°2 — comment ça marche un écran tactile ? — (question sans contrainte), les explications proposées par les 89 élèves de 3e étaient :

1. Nettement focalisées sur l’explicitation ou la suggestion des blocs fonctionnels « Action » (91 %) et « Détection » (75 %).

2. Moins intéressées par l’explicitation ou la suggestion des blocs fonctionnels « Transmission » (18 %) et « Traitement » (17 %).

Comme nous l’avons signalé plus haut, si on ne tient compte que de ces résultats, force est de reconnaître que la représentation des collégiens relative au fonctionnement des écrans tactiles est sous-tendue par un modèle particulièrement simplifié, à savoir « Action/Détection ». Néanmoins, compte tenu de la forte concentration des réponses relatives aux étapes « Action » et « Détection » observée dans l’étude N°2, nous avons fait l’hypothèse que la polarisation des réponses peut être comprise comme étant un effet de la question proposée aux élèves, et non pas comme seulement un indicateur du degré de conceptualisation et de représentation de l’échantillon.

Afin donc de tester cette hypothèse, l’étude N°3 a modifié la question de l’étude N°2 – ouverte et sans contrainte – et a demandé à 96 élèves de 3e d’expliquer comme fonctionne un écran tactile mais en les contraignant à utiliser le terme « information » dans l’explication présentée.

On a pu constater que les explications obtenues sous la nouvelle contrainte sont :

1. Principalement intéressées par l’explicitation ou la suggestion du bloc fonctionnel « Transmission » (60 %).

2. Également concernées par l’explicitation ou la suggestion des blocs fonctionnels « Détection » (47 %), « Sortie » (47 %) et « Action » (42 %).

3. Moins intéressées par l’explicitation ou la suggestion du bloc fonctionnel « Transmission » (26 %).

4. Clairement construites sur un schéma fonctionnel « Action/Détection/Transmission » (32%).

L’ensemble de ces résultats nous invite à nuancer certaines des conclusions relatives à l’étude N°2 (question sans contrainte). En effet, les résultats de l’étude N°3 vont dans le sens de notre hypothèse de travail en suggérant que la formulation de la question présentée dans l’étude N°2 a eu un effet non négligeable sur les éléments de réponses privilégiés par les élèves réagissant à la question « comment ça marche un écran tactile ? » Le fait est qu’en modifiant quelque peu la forme de la question initialement posée aux élèves, c'est-à-dire en contraignant ces derniers à utiliser le terme « information », nous obtenons, dans l’étude N°3, des réponses organisées selon une autre structure et un autre contenu que celles obtenues dans l’étude N°2. Ces résultats peuvent être interprétés de trois façons. La première invite à considérer qu’il s’agit d’un « effet échantillon » : on peut rattacher le nouveau contenu des réponses au fait que l’étude a été réalisée auprès d’un nouveau groupe d’élèves de 3e. Une deuxième lecture conduit à envisager l’existence d’un « effet lexical » : en réaction à la contrainte imposée, les

élèves ont été forcés à formuler le syntagme le plus proche à la fois du domaine de la question (informatique) et du terme imposé (information) à savoir le syntagme « transmission de l’information ». Une troisième lecture fait apparaître un « effet analytique » : sous l’influence de la question, l’analyse des élèves a été effectivement détournée de ce qui se passe exclusivement à la surface de l’écran, pour s’orienter de sorte à se représenter certains des processus et des phénomènes se déroulant à l’intérieur du dispositif. Ce qui se traduit, du point de vue du chercheur, par le repérage du bloc fonctionnel « Transmission ».

En dépit du fait que ces trois lectures soient toutes nécessaires et appropriées, nous privilégions les deux dernières, à savoir l’« effet lexical » et l’« effet analytique ». Nous rejetons donc l’interprétation selon laquelle les résultats de l’étude N°3 s’expliquent à partir de facteurs comme l’état de connaissances ou de compétences scolaires du nouvel échantillon. Le fait est que l’échantillon de la première étude n’est ni mieux instruit ni plus compétent académiquement parlant, que celui de la seconde étude. Au contraire : le premier échantillon était composé d’élèves avec des caractéristiques scolaires plus performantes. Les élèves de l’étude N°2, en effet, sont issus de milieux sociaux plus favorisés appartenant à des collèges dits d’« excellence ». En outre, les contenus des réponses des deux échantillons de 3e ne se différencient fondamentalement que par rapport à la prise en compte des étapes « Transmission » et « Traitement », soit là où nous avons influencé la réaction des répondants : les composants et les phénomènes de surface cités restent les mêmes — capteurs, chaleur, pression.

Les résultats de l’étude N°3 prennent donc sens au regard de l’effet « lexical » et de l’effet « analytique » de la contrainte imposée aux élèves Dans la mesure où l’effet analytique doit être inféré par le chercheur, l’interprétation à privilégier reste donc celle relative à l’« effet lexical ».

En effet, « c’est un fait connu, précise Le Ny (1995, p. 277), que l’existence d’une relation sémantique associative produit une facilitation de la décision lexicale sur le deuxième mot ». Ainsi, l’étude N°3 montre qu’en fournissant aux élèves le mot « information » ils le rattachent facilement62 au mot « Transmission ». À cet égard que les résultats de l’étude N°3 – l’étude

dont il est question ici – sont en complet accord avec les résultats issus de l’étude N°2, à savoir que l’usage de la notion d’information est fortement corrélé à la prise en compte, dans

62 Pour expliquer cette facilitation du choix lexicale, « il faut postuler, toujours selon Le Ny (1995, p. 277) que le premier mot, a, d’une façon ou d’une autre, activé une représentation sémantique qui lui correspond. Dans une telle interprétation n’entre aucune composante phénoménale consciente ».

une même réponse, du bloc fonctionnel « Transmission »63.

En revanche, il est toutefois remarquable que l’effet lexical ne se soit pas vérifié dans la même mesure vis-à-vis de la formation du syntagme « traitement de l’information » : alors que 60% de l’échantillon d’élèves parlent de « transmission de l’information », seulement 26% du total parlent de « traitement de l’information ». Ce résultat, en accord aussi avec ceux de l’étude N°264, met en évidence que le bloc fonctionnel « Traitement », même sollicité et

suggéré lexicalement, n’est pas spontanément évoqué ou suggéré par les élèves.

Précisons néanmoins, toujours dans cette perspective linguistique, que ce qui a été imposé aux élèves dans la consigne n’est pas à proprement parler un mot, mais un terme. Or les termes n’ont pas le même comportement lexical dans la langue que les mots : les termes n’appartiennent pas strictement à des champs lexicaux, mais à des ensembles terminologiques construits par un domaine ou une discipline donnée (Coserieu, 1966).

Le terme, contrairement au mot, se caractérise par le fait que sa signification doit coïncider avec sa désignation : le terme doit être, en principe, le représentant exclusif de ce qu’il désigne — ce qui n’est pas nécessairement le cas des mots. De ce fait, « on connait les signifiés des terminologies dans la mesure où l’on connaît les sciences et les techniques auxquelles elles correspondent » (Coserieu,1966, p. 183). Dans les domaines spécialisés la signification coïncide ainsi avec la désignation. Par conséquent donc, l’emploi et la structuration d’un terme dans une phrase dépend, en premier lieu, des connaissances du domaine auquel appartient le terme en question – milieu objectif –, mais aussi des connaissances sur la façon dont ce domaine emploie effectivement le terme dans l’acte de linguistique en général – zone linguistique –, c’est-à-dire sur la manière dont il structure une phrase, sur les syntagmes qui lui sont permis, etc. (Coserieu,1966).

De ce point de vue, lorsque l’on demande aux élèves d’utiliser le terme « information » pour expliquer comment marche un écran tactile, on leur demande d’utiliser une unité linguistique avec une signification bien précise dans un domaine bien précis. Ainsi, pour employer de manière appropriée le terme imposé, les élèves doivent à la fois savoir ce que son signifié désigne dans le domaine en question, c’est-à-dire l’avoir conceptualisé, et, parallèlement, savoir l’utiliser en tant que signe linguistique dans l’acte de parole — orale ou écrite —, c’est- à-dire être capable de placer le terme parmi d’autres mots ou d’autres termes au sein d’une

63 Ces résultats ont été également issus d’analyses lexicales portant sur l’ensemble des réponses de l’étude N°2 (426 élèves).

64 Les analyses lexicales effectuées dans l’étude N°2 ont mis en évidence que l’attraction est plus importante entre les termes information-transmission qu’entre les termes information-traitement (voir Tableau 7).

même phrase afin d’exprimer une idée cohérente. En d’autres termes : le bon usage du terme « information » renvoie non seulement à une lexicalisation mais aussi à une conceptualisation du terme.

Il est évident que les deux compétences fonctionnent simultanément, mais la compétence lexicale peut parfois être première. C’est en tout cas ce que suggère l’étude N°3 : une proportion importante d’élèves (57/96) du nouvel échantillon est effectivement capable d’utiliser le terme « information » dans une phrase en le rattachant de manière adéquate, par exemple, au terme « transmission » et en construisant ainsi le syntagme correspondant, à savoir « transmission de l’information ». Or l’étude N°3 ne peut nous permettre de conclure quant à la capacité des élèves interrogés à conceptualiser effectivement la notion d’information et à se représenter convenablement les processus de transmission et de traitement de l’information.

L’étude N°3 soulève en ce sens une nouvelle problématique : les élèves ne sont pas capables d’associer la transmission avec le composant adéquat. En effet, bien que deux tiers des élèves (57) du nouvel échantillon identifient l’étape « Transmission » comme étant celle qui a lieu après la « Détection » et, selon certains élèves, avant le « Traitement », lorsqu’ils évoquent la destination de cette transmission, seulement une petite fraction (12 sur 57) va l’associer avec un destinataire pertinent. C’est ce qu’est mis en évidence dans le tableau 14.

Enfin, nous ne pouvons pas ignorer l’« effet analytique » de la question. C’est-à-dire, en contraignant les élèves à tenir compte de la notion d’information, nous pouvons supposer que nous avons également contraint leur analyse, certes élémentaire, en l’orientant vers une représentation du système incluant non seulement les processus de surface, mais aussi les processus se déroulant à l’intérieur du dispositif. Ainsi, soumis à cette contrainte, les élèves ont pu plus facilement se représenter et donc suggérer le bloc fonctionnel « Transmission ».

Chapitre 6. Étude N°4 : comment le téléphone sait que le doigt