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Le producteur primaire dans la chaîne de production de la cocaïne est le paysan (campesino) avec sa famille, assistés

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(1) Les paysans et les inter- médiaires du commerce de la cocaïne désignent habi- tuellement cette organisa- tion sous l’appellation de « el cartel » (le cartel), ou encore « los duros » (les durs) ou « los cristalizaderos » (les raffineurs de cocaïne, cf.

infra). D’après les intermé-

diaires, il s’agirait de l’orga- nisation connue sous le nom de « Cartel del Norte

del Valle » (Cartel du Nord

[du département] de Valle del Cauca), mais il ne nous a pas été possible de confir- mer ni d’infirmer cette affir- mation.

d’ouvriers agricoles (raspachines). Les paysans cultivent le cocaïer et les ouvriers agricoles en récoltent les feuilles. Les paysans du Putumayo exploitent à l’heure actuelle six variétés distinctes de coca. Chacune de ces variétés possède ses caractéristiques propres en matière de durée de crois- sance, de laps de temps entre deux récoltes, de rendement et de qualité en tant que matière première pour la pâte de coca. En outre, il existe de grandes différences entre plusieurs de ces variétés en termes de résistance aux maladies. Pour juger de la résistance aux maladies de telle ou telle variété (Résistance M dans le tableau 1 ci-dessous), les paysans ont normalement recours à un classement allant de « basse » à « haute » en passant par « moyenne ». Depuis le début des programmes d’éradication forcée des cultures illicites dans le Putumayo à l’hiver 2000, les variétés de coca sont également classées en fonction de leur résistance aux aspersions aériennes d’herbicide2(Résistance H dans le tableau 1 ci-dessous). On considère qu’une variété de coca est d’un bon rendement lorsque moins de trente- cinq arrobas3 de ses feuilles suffisent à produire un kilo-

gramme de pâte de coca. La qualité de la pâte de coca obtenue de chacune des variétés de la plante est évaluée sur une échelle descendante graduée de 1 à 3, chaque qualité étant achetée à un prix spécifique par les intermé- diaires (comisionistas). Bien que la qualité de la pâte de coca dépende dans une large mesure du soin mis à la produire, certaines variétés de coca produisent une pâte contenant des impuretés, collectivement désignées sous le nom de « goma », (caoutchouc), en quantité plus élevée que la moyenne. Chaque variété de coca se voit ainsi attribuer une note de 1 à 3 se référant à la qualité de la pâte susceptible d’en résulter.

Tableau 1 - Caractéristiques des variétés de coca les plus courantes

Variété Résistance M Résistan ce H Rendement

(arroba coca/1 kg pâte) Qualité Péruvienne H L 50 1 Tingo H L 33 2 Tingo María H L 25-30* 2 Caucana M L 40 1 Boli vienne noire H H 27 2-3 Boli vienne blanche H L 35-40* 2

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(2) Cf. l’article de Ricardo Vargas Meza dans ce numéro (NdR).

(3) En Colombie : 1 arroba = environ 12,25 kilogrammes de feuilles de coca.

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Après la récolte des feuilles, les paysans transforment ces dernières en pâte de coca qu’ils vendent aux comisionistas. Les revenus du comisionista proviennent des commissions qu’il empoche lorsqu’il revend la pâte de coca au fabricant de cocaïne (cristalizadero/patrón duro) qui est membre d’un cartel. Le fabricant se charge de raffiner la pâte de coca en chlorhydrate de cocaïne. Le comisionista peut être soit financé soit indépendant. Un comisionista financé se lance dans les affaires « par le haut » en bénéficiant du soutien financier des fabricants de cocaïne ; mais il effectue son travail sans disposer de contacts préalables avec les paysans vivant dans la zone où il opère. Le comisionista indépendant est lui-même un paysan ou, comme c’est fréquent, le fils d’une famille paysanne, qui s’est lancé dans l’intermédiation ; il met à profit ses liens d’amitié et de parenté avec d’autres paysans de la zone pour se constituer un pool stable de fournisseurs de pâte de coca. Le comisionista financé reçoit d’avance une somme d’argent fixe pour chaque kilo de pâte qu’il fournira au cartel. Cette somme couvre à la fois le prix au kilo qu’il est censé payer au paysan et sa propre commission, cette dernière se montant habituellement à 200 000 pesos par kilo4. Le comisionista indépendant, pour sa part, ne reçoit du cartel aucune avance, et il doit donc financer l’achat de pâte de coca aux paysans sur ses fonds propres. Il revend ensuite la pâte au cartel à un prix fixé à l’avance. Plusieurs chaînes de production de cocaïne coexistent dans le Putumayo. Les comisionistas de la région affirment qu’à l’heure actuelle quatre fabricants de cocaïne différents leur achètent de la pâte de coca qui est transformée en cocaïne dans des laboratoires (chongos) situés sur les pentes des Andes au Nord et à l’Est du Putumayo, mais aussi au Sud, dans la province de Sucumbios de l’autre côté de la frontière équatorienne. Les itinéraires de trafic à la sortie de ces laboratoires du Nord de l’Équateur, soit rentrent en Colombie vers Tumaco, port sur l’océan Pacifique, dans le département de Nariño, soit partent vers le sud en direction de Quito, la capitale de l’Équateur. La cocaïne produite dans les laboratoires localisés au Nord du Putumayo prend, quant à elle, le chemin de Cali, de Pasto

(4) 1 euro = 3 000 pesos colombiens.

ou de Pitalito. Les comisionistas et les employés des raffineries de cocaïne déclarent que celles-ci et les itinéraires de trafic du Nord et du Nord-Est sont sous la coupe d’un seul et unique cartel, mais on ignore si c’est ce même cartel qui exploite également la pâte de coca expédiée en Équateur. Chaque fabricant de cocaïne travaille avec un grand nombre d’intermédiaires5, qui eux-mêmes achètent

de la pâte à un très grand nombre de paysans.

La majeure partie de la pâte de coca acheminée en Équateur à partir du Putumayo est commercialisée par le 48efront des Forces armées révolutionnaires de Colombie

(FARC), lequel regroupe au total environ trois cent quatre-

vingt hommes et femmes et contrôle fermement la zone frontalière avec l’Équateur. Ce front, qui constitue l’arrière- garde des FARCdans le Putumayo, a remplacé les comisio-

nistas qui étaient autrefois actifs dans ce secteur. Au nord des zones frontalières sous contrôle guérillero, dans une région qui englobe les petites villes du Sud du Putumayo et une grande partie des périphéries rurales des municipalités de Puerto Asís, Valle de Guamuez, Orito et San Miguel, le commerce de la pâte de coca est dorénavant sous la coupe des paramilitaires. Bien qu’actuellement les paramilitaires du Putumayo se nomment eux-mêmes Autodefensas Unidas Independientes (AUI), ils appartiennent toujours au Bloque

Central Bolívar des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC6). La présence paramilitaire dans le Putumayo date

de 1997 [González Arias, 1998, p. 247], lorsque les AUC,

alors dirigées par Carlos Castaño, envoyèrent des troupes dans ce département dans le cadre d’une offensive d’envergure nationale. La région est désormais passée sous leur contrôle après qu’ils en ont éliminé, en 1999 et 2000, les structures et réseaux sociaux que les FARC y avaient

mis en place, ainsi que les informateurs (milicianos) de celles-ci. Jusqu’à cette conquête paramilitaire, ce sont les

FARC qui, là aussi, effectuaient l’intermédiation dans le

commerce de la pâte de coca. Le décor planté, nous pouvons maintenant examiner les transformations qui sont intervenues dans l’économie de la cocaïne depuis ce changement de régime.

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(5) Vargas [2003, p. 91] fait état d’une estimation selon laquelle 1 500 intermédiaires seraient actifs dans le seul secteur de Puerto Asís.

(6) Cf. l’article de Gustavo Duncan dans ce numéro (NdR).

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