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Art. 2

La compétence des tribunaux à raison de la matière est étroitement liée à l’organisation des tribunaux. Elle est donc également réservée au droit cantonal (al.

1). L’avant-projet prend nettement position en faveur du fédéralisme quant à l’organisation judiciaire et à la compétence à raison de la matière.

Toutefois, il est des domaines dans lesquels la compétence à raison de la matière doit être uniformément déterminée par le droit fédéral, par exemple lorsqu’il s’agit de procédures particulières. C’est le cas des litiges portant sur le droit de la propriété intellectuelle (art. 4). Dans d’autres domaines également, l’avant-projet ne règle pas seulement la compétence à raison du lieu, mais aussi à raison de la matière : il s’agit de la demande reconventionnelle (art. 80), du cumul d’actions subjectif et objectif (art. 13, 84) et de l'appel en cause (art. 14, 71).

L’avant-projet contient, à l’article 346, une autre prescription uniforme de compé-tence à raison de la matière au sujet de l’arbitrage interne. Il y est prescrit que les tribunaux cantonaux supérieurs sont compétents pour certaines actions en procé-dure arbitrale, par exemple pour recevoir la sentence en dépôt et attester son ca-ractère exécutoire. De même en cas de difficultés de constitution du tribunal arbitral (art. 352).

Les cantons peuvent déterminer le montant de la valeur litigieuse pour la compé-tence à raison de la matière en première instance (juge unique ou tribunal collégial).

La présente loi régit par contre le calcul de la valeur litigieuse (al. 2; voir art. 83 ss).

Art. 3

Cette disposition établit le principe de la « double instance », déjà ancré dans la LTF.

Selon ce principe, toute décision d’un tribunal de première instance peut être déférée devant une instance de recours cantonale, indépendamment du fait que le tribunal de première instance est un tribunal d’instance inférieure ou supérieure. Cela signifie par exemple qu’il doit y avoir une instance de recours cantonale (par ex. un tribunal cantonal de cassation, un tribunal spécial ou une chambre spéciale du tribunal supé-rieur) pour les décisions des tribunaux cantonaux de commerce qui, en qualité de tribunaux de première instance, se situent au second niveau hiérarchique. Il doit donc y avoir en principe aussi une instance de recours contre les décisions prises en première instance par des tribunaux cantonaux supérieurs, essentiellement dans le but de décharger le Tribunal fédéral. L’avant-projet ne déroge à ce principe que dans deux cas : pour les litiges portant sur le droit de la propriété intellectuelle (c’est-à-dire

49 Fabienne Hohl, Procédure civile I, chap. II, n. 73 s.

les décisions de l’instance cantonale unique, art. 4) et l’action directe devant la juri-diction supérieure (art. 6).

Art. 4

Le droit fédéral actuel prescrit déjà aux cantons de soumettre les actions en matière de droit de la propriété intellectuelle à une instance cantonale unique (voir art. 76 LBI, art. 55, al. 3 LPM, art. 37 LDes, art. 42 de la loi sur la protection des obtentions végétales, art. 64, al. 3 LDA, art. 14, al. 1 LCart et art. 23 LRCN). Il s’agit en effet de matières spéciales dont seule une instance cantonale unique peut avoir la maîtrise juridique et professionnelle, essentiellement pour des raisons de personnel. L’alinéa 1 reprend pour l’essentiel cette situation juridique (let. a, b et d). Il apporte néan-moins un élément nouveau : la compétence doit être donnée à un tribunal cantonal supérieur. Ce choix répond à la complexité fréquente des procès et renforce l’acceptation des décisions.

La réglementation actuelle est en outre complétée par deux objets étroitement liés au droit de la propriété intellectuelle, à savoir les litiges selon la LCD (let. c) et les litiges en relation avec l’usage d’une raison de commerce (let. e; voir art. 944 à 956 CO).

Le montant de la valeur litigieuse ne joue en principe aucun rôle. La valeur litigieuse doit être supérieure à 20 000 francs uniquement pour les litiges selon la LCD. Les procès de plus petite importance constituent en général des litiges de droit de la con-sommation soumis à la procédure simplifiée (moins onéreuse) (art. 237).

Dans les domaines en question, les mesures provisionnelles jouent un rôle détermi-nant car dans bien des cas, elles préjugent de la décision finale sur le fond. Citons par exemple la confiscation de marchandises qui sont commercialisées en violation du droit d’auteur. La compétence du tribunal inférieur, par exemple d’un juge d’arrondissement, rallongerait ici quelque peu la procédure (morcellement de la pro-cédure déjà complexe). C’est au contraire la compétence du tribunal cantonal supé-rieur qui s’impose, et cela dès les mesures provisionnelles requises avant litispen-dance de la cause au principal (al. 2)50.

La création d’un tribunal fédéral (central) des brevets est également en discussion en Suisse. Il s’agit d’une question d’importance, qui ne relève néanmoins pas du man-dat de la commission d’experts51.

Art. 5

La juridiction commerciale joue un très grand rôle dans les quatre grands cantons du Plateau suisse (Zurich, Berne, Argovie et St-Gall) et s’est avérée excellente dans la pratique. Le grand avantage des tribunaux de commerce réside dans la coopération entre magistrats professionnels de haute instance et juges de commerce non-pro-fessionnels, spécialisés dans différentes branches (tribunal professionnel). S’ajoute à cela le fait que les tribunaux de commerce se situent au sommet de la hiérarchie des

50 Voir Zürcher, passim.

51 Il existe un groupe de travail intitulé AIPPI-Ingres (présidé par Christian Hilty) qui effectue les recherches requises à ce propos, en collaboration avec l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle et l’Office fédéral de la justice.

tribunaux cantonaux, ce qui favorise davantage encore l’acceptation de leurs juge-ments.

L’avant-projet laisse les cantons libres d’instituer au besoin des tribunaux de com-merce (al. 1). Cependant, ces tribunaux correspondent à un réel besoin uniquement dans les cantons de grande et moyenne importance. De même, on ne peut plus ima-giner les quatre cantons cités - y compris d’un point de vue international - sans leur juridiction commerciale.

La compétence à raison de la matière de ces tribunaux cantonaux spécialisés (les tribunaux de commerce) est déterminée d’après trois critères courants : première-ment le lien du litige à l’exploitation commerciale ou industrielle d’une partie (let. a), deuxièmement une valeur litigieuse minimale (let. b) et enfin certaines caractéristi-ques du défendeur (let. c) : inscription dans un registre ou acceptation tacite.

En imposant une valeur litigieuse minimale de 30 000 francs, l’avant-projet place la barre sensiblement plus haut que le droit cantonal actuel - conformément à la ten-dance générale (par ex. dans la LTF). Ainsi, dans les cantons d’Argovie et de Zurich, cette valeur litigieuse minimale est aujourd’hui de seulement 8 000 francs (art. 404 ZPO/AG, § 62, al. 1 GVG/ZH) ; elle est par contre de 30 000 francs (comme dans l’avant-projet) dans les cantons de Berne (art. 5 ZPO/BE) et St-Gall (art. 14 ZPO/SG).

Il est également judicieux de soumettre à la juridiction spécialisée concernée toutes les actions en responsabilité en relation avec une société commerciale ou une so-ciété coopérative (al. 2). Outre la responsabilité traditionnelle des conseils d’administration (art. 752 ss CO), la responsabilité de l’auteur du prospectus d’émission et la responsabilité pour la révision (voir art. 752, 755 CO) entrent aussi dans cette catégorie. Il en va de même des litiges touchant les sociétés en comman-dite par actions et les SARL.

En sa qualité de juridiction spécialisée, la juridiction commerciale repose sur le fait que la constatation des faits n’est soumise à aucun examen complet d’une instance de recours (al. 3). Les jugements de ces tribunaux spécialisés, y compris leurs déci-sions sur les mesures provisionnelles, ne seront donc attaquables au niveau canto-nal que par un recours conformément aux articles 310 ss. Seules les violations du droit sont donc librement réexaminées. La constatation des faits par contre ne peut être revue que sous l’angle de l’arbitraire.

Art. 6

Cet article prévoit la possibilité de proroger la compétence à raison de la matière au-près de l’instance cantonale supérieure. Le demandeur peut donc, avec l’accord de l’autre partie, porter l’action directement devant l’instance cantonale supérieure (al.

1). Ce genre de possibilité a donné de très bons résultats dans certains cantons. Elle concerne ici tout particulièrement les cantons qui ne disposent pas de tribunaux de commerce, mais dans lesquels les parties veulent porter les litiges en question de-vant le tribunal cantonal supérieur afin d’accélérer la procédure. Fixée à 100 000 francs, la valeur litigieuse minimum est néanmoins relativement élevée en comparai-son avec les réglementations cantonales actuelles et la réglementation de l’article 5.

Cela se justifie néanmoins puisqu’il s’agit d’une compétence à raison de la matière extraordinaire.

Les décisions de l’instance cantonale supérieure désignée ne peuvent plus être défé-rées ensuite à une autre instance cantonale. Il en découle certes une entorse au principe de la double instance, mais c’est le prix à payer pour l’accélération de la procédure désirée par les parties.