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Chapitre 1. Problématique

1.3. Et l’élève, comment approche-t-il les systèmes ?

Les sections précédentes ont montré que l’analyse des objets ou systèmes numériques relève d’une complexité non négligeable. Il s’agit effectivement de mettre en relation la structure du système avec l’ensemble de ses fonctions (de service, techniques), mais aussi de prendre en compte les flux d’entrée et de sortie au système (de matière, d’énergie, d’information), l’ensemble de ces considérations renvoyant à la question de la délimitation des frontières. Rien de cela paraît être évident pour le non-spécialiste, cela l’est encore moins pour les élèves. La question que nous voulons aborder dans cette partie est justement celle de savoir quels sont les constats de la recherche par rapport à la manière dont les élèves abordent

spontanément l’ensemble de ces problématiques : existe-t-il une pensée systémique spontanée chez les élèves ? Quelles frontières d’analyse établissent-ils ? Quelles fonctions identifient- ils ? Voyons qu’est-ce que dit la littérature à cet égard.

L’ensemble des définitions de la notion de système convergent vers le fait que la principale caractéristique d’un système tient à ce que son comportement (ou fonction) global(e) ne peut pas être localisé dans ses parties constituantes. Cette idée est résumée dans la formule « l'ensemble est supérieur à la somme des parties » (Bertalanffy, [1968] 2012, p. 53). De ce point de vue, juger de si un élève manifeste ou ne manifeste pas une approche systémique face à une situation donnée tient donc principalement à l’observation de si l’élève en question reconnait et met en avant que « l'ensemble est supérieur à la somme des parties ».

En effet, Ing (2013, p. 527) précise en ce sens que « l’intérêt de développer une approche systémique [chez les élèves] est de mettre en évidence le tout, les parties, et leur relation ». Certains auteurs considèrent à cet égard que sans le développement d’une approche systémique, les élèves seraient condamnés à ne pouvoir décrire que les caractéristiques de surface de ces ensembles (Booth Sweeney et Sterman, 2007). En outre, dans la mesure où les systèmes technologiques contemporains présentent un niveau d’abstraction particulièrement élevé, on doit reconnaître avec Sullivan (2008) que plus les élèves développeront une pensée de type systémique, plus ils seront capables de comprendre la structure et d’identifier les relations causales et fonctionnelles des systèmes contemporains (Pérez & Lebeaume, 2015). Certains auteurs défendent toutefois l’idée que « les enfants ont une pensée systémique naturelle capable de reconnaitre des interdépendances et des interconnexions bien avant qu’ils soient en contact avec ces concepts dans l’enseignement scolaire » (Brown et Campione, 1994 ; Senge et al., 2000, cité dans Booth Sweeney & Sterman, 2007, p. 285). Qu’il s’agisse d’un « pensée naturelle » nous semble pour le moins discutable. Néanmoins, nous ne nous opposons pas ici à l’idée qui voudrait que la grande majorité de nos élèves arrivent à l’école avec certaines connaissances qui viendraient conforter une pensée qu’on pourrait appeler de « systémique-élémentaire ».

En effet, dans un entourage domestique et urbain bien garni d’une large variété de systèmes de toutes sortes, nos actuels élèves ont pu interagir dès très tôt avec des objets de complexité structurelle et fonctionnelle variées tels que le lit, les draps, les portes, les vêtements, les chaussures, le robinet, les jouets, le vélo, les appareils ménagers, etc. Ces interactions ont sans doute constitué pour nos élèves leur tout premier accès — perceptif — aux univers des mécanismes, des interconnexions, des contacts, des fonctions (« ça marche »), des

dysfonctionnements (« ça ne marche pas »), de fonctionnement conditionnel (ça marchera si …). Par conséquent, un enfant possédant des jouets électriques par exemple, a pu comprendre très tôt que si on enlève la batterie du jouet en question, alors ce dernier ne fera plus ce qu’il faisait initialement ; qu’une poupée sans bras et qu’un camion sans roues sont incomplets du point de vue de leur structure initiale ; qu’un livre a toujours des feuilles (pages) attachées les unes aux autres et qui se succèdent toujours ; que les robinets s’ouvrent et se ferment toujours selon des mouvements précis ; et ainsi bien d’autres régularités structurelles et fonctionnelles que l’enfant découvre et intègre en interagissant avec son environnement.

Ces interactions, ludiques et élémentaires, mais pleinement conscientes, ont permis à l’enfant d’accéder perceptivement à ce que le langage formalisera pour lui plus tard sous les termes de « tout », de « parties », de « structure », d’« interaction », de « mécanisme », de « fonction », de « fonctionnement », etc. Bien qu’il ne s’agisse pas des connaissances explicitables par l’enfant, nous pouvons considérer que ce fondement structuro-fonctionnel construit avec l’expérience, constituera l’échafaudage sur lequel il pourra bâtir plus tard, avec l’aide et l’influence de l’enseignement, l’un des concepts considérés aujourd’hui comme concept fondamental dans les domaines des sciences et de la technologie, à savoir le concept de système (Barak & Williams, 2007 ; Booth Sweeney & Sterman, 2007 ; Keynan, Assaraf, & Goldman, 2014 ; Koski & de Vries, 2013 ; Svensson & Ingerman, 2010). L’enfant, comme conséquence des expériences préalables, arriverait alors à l’école de base avec une pensée empirique qui viendrait déterminer le contenu et les contours de ce que Vygotski appelle la « zone proximale de développement » et qui, par définition, faciliterait le développement d’une pensée plus élaborée dont les notions d’éléments, de structure, de fonction, d’interdépendance et notamment de système constituent le centre.

La littérature consultée suggère effectivement que la pensée de l’enfant n’est pas complètement étrangère à la notion de système et ses correspondances notionnelles. Les recherches sous-entendent que les enfants n’ont pas de difficultés particulières dans la compréhension de ce qu’est un système, ni dans l’identification, ni dans les analyses les plus élémentaires de ses éléments et ses connexions (Booth Sweeney & Sterman, 2007 ; Keynan, Assaraf, & Goldman, 2014 ; Koski & de Vries, 2013 ; Svensson & Ingerman, 2010 ; Sullivan, 2008). Selon les travaux ici cités, face à une machine à café, à un robot, à un téléphone portable, ou à un lave-linge, les élèves, de manière générale, explicitent sans difficulté qu’il s’agit d’« un tout » constitué « des parties », possédant une « structure » et assurent un « fonctionnement donné » : le système, en tant qu’assemblage d’éléments subordonnés à une fonction paraît être une définition assez proche de l’univers conceptuel des élèves. Plus

particulièrement, Ortnas (2007, cité dans Hallstrom, Klasander & Svensson, 2012, p. 203), intéressé par la manière dont les élèves de collège se représentent les systèmes technologiques proches de leur expérience, conclut qu’« avec un peu d’aide, ils peuvent [les élèves] comprendre comment fonctionnent le système de téléphonie mobile, le système de collecte des déchets et la machine à laver, au moins sur ce qui relève de la structure et sur comment ils sont liés à d’autres sous-systèmes et aux humains ». Ces résultats sont proches de ceux de Koski et de Vries (2013, p. 847), qui constatent que les élèves (8 ans et 10 ans), avec l’aide de l’enseignant, mais sans enseignement préalable, comprennent facilement que, dans un lave- linge, « il existe des parties qui fonctionnent à l’intérieur d’autres parties ou encore que le fonctionnement du système suit une série d’étapes bien déterminées. Dans le domaine de la robotique, Sullivan (2008), après quelques séances de travail dans la conception et la mise au point de robots, constate que les progrès les plus remarquables dans la pensée de ses élèves (12 ans) sont justement dans le développement d’une vision plus pertinente du « système robot ».

Cependant, il ne suffit évidemment pas de distinguer le « tout » des « parties » et la « structure » de la « fonction », pour assurer une pensée systémique : « pour comprendre ces ensembles, explique Bertalanffy en parlant de systèmes, il faut connaitre non seulement leurs éléments mais aussi leurs relations » (2012, p. xv). Or, tout en reconnaissant la complexité des dispositifs présentés aux élèves, les recherches citées précédemment, montrent que les enfants ne tiennent compte que des éléments et des connexions les plus évidents du système et se concentrent davantage sur les actions exécutées par le système que sur les interactions de ces éléments. Ainsi, Svenssson (2011, cité dans Hallstrom, Klasander & Svensson, 2012, p. 203), remarque que les élèves ayant participé à sa recherche, tout en décrivant « assez bien » la structure d’un système donné, ont des difficultés quant à la compréhension de la manière dont les composants interagissent entre eux.

Dans le même ordre d’idées, Keynan, Assaraf, et Goldman (2014) ainsi que Koski et de Vries (2013), constatent que les enfants ont des difficultés lorsqu’ils doivent exposer les interconnexions des parties et sous-parties ou bien lorsqu’ils doivent décrire précisément la manière dont les éléments du système interagissent entre eux. Sullivan (2008) remarque également que l’explicitation de l’ensemble de relations fonctionnelles et causales est une opération difficile pour les élèves. Koski et de Vries (2013), constatent aussi que les élèves ne distinguent pas ce qui relève de la notion de « processus » de ce qui relève de la notion de « système » et confondent de ce fait — i.e. confondre le système « lave-linge » du processus « laver le linge ». Cette confusion, remarquent ces auteurs, empêche les élèves de comprendre

qu’un système peut avoir plus d’une fonction et de définir les « frontières » du système étudié. Remarquons, enfin, que certains travaux signalent la difficulté que représente pour les élèves entre 12 et 15 ans, la « généralisation » des systèmes étudiés à d’autres, sous la base des caractéristiques structurelles et fonctionnelles relevées (Booth Sweeney & Sterman, 2007 ; Koski et de Vries, 2013 ; Keynan, Assaraf, & Goldman, 2014).

Conclusion-pensée systémique chez l’élève

Dans la mesure où les enfants savent qu’un simple agrégat d’éléments ne constitue pas un système, leur pensée spontanée n’est pas étrangère à cette notion ainsi qu’à quelques-uns de ses attributs principaux. Les élèves sont en ce sens capables de manipuler les notions d’« éléments », ou « composants », de « tout », de « parties », ainsi que celles de « structure » et de « fonction ». Néanmoins, la littérature s’accorde de manière générale pour admettre que, face aux différents systèmes, les élèves se focalisent davantage sur les éléments et les actions isolées que sur les liens entre les éléments, la nature de ces liens et les interactions engendrées. C’est pourquoi nous exclurons de notre propos que la pensée des élèves présente les traits d’une pensée systémique.

L’ensemble des travaux consultés suggèrent finalement que la pensée des élèves se limite à la description des caractéristiques les plus superficielles et les plus évidentes des systèmes. Cela explique pourquoi les élèves manifestent moins de difficultés dans la compréhension de l’arrangement spatial des éléments (la structure), car visibles, et ont plus de difficultés lorsqu’ils doivent tenir compte de l’arrangement temporel des éléments et des interactions (les processus). Les recherches ici évoquées remarquent également que la pensée des élèves ne fonctionne que « dans un sens », et elle est donc caractérisée comme une pensée « unidirectionnelle » (Booth Sweeney & Sterman, 2007). Ce type de pensée se manifeste essentiellement par le fait que les élèves explicitent rarement des processus ou des sous- ensembles interdépendants. Il est enfin remarquable que les notions de « boucle » ou de « feedback » soient moins présentes dans la pensée des enfants (Svensson & Ingerman, 2010).