• Aucun résultat trouvé

Caractères généraux de la logique ensembliste-identitaire

P REMIÈRE PARTIE

I NTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE

1. Rationalité et signification ensembliste-identitaires

1.2. Caractères généraux de la logique ensembliste-identitaire

La « logique ensembliste-identitaire » est une objectivation symbolique abstraite du

legein et du teukhein : l’ensembliste-identitaire est pour ainsi dire contenu dans le legein et le teukhein avant qu’il ne devienne une logique explicite grâce au travail des logiciens, qui, ce

faisant, créent aussi une conceptualité irréductible et sui generis ayant ses propres effets théoriques et pratiques. Mais si le legein et le teukhein sont conditions de possibilité des formes les plus abstraites de la logique ensembliste-identitaire, le rapport de celle-ci à ceux-là est complexe, puisque la création par les logiciens de la logique est aussi occultation de son origine

1 « Le langage est dans et par deux dimensions ou composantes indissociables. Le langage est langue en tant qu’il

signifie, c’est-à-dire en tant qu’il se réfère à un magma de significations. Le langage est code en tant qu’il organise et s’organise identitairement, c’est-à-dire en tant qu’il est système d’ensembles (ou de relations ensemblisables) ; ou encore, en tant qu’il est legein. » Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 352.

2 Nous laissons ici volontairement de côté des pans entiers de la philosophie castoriadienne du langage, qui

mériteraient une étude à part entière. Castoriadis questionne en de nombreux endroits l’être du langage dans la perspective de son pluralisme ontopoïétique. Il définit par exemple, contre le structuralisme, la signification, non comme la conséquence d’une combinaison adéquate d’éléments linguistiques, mais comme un réseau magmatique de renvois irréductibles à la conception ensembliste-identitaire que s’en fait le structuralisme. On peut se référer à : Ibidem, p. 359‑360.

sociale. Dans ce qui suit, nous commençons par recomposer les caractères généraux de la rationalité ensembliste-identitaire, pour ensuite nous tourner vers le thème de l’occultation de ses origines sociales.

1.2.1. Opérateurs et signification ensembliste-identitaires : la logique ensembliste- identitaire comme concept praxéologique de la logique

Le concept de logique ensembliste-identitaire est un concept praxéologique de la rationalité. Il consiste à montrer que ses fondements sont un nombre limité d’opérations et de procédures pratiques (ce en quoi se reconnaît aussi son caractère social). Ainsi, la définition du concept de logique ensembliste-identitaire, qui donne son contenu à la rationalité ensembliste-identitaire, ne cherche pas à décrire une logique réellement existante, mais à expliciter les types universaux d’opérations qu’il est possible de retrouver dans les différents formes de rationalités empiriques participant au concept de logique ensembliste-identitaire. C’est la raison pour laquelle les différentes tentatives de définition de la rationalité ensembliste-identitaire par Castoriadis1 se présentent invariablement comme une énumération,

dont il souligne la non exhaustivité, de ses opérations fondamentales.

Castoriadis décrit à plusieurs reprises les aspects distinctifs de la logique ensembliste- identitaire. Dans tous les cas, son point de départ est la définition « naïve » (au sens de non formalisée) de la notion d’ensemble chez Cantor.

Un ensemble est une collection en un tout d’objets définis et distincts de notre intuition […] ou de notre pensée. Ces objets sont appelés les éléments de l’ensemble2.

Dans L’Institution, Castoriadis dresse pour la première fois la liste des opérations fondamentales de la logique ensembliste-identitaire que la définition cantorienne présuppose. Le premier schème est celui de la « séparation ». Il permet d’isoler une portion du réel et d’en faire un « élément » en le séparant d’autres éléments. Il permet à la pensée de constituer un objet en lui assignant une identité. Il pose la « pure identité à soi », mais aussi la « pure

1 Les textes les plus importants à ce sujet, à partir desquels nous travaillons ici : Castoriadis, L’institution

imaginaire de la société, op. cit., p. 330‑35, 361‑79. Cornelius Castoriadis, « La logique des magmas et la question de l’autonomie », in Les carrefours du labyrinthe. 2, Domaines de l’homme, Paris, Seuil, 1999, p. 481‑ 523.

2 Cité dans Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 329‑330. Cornelius

Castoriadis, « Science moderne et interrogation philosophique », op. cit., p. 267. La préférence de Castoriadis à l’égard de la définition « naïve » est justifiée en ces termes : sa circularité est une manifestation du caractère intrinsèquement circulaire de la création. Pour Castoriadis, la volonté de formaliser cette définition est une manifestation supplémentaire de l’occultation, propre à la pensée héritée, de la circularité de la création.

différence à tout ce qui n’est pas soi ». Comme tous les autres schèmes praxéologiques, celui de la séparation est irréductible : « son application présuppose qu’il a[it] déjà été appliqué1 ».

Le second schème est celui de la « réunion ». Parler d’un ensemble présuppose en effet que l’on puisse collecter en un tout des éléments préalablement isolés et que l’on puisse constituer une « unité identique à soi des différents ». Dans l’ensemble, désigné comme un objet distinct et défini de type supérieur par rapport aux éléments qui le composent, les différences des éléments sont maintenues, mais partiellement abolies. Comme pour le schème de la séparation, celui de la réunion présuppose « qu’il a[it] déjà été appliqué avant de pouvoir l’être2 ». Ce

dernier point est important, car il ne saurait y avoir de déduction logique du schème de la réunion : la faculté de réunir en ensembles des éléments ne se déduit pas de celle de désigner des éléments, et inversement. Il s’agit, dans les deux cas, de facultés originaires qui se présupposent elles-mêmes. Ces deux schèmes, séparation et réunion, présupposent en outre une autre « opération fondamentale du legein », celle qui consiste à désigner. Il n’y aurait aucune séparation ni réunion possible si l’être humain n’était pas doté de cette capacité fondamentale de désigner une chose comme une chose singulière, comme un ceci3. Outre ce

schème, un autre aspect caractéristique de la logique ensembliste-identitaire est l’équivalence opérationnelle propriété ≡ ensemble ou prédicat ≡ classe ; « un ensemble définit une propriété de ses éléments (l’appartenance à cet ensemble), un prédicat définit un ensemble (formé par les éléments pour lesquels il vaut4). »

Dans un texte plus tardif, « La logique des magmas et la question de l’autonomie » (1981-1983), Castoriadis, plutôt que de décrire des « schèmes », parle d’« opérateurs logico- ontologiques fondamentaux », sans pour autant contredire les descriptions menées dans

L’institution. Il identifie avec davantage de rigueur quatre opérateurs fondamentaux, qu’il

considère, à l’instar des « schèmes » de L’institution, comme originaires et non déductibles (et ce, précise-t-il, en dépit des développements contemporains de la mathématique formalisée qui en font des constructions intervenant à une étape avancée de leur développement). Castoriadis nomme les « principes d’identité, de non-contradiction et du tiers-exclu ;

1 Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 330‑331. 2 Ibidem, p. 331‑332.

3 Ibidem, p. 332. Pour une exposition détaillée de la désignation : Ibidem, p. 361 sq. 4 Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 333.

l’équivalence propriété ≡ classe ; l’existence fortement affirmée de relations d’équivalence ; l’existence fortement affirmée de relations de bon ordre ; la déterminité1 ».

Ce dernier point, la « déterminité », est surprenant, car ce n’est pas à proprement parler un principe logique comme peut l’être, par exemple, celui de non-contradiction. Il est un principe ontologique selon lequel il y a immanence à l’être des structures et des déterminations internes du langage. Dans « Science moderne et interrogation philosophique », Castoriadis définit le concept de déterminité très clairement « comme immanence à ce qui est de la possibilité d’être défini et distingué2 ». S’il l’inclut dans sa liste des « opérateurs fondamentaux

de la logique ensembliste-identitaire », c’est pour souligner que, selon lui, une telle logique est

ipso facto une ontologie, et, par contraste, suggérer qu’il n’est pas évident que « ce qui est »

soit nécessairement conforme à ce que le langage en dit.

Enfin, la logique ensembliste-identitaire possède son propre régime de signification :

Thèse : la signification au sens ensembliste-identitaire est réductible à des combinaisons

de ces deux acceptions du « sens » [ici, Castoriadis désigne le sens comme inclusion dans une classe et le sens comme mise en relation] – et réciproquement : toute signification réductible à des combinaisons de ces deux acceptions du « sens » est ensembliste- identitaire. Autrement dit : les énoncés significatifs au sens ensembliste-identitaire concernent toujours les inclusions dans des classes, les insertions dans des relations, et la combinatoire qui peut être construite là-dessus.

Autre formulation de la thèse : les significations au sens ensembliste-identitaire sont

constructibles par classes, propriétés et relations (« par figures et mouvements », aurait dit Descartes).

Corolaire de la thèse : il existe des significations qui ne sont pas constructibles par classes,

propriétés et relations3.

La signification ensembliste-identitaire est donc avant tout une signification combinatoire : fait sens du point de vue de la logique ensembliste-identitaire un raisonnement valide dans lequel le rapport entre ses différents éléments sont conformes à ses règles formelles et à ce que ses opérateurs permettent. Néanmoins, et cela nous prépare d’ores et déjà à la critique de la « pensée héritée », il existe des sources du sens qui ne sont pas réductibles aux critères de signification de la logique ensembliste-identitaire. Castoriadis veut dire deux choses. La première est que la pratique effective des êtres humains réunis en société repose, fait appel, produit une multiplicité de formes du sens (les exemples du temps et du langage nous le

1 Cornelius Castoriadis, « La logique des magmas et la question de l’autonomie », op. cit., p. 487. 2 Cornelius Castoriadis, « Science moderne et interrogation philosophique », op. cit., p. 268. 3 Cornelius Castoriadis, « La logique des magmas et la question de l’autonomie », op. cit., p. 503.

montrent). La seconde est que l’on ne saurait rendre compte adéquatement de cette multiplicité du sens dans le cadre d’une pensée qui tend à identifier rationalité en général et rationalité ensembliste-identitaire, ce qui serait la tendance présente dans l’ensemble de l’histoire de la pensée gréco-occidentale. Un des premiers objectifs de la critique de la pensée héritée sera donc de créer les conditions épistémologiques permettant l’élucidation des différentes formes du sens. Nous y reviendrons.

1.2.2. Immanence objective de la rationalité ensembliste-identitaire : décision ontologique et étayage

Selon Castoriadis, le sujet connaissant se constitue dans et par la création de ses propres catégories, parmi lesquelles se trouvent les catégories ensembliste-identitaires. Cette création n’est pas nécessairement consciente et, comme nous le verrons plus amplement dans le chapitre III, la possibilité pour le sujet de la connaissance de revenir de manière réflexive sur ses propres déterminations transcendantales est, en soi, une création historique exceptionnelle. Ceci souligné, Castoriadis considère, tout comme Kant, que la production d’une objectivité phénoménale est conditionnée par la position apriorique de la catégorialité.

Pour cette raison, la création des catégories ensembliste-identitaires vaut comme « décision ontologique », c’est-à-dire que la création du concept est aussi promotion d’une certaine image de l’être conforme au concept par lequel il est phénoménalisé :

Dans tout cela [dans la création par le sujet des catégories et de la logique ensembliste- identitaire], il n’y a pas seulement une « logique ». Il y a une décision ontologique – clairement affirmée, dès les débuts de la philosophie, avec Parménide – et une constitution/création. Moyennant les catégories ou opérateurs mentionnés on constitue une région de l’être – et, en même temps, l’on décide soit qu’elle épuise l’être (le rationalisme intégral, l’idéalisme absolu ou le réductionnisme mécaniste-matérialiste n’en sont que des formes), soit qu’elle représente le paradigme du vraiment étant (ontos on), le reste étant accident, illusion et erreur, ou imitation déficiente, ou « matière » amorphe et essentiellement « passive1 ».

Ainsi, la logique ensembliste-identitaire est aussi une ontologie dans la mesure où elle est, à l’instar des concepts purs kantiens, la médiation par laquelle est produite l’expérience. En d’autres termes, la constitution de l’expérience moyennant des catégories ensembliste- identitaires a pour corrélat une ontologie de la déterminité comme affirmation de l’immanence à ce qui est des opérateurs et schèmes ensembliste-identitaires. L’être, du point de vue de la

logique ensembliste-identitaire, doit être définissable, composable et décomposable selon des règles logiques formelles. À l’inverse, la détermination par le sujet connaissant des propriétés générales de l’être par l’intermédiaire de la logique ensembliste-identitaire conduit à rendre invisible des propriétés ontologiques qui ne lui seraient pas conformes. L’être se donnant par la médiation de la logique ensembliste-identitaire, il est exclu qu’il ne puisse pas se conformer, par exemple, au principe d’identité ou de non-contradiction. Du point de vue de la rationalité ensembliste-identitaire, il ne peut pas y avoir, comme le dit Castoriadis en reprenant un mot de Cantor, de « multiplicité inconsistante ». Toute la critique castoriadienne de la raison va donc consister, dans son versant positif, à désarticuler l’identification faite entre la logique ensembliste-identitaire et son corrélat ontologique, sans pour autant faire de la logique ensembliste-identitaire un pur fantasme. Nous voyons donc bien dans quelle mesure il est permis de dire que la critique castoriadienne de la raison représente, certes à partir de bases conceptuelles qui lui sont propres, certains aspects de la critique postnietzschéenne de la métaphysique. Tout comme Nietzsche, il s’agit de dire qu’une certaine forme de perspective sur l’être lui impose des caractéristiques qui ne l’épuisent pas.

Toutefois, l’approche castoriadienne de la raison n’est pas uniquement une « théorie de la connaissance » au sens kantien, c’est-à-dire qu’elle refuse l’identification unilatérale entre philosophie et analyse critique du sujet transcendantal1. Avec Kant, Castoriadis soutient qu’il

y a bel et bien constitution de l’expérience par le sujet connaissant, mais, contre Kant, qu’il existe certaines conditions objectives, ontologiques, qui rendent possible une telle expérience. Aussi Castoriadis soutient-il que la création du legein, du teukhein et de la logique ensembliste- identitaire est rendue possible par l’existence objective de propriétés « ensembliste- identitaires ». Afin de penser ce double rapport, Castoriadis va parler de la logique ensembliste-identitaire comme d’une « décision ontologique étayée ». En d’autres termes, il y a logique ensembliste-identitaire parce que d’une certaine façon il y a des ensembles et des identités dans le monde. C’est à travers le concept d’inspiration freudienne d’« étayage » (Anlehnung) que Castoriadis cherche à nommer la relation entre la création de la logique

1 « Nous disons : il y a une réflexion/élucidation, qui se préoccupe de l’être/étant et se demande ce qui lui

appartient en tant qu’il est pour nous – soit, du fait que nous le réfléchissons. Cette formulation affirme qu’il est impossible de séparer réflexion de l’être et réflexion des étants, comme il est impossible et sinnwidrig de séparer réflexion de l’être et “théorie de la connaissance” (Kant et ses rejetons jusqu’à nos jours). » Cornelius Castoriadis, « Fait et à faire », op. cit., p. 10.

ensembliste-identitaire et son appui partiel sur/dans le monde naturel. Freud disait des représentations psychiques qu’elles sont « étayées » sur des processus biologiques identifiables par les sciences de la nature1 (mais en précisant qu’il n’y a, dans l’état actuel de notre savoir,

aucun moyen de réduire les unes aux autres). Castoriadis, en accentuant la dimension antiréductionniste du concept freudien, soutient que la logique ensembliste-identitaire est valide dans la mesure où elle s’étaye sur l’être, lequel « se présente comme déjà en soi et pour- soi réalisant une ensemblisation-hiérarchisation aristotélicienne2 ». C’est cette

« ensemblisation-hiérarchisation » immanente de l’être qui rend possible la mathématisation du savoir du fait d’une analogie structurelle entre l’armature logique de la mathématique et celle qui se trouverait dans l’être :

Nous sommes donc obligés de postuler qu’à l’organisation (par classes, propriétés et relations), moyennant laquelle le vivant constitue son monde, correspond « quelque chose » dans le monde tel qu’il est « indépendamment du vivant » ; autant dire qu’il existe

en soi un strate de l’étant total qui « possède » une organisation ensembliste-identitaire

(au sens minimal qu’elle peut se prêter à une telle organisation). Mais aussi nous sommes obligés de constater plus : que cette organisation dépasse de loin les simples implications

ex post (et apparemment tautologiques) que l’on peut tirer du fait que du vivant existe,

qu’elle présente bien une universalité en soi. […] Et c’est évidemment cela qui rend compte à la fois de l’extraordinaire réussite de la science occidentale moderne, et de la

unreasonnable effectiveness of mathematics (Wigner3).

En somme, la logique ensembliste-identitaire est aussi recréation par l’homme de processus objectifs qui se prêtent à une telle logique. L’artificialité du savoir ensembliste- identitaire est reproduction d’une partie restreinte de la nature (sa partie elle-même ensembliste-identitaire, ce que Castoriadis nomme la « première strate naturelle ») : « … le “sujet” de la connaissance […] re-crée de toute façon cette organisation ensembliste-identitaire relative à la première strate naturelle dans et par laquelle il vit4. » Le concept d’étayage permet

d’admettre une correspondance importante entre la logique et le réel, sans pour autant que cette correspondance constitue la totalité du sens disponible. L’étayage de l’ensembliste-identitaire sur la nature est ce à partir de quoi peuvent se construire d’autres modalités du sens.

1 Sigmund Freud, Métapsychologie, trad. Jean Laplanche et J.B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1968, p. 15‑18. 2 Cornelius Castoriadis, « Science moderne et interrogation philosophique », op. cit., p. 271.

3 Cornelius Castoriadis, « La logique des magmas et la question de l’autonomie », op. cit., p. 507‑508.

4 Cornelius Castoriadis, « Portée ontologique de l’histoire de la science », in Les carrefours du labyrinthe. 2,

Nous avons ici, sur le cas de la rationalité ensembliste-identitaire, un aperçu du pluralisme ontopoïétique constructiviste de Castoriadis, position philosophique dont nous énoncerons davantage le contenu dans le chapitre III. Comme nous le voyons, il s’agit de penser une certaine forme de correspondance entre l’activité indépendante et créatrice de l’esprit et une autopoïèse ontologique qui, en dernière instance, reste, tout comme Kant le soutenait, inconnaissable en soi, mais toutefois partiellement déterminante pour l’activité de l’esprit. Penser la possibilité de la vérité du point de vue de la double radicalité créatrice du sujet et de l’être, tel est le défi philosophique que Castoriadis entend relever, et dont la thématisation critique de la rationalité ensembliste-identitaire est un fragment.

1.2.3. Le rapport de la logique ensembliste-identitaire au legein et au teukhein : dépendance et occultation

Le rapport de la logique ensembliste-identitaire à ses conditions sociales de possibilité, le legein et le teukhein, est un rapport de dépendance et d’exclusion. Il est un rapport de dépendance, car le legein est position inaugurale à partir de laquelle une objectivation symbolique abstraite de la logique peut être réalisée. Mais il est exclusion, car il y a une occultation de son origine sociale lors de l’abstraction de la logique ensembliste-identitaire. Ce double argument est exposé avec précision dans deux sous-chapitres consécutifs, « aspects du legein » et « Legein, déterminité, entendement1 », du cinquième chapitre de L’institution

imaginaire de la société.

Un rapport de dépendance : exemple de la relation signitive. – Nous prendrons pour

exemple la relation signitive afin de comprendre le rapport de dépendance que Castoriadis établit entre le legein et la logique ensembliste-identitaire.

La relation signitive est celle existant entre le signe et l’objet qu’il désigne. Le signe est, tout d’abord, une « instance concrète », c’est-à-dire une entité dotée d’une identité définie qui le distingue de toute autre entité. Il est, ensuite, une forme des signes concrets : un « x » concret a pour condition la forme abstraite de « x ». Il est, enfin, rapport de la forme du signe au signe concret. Quant à l’objet, il est défini par rapport au signe : l’objet est tel à partir du moment où un signe lui est attaché comme condition de son identité ; le signe fait l’objet comme identité.