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L’influence de la Cour de cassation française sur le droit koweïtien

Le législateur égyptien a été influencé par la présence française, ainsi que par le fonctionnement des tribunaux civils. Par la suite, il a été influencé par le système français de la Cour de cassation91. Il a créé la Cour de cassation égyptienne sur le modèle de l’institution française à un point tel, que la doctrine considère qu’il existe un lien de parenté entre les systèmes de pourvoi en cassation en France et en Egypte92. La même démarche a été reprise au Koweït, à la seule différence que cette fois, entre le Koweït et l’Égypte93, le lien de parenté était autrement plus profond et plus solide que dans le cas précédent. Pour comprendre l’évolution du système de cassation koweïtien, il convient donc, en raison de ces liens avec le système juridique égyptien, de procéder préalablement à l’étude de l’institution de la Cour de cassation égyptienne (§ 1), avant celle de la Cour de cassation koweïtienne (§ 2).

§ 1 : L’institution de la Cour de cassation égyptienne

La réforme de l’institution de la Cour de cassation égyptienne s’est progressivement effectuée lorsque le législateur égyptien a souhaité intégrer les règles juridiques européennes en Egypte. Il l’a d’abord fait lors de la création, en 1883, des tribunaux civils, en promulguant des lois civiles influencées par la loi française94. Cependant, avant l’institution des tribunaux civils, il existait déjà dans les provinces d’Égypte des « Conseils d’appel » qui prononçaient des jugements révocables devant un conseil connu sous le nom de « Conseil des jugements ». Ce dernier avait pour rôle de trancher le litige en entier pour les motifs évoqués par le justiciable ou pour d’autres motifs que le Conseil jugeait nécessaires. La compétence du Conseil ne se limitait pas à veiller à la bonne application de la loi ; il se prononçait aussi sur

91 A. Srour, La cassation pénale, Caire, Dar Al-Shourouq, 2ème édition, 2005, p.15.

92 M. Al-Jarehi, « Le lien de parenté entre la Cour de cassation française, koweïtienne et égyptienne », Revue de

l’institut judiciaire, Koweït, 2005, p.40.

93 Ibid.

94 H. Alcharif, L’autorité de la Cour de cassation en jugeant le recours en droit pénal, Thèse, Université du Caire, 1998, p.78.

les faits et les preuves. Ce Conseil n’avait aucun lien avec la Cour de cassation, il était seulement considéré comme le troisième degré de recours en justice95.

Il est important de noter que l’Égypte a connu le pourvoi en cassation en matière criminelle avant les matières civiles et commerciales. La Cour de cassation avait pour nom lors de son institution « la Cour de cassation et de ratification ». De plus, et selon l’article 21 du règlement de l’organisation judiciaire, il était prévu qu’« en cas de violation des procédures

à suivre ou de dérogations à la loi, les cours d’appel rendaient leurs arrêts en matière

criminelle, par une assemblée générale de cassation et de ratification, sur les affaires qui lui

étaient soumises »96. Le procureur général et le condamné, demandeurs au pourvoi en cassation pouvaient contester les arrêts de la cour d’appel en matière criminelle. Cependant, ce pourvoi n’était possible que dans trois cas : si les faits avérés dans l’arrêt n’étaient pas réprimés par la loi, s’il existait une erreur de droit concernant un fait avéré dans l’arrêt et, s’il existait un cas de nullité de procédure ou de l’arrêt.

L’arrêt était ainsi rendu par l’assemblée de la cour d’appel en tant que Cour de cassation et de ratification, après l’audition du chef du bureau du procureur général, des justiciables et de leurs avocats respectifs. L’assemblée pouvait rendre un arrêt d’acquittement. Elle pouvait d’abord juger l’affaire s’il s’agissait d’un crime ou pouvait transférer le litige à une autre cour d’appel compétente s’il s’agissait d’un délit ou d’une contravention. Enfin, l’affaire pouvait être transférée à une autre cour d’appel pour qu’elle soit jugée de nouveau. Selon l’article 222 du Code de l’instruction criminelle égyptien, dans le cas où le pourvoi était de nouveau formé devant la même cour agissant en qualité de Cour de cassation et de ratification, cette dernière jugeait le fond de façon irrévocable.

La loi a été amendée en 1895 et a ainsi permis le pourvoi en cassation en matière délictuelle. Elle a transformé la chambre de la cour d’appel chargée d’examiner les pourvois en Cour de cassation et de ratification. Précédemment formée d’une assemblée générale, la Cour a alors été composée de cinq juges, chacun d’eux pouvant antérieurement avoir participé

95 M. Al-Jarehi, Op. cit., p.40.

au prononcé de l’arrêt attaqué. Cette situation était devenue intolérable car, la Cour de cassation avait une composition similaire à celle d’une cour d’appel dont les conseillers pouvaient siéger aussi bien dans l’une que dans l’autre de ces juridictions. Or le système de cassation imposait l’existence d’une Cour indépendante qui garantissait la cohérence de ses décisions et de ses principes.

Par la suite, le législateur égyptien a autorisé la correction des erreurs de droit dans les décisions rendues en matière civile. Il a ainsi modifié le Code de procédure civile en 1921, et adopté la création des chambres réunies de la cour d’appel. Ces chambres réunies étaient compétentes pour juger les arrêts d’appel contradictoires97. Lorsque le système des chambres réunies s’est avéré inutile, le législateur égyptien s’est penché sur les systèmes français et belge du pourvoi en cassation pour y sélectionner ce qu’il jugeait compatible avec l’environnement égyptien98.

Il a ainsi promulgué le décret-loi n°68/1931 relatif à l’institution de la Cour de cassation et de ratification. Avec ce texte, la cour d’appel a perdu sa compétence en matière de cassation. Il appartenait dès lors à la Cour de cassation et de ratification de recevoir les pourvois aussi bien en matière civile qu’en matière pénale99. En 1949, le terme « ratification » a été supprimé dans tous les textes relatifs à la règlementation de la Cour de cassation. A partir de ce moment, la Cour de cassation commença à rendre : soit des décisions de rejet soit des décisions de cassation. Mais n’examinait plus d’affaire sur le fond100.

Ensuite, un décret-loi a été promulgué par la loi n°57/1959 relatif aux pourvois en cassation et à ses procédures. Tout ce qui concerne le pourvoi figure désormais dans cette loi. Par la suite, d’autres lois sont venues tantôt modifier des articles, tantôt en apporter de nouveaux. Nous pouvons citer à titre d’exemple la loi n°173/1981 qui a institué une chambre du conseil qui examine les recours et la loi n°23/1992 qui a unifié les délais de recours en matière de cassation pénale et civile. Pour ces recours, le délai pour former un pourvoi est de

97 H. Alcharif, Op. cit. p.82.

98 A. Srour, Op. cit., p.15.

99 Ibid, p. 16.

60 jours à partir de la date du prononcé de l’arrêt contradictoire ou à l’expiration du terme de l’opposition. Ce délai de 60 jours n’est pas le même que celui de la Cour de cassation koweïtienne dont il convient d’examiner l’évolution.

§ 2 : L’institution de la Cour de cassation koweïtienne

Depuis la naissance du Koweït en 1610 jusqu’en 1959, l’organisation judiciaire était assez simple, la société koweïtienne n’a pas eu besoin d’un système juridique comme celui dont elle dispose actuellement. Les cours publiques qui sont apparues qu’à partir de 1950 étaient de deux genres. Le premier type était celui d’une cour publique formée par un président qui était l’Émir du Koweït et par un comité de trois professionnels expérimentés, nommées par l’Émir. Ce comité avait pour mission de trancher différents litiges concernant la violation de la loi (droit administratif, droit civil et droit pénal) y compris les litiges concernant l’exécution des jugements. Le second reposait sur une cour islamique formée par deux juges spécialisés en droit musulman. Cette dernière avait pour rôle de trancher les questions de droit de la famille, de droit des successions et les litiges ayant un caractère islamique101. Une fois la décision prononcée, la cour la transmettait à l’autorité compétente qui avait pour mission de la notifier aux justiciables pour son exécution.

Il se pouvait que l’un des justiciables demande la cassation de la décision. Dans ce cas, la cour soumettait un dossier complet contenant le mémoire et les attestations des témoins à un juge religieux connu pour sa dévotion et sa fidélité, et qui était désigné par « l’officier de la

cassation » 102 lequel rendait une décision de rejet ou de cassation. Nous pouvons donc dire que la justice islamique au Koweït bénéficiait de deux degrés de juridiction dont le second prenait la dénomination de Cour de cassation mais en réalité agissait comme une cour d’appel.

En 1959, la première loi concernant l’organisation judiciaire de l’État du Koweït a été promulguée par le décret n°19/1959 qui a organisé le système judiciaire en deux degré de juridiction, à savoir la première instance et l’appel. Dans le but de conserver la simplicité du

101 Il s’agit des actions défendues selon la Charia Islamique.

système législatif, il ne prenait pas en considération le système de cassation, sachant qu’il existait déjà par l’intermédiaire de l’officier de la cassation. L’exposé des motifs de ce décret indiquait que « la cassation n’y est mentionnée que concernant les décisions prononcées par

les deux premiers degrés de juridiction à condition qu’ils soient fondés sur la Charia. C’est le

Code de procédure civile qui organise la procédure à suivre auprès de l’officier de la

cassation comme il est d’usage au Koweït. Aujourd’hui, le pays n’a pas besoin de plus de

procédures en cassation. Mais avec le temps il se peut que nous ayons besoin d’instituer une

Cour de cassation auprès de laquelle les arrêts prononcés par la haute cour d’appel seront

attaqués ».

Conformément à l’exposé des motifs du décret de 1959, la loi n°6/1960 relative aux procédures civiles et commerciales a été promulguée. Celle-ci disposait dans ses articles 242 à 245, qu’il était possible de former un pourvoi en cassation à l’encontre des décisions rendues en matière civile par la haute cour d’appel sous deux conditions. D’abord, l’arrêt attaqué devait être fondé sur la Charia et la décision devait aussi contenir, explicitement, la possibilité de former un pourvoi en cassation. L’action en cassation devait être portée auprès du greffe de la haute cour d’appel par une demande qui devait déterminer tous les points de violation de la Charia. Ensuite, le greffe notifiait la demande au défendeur. La demande, accompagnée d’une copie de l’arrêt attaqué, était transmise à l’officier de la cassation afin qu’il décide, dans un délai de 10 jours à partir de la réception des copies, si l’action était recevable ou non. Son silence équivalait à une décision d’irrecevabilité du pourvoi en cassation.

La volonté du législateur koweïtien à cette époque était de maintenir l’idée que le pourvoi relevait d’un juge unique mais en imposant des conditions strictes. C’est pourquoi, plus de dix ans après l’organisation du système juridique, le législateur a estimé nécessaire de créer un comité juridique autonome destiné à veiller à la bonne application de la loi. L’intérêt de ce comité était de remédier aux désaccords entre les chambres au sein de la haute cour d’appel, en raison de leur nombre croissant.

C’est pour cette raison que la loi n°40/1972 relative au pourvoi en cassation a été promulguée le 2 juillet 1972, et a institué des chambres chargées de jouer le rôle de juridiction

de cassation. L’article 16 de la loi prévoyait que la chambre de cassation restait autonome même si elle faisait partie de la haute cour d’appel et qu’elle différait des chambres de la cour d’appel par sa constitution et ses spécialisations. Elle était ainsi composée de cinq conseillers qui n’ont jamais participé à la procédure relative à l’arrêt attaqué. Des recours étaient alors présentés auprès de cette cour dans le but de révoquer les décisions rendues par la haute cour d’appel dans des cas particuliers prévus par la loi. Cette loi concernait aussi bien les matières civile et commerciale et matière pénale que les règles générales concernant toutes ces matières103.

En juin 1980, le décret-loi n°38/1980, portant promulgation du Code actuel de procédure civile et commerciale a prévu dans son article 2 l’abrogation de la première partie de la loi n° 40/1972 relative au pourvoi en cassation. Selon l’exposé des motifs,« il était

nécessaire que le législateur consacre une partie propre à la cassation contre les arrêts

rendus en matière civile, commerciale ainsi qu’en matière de droit de la famille et de droit des

successions mais aussi de laisser la partie relative à la matière pénale jusqu’à ce que cette

dernière soit insérée dans le Code de procédure pénale. Le législateur conserve néanmoins les

règles essentielles de la loi n° 40/1972 en y apportant les modifications permettant de combler

les lacunes de la partie générale et de la partie consacrée au recours ». Ainsi, les articles 8 et

suivants de la loi n° 40/1972 ont été consacrés au pourvoi en cassation en matière pénale mais sans être insérés dans le Code de procédure pénale, ce qui est critiquable.

Après plus de vingt ans d’application de la loi n°40/1972, avec le changement de circonstances, la diversité des formalités et la croissance de la population, il n’était plus acceptable que les chambres de cassation, dont le rôle était d’unifier l’interprétation de la loi et des principes juridiques par le biais du pourvoi, demeurent une émanation de la haute cour d’appel. C’est pourquoi il a paru nécessaire d’instituer une Cour de cassation autonome qui serait au-dessus de toutes les juridictions koweïtiennes à l’image d’autres régimes juridiques. Une telle Cour doit pouvoir veiller à la bonne application de la loi et rendre possible le

103 À titre de précision, la loi n° 40/1972 est divisée en trois parties. La première concerne la procédure relative au pourvoi en matière civile et commerciale. La deuxième concerne la matière pénale et la troisième concerne des règles générales applicables aux deux.

désengorgement de la haute cour d’appel qui pourra alors remplir son rôle de deuxième degré de juridiction. C’est pour toutes ces raisons que le décret-loi n°23/1990 relatif à l’organisation judiciaire a institué pour la première fois, dans l’article 3, au sommet de toutes les juridictions, « une Cour de cassation » autonome. Cependant, la nouvelle loi a limité son rôle en matière pénale : la Cour de cassation ne peut se prononcer qu’en matière criminelle ainsi qu’en matière délictuelle en cas de concours réel d’infractions dont l’une est criminelle104.

Les autres délits n’étaient pas susceptibles d’être l’objet d’un pourvoi en cassation jusqu’en 2003. Mais le législateur a de nouveau créé une chambre de cassation au sein de la haute cour d’appel ayant pour rôle de trancher les pourvois en cassation formés à l’encontre des décisions prononcé par la cour d’appel délictuelle et concernant un délit puni d’emprisonnement. La loi n°46/1994 a apporté de nouvelles modifications dont les plus importantes ont été la création de la chambre du conseil105 et l’extension du délai pour former un pourvoi106 .

Après cet aperçu historique, il nous semble de souligner que la construction française de la Cour de cassation a été progressive. Le législateur français a procédé par étapes pour que cette Cour atteigne son objectif originel qui était de transformer son office politique en office juridictionnel. Sans ces progrès, l’expérience française n’aurait pas été exportée dans le monde. Elle l’a d’abord été en Égypte où pour des raisons liées à la présence française dans ce pays le régime de la Cour de cassation française a été adopté. L’Égypte a abandonné le système des chambres réunies de la cour d’appel et a opté pour une Cour autonome.

Au Koweït, c’est l’influence de la Charia islamique qui a permis le début de l’institution de la Cour de cassation par l’intermédiaire de l’officier de la cassation. Au départ, c’est la simplicité de la société koweïtienne et sa faible population par rapport à la France et à l’Égypte107 qui ont fait que le Koweït ne s’est inspiré pas de l’expérience française, que la promulgation de la première loi relative à l’organisation judiciaire en 1959 coïncida avec la

104 Voir infra les décisions susceptibles de pourvoi.

105 Voir infra la conférence.

106 Voir infra Les délais.

107 La population de l’état du Koweït était jusqu’à 30 juin 2012 de 3.268.431 personnes (selon le bureau central de statistiques). Parmi cette population, il y a 1.128.381 koweïtiens ; les autres étaient des étrangers.

création du Code de procédure pénale français et du Code égyptien sur l’organisation des cas de recours en cassation et ses procédures.

Notons aussi que les rédacteurs de la plupart des lois koweïtiennes étaient des conseillers égyptiens indirectement influencés par l’expérience française. Ainsi, les rédacteurs des lois peuvent difficilement être critiqués car, à cette époque, ils ne bénéficiaient d’aucune autre ressource que leur droit pour produire un texte correspondant à la situation koweïtienne. Cependant, il est possible de critiquer le législateur koweïtien contemporain qui accuse un net retard pour l’adoption des mesures permettant de faire respecter les lois actuelles.

L’étude de l’évolution de la juridiction de cassation a permis de conclure à l’influence du système de cassation français sur le droit koweïtien. Cette influence est-elle la même en ce qui concerne les caractères du pourvoi ? C’est ce qu’il convient de voir maintenant.

S

ECTION

2:

L

ES CARACTERES DU POURVOI EN CASSATION

La Cour de cassation est la juridiction suprême de l’ordre judictionnel koweïtien et français, elle a pour fonction essentielle de statuer sur les pourvois dont elle est saisie. Ces pourvois en cassation diffèrent en fonction de la nature des décisions contestées. Les pourvois peuvent ainsi être de nature civile ou pénale.

Cependant le pourvoi en matière pénale ne diffère pas du pourvoi en matière civile, il procède du même esprit, mais reste essentiellement différent en pratique. C’est la raison pour laquelle, d’un côté, on peut relever des similitudes qui dispenseront de certains développements, de l’autre, des particularités sur lesquelles il faudra se concentrer. Il faudra examiner, à cet égard, les caractères généraux des deux pourvois (Sous-section 1), puis les caractères particuliers de pourvoi en matière pénale (Sous-section 2).

Sous-section 1 :