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la circulation interne du dossier

Après la mise en forme matérielle du dossier, commence la phase de sa circulation interne. Le système koweïtien diffère ici du système français par l’existence dans ce dernier du conseiller rapporteur. En France, lorsque le dossier est prêt, et que le rapporteur présente son avis, les dernières étapes de traitement du dossier qui tendent vers le prononcé de l’arrêt commencent. Elles sont importantes car elles prouvent avoir une incidence sur la nature de l’arrêt qui sera rendu. Cette phase comporte deux étapes essentielles, à savoir la désignation du conseiller rapporteur qui remplira son office (§1) et l’examen par l’avocat général (§2).

§ 1 : Désignation et office du conseiller rapporteur

Le droit français se distingue du droit koweïtien en ce qui concerne la désignation et l’office du conseiller rapporteur. Le président de la chambre criminelle français peut constater par une ordonnance de non-admission du pourvoi que celui-ci a été formé contre une décision qui ne peut faire l’objet d’un recours en cassation (article 567-1 du Code de procédure pénale français). Cette décision de non-admission n’est pas susceptible de recours762. Si le pourvoi est admis, le président nomme un conseiller de la chambre criminelle pour que celui-ci fasse un rapport conformément à l’article 587 du Code de procédure pénale français.

Ce conseiller rapporteur est un magistrat qui est conseiller « lourd » ou conseiller référendaire763. La désignation des rapporteurs est réalisée en fonction d’un critère de spécialisation et tient compte de l’organisation intérieure de la chambre criminelle. Selon le règlement, cette chambre est divisée en quatre sections spécialisées764 afin d’augmenter le nombre des unités de jugement et d’accélérer l’examen des affaires. Toutefois, il est important

762 M.-L. Rassat, Op. cit., n°690 , p .729.

763 « C’est un magistrat de l’ordre judiciaire chargé de fonctions temporaires auprès de la Cours de cassation et

ayant la mission de rapporter les affaires qui lui sont confiées, de siéger avec une voix consultative et de participer au fonctionnement du service de documentation et d’études de la Cour de cassation ». G. Cornu (dir), Vocabulaire juridique, Op. cit., v. « conseiller référendaire » ; Lorsque le conseiller rapporteur est un conseiller

référendaire, il aura une voix délibérative lors du délibéré ( article L.431-3 du Code de l’organisation judiciaire).

764 Au sein de chaque chambre, l’importance du nombre des pourvois à examiner a imposé une répartition du travail. De ce fait, la chambre criminelle a dû se diviser en sections. Pour le détail des sections de la chambre criminelle, V. J. Boré, L. Boré, Op. cit., n°135.32, p. 432.

de remarquer que cette désignation selon la spécialisation n’est admise que pour les affaires n’offrant pas de difficultés spécifiques. Aussi, cette division n’est pas absolue étant donné la nécessité de statuer dans un délai ferme concernant certaines affaires765 en urgence, ce qui conduit à la distribution de l’excédent de ces dossiers entre toutes les sections766.

Dès que le conseiller rapporteur a été mis en possession du dossier et à l’exclusion des affaires où le demandeur doit déposer son mémoire dans un délai d’ores et déjà fixé par la loi, il arrête le délai imparti pour déposer des mémoires entre les mains du greffier de la chambre criminelle et ce dans le cas où un ou plusieurs avocats se sont constitués (article 588 du Code de procédure pénale français). Dans le cas où des mémoires additionnels peuvent être produits, aucun mémoire ne pourra plus être déposé une fois que le conseiller en question aura déposé son rapport767.

Une fois que les mémoires sont déposés par les parties, il appartient au conseiller commis d’étudier le dossier et les mémoires, puis de rédiger un rapport. Ce rapport se divise en deux documents distincts768. Le premier conserve le nom du rapport et constitue une description objective des faits, de la cause, de la procédure suivie, de la décision attaquée, des moyens de cassation proposés ainsi que des éventuels moyens de défense et du nombre éventuel de projets d’arrêts déposés. Le second document, appelé avis, est un document par lequel le rapporteur se livre à une analyse juridique de l’affaire et exprime son opinion sur la valeur et le bien-fondé des moyens, en concluant soit au rejet, à l’irrecevabilité ou à la déchéance du pourvoi, soit à la cassation, totale ou partielle, de la décision attaquée769.

Jusqu’à il y a une dizaine d’années, le rapport ainsi que le projet d’arrêt n’étaient communiqués qu’à l’avocat général, mais non aux parties. Ces derniers ne recevaient que le sens de l’avis du rapporteur et la partie du rapport faisant état des faits et des moyens de

765 V. J. Boré, L. Boré, Op. cit., n°135.32, p.432.

766 J. Boré, Op. cit., n° 842, p.261.

767 Pour tout ce qui concerne le dépôt des mémoires, V. supra le dépôt des mémoires.

768J.-Cl., procéd. pén., Art. 576 à 590, Fasc. 20, Pourvoi en Cassation – forme du pourvoi. Instruction du pourvoi.

Mémoire. Mise en état, par A. Maron, A. Leprieur, Octobre 2012, n°20.

769J.-Cl., procéd. pén., Art. 601 à 604, Fasc. 20, Pourvoi en cassation.- instruction des recours._ Audiences, par

cassation770. Cependant, la Cour de Strasbourg a jugé par un arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd du 31 mars 1998771, que la communication de l’intégralité de ce document comprenant le rapport ainsi que le projet d’arrêt aux avocats généraux, avant l’audience, sans communiquer de la même façon ce document aux avocats des parties, n’était pas compatible avec les exigences du procès équitable prévues à l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’avocat général ne respectant pas le principe du contradictoire. L’arrêt ajoute que le second volet du rapport, comprenant l’analyse juridique de l’affaire et l’avis du conseiller sur le mérite du pourvoi, ainsi que le projet d’arrêt, sont légitimement couverts par le secret du délibéré772.

Compte tenu des exigences posées par l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd, une nouvelle pratique a été instaurée à la Cour de cassation à partir de janvier 2002. Désormais, le rapport est transmis à l’avocat général et aux avocats aux Conseils ou directement aux parties n’ayant pas mandaté d’avocat aux Conseils. Toutefois, en ce qui concerne l’avis et le projet d’arrêt, ceux-ci ne sont communiqués ni à l’avocat général, ni aux parties, ni à leurs avocats aux conseils, étant donné qu’il s’agit d’un document réservé au délibéré. La chambre criminelle a estimé que « selon l’article 602 du Code de procédure pénale, les rapports sont faits à

l’audience, où les avocats des parties sont, le cas échéant, entendus en leurs observations et

où le ministère public présente ses réquisitions ; que le rôle de l'avocat général, devant la

Cour de cassation, est seulement de s'assurer qu'il a été jugé conformément à la loi ;

qu'aucune disposition légale n'impose au conseiller rapporteur de communiquer à quiconque

son projet de rapport, ni le projet d'arrêt qu'il a préparé »773.

La fonction de conseiller rapporteur n’existe pas au Koweït. En effet, le législateur koweïtien a choisi de ne pas adopter la même organisation dans un souci de simplification de la procédure. Ce choix peut paraître paradoxal dès lors que la législation koweïtienne s’inspire

770 J. Leroy, Op. cit., n° 898, p.501.

771 Cour E.D.H., Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, 31 Mars 1998, req n°22921/93 et 23043/93.

772 J.-Cl., procéd. pén., Art. 601 à 604, Fasc. 20, Pourvoi en cassation.- instruction des recours._ Audiences, par O. de Bouillane de Lacoste, Janvier 1999, n° 13.

traditionnellement du droit égyptien lequel prévoit l’existence de ce conseiller rapporteur774. En droit français, le conseiller rapporteur a donc pour rôle de fixer le délai imparti pour le dépôt des mémoires alors que le droit koweïtien prévoit ce délai dans l’article 11 de la loi n°40/1972 relative au pourvoi en cassation. La seconde mission du conseiller rapporteur français, à savoir l’étude du dossier, correspond à une prérogative du procureur général près la Cour de cassation au Koweït.

Après la réalisation de la mission du conseiller rapporteur, le représentant du parquet général près la Cour de cassation va examiner le dossier, et en l’espèce, les deux législations se rejoignent.

§ 2 : L’examen du dossier par l’avocat général

En France, une fois le dossier traité par le conseiller rapporteur, le greffe transmet le dossier au procureur général en vue de la désignation d’un avocat général. Ce dossier ne comporte ni l’avis du conseiller rapporteur ni le ou les projets d’arrêt775. L’avocat général désigné aura alors pour rôle d’étudier soigneusement l’affaire à son tour en vue de formuler, dans des conclusions écrites, un avis sur le sort qu’il convient de réserver au pourvoi. Cet avis pourra éventuellement écarter la position prise par le rapporteur dans le cas où la décision rendue sur le pourvoi peut donner lieu à controverse776. L’avocat général n’exprime que son propre point de vue.

Le rôle de ce dernier est donc d’informer la formation compétente sur le droit applicable à la ou les question(s) soulevée(s) par le pourvoi, pour les orienter vers la meilleure interprétation des textes777, en toute indépendance et en toute impartialité. Les membres du parquet général auprès de la Cour de cassation, à la différence de leurs collègues membres du

774 Au sujet du conseiller rapporteur, l’article 37 de la loi égyptienne n°57 de 1959 dispose que « la Cour statue

en ce qui concerne le pourvoi en cassation après lecture du rapport réalisé par l’un de ses membres. D’après cet article, c’est le président de la chambre criminelle qui a la charge de nommer le conseiller rapporteur parmi les membres de cette chambre ». Ce conseiller sera alors notifier du dossier pour qu’il puisse entreprendre le rapport

qui sera lu devant les membres de la chambre lors de la délibération.

775 B. Bouloc, G. Stefani, G. Levasseur, Op. cit., n° 1144, p. 1013.

776 J. Boré, L. Boré, v° « Cassation (pourvoi en) », Rép. pén. procéd. pén., Dalloz, 2013, n°361.

777 J.-Cl., procéd. pén., Art. 576 à 590, Fasc. 20, Pourvoi en Cassation – forme du pourvoi. Instruction du pourvoi. Mémoire. Mise en état, par A. Maron, A. Leprieur, Octobre 2012, n° 27.

parquet auprès des juridictions de fond, ne peuvent exercer l’action publique. Ils ne prennent parti ni pour ni contre les parties au procès. Ils ne demandent aucune peine ou sanction. La fonction qu’ils exercent présente un caractère sui generis778.

Traditionnellement et jusqu’à un arrêt de la Cour EDH du 31 mars 1998779, le rôle du magistrat se limitait à recevoir le dossier général du conseiller rapporteur, à assister aux conférences préparatoires aux audiences ainsi qu’au délibéré en fin d’audience en restant évidemment silencieux en tant qu’observateur780. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il existait une rupture d’égalité entre les parties en ce qui concerne trois points concernant le rôle du parquet781. La Cour de cassation a néanmoins dû faire un effort pour modifier la pratique qu’elle suivait en « réduisant mécaniquement la fonction de ce magistrat à celle d’une partie à l’audience »782.

La Cour de Strasbourg critiquait premièrement le fait que le rapport du conseiller était préalablement communiqué à l’avocat général et non aux autres parties. Deuxièmement, la Cour européenne relevait le fait que les conclusions de l’avocat général n’étaient pas communiquées à l’avance aux parties783. Enfin, cette même Cour critiquait le fait que l’avocat général était présent aux délibérés de la Cour et qu’il prenait publiquement la parole à l’audience784.

La juridiction européenne a manifestement mal compris et interprété le rôle du ministère public auprès de la Cour de cassation. L’erreur de la Cour de Strasbourg est d’avoir invoqué l’égalité des parties alors que le ministère public n’est pas une partie devant la Haute

778 Sui generis est un terme latin de droit, signifiant « de son propre genre » on dit d’une situation juridique qu’il est sui generis, quand la singularité prévient tout classement dans une catégorie déjà répertoriée et nécessite de créer des textes spécifiques, donc autonome, H. Roland, L. Boyer, Locutions latines du droit français, 4ème

édition, Litec, 1998, v. « Sui generis ».

779 Reinhardt et Slimane-Kaïd préc..

780 J. Pradel, Op. cit., n° 999, p.894.

781 M.-L. Rassat, Op. cit., n°690, p.730.

782 D. Commaret, « Rôle de l’avocat général à la chambre criminelle », Revue annuelle des avocats au conseil

d’Etat et à la Cour de cassation, justice & cassation, édition 2005, p. 127.

783 Car dans la pratique, avant l’audience, le demandeur au pourvoi n’a pas connaissance des conclusions du ministère public Cass. crim., 5 nov. 1997, 9686380, Bull. crim., 1997, n° 377.

784 J.-L. Nadal, « La jurisprudence de la Cour de Strasbourg : une chance pour le parquet général de la Cour de cassation », Recueil Dalloz, 2005, n° 12.