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Chapitre III : Le Pérou et son système éducatif (1994-2004)

1. Présentation du pays

1.1 Contexte politique

Le processus de création de l’Etat-nation, après la fin de la colonisation en 1821, a été imposé d’en haut par des élites dirigeantes, principalement d’ascendance espagnole, qui ont remplacé le pouvoir colonial et ont tout fait depuis lors pour conserver leurs avantages sociaux et économiques (Balarín, 2004). De plus, jusqu’en 1980, le Pérou a vu se succéder au pouvoir des gouvernements militaires ayant pris le pouvoir par la force et des gouvernements démocratiquement élus (García, 1989 [Encyclopedia Universalis, p. 880]). Cette alternance a fait obstacle à un développement démocratique de la société péruvienne, ainsi qu’au renouvellement de la classe politique et de ses messages (Pease, 1999).

Entre 1994 et 2004 se sont succédé deux gouvernements élus démocratiquement par le peuple et un gouvernement de transition élu par le parlement. De 1994 à 2000, le Pérou a été dirigé par Alberto Fujimori (élu à la présidence du pays en 1990 puis réélu en 1995 et en 2000) ; puis, de la fin de l’année 2000 jusqu’aux nouvelles élections de 2001, c’est le président du Congrès, Valentin Paniagua, qui est devenu président du pays par intérim ; finalement, de 2001 à 2004, le pays a été dirigé par Alejandro Toledo (dont le mandat de président s’est achevé en juillet 2006).

Le gouvernement Fujimori (1990-2000)

Durant le gouvernement Fujimori, qui débute en juillet 1990, le pays vit son troisième régime démocratique sans la présence des militaires au pouvoir, après le gouvernement Belaúnde (1980-1985) et le premier gouvernement García (1985-1990). Il y a là une continuité

qui est comparable au reste des pays de l’Amérique du Sud, mais peu à peu ce gouvernement élu démocratiquement commence à montrer des signes de dictature et parfois, selon certains auteurs (Reyna, 2000), devient plus autocratique que les derniers gouvernements militaires.

Le gouvernement Fujimori a commencé dès 1990 par mettre en place un programme économique de réorganisation de la politique fiscale, de réduction de l’inflation, de stabilisation monétaire et de réinsertion du pays dans le système financier international. Ce programme économique était en contradiction avec ses propres promesses électorales et plus en phase avec les propositions de son rival malheureux aux élections de 1990, Mario Vargas Llosa, mais le régime de Fujimori fondait sa popularité sur son affirmation permanente de prise de distance d’avec la classe politique du pays (Pease, 1999).

Comme l’explique Gonzales de Olarte (2007), ce programme économique, resté dans la mémoire collective du pays sous le nom de « Fuji-choc » a eu pour effet une forte récession avec une chute du produit intérieur brut (PIB) de – 5,1% en 1990 et n’a rencontré qu’une faible résistance de la part des organisations politiques, syndicales et sociales. Le gouvernement Fujimori a ensuite commencé à mettre en place des réformes de privatisation, de dérégulation et de libéralisation des marchés, en appliquant le « consensus de Washington ». La résistance du parlement à soutenir de telles mesures sans les discuter a été l’un des prétextes à ce que, en avril 1992, Fujimori réalise un auto-coup d’état, en dissolvant le Congrès et en établissant, dans les faits, une dictature jouissant d’un soutien militaire. Avec la capture, en septembre 1992, du chef du Sentier Lumineux Abimael Guzmán, les perspectives se sont améliorées pour les affaires, ce qui a encore favorisé les privatisations et les investissements de capitaux internationaux.

Pour faire face au rejet de ce coup d’état par la communauté internationale, le gouvernement Fujimori a proposé l’élection d’une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution et amenant ainsi le retour de l’état de droit en permettant l’élection d’un nouveau Congrès (Pease, 1999). Cette assemblée constituante, unicamérale et à majorité gouvernementale, a donc produit en 1993 une nouvelle Constitution, qui réduit l’ingérence de l’Etat dans l’économie, diminue le poids de l’Etat dans les politiques sociales et remplace le parlement bicaméral par un Congrès unicaméral (Gonzales de Olarte, 2007). Cette nouvelle Constitution établit aussi la possibilité d’une réélection présidentielle (Pease, 1999) et elle a été approuvée par référendum populaire à une courte majorité.

Gonzales de Olarte (2007) indique comment le gouvernement Fujimori s’est servi des ressources obtenues à travers l’augmentation de la pression fiscale et des privatisations pour établir des programmes sociaux assistencialistes et populistes, concentrés dans les zones où les citoyens avaient majoritairement voté contre la Constitution de 1993 ou s’étaient abstenus, en profitant du fait que la nouvelle Constitution avait réduit l’intervention de l’Etat dans les services éducatifs, de santé et d’infrastructures de base, notamment. Le projet du gouvernement Fujimori de rester au pouvoir est ainsi peu à peu apparu, lors de sa réélection en 1995, mais également et avec plus de force en 2000.

Parmi les principales caractéristiques des politiques éducatives du gouvernement Fujimori, Rivero (2005) souligne :

« […] el diseño, con apoyo de los organismos multilaterales, del Programa de Mejoramiento de la Calidad de la Educación Peruana (MECEP) que se inició recién dos años después [en 1995]

y la focalización del gasto mayoritario en obras de infraestructura educativa. El seguro escolar

para alumnos entre 3 y 18 años de centros educativos estatales y los planes para enfrentar la formación inicial y la capacitación de los maestros así como acciones puntuales aunque inorgánicas desarrolladas por el núcleo centralizado ministerial, pueden ponderarse como esfuerzos por aproximarse a objetivos de mejorar la educación nacional.6 » (p. 208)

C’est aussi sous le gouvernement Fujimori que se met en place la réglementation ministérielle 016 de 1996, visant le renforcement institutionnel des centres éducatifs, qui fixe les normes de gestion et de développement des activités éducatives des centres d’éducation initiale, primaire, secondaire et technique. La délégation de fonctions de gestion institutionnelle aux établissements scolaires leur permet de prendre des décisions, dans le cadre des critères généraux établis par le Ministère de l’éducation (MED), sur des thèmes comme le calendrier et les horaires, la structure de l’organisation de l’institution et les procédures de gestion, les modes de participation des parents d’élèves, la sélection, les encouragements et l’évaluation du personnel, la recherche de financement local, la supervision interne, le système d’évaluation académique, les plans annuels de travail et le règlement interne. Suite à cette réglementation, le Plan national de formation en gestion administrative (PLANGED) a été conçu dans le but de permettre aux chefs d’établissements (directeurs) une actualisation des approches, des systèmes et des techniques de gestion institutionnelle pédagogique et administrative, afin qu’ils puissent assumer avec plus d’efficacité, d’efficience et de pertinence les fonctions et les compétences qui leur ont ainsi été transférées (Sánchez Moreno & Díaz, 2003).

Le gouvernement Paniagua (novembre 2000 à juillet 2001)

La chute du gouvernement Fujimori trouve sa source en 1996, lorsque la majorité du parlement (membres du parti politique du président), à l’instigation de ce dernier, fait passer une loi qui l’autorise à se présenter aux élections de l’année 2000, pour briguer un troisième mandat.

Après l’élection présidentielle de 2000, gagnée par Alberto Fujimori contre Alejandro Toledo au deuxième tour, des observateurs de l’Organisation des Etats Américains dénoncent des irrégularités au premier tour des élections et, finalement, le 14 septembre 2000, la diffusion d’une vidéo qui montre l’étendue de l’utilisation de la corruption par le gouvernement Fujimori et notamment par son éminence grise Vladimiro Montesinos, le chef du Service d’intelligence national (SIN), provoque un enchaînement de circonstances qui poussent Fujimori vers la chute. Gonzales de Olarte (2007) met aussi en exergue la prise de conscience par la population péruvienne que les ressources issues de la privatisation et des impôts avaient également servi à une vaste entreprise gouvernementale de corruption, dans un contexte de répartition clairement inégale des bénéfices de la croissance économique.

Selon les lois péruviennes, c’est le président du Congrès qui, dans ces circonstances, devient Président par intérim. Valentin Paniagua, élu par le Congrès, avait été ministre de

6 « […] la conception, avec l'appui des organismes multilatéraux, du Programme d'amélioration de la qualité de l'éducation péruvienne (MECEP) qui n’a débuté que deux ans après [en 1995] et la focalisation de la plus grande partie de la dépense dans des travaux d'infrastructure scolaire. L'assurance scolaire pour les élèves des centres éducatifs publics entre 3 et 18 ans, les plans en vue de la formation initiale et continue des enseignants, ainsi que des actions ponctuelles et dispersées développées par le noyau centralisé du ministère peuvent être considérés comme des efforts pour s'approcher des objectifs d'amélioration de l'éducation nationale. » (trad. DS)

l’éducation durant le deuxième gouvernement Belaúnde (1980-1985). Le gouvernement formé par le président Paniagua (qui dure du 22 novembre 2000 au 28 juillet 2001) assume son rôle de transition en menant devant la justice des membres et des fonctionnaires du gouvernement Fujimori et en organisant des élections générales pour l’année 2001 (Gonzales de Olarte, 2007).

Du point de vue économique, ce gouvernement de transition poursuit les orientations mises en place par le gouvernement Fujimori. Par exemple, dans une lettre d’intention au Fonde monétaire international (FMI), le gouvernement Paniagua se promet entre autres points de poursuivre la privatisation des entreprises publiques, de réformer le système d’imposition pour promouvoir la production et l’investissement, d’éliminer les exceptions consenties aux régions, etc. (Galvin, 2004).

Toutefois le gouvernement Paniagua marque aussi une étape importante dans le domaine de l’éducation. Ainsi Rivero (2005) remarque :

« En materia educativa se destaca particularmente la Consulta Nacional de Educación realizada entre los meses de enero y julio del 2001 con la que se trató de recoger opiniones de distintos sectores del país y sentar bases para un Acuerdo Nacional por la Educación. El proceso seguido y el informe obtenido en esta consulta, dirigida por una comisión independiente, tuvieron el especial mérito de poner la educación en la agenda nacional, de proponer objetivos prioritarios para la misma y de vincular las salidas educativas al marco de desarrollo y de crisis del país.7 » (p. 209)

Le gouvernement Toledo (2001-2006)

Avec le gouvernement Toledo, nous arrivons au dernier gouvernement de la période couverte par notre étude (2001-2004). En réalité il est resté au pouvoir jusqu’en juillet 2006.

Lors des élections présidentielles de 2001, Alejandro Toledo l’emporte au second tour face à Alan García, ancien président entre 1985-1990, et à nouveau président de 2006 à 2011. Une des premières mesures prise par le président Toledo a trait à une nouvelle législation qui déclare le Pérou comme étant une société multiculturelle. En juillet 2002, Toledo signe un accord de gouvernabilité avec les forces politiques et les représentants de la société civile. Son gouvernement poursuit une politique économique d'austérité, qui permet l'assainissement des finances publiques et le retour de la croissance, mais ne réduit guère le sous-emploi et la pauvreté. De plus ce gouvernement continue avec les privatisations qui provoquent de multiples protestations dans le sud du pays. Pour certains auteurs, Toledo est considéré comme le champion du libéralisme, parce qu’il suit les recommandations du FMI et de la Banque mondiale (BM) (CIDOB, 2011).

Ces orientations économiques se traduisent principalement dans la recherche de traités de libre-échange avec divers pays ou blocs de pays. En particulier, comme l’expose Gonzales de Olarte (2007), les intenses négociations d’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis ont représenté une pomme de discorde entre le gouvernement et les partis politiques, les

7 « En matière éducative se distingue particulièrement la Consultation nationale sur l’éducation réalisée entre janvier et juillet 2001 pour tenter de récolter les opinions de divers secteurs du pays et de mettre en place les bases d’un Accord national pour l'éducation. Le processus suivi et le rapport obtenu de cette consultation, dirigée par une commission indépendante, ont eu le mérite particulier de placer l'éducation dans l'agenda national, de proposer des objectifs prioritaires pour celle-ci et de mettre les débouchés éducatifs en relation avec le contexte de développement et de crise du pays. » (trad. DS)

organisations sectorielles et les secteurs intellectuels. En effet, alors que le gouvernement voyait dans ce traité une manière d’ouvrir le marché états-unien aux produits d’exportation péruviens, c’est-à-dire de profiter des opportunités offertes par la mondialisation, les secteurs sociaux opposés y voyaient plutôt une menace, compte tenu d’une part de la faiblesse relative de ces produits d’exportation et d’autre part du fait que ce traité de libre-échange contenait aussi des aspects non commerciaux, par exemple des dispositions sur les investissements, la propriété intellectuelle et les brevets, clairement désavantageuses pour le Pérou.

Le même auteur souligne aussi qu’en parallèle à ces mesures d’ouverture commerciale et financière, le gouvernement Toledo a impulsé une décentralisation de l’Etat qui a généré un climat social agité et des turbulences politiques (Gonzales de Olarte, 2007).

Les lignes suivantes de l’ouvrage précité tracent un bilan clair de l’action du gouvernement Toledo :

« El balance del quinquenio (2001-2006) presidencial de Alejandro Toledo en el Perú presenta un cuadro de inobjetables resultados al que sin embargo deslucieron una interminable sucesión de escándalos y claras contradicciones económicas. […] preservó la constitucionalidad de las instituciones democráticas tras la década autoritaria del fujimorismo, lanzó iniciativas concertadoras, saneó las cuentas públicas e impulsó un crecimiento ligado a la expansión comercial que tuvo como grandes estrategias los acuerdos de libre cambio con Estados Unidos y el MERCOSUR [Mercado Común del Sur]. Ahora bien, la nueva riqueza no se tradujo en una reducción tangible del paro, la pobreza y las desigualdades sociales. Toledo vio hundirse su popularidad al ritmo de los casos de corrupción, que salpicaron a decenas de familiares y colaboradores, y a él mismo, así como las crisis de Gobierno, dejándole varias veces en la cuerda floja.8 » (CIDOB, 2011)

Les principales politiques éducatives du gouvernement Toledo sont mises en évidence par Rivero (2005) comme ayant un fort potentiel pour contribuer à résoudre les graves problèmes de l’éducation péruvienne. En premier lieu, dans la nouvelle Loi générale d’éducation, élaborée par le Congrès et promulguée en 2003 :

« […] se entiende la educación como proceso permanente dado durante toda la vida y en ámbitos sociales diferentes; se incorpora la responsabilidad por los resultados educativos vía la evaluación del sistema, de los aprendizajes y de los docentes; se estimula la acreditación de instituciones educativas. En su fundamentación y articulado se da particular valor a la participación de la sociedad civil, a estimular el compromiso responsable de los distintos actores educativos, y a la acción activa e intersectorial del Estado en sus distintos niveles de gobierno.9 » (p. 210)

8 « Le bilan du quinquennat (2001-2006) présidentiel d'Alejandro Toledo au Pérou présente un tableau de résultats indiscutables, pourtant terni par une succession interminable de scandales et par de claires contradictions économiques. […] il a préservé la constitutionnalité des institutions démocratiques après la décennie autoritaire du gouvernement Fujimori, a lancé des initiatives de concertation, a assaini les comptes publics et a impulsé une croissance liée à une expansion commerciale qui a eu comme grandes stratégies les accords de libre échange avec les États-Unis et le MERCOSUR. Toutefois, la nouvelle richesse ne s'est pas traduite par une réduction tangible du chômage, de la pauvreté et des inégalités sociales. Toledo a vu sa popularité s’effondrer au rythme des cas de corruption, qui ont éclaboussé des dizaines de membres de sa famille et de collaborateurs, et lui même, ainsi que des crises du gouvernement, qui l’ont parfois mis sur la corde raide. » (trad. DS)

9 « l'éducation s’entend comme un processus permanent qui prend place durant toute la vie et dans des environnements sociaux différents ; la responsabilité pour les résultats éducatifs est incorporée à travers l'évaluation du système, des apprentissages et des enseignants ; l'accréditation des institutions éducatives est stimulée. Dans ses fondements et ses articles, [la loi générale d’éducation de 2003] accorde une valeur particulière à la participation de la société civile, ainsi qu’à stimuler l’engagement

De plus, toujours selon le même auteur, le processus de décentralisation initié par le gouvernement Toledo a le potentiel de renforcer l’autonomie des institutions éducatives ainsi que la participation de la communauté éducative dans le cadre de conseils participatifs à tous les niveaux du système. Ce processus a aussi le potentiel d’influencer positivement la diversification des programmes d’études et la gestion du système éducatif, notamment en privilégiant la sélection sur concours publics des directeurs régionaux d’éducation et de ceux des Unités de gestion éducative locales (UGEL). Enfin, le même auteur souligne aussi la création en 2002 d’un Conseil national de l’éducation (CNE), ensuite confirmé par la loi générale d’éducation de 2003, dans son article 82. Le CNE est un organe autonome consultatif du Ministère de l’éducation (MED), formé par 25 personnalités du pays siégeant à titre personnel, et dont le mandat est de promouvoir la concertation entre la société civile et l’Etat sur un Projet éducatif national et sur les politiques éducatives à moyen et long terme ; de réaliser le suivi de l’application de ces politiques et du Projet national d’éducation ; de promouvoir le dialogue et l’engagement de l’Etat et des divers acteurs du secteur en faveur du développement de l’éducation du pays ; d’apporter une expertise au MED ou au parlement sur des questions relatives à l’éducation nationale ; et de contribuer à l’articulation des politiques éducatives locales, régionales et nationales (CNE, 2011).