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Introduction de la deuxième Partie

Chapitre 1. Bref aperçu historique sur la gestion de l'eau potable en Tunisie

1. De l'Antiquité au règne musulman

La situation géographique de la Tunisie lui confère un climat aride caractérisé par une forte variabilité spatio-temporelle de la pluviométrie. De ce fait et depuis l'Antiquité, l'homme s'est ingénié à développer les techniques appropriés pour recueillir cette ressource rare et la mettre à la disposition de ses besoins.

1.1. La période punique : une vie urbaine assez

développée

A l’époque de Carthage les maisons puniques étaient systématiquement dotées d’une ou de plusieurs citernes alimentées par l’impluvium des terrasses et disposaient souvent d’un puits privé. Presque toutes les maisons puniques comprenaient de salles d'eau équipées déjà de baignoires dites "baignoires sabot". Un système de rigoles permettait l'évacuation des eaux usées. Les eaux souterraines étaient aussi captées pour alimenter les fontaines publiques. Certaines fontaines prenaient des dimensions monumentales68, ce qui atteste du développement urbain important qu'ont connu les villes puniques. Peu de détails sont connus sur l'organisation gouvernementale de Carthage. On sait cependant que les Carthaginois laissaient aux collectivités le soin de régir leurs affaires internes. Les cités étaient en effet

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dotées d'institutions municipales administrées par des suffètes, magistrats d'origine carthaginoise.

1.2. La période romaine : une ingéniosité technique et

organisationnelle

La civilisation romaine a développé la maîtrise technique de l'eau à un niveau étonnant. D'abord, les romains continuaient à utiliser les citernes et les puits qui s'étaient déjà généralisés depuis l'époque punique. Mais ils ont su aussi développer des nouvelles techniques de collecte de l'eau.

La première technique à citer consistait à puiser les eaux dans les nappes profondes pour les acheminer dans des conduites vers des grands bassins souterrains. C'est ainsi que la ville d'El Jem, au centre de la Tunisie, était alimentée à partir des eaux captées d'une nappe située à 13 km au nord-ouest et acheminée par un aqueduc souterrain passant sous une colline et dont le point le plus profond se situait à plus de 15 m. Les eaux étaient ensuite versées dans un ensemble de deux bassins souterrains.

La deuxième technique consistait à aller chercher les eaux dans des montagnes voisines. Les eaux des sources jaillissantes de ces montagnes étaient ensuite acheminées par gravité dans des aqueducs jusqu'aux villes. C'est ainsi que la ville de Carthage était alimentée à partir des sources de Zaghouan et du Jouggar. L'immense aqueduc, d'une longueur de 132 km, était construit sous les ordres de l’empereur Hadrien suite à la sècheresse exceptionnelle qui a sévi

de 123 à 128 ap. J.C. 69. Les eaux ainsi amenées servaient à alimenter les thermes, les fontaines publiques et quelques maisons particulières appartenant à des notables riches et de haute condition70.

Le service de l'eau potable dans l'empire romain a été décrit et analysé dans le traité de Sextus Julius Frontinus écrit à la fin du premier siècle ap. J.-C. Frontinus était un haut fonctionnaire romain. Il était précisément le "curator aquarum", c'est-à-dire l'administrateur principal du service des eaux. Il était chargé de mettre en place une organisation du service d'eau à Rome. Nous pouvons déjà retrouver à son époque deux principes capitaux de l'organisation du service public, à savoir la continuité du service et l'égalité des usagers. Frontinus a en effet institué des mesures de débit71 et de volume permettant de garantir l'égalité des usagers devant l'eau potable. Il a combattu la corruption des agents et des usagers en s'attachant à évaluer l'importance et la localisation des branchements illicites par comparaison des volumes produits et distribués.

L'administration des provinces d'Africa, la partie orientale du Maghreb qui correspond à peu près à la Tunisie actuelle, était assurée par le Sénat qui y déléguait un proconsul. Sur le plan administratif, le proconsul, outre la communication et la mise en application des lois et règles impériales, devait surveiller l'action des municipalités. Il présidait à ce titre les travaux publics d'intérêt général dont les aqueducs et la distribution des eaux. Les tâches de construction et de gestion étaient assurées directement par son légat.

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Direction Générale des Travaux Publics, (1927) "Alimentation en eau de Tunis et de sa banlieue", Régence de Tunis – Protectorat Français, 52 pp + planches, Page 9.

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Slim H., Mahjoubi A., Belkhoja Kh., Ennabli A. (2003), "Histoire générale de la Tunisie, tome 1 : L'antiquité" Editions Maisonneuve & Larose, 459 pp.

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Pendant la période romaine, l'eau faisait aussi l'objet d'une gestion sociale complexe entremêlée aux enjeux de l’exercice et de la hiérarchie des pouvoirs citadins. Les magistrats étaient tenus par exemple à l'entrée en charge de verser à la caisse de la cité une somme

honoraire dont le taux variait en fonction de leur rang et de l'importance de la ville. Dés lors,

une surenchère et une compétition entre les nouveaux magistrats s'installait. Ils contribuaient alors, entre autres actions comme l'organisation de festins ou de jeux, à l'édification des monuments publics dont les fontaines publiques. En contrepartie, leur carrière ne pouvait être que favorisée en proportion de leur contribution.

1.3. La période islamique : le devoir de fournir l'eau

En plus de sa valeur vitale et hygiénique, reconnue pleinement pendant la période antique, une valeur spirituelle a été attribuée à l'eau puisqu'elle était nécessaire aux ablutions rituelles. Les califes et leurs gouverneurs avaient le devoir de fournir l'eau aux villes dont ils avaient la charge. C'est ainsi par exemple que, sous les ordres du calife omeyade Ibn Abd Al-Malik dans les années 734-741, le gouverneur de la ville de Kairouan72 avait aménagé une quinzaine de bassins réservoirs pour l’approvisionnement de la population. Avec l'accroissement de la population, les bassins ne suffisaient plus pour l'alimentation de la ville. Alors le calife Ibn Al-Aghlab avait ordonné en 860 la construction d'un système de collecte des eaux de débordement de l'oued Merguellil. Le système était constitué de deux bassins communiquant, le premier servait à la décantation, le deuxième d'un volume d'environ de 58 000 m3 au stockage. Les eaux servaient en partie à l'alimentation en eau potable de la ville, le reste était consacré à l'irrigation.

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Au lieu d'occuper Carthage, les arabes avaient choisi un autre site pour y établir la nouvelle ville de Tunis. Ils avaient cependant fait un grand effort de conservation des ouvrages anciens d'approvisionnement en eau. C'est ainsi que sous la dynastie des Hafsides, des travaux importants pour la remise en service les aqueducs ainsi que sa dérivation vers la nouvelle ville avaient été entrepris. Un nouveau tronçon avait été également construit. Il amenait les eaux d'une petite source située près de Ksar Saïd au nord ouest de la ville. A l'intérieur des villes, un réseau de canalisations en plomb desservait les fontaines publiques73. En parallèle à cet approvisionnement à partir des eaux de l'aqueduc, la ville de Tunis était aussi alimentée par un ensemble d'infrastructures notamment les citernes et les foggaras. Ces infrastructures d'utilité publique avaient été réalisées par les sultans et souverains qui se sont succédé à la tête de la ville.

1.4. Conclusion

Nous nous apercevons à la lumière de ce bref aperçu historique, que le service de l'eau potable avait occupé une place centrale dans les villes tunisiennes. Des valeurs fortes ont été en effet attachées à ce service depuis l'Antiquité. D'abord des préoccupations d'hygiène lui avaient été associées pendant la période punique et romaine. Ensuite, des obligations spirituelles lui avaient été rajoutées avec la civilisation musulmane.

L'eau est une denrée rare avec des apports très aléatoires dans le climat tunisien. Les souverains des villes ou magistrats municipaux se devaient donc de la recueillir et la rendre disponible à tous leurs citoyens. Financés principalement à partir des impôts récoltés, mais

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Daoulatli A. (1993), "L’alimentation en eau de Tunis sous les Hafsides (XIII-XVI siècle)", al-Madâr, Revue de la Cité des sciences- Tunis, Numéro spécial-1.

aussi par les dons des riches de la ville, les services d'eau ont donc été toujours l'affaire des gouvernements centraux et de leurs représentants locaux. Le développement d'une ville était d'ailleurs décrit par les anciens géographes souvent en grande partie à travers le nombre et l'importance des infrastructures d'eau : fontaines publiques, citernes, aqueducs, thermes…

Cet intérêt porté au service d'eau par les dirigeants politiques est t-il demeuré constant et a-t-il été aussi important dans l'histoire moderne de la Tunisie? Quelle place occupait l'eau dans la vie urbaine et quelles relations entretenait la société à l'eau? Quelles modalités, à la fois techniques et organisationnelles, en découlaient pour la gestion du service de l'eau potable? C'est à ces questions et à d'autres subséquentes que nous essayerons de répondre par notre analyse des services de l'eau potable dans l'histoire récente des villes tunisiennes.

2. La période contemporaine : à partir des années 1860

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