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CHAPITRE 1 – DE LA CURIOSITÉ MORBIDE À LA GLORIFICATION DE LA VIOLENCE : UN

2. DE ZÉRO À (ANTI) HÉROS : UN MESSAGE QUI RASSEMBLE

2.3. COMMUNAUTÉS VIRTUELLES ET RÔLES SOCIAUX

Au-delà des recherches qui ont repéré les différentes identités perceptibles chez les communautés de fans centrées sur les tueries de masse, nous en savons peu sur les rôles que remplissent les membres de la communauté. Des chercheurs se sont penchés sur les modes de socialisation des communautés virtuelles. Ils ont détecté que les membres d’une communauté adoptent des comportements répétitifs dans leurs interactions. Ces modèles de comportements distincts peuvent être catégorisés en divers rôles sociaux. Un rôle social réfère au « comportement de la personne qui est orienté vers un pattern attendu par les autres » (Merton, 1968, p. 41, traduction libre). La section qui suit présente brièvement des rôles qui ont été repérés par divers chercheurs ayant observé la socialisation des internautes fréquentant des plateformes de discussions.

Les Trolls – Cette appellation, ainsi utilisée par les internautes, fait référence à des individus au comportement irritant, négatif et parfois blessant. Pour présenter le troll, Bishop (2012) reprend ce qui apparaît être la première définition du terme « trolling », apparue dans un dictionnaire du langage web. Le trolling y était défini comme « l’acte de publier, dans un groupe de discussion, un message qui exagère visiblement un aspect d’un sujet particulier » (p. 1, traduction libre). Binns (2012) souligne quant à elle que les trolls sont des personnes qui « souhaitent sincèrement faire partie du groupe, mais qui visent à influencer le forum négativement en initiant continuellement des argumentations, en critiquant ou en se plaignant » (p. 3, traduction libre). Ces définitions font état d’individus agissant délibérément afin de semer la zizanie au sein d’une discussion de groupe. Les chercheurs, de même que les internautes, détectent plusieurs types de trolls, lesquels sont catégorisés en fonction de la sévérité ou de l’intention derrière leurs actes (Bishop, 2012; Coles et West, 2016). Les propos de certaines de ces personnes vont jusqu’aux attaques personnelles, lesquelles peuvent avoir des effets dévastateurs chez les personnes visées (Bishop, 2012). Leurs agissements peuvent également briser le sentiment de communauté développé par les utilisateurs d’une plateforme de discussions (Binns, 2012).

Qu’est-ce qui pousse des internautes à adopter ce genre de comportement? L’anonymat que procurent les plateformes de discussion est fréquemment nommé dans les recherches. Comme Binns (2012) l’explique, cette caractéristique donne aux internautes une impression d’impunité, une perte de l’autocritique et une tendance à céder aux impulsions. Dans ces conditions, ils se permettent davantage de propos déplacés. Aussi, certains internautes auraient tendance à distinguer leur identité « sur le net » de leur « vraie » identité qui se manifeste hors-ligne. Ils considèrent ainsi que leurs agissements en ligne ne représentent pas ce qu'ils sont réellement, ce qui favorise la désinhibition. Binns suggère également que le comportement de certains trolls serait en réponse à des attaques perçues.

Les lurkers (« les observateurs ») – Ce type d’internaute présente un comportement diamétralement opposé aux trolls. Ce dénominateur réfère aux membres qui fréquentent une communauté virtuelle, mais qui publient très peu ou même jamais de contenu ou de commentaires (Ridings, Gefen et Arinze, 2006). Dans une communauté, les lurkers seraient plus nombreux que les membres actifs (Ridings, Gefen et Arinze, 2006). Ridings, Gefen et Arinze (2006) se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles les lurkers participent peu ou pas aux conversations entretenues par la communauté. Ils ont détecté que les lurkers font moins confiance en la bienveillance et l’intégrité des autres membres, ce qui les rend de ce fait plus réticents à échanger avec les autres. Pour augmenter la confiance de ce type de membre envers la communauté, et donc favoriser leur participation, les chercheurs proposent comme solution d’intégrer des modérateurs à la communauté afin que ceux-ci effectuent le contrôle des publications mensongères ou inappropriées.

Bien que d’apparence plutôt négligeable, les lurkers sont importants pour la communauté. Comme Ridings, Gefen et Arinze (2006) le font remarquer :

[…] ils font partie du trafic présent chez la communauté, contribuent au volume présent sur les serveurs, et peuvent réagir aux publicités et aux ventes présentes dans la communauté. Ils participent en lisant les publications des autres, et peuvent passer beaucoup de temps à le faire (p. 330, traduction libre).

Les leaders – Dans son étude, Huffaker (2010) définit les leaders comme « ceux qui attisent les feux des communautés virtuelles en encourageant la communication et les interactions sociales » et comme « ceux qui ont l’habileté de déclencher les feedback, qui font jaillir les

conversations dans la communauté, ou même qui façonnent la façon dont les autres membres du groupe parlent d’un sujet » (p. 594, traduction libre). Ce serait donc ceux qui influenceraient le plus la direction que prend une communauté (ses objectifs, ses normes, etc.), et donc d’une certaine façon ceux qui influenceraient le plus l’identité de la communauté.

Pour être un leader, et donc avoir ce pouvoir d’influence sur la communauté, l’individu doit posséder certaines caractéristiques particulières. Tout d’abord, un leader a tendance à publier fréquemment du contenu sur la plateforme et à participer activement aux discussions de la communauté. Ensuite, Huffaker détecte que les leaders ont une habileté pour l’utilisation du langage (écrit et/ou parlé, selon le cas). Un langage varié, par exemple, aurait un haut coefficient de corrélation avec le leadership. Les membres associent la richesse du vocabulaire employé par un individu à de bonnes compétences cognitives et intellectuelles, ce qui favoriserait sa crédibilité. Le chercheur a également détecté que l’intensité du langage employé favorise le statut de leader. L’emploi d’un langage fort et émotif serait davantage persuasif (Ng et Bradac, 1993, cité dans Huffaker, 2010, p. 612) et susciterait probablement plus la passion et l’intérêt pour le sujet abordé par le leader. Finalement, Huffaker a aussi montré que la crédibilité est importante pour détenir un statut de leader. Un leader va généralement faire partie d’une communauté depuis longtemps. Il va démontrer sa crédibilité en exposant sa connaissance du groupe et de son historique (Huffaker donne comme exemple le commentaire suivant : « we talked about this issue six months ago ») ou en démontrant sa familiarité avec les membres (« you should talk to Steve since he knows about that problem »; p. 610).

Les supporteurs, les membres actifs, les experts techniques et les visiteurs - Dans leur étude Pfeil, Svangstu, Ang et Zaphiris (2011) ont tenté de repérer les différents rôles endossés par les membres d’une communauté de support en ligne fréquentée par des personnes âgées de 60 ans et plus. Pour parvenir à leurs fins, les auteurs ont d’abord repéré les divers comportements des membres de la communauté. En lisant le contenu de la plateforme de discussion, ils ont repéré cinq types de comportements : lorsque l’individu 1) parle de lui- même (sa situation, ses émotions); 2) réfère à la communauté; 3) diffuse des informations factuelles; 4) diffuse du contenu hors sujet; et 5) offre du support aux autres membres (ex. :

« Je te souhaite bonne chance »). Après avoir repéré ces comportements, les auteurs ont analysé la structure des communications entre les membres. Ils ont ainsi observé le nombre de messages envoyés par chaque personne et à qui ceux-ci étaient adressés. Ils ont ensuite détecté certains modèles dans le réseau de communication, puis ont classé les membres de la communauté selon le modèle auquel ils correspondaient.

En croisant les constats faits lors des deux analyses, donc en associant les comportements aux modèles de communication, les chercheurs ont déterminé qu’il y avait six rôles observables dans la communauté à l’étude. Le tableau 1 résume les caractéristiques de chaque rôle.

Il est possible que ces rôles, qui sont décelables chez les communautés virtuelles, se retrouvent également dans les fandoms virtuels centrés sur les tueurs de masse. Jusqu’à présent, aucune étude ne s’est intéressée à cet aspect.