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Introduction de la deuxième Partie

Chapitre 2. L'évolution des contrats de concession de la capitale Tunis

3. Changement de concession sous le Protectorat

La ville de Tunis avait connu une grande métamorphose après l'institution du Protectorat français en 1881. Sur un plan sociétal, la population s'était accrue avec l'implantation des colonies européennes qui avait presque égalé en importance la population tunisienne108. La ville s'était rapidement étendue. Elle avait été dédoublée d'une nouvelle ville ancienne, peuplée d'indigènes et appelée "ville arabe", et d'une ville moderne, peuplée de nouveaux venus européens appelée "ville européenne". Sur un plan économique, le protectorat avait levé tous les obstacles à la pénétration des capitaux français. Les entreprises françaises s'étaient multipliées en quelques années dans les divers secteurs de l'économie : exploitation minière, mise en place d'établissements de crédit, création de services publics…

Le service de l'eau avait subi d'importantes transformations. En 1884, l'administration française avait retiré la concession du service d'eau aux généraux tunisiens pour la confier à une entreprise française, la maison Durand et Compagnie de Paris. Cette entreprise française assurait déjà la production et la distribution du gaz d'éclairage de la capitale. Elle avait alors pris le nom de Compagnie du Gaz et Régie co-intéressée des Eaux de Tunis.

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Vernaz L. (1884), Ouvrage précité – page 4.

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3.1. Une cession de contrat fortement contestée

La passation de la nouvelle concession avait valu au Gouvernement tunisien de vives critiques, qui accusaient le Résident Général de la France de corruption et d'abus de pouvoir. Ses accusateurs demandaient sa révocation109. De plus, en signe de protestation contre cette passation, des membres du Conseil municipal avaient démissionné.

La mise en cause de la légitimité de la nouvelle concession s'appuyait sur l'article 25 de la convention de 1873. Cet article stipulait en effet que le contrat avec la compagnie des généraux ne pouvait être cédé à des étrangers en tout ou en partie. Il n'autorisait ce droit qu'à des Tunisiens avec nécessité d'approbation préalable de l'Administration. La cession par la compagnie des généraux de ses droits et charges110, qu’elle avait obtenus en 1873, à la maison Durand et Compagnie de Paris ne respectait donc pas les clauses de l'ancienne convention. Dans la réalité, un nouveau contrat avait été consenti sous le couvert d'une simple autorisation de cession. C'est effectivement une nouvelle concession de cinquante ans qui avait remplacé le contrat de trente ans déjà entamé. Selon la nouvelle administration française, cette durée trouvait sa justification dans l'impossibilité de réunir des actionnaires qui engageraient des capitaux pour une courte durée de dix-huit années.

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Les accusations contre le Résident Général paraissaient notamment dans les journaux Le Réveil Tunisien et

La Lanterne. Le National du 21 novembre 1885 rapportait les accusations suivantes de La Lanterne : "Nous

avons accusé et nous accusons M. Cambon (Le Résident Général) :

 D'avoir augmenté sa fortune privée aux dépens du domaine public,  …

 D'avoir dans l'affaire des eaux de Tunis, qui est une spoliation au préjudice de la ville et de l'Etat de Tunis, prêté sciemment aux spoliateurs le concours de son pouvoir absolu."

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La cession a été effectuée par une simple lettre en date du 17 septembre 1884. Dans cette lettre adressée à la Direction Générale des Travaux Publics, le mandataire de la compagnie française faisait état de la cession par le général Baccouche, en son nom et au nom de ses associés, de ses droits et charges qu’il avait obtenus en 1873. Par cette même lettre, la nouvelle Compagnie demandait au gouvernement l'approbation de la cession.

La population de Tunis contestait aussi les nouvelles règles de gestion. Elle voyait en cette nouvelle Convention, qui imposait le remplacement du système de "robinet libre" avec ou sans jaugeage par des compteurs, un préjudice à ses droits et intérêts. Les protestations populaires avaient été avivées par le non respect de l'entreprise des échéances de mise en place des bornes fontaines prévues par le contrat. Afin de porter leur protestation en haut lieu, la population avait élu un comité pour défendre ses intérêts dans ce qui a été appelé "l'Affaire

des Eaux".

3.2. Des mesures pour la satisfaction des besoins de la

ville en expansion

L'alimentation de la ville de Tunis, comme nous l'avons explicité précédemment, s'effectuait à partir des sources naturelles de Zaghouan et de Jouggar situées à une cinquantaine de kilomètres au sud de la ville. Le débit de ces sources était très variable et pouvait subir des baisses considérables en périodes d'étiage et de sècheresse. Il fallait alors trouver les solutions techniques et organisationnelles pour répondre aux exigences d'une ville en expansion. Deux principales mesures avaient été apportées à travers le contrat de la nouvelle concession.

La première mesure avait été d'ordre technique. Elle rendait compte du caractère rare de la ressource et de la nécessité d'éviter son gaspillage. Les abonnés, qui payaient en effet forfaitairement une consommation de 1 m3/j, n'étaient nullement incités à économiser l'eau. Ils utilisaient au contraire des volumes bien supérieurs au forfait alloué. En 1884, la Direction Générale des Travaux Publics avait estimé une surconsommation d'eau de 160 % par rapport aux volumes prévus pour les prises à l'amont de la ville de Tunis, soit plus qu'un cinquième

du débit total de l'aqueduc111. Le contrat prévoyait alors l'installation des compteurs individuels sur les branchements en vue de remplacer le système de tarification forfaitaire par une tarification au volume consommé.

La deuxième mesure avait été d'ordre financier. La satisfaction des besoins en eau croissants de la ville nécessitait la mobilisation d'importants fonds d'investissement pour la mise en œuvre de nouvelles infrastructures : renforcement des captages d'eau, construction de réservoirs,… La restauration de l'aqueduc ayant déjà alourdi les dettes de l'Etat, il fallait chercher d'autres fonds. La participation des nouveaux concessionnaires constituait une aubaine pour le Gouvernement. Il avait en effet exigé, dans le nouveau contrat de concession, un apport de capital de premier établissement par l'entreprise privée. Le montant du capital avait été estimé en fonction des travaux à effectuer.

3.3. Des conditions de rémunération révisées

Les conditions de rémunération de l'entreprise privée avaient été révisées pour répondre aux nouvelles dispositions de la concession. Elles devaient effectivement permettre à l'entreprise de réaliser des gains en plus de l'amortissement du capital engagé. Elles devaient aussi faire éviter à l'administration de continuer à subventionner le service d'eau, voire même lui permettre d'y trouver une source de revenu. La subvention annuelle accordée au concessionnaire avait été donc annulée. Ce dernier était rémunéré directement par les usagers.

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Il collectait et percevait le produit des abonnements et de la vente d'eau112 jusqu'à concurrence de la somme des trois montants ci-après :

 une annuité fixe (égale à 170 000 piastres soit 70 % de plus que la subvention anciennement accordée au concessionnaire),

 l'intérêt à 5 % du capital du premier établissement,

 l'amortissement de ce capital à raison de 0,5% par an pendant la durée de la concession fixée à 50 ans.

Lorsque le produit total de la vente de l'eau excédait la somme de trois montants ci-dessus, la convention avait prévu le partage des bénéfices, avec des règles bien spécifiées113, entre l'Administration et le concessionnaire.

L'Etat avait donc clairement opté avec la nouvelle concession à une couverture des coûts d'exploitation à partir du paiement des usagers. Ce qui l'avait conduit à accompagner ce choix par une révision du système tarifaire. Il avait d'abord décidé de la suppression des prises gratuites qui étaient faites au profit de personnes aisées ou d'établissements richement dotés114. Il avait ensuite établi des tarifs différenciés en fonction de deux catégories de consommation :

 une première catégorie consacrée aux usages domestiques avec une consommation de 30 l/j/hab. Le tarif n'excédait pas, d'une manière sensible, ce que pourrait coûter le transport journalier de l'eau de la borne fontaine à l'habitation. Il était fixé de manière

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La convention avait réservé au minimum la moitié des débits de captage pour l'alimentation des bornes fontaines et autres services publics. L'entreprise n'avait le droit de vendre que les volumes en surplus.

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Le concessionnaire avait le droit, à titre de frais de régie et de bénéfices, une part de 30% sur la première centaine de milles piastres d'excédent et de 25% sur les autres centaines de mille.

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à ce que la facture payée par un ménage moyen de 7 personnes ne dépasse pas ce qu'il payait sous l'ancienne concession,

 une deuxième catégorie pour ceux qui consommaient des grandes quantités d'eau, à la fois pour leurs besoins et pour leur agrément. Pour celle-ci l'eau serait facturée plus cher.

3.4. Des moyens de contrôle plus effectifs

Davantage d'importance avait été accordée à la rédaction des moyens de contrôle par l'Etat et des conditions d'application des sanctions. L'entreprise privée était par exemple tenue de fournir un cautionnement de garantie pour la bonne exécution des travaux neufs, dont le contrôle et l'approbation étaient sous la responsabilité de l'Administration. Les clauses de la convention offraient aussi à l'Administration la possibilité de procéder à une mise en demeure de la concession en cas de non respect par l'entreprise de ses engagements.

La nouvelle convention avait aussi apporté des précisions quant aux conditions d'achèvement de la concession. La convention prévoyait en effet la rétrocession des infrastructures à l'Administration en fin de contrat. Un état contradictoire devait être dressé par l'Administration et le concessionnaire deux ans avant l'expiration du marché pour évaluer les travaux à exécuter pour la mise en parfait état des ouvrages. Pour garantir l'exécution de ces travaux, l'Administration se réservait le droit de percevoir en lieu et place du concessionnaire les abonnements des deux dernières années jusqu'à concurrence de la somme jugée nécessaire pour assurer la bonne exécution des travaux.

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