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Chapitre II : Revue de la littérature sur les déterminants de l’inflation

2.1. Revue des grandes théories économiques de l’inflation

2.1.4. Le courant monétariste

Le courant monétariste a été initié par l'économiste américain Milton Friedman, « prix Nobel » d'économie 1976. Analysant lui aussi la grande dépression, Friedman estime qu'elle est due à une expansion déraisonnable du crédit, qui a provoqué une bulle spéculative dont l'éclatement marque le début de la crise, suivie d'un dégonflement tout aussi déraisonnable de la masse monétaire (réduite d'un tiers entre 1929 et 1933), qui a étranglé l'économie. Par cette analyse portant sur l’interprétation de la crise de 1929, M. Friedman, chef de file de l’université de Chicago dont il a fait un « bastion anti-keynésien », a exposé sa première opposition à la pensée keynésienne. Là où Keynes voyait l'insuffisance de la demande effective et un capitalisme incapable de s'autoréguler, Friedman ne voyait qu'un concours de circonstances et une erreur de politique monétaire (Bailly, 2002).

Ensuite vient la grande crise des années 1970, présentant des particularités inédites, elle va inciter à repenser le fonctionnement de l'économie. Alors que dans le schéma habituel des crises; une baisse ou une stagnation de la production s'accompagne d'une hausse du chômage et d'une chute des prix, la récession cette fois-ci est marquée par la coexistence d'une croissance ralentie, d'une forte inflation et d'un chômage en augmentation. Les mesures politiques d’inspiration

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keynésienne semblent impuissantes face à ce nouveau phénomène baptisé « stagflation ». La crise va donc propulser Friedman au premier rang et permet à ses thèses de rencontrer un certain succès. Celui-ci a tenté de dénoncer les « erreurs keynésiennes » et démontrer que les politiques interventionnistes sont inefficaces et déstabilisantes (Bailly, 2002).

M. Friedman a inauguré une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent à celles du keynésianisme. En réponse à la fonction de consommation keynésienne, il développa la théorie du revenu permanent. Avec cette théorie et l’introduction du taux de chômage naturel, il remet en cause le bien-fondé des politiques de relance qui, pour lui, ne peuvent que provoquer de l’inflation.

Les principaux apports de M. Friedman dans la théorie monétaire, peuvent être résumés dans les points suivants :

2.1.4.1. La réhabilitation de la théorie quantitative de la monnaie

Alors que les keynésiens insistent sur l'influence de la monnaie sur l'activité réelle (au travers du taux d'intérêt), Friedman revisite la théorie de la monnaie neutre, notamment dans « Studies in the quantity theory of money » (1956). S'il admet qu'à court terme la monnaie puisse exercer des effets réels, Friedman estime qu'à long terme, toute variation de la masse monétaire se traduit – toutes choses égales par ailleurs - par une hausse équivalente du niveau général des prix (Combe, 1997). Cette pensée s’appuie sur la théorie quantitative de la monnaie d’Irving Fisher (1907) qui explique les mouvements des prix par la variation de la masse monétaire.

Les monétaristes conservent alors la relation causale entre la monnaie et le niveau général des prix, mais s’éloignent de la démarche des quantitativistes traditionnels en offrant une reformulation moderne , dès 1956, de la théorie quantitative de la monnaie dans un article intitulé « The quantity theory, a restatement » en la fondant sur une analyse de la demande de monnaie liée à la théorie du revenu permanent (Dembo Toe, 2010). Ils retrouvent toutefois les conclusions des formulations anciennes de la théorie quantitative : les prix varient proportionnellement à la quantité de monnaie en circulation.

Friedman pense en effet, que les agents ont une demande de monnaie stable, car fonction de leur revenu permanent, c’est-à-dire du revenu actualisé qu’ils anticipent sur leur vie entière. Par conséquent, puisque la demande de monnaie est stable, toute augmentation de l’offre de monnaie ne modifie pas les encaisses réelles des agents. Ils utilisent par conséquent, la monnaie

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supplémentaire dont ils disposent pour consommer, ce qui se traduit par une augmentation des prix. Les perturbations monétaires ne peuvent donc provenir que de l'offre de monnaie, supposée exogène (c'est-à-dire entièrement déterminée par les autorités monétaires) (Combe, 1997).

M. Friedman s’est efforcé d’apporter une vérification empirique de ces résultats en 1963 dans son « Histoire monétaire des Etats-Unis » avec Anna Schwartz. De ses travaux sur l’équation de la théorie quantitative de la monnaie, M. Friedman tira l’idée selon laquelle l’inflation est un phénomène d’origine monétaire. Il déclara à propos du lien entre inflation et monnaie : « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production » (Friedman, 1985). En conséquence il défendit une politique monétaire basée sur l’offre de monnaie : il considère que l’inflation doit être contrôlée par le volume des émissions de monnaie de la banque centrale.

2.1.4.2. Une nouvelle fonction de consommation

Dans la perspective keynésienne, la fonction de consommation est estimée instable : la consommation dépend du niveau de revenu courant (le revenu disponible), ce qui rend les ménages très sensibles à une variation, même temporaire, du revenu. Cette approche est remise en cause par les travaux de M. Friedman publiés en 1957 dans « Théorie de la fonction de consommation ». A la place, il formule « l’hypothèse du revenu permanent » qui postule que la consommation dépend du revenu permanent (Bailly, 2002). En d’autres termes, les choix de consommation sont guidés non par les revenus actuels mais par les anticipations que les consommateurs ont de leurs revenus (qui intègrent les revenus passés, présents et à venir). Ces anticipations étant plus stables, elles ont tendance à lisser la consommation, même quand le revenu disponible baisse ou augmente. Friedman, dans ses observations, arrive à la conclusion selon laquelle le revenu réel n’est jamais régulier, la consommation des ménages est plus stable dans le temps que ce dernier. Une baisse de revenu ne correspond pas toujours à une baisse de consommation. Donc les agents ne déterminent pas leur consommation courante en fonction du revenu courant mais plutôt du revenu permanent. Friedman distingue donc dans le revenu courant deux composantes : le revenu permanent et le revenu transitoire qui peut prendre des valeurs positives ou négatives, puisqu’il résulte d’irrégularités plus ou moins accidentelles dans l’évolution des recettes des ménages. C’est la composante du revenu dont les agents ne

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prévoient pas le maintien à l’avenir. La seule relation stable est celle qui relie la consommation au revenu permanent (Combe, 1997).

Friedman mobilise également la théorie du revenu permanent pour remettre en cause l'efficacité des politiques conjoncturelles de relance de la demande et le multiplicateur d’investissement keynésien : comme les agents consomment uniquement en fonction de leur revenu permanent, la relance, assimilée à un revenu transitoire, influe peu sur leur consommation (Drouin, 2012).

2.1.4.3. Taux de chômage naturel et critique de la courbe de Phillips

Dans ses travaux publiés en 1968 dans « Inflation et systèmes monétaires », M. Friedman a également contribué à la remise en cause de la Courbe de Phillips et mit au point le concept de taux de chômage naturel défini comme le taux de chômage d’équilibre, vers lequel l’économie tend vers le long terme. Plus exactement Milton Friedman le définit comme « le taux qui découlerait du système Walrasien d'équilibre général si les caractéristiques structurelles effectives des marchés des biens et du travail y étaient intégrées, notamment les imperfections du marché (absence de transparence, mauvaise diffusion de l’information entre demandeurs et offreurs d’emplois), la variabilité aléatoire des offres et des demandes, le coût de collecte de l'information sur les emplois vacants, les coûts de mobilité, etc. ». Ce taux de chômage naturel est supposé stable et unique pour un pays donné : le taux de chômage effectif "gravite" autour du taux de chômage naturel. Friedman envisage le chômage naturel comme un phénomène essentiellement structurel (inadéquations entre offres et demandes d'emploi) et frictionnel (comportement de recherche d'emploi) ; cette hypothèse s'inscrit en rupture avec la vision keynésienne, fondée sur la possibilité d'un chômage conjoncturel (Combe, 1997).

Dans ce cadre il considère que « l'arbitrage entre inflation et chômage » que la courbe de Phillips présente est un leurre : une réduction de chômage obtenue par hausse de l'inflation va rapidement conduire à une nouvelle hausse du chômage avec un niveau d'inflation plus élevé, poussant le pays vers la stagflation ou l'hyperinflation. Il s’oppose donc au taux de chômage sans accélération de l’inflation. Etant de nature structurelle, le taux de chômage naturel ne peut être réduit par des politiques conjoncturelles et l’injection de liquidités débouche fatalement sur l’inflation selon Friedman (Drouin, 2012).

La disparition de l'arbitrage inflation-chômage tient au fait des anticipations adaptatives des agents économiques que nous allons voir ci-après.

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2.1.4.4. L'inefficacité des politiques conjoncturelles de relance keynésiennes

Le verdict de Friedman est sans appel: l'arme monétaire ne produit un effet positif sur l'emploi qu'à court terme. Dès le moyen terme, le niveau de chômage antérieur réapparaît, accompagné cependant d'un taux d'inflation supérieur à celui de l'ancienne situation. Ainsi, la politique monétaire expansionniste s'avère inefficace et même nuisible. Sa démonstration s'articule autour de la notion « d'anticipations Adaptatives ». Adaptatives car les agents anticipent en se basant sur les données du passé, en s'y adaptant (Bailly, 2002).

Si l'on prend l'exemple des prix, les agents réalisent des anticipations adaptatives dès lors qu'ils tirent parti des anticipations effectuées dans le passé et des erreurs commises sur ces anticipations. Supposons que l'économie se situe en situation de chômage naturel. Le gouvernement s'engage dans une politique monétaire expansive : en vertu de la théorie quantitative, la relance monétaire se traduit par une accélération de l'inflation, qui entraîne à court terme une baisse du salaire réel. En effet, les agents ont anticipé un niveau général des prix inférieur à celui observé et sont victimes de « l’illusion monétaire » dans les négociations salariales. La diminution du salaire réel incite les entrepreneurs à augmenter leur demande de travail: le taux de chômage baisse en dessous de son niveau naturel ; il existe donc bien à court terme une relation décroissante entre chômage et inflation. Mais cet arbitrage est instable : à long terme, les agents corrigent leurs anticipations de prix et réclament un ajustement salarial ; le salaire réel retrouve son niveau de départ et l'on revient au taux de chômage naturel mais... avec un taux d'inflation plus élevé. La politique monétaire ne peut faire baisser durablement le chômage en dessous de son niveau naturel, sinon au prix d'une accélération systématique de l'inflation (Combe, 1997).

Démonstration : Si le taux d'inflation des années précédentes a été, en moyenne, de 3%, les agents économiques prévoiront pour l'année à venir une hausse des prix d'environ 3%. Les autorités publiques vont alors pouvoir « profiter » de ce regard tourné vers le passé et non vers le présent, pour tenter de relancer l'économie à l'aide d'une politique monétaire expansionniste. La politique monétaire en accroissant l'offre de monnaie, autrement dit la quantité de monnaie en circulation, génère en réalité une inflation de 5%. Que va-t-il se passer??

Dans ce cas un peu d'inflation permet d'obtenir à court terme, une progression de l'emploi, le recul du chômage et l'augmentation de la production. Il y a une légère relance de l'activité économique. Mais à court terme seulement car les agents vont s'apercevoir au bout d'un moment, qu'ils se sont fait berner dans la mesure où ils s'aperçoivent que l'inflation générée par cette

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politique monétaire expansionniste annule l'augmentation des salaires nominaux et que leur salaire réel s’est dégradé. Ils vont alors ajuster leurs anticipations et exigeront une hausse des salaires. Du côté des entreprises, les entrepreneurs vont réaliser que cette évolution ne leur a rien apporté de favorable si ce n'est une élévation des coûts de production. De ce fait, les entreprises vont diminuer leur production entrainant plus de chômage.

Conséquence: Au total le taux de chômage revient à son niveau initial mais avec un taux d'inflation désormais de 5% (Bailly, 2002).

Quoiqu'il en soit, la politique keynésienne bute fatalement sur ce que les monétaristes appellent « le taux de chômage naturel ». C'est un taux en dessous duquel on ne peut pas descendre car il dépend des structures du marché et de celles de l'économie, c'est en fait le niveau de chômage que l'on observe lorsque l'économie fonctionne de manière « naturelle », c'est-à-dire déterminé par le seul fonctionnement du marché et sans intervention de l'état.

Il en est de même pour une politique de relance budgétaire : « un gouvernement qui recourt à l’inflation de la demande pour réduire le taux de chômage est condamné à utiliser des doses d’inflation de plus en plus fortes pour obtenir le même résultat ». En effet, une tentative de la part du gouvernement de pousser l’économie vers le plein emploi : accroissement des dépenses publique (G) → Inflation en hausse → le chômage baisse et pour baisser encore plus le chômage il faut accroître encore plus les dépenses et l’inflation serait encore plus forte ; mais les travailleurs vont ajuster leurs anticipations et exigeront une hausse des salaires. Le coût de l’entreprise augmente et la production diminue entrainant plus de chômage. Il n’existe pas alors un arbitrage négatif permanent entre le taux d’inflation et le taux de chômage. La politique budgétaire est donc inopérante, et même susceptible de déstabiliser l'économie en créant de l'inflation (Chakendari, 2006).

Conclusion : les politiques économiques expansionnistes peuvent stimuler l’emploi à court terme mais risquent d’être contre-productives à long terme en créant à la fois du chômage et de l’inflation. Toute démonstration de Friedman repose donc sur l’idée que la possibilité de mener des politiques macroéconomiques de réduction de ce niveau de chômage naturel repose entièrement sur la manière dont les anticipations des agents économiques sont formulées. En l’occurrence, la possibilité dans le système keynésien, de parvenir à réduire le sous-emploi provient du fait que offreurs de travail sont victimes d’une illusion monétaire. Or, cette illusion monétaire ne peut exister qu’à court terme, et c’est ce qui explique que le taux de chômage retrouve dans le moyen terme son niveau naturel.

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Friedman a conclu non seulement que l’inflation est un phénomène monétaire, proposition que les keynésiens n’ont jamais contredite, mais qu’elle a pour seule cause l’augmentation de la masse monétaire eu égard du revenu réel. Du point de vue de l’observation des faits, il est incontestable qu’il existe un parallélisme entre l’évolution de la quantité de monnaie en circulation et la hausse des prix, toutes choses égales par ailleurs. Ce parallélisme est confirmé dans toutes les périodes inflationnistes de l’histoire moderne (Friboulet, 2006).

De ce point de vue, le responsable de la hausse de l’offre de monnaie est la politique monétaire expansionniste. En conséquence, la stabilisation de l’inflation est entre les mains des autorités monétaires qui peuvent décider du niveau général des prix en jouant sur le taux de croissance de la masse monétaire à l’aide des instruments de la politique monétaire en leur disposition.

Le but de la politique monétaire devrait être de maintenir l'inflation à un niveau stable et modéré, sur le long terme. Le moyen réside dans le contrôle de la masse monétaire. La masse monétaire doit augmenter en rapport avec la croissance prévue de la production. Cela permettra d'éviter les dérapages inflationnistes dont la cause pour Friedman « est toujours et partout la même: un accroissement anormalement rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de la production ». Friedman précise que le rythme de croissance de la masse monétaire fixé par la banque centrale devra être le plus stable possible et être porté à la connaissance de tous dans le but de faciliter les anticipations et la prise de décision (Bezbakh, 2011).

Les monétaristes recommandent, que la politique monétaire ne doit pas subir l'influence de la politique, et donc elle ne doit pas être confiée au gouvernement mais plutôt à des banques centrales indépendantes, et que ces dernières doivent appliquer des règles stables, claires et publiques visant une quasi-stabilité du niveau des prix.