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La durée bergsonienne n’est pas la création castoriadienne Divergence des fondements conceptuels et des débouchés critiques

P REMIÈRE PARTIE

I NTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE

3. Castoriadis est-il bergsonien ?

3.1. La durée bergsonienne n’est pas la création castoriadienne Divergence des fondements conceptuels et des débouchés critiques

3.1.1.Fondements conceptuels et aspects de la critique bergsonienne du temps objectif dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience

Chez Bergson, la critique des représentations philosophiques du temps débouche sur la distinction entre durée et espace, la durée étant comprise comme le temps pur, c’est-à-dire comme distinct de l’espace. L’acquisition de la notion de durée, à la fois notion transcendantale et, plus explicitement dans l’œuvre ultérieure, ontologique, fait suite, dans l’Essai, à une analyse notionnelle des types de multiplicités et du nombre. C’est ce que remarque à juste titre F. Worms, pour qui la notion de durée dans l’Essai est justifiée en amont par une analyse des notions de multiplicité et de nombre et se vérifie en aval par une description de nos états de conscience (la fameuse théorie du « double moi », le « moi superficiel » et le « moi profond1 »).

Dans les premières pages du second chapitre de l’Essai, Bergson commence en effet par proposer une définition du nombre comme synthèse intuitive dans l’espace d’unités indivisibles (la notion d’intuition n’a pas alors le sens méthodologique qu’il lui donnera plus tard, mais doit être rapportée au sens que lui a conféré Kant2). Pour Bergson, le nombre est

essentiellement un « acte simple de l’esprit » consistant à regrouper dans un espace pur des unités indivisibles et en partie semblables (Bergson semble s’appuyer implicitement sur le principe leibnizien de l’identité des indiscernables, dont un des corrélats est que la différence de position dans l’espace est en elle-même une différence ontologique, car étant une différence prédicative). Aussi Bergson objecte-t-il à la conception kantienne du nombre comme processus d’addition dans le temps3 que le processus psychique d’addition est effectivement temporel,

mais que le nombre en soi est essentiellement spatial, représentation unitaire dans l’espace de

1 Frédéric Worms, Bergson ou les deux sens de la vie, op. cit., p. 39. 2 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, op. cit., p. 117‑118.

3 « […] le nombre n’est autre que l’unité de la synthèse du divers compris dans une intuition homogène en général,

plusieurs unités possédant des traits identiques1. « […] [L]’espace est la matière avec laquelle

l’esprit construit le nombre, le milieu où l’esprit le place2. » Or, juste après avoir exposé cette

première définition du nombre comme multiplicité numérique ramenée à l’unité dans l’espace par un acte de l’esprit, Bergson soutient qu’il existe un autre type de multiplicité, sans aucun rapport avec la multiplicité numérique. Il s’agirait de multiplicités qu’un effort de dénombrement dans l’espace dénaturerait : une mélodie musicale, par exemple, n’en est plus vraiment une lorsque l’on s’évertue à en décomposer les éléments solfégiques en les projetant dans l’espace homogène de la partition, mais bien une totalité indivisible dont les éléments s’interpénètrent lorsque l’auditeur en fait l’expérience dans le temps3. Plus encore que la

mélodie, les « états purement affectifs de l’âme » seraient à comprendre comme de telles multiplicités, comme des ensembles dont les éléments se rapportent les uns aux autres et que l’on ne saurait isoler à la manière de deux éléments d’un ensemble mathématique. Il s’avère néanmoins, selon Bergson, que nous avons l’usage de « représenter symboliquement dans l’espace » de telles multiplicités ayant avec le temps un rapport privilégié. Nous projetons en effet la mélodie dans l’espace homogène de la partition et nous en comptons la cadence, de même que nous nous rapportons à nous-mêmes par l’intermédiaire de médiations symboliques contribuant à nous penser comme une sorte de multiplicité numérique dont les éléments seraient nos sensations et nos sentiments. D’où deux problèmes indissociables que soulève Bergson à la suite de son analyse des types de multiplicités : 1/ comment expliquer la possibilité d’une saisie d’un type non spatial de multiplicité, c’est-à-dire d’un type de multiplicité dont l’analyse dans l’espace à la manière des multiplicités numériques reviendrait à la nier ? ; 2/ comment ne pas confondre le temps avec l’espace dès lors que l’analyse de phénomènes temporels revient au final à les analyser dans l’espace ? C’est donc, en bref, afin d’expliquer la possibilité de telles multiplicités qu’une inspection plus précise des notions de temps et d’espace s’imposerait4, et c’est bien, comme l’écrit F. Worms, l’analyse des

multiplicités qui fonde conceptuellement la distinction entre durée et espace. Mais, on le voit, dans l’Essai, la problématique bergsonienne est avant tout transcendantale. Il s’agit d’explorer,

1 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 59. 2 Ibidem, p. 63.

3 Ibidem, p. 64‑65. 4 Ibidem, p. 68.

au niveau du sujet connaissant, les raisons pour lesquelles nous pouvons faire l’expérience d’un type de multiplicités qualitatives, différentes de celles quantitatives ; autrement dit, de porter à la connaissance le type d’actes de la conscience permettant l’expérience des multiplicités non numériques (qualitatives).

C’est donc après l’exposition de ce double problème que Bergson propose, dans le sillage explicite de Kant, une description de l’espace pur, superposable à celle que Castoriadis propose dans le quatrième chapitre de L’Institution1 : l’espace pur est un milieu homogène,

vide et dénué de toute qualité ; il est ce qui permet l’individuation et la différenciation par position dans l’espace ; il est une condition de possibilité de l’abstraction2. Comme pour

Castoriadis, l’espace bergsonien est l’espace newtonien. S’en suit immédiatement une description de la conception philosophique du temps, qui en fait comme l’espace un milieu homogène et abstrait (comme Castoriadis, Bergson ne dit pas vraiment en quoi nous sommes justifiés à la considérer comme représentative de toutes les philosophies du temps) : « on s’accorde à envisager le temps comme un milieu indéfini, différent de l’espace, mais homogène comme lui : l’homogène revêtirait ainsi une double forme, selon qu’une coexistence ou une succession le remplit3. » Aussi le temps pur serait-il un réceptacle abstrait dans lequel

nous localiserions des objets en vue de les dénombrer et d’en faire la mesure. D’où un premier soupçon de Bergson : « Il y aurait donc lieu de se demander si le temps, conçu sous la forme d’un milieu homogène, ne serait pas un concept bâtard, dû à l’intrusion de l’idée d’espace dans le domaine de la conscience pure4. » Ce soupçon, on s’en doute, est suivi d’un long

développement dont la fonction est de distinguer le temps de l’espace, plus précisément d’établir l’hétérogénéité complémentaire de la durée et de l’espace abstrait. Prenant différents exemples (la réversibilité et l’ordre du temps ; le déplacement d’un point sur une ligne ; la mélodie ; l’écoulement d’une minute ; le mouvement, etc.), l’argumentation de Bergson est,

1 Des distinctions seraient cependant à faire, notamment par rapport à la réactivation chez Bergson (du moins

celui de l’Essai) de la conception strictement kantienne de l’espace comme forme pure de la sensibilité. Chez Castoriadis, l’espace pur est aussi à comprendre en fonction de l’imaginaire social et de l’imagination radicale du sujet connaissant, et non seulement comme une détermination transcendantale subjective. Ce n’est pas notre intention de proposer ici une comparaison de leur analyse de l’espace, et le lecteur pourra retrouver des éléments d’explication à ce sujet dans le chapitre suivant.

2 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 70‑73. 3 Ibidem, p. 73.

malgré quelques variations, assez similaire pour chacun d’eux : il s’agit, dans tous les cas, de montrer que la conceptualisation des phénomènes temporels par l’intermédiaire de la représentation traditionnelle du temps comme abstrait et homogène conduit au final à l’occultation de leur caractère proprement temporel. Ceci est clair dans le cas de la description qu’il propose de l’écoulement d’une minute. Si l’on se place dans le référentiel temporel abstrait, nous nous représenterons l’écoulement d’une minute soit comme un ensemble simultané de soixante « moments », soit comme soixante « points » séparés les uns des autres et dont il ne reste que la trace présente. Dans les deux cas, l’écoulement de la minute considérée n’est pas conservé, le temps est impensé et impensable1. C’est précisément afin de sortir de

ces apories engendrées par la représentation abstraite du temps que Bergson propose la notion de durée, qui est la représentation adéquate du temps permettant de le penser pour ce qu’il est réellement. Les caractéristiques conceptuelles de la durée sont dès lors acquises par stricte opposition à celle de l’espace abstrait : l’espace abstrait est homogène, la durée est hétérogénéité pure ; il est quantitatif, elle est qualitative ; il est déterminé, elle est indéterminée ; il est répétition, elle est différence et changement, etc. Plus globalement, Bergson insiste sans cesse sur le fait que la durée est une interpénétration mutuelle des parties dans un tout indivisible et qui, à ce titre, ne se soumet pas aux normes de la pensée abstraite dominée par l’espace. Dès que nous voudrions penser la durée par l’intermédiaire de « représentations symboliques tirées de l’espace », nous n’en saisirions que des instants figés, ses caput mortuum, alors même qu’elle est une condition de l’espace en tant que tel2.

L’acquisition de ces caractéristiques conceptuelles n’est toutefois pas acquise par pure spéculation, elle est déduite par description de l’expérience des phénomènes temporels (par exemple le mouvement3) et par analyse du sujet connaissant. Ce dernier point est cardinal dans

la conceptualisation de la durée par Bergson dans l’Essai, puisqu’il fait de l’expérience de la durée, avec et contre Kant, une conséquence de la constitution du sujet comme étant lui-même une durée. Bergson est clair :

1 Ibidem, p. 78.

2 La priorité logique et ontologique de la durée sur l’espace est une caractéristique centrale du bergsonisme

affirmée dès l’Essai : « […] leur multiplicité [celle des multiplicités numériques] n’a de réalité que pour une conscience capable de les conserver d’abord, de les juxtaposer ensuite en les extériorisant les uns par rapport aux autres. » Ibidem, p. 90.

Au-dedans de moi, un processus d’organisation ou de pénétration mutuelle des faits de conscience se poursuit, qui constitue la durée vraie. C’est parce que je dure de cette manière que je me représente ce que j’appelle les oscillations passées du pendule, en même temps que je perçois l’oscillation actuelle1.

Aussi cette exposition et description de la notion de durée opposée au temps abstrait fournit- elle, en fin de compte, les assises épistémologiques de la distinction conceptuelle entre multiplicité numérique et non numérique qui a été proposée dans les premières pages du second chapitre de l’Essai. Si nous pouvons concevoir des multiplicités quantitatives, c’est parce que nous sommes dotés de la faculté de spatialisation ; si nous pouvons concevoir des multiplicités qualitatives, c’est parce que nous sommes en nous-mêmes une durée.

3.1.2. Différences des fondements conceptuels de la critique du temps objectif entre Bergson et Castoriadis

Si l’on se rapporte désormais à la critique castoriadienne du temps abstrait, on voit à quel point elle n’a aucun rapport avec celle de Bergson, sinon la seule thèse que le temps pur doit être distingué de l’espace pur, qu’il n’est pas une quatrième dimension de l’espace. La parenté, pourrions-nous dire, n’est que formelle.

En effet, la distinction entre temps et espace chez les deux auteurs n’est ni acquise ni vérifiée sur une même base conceptuelle, ce qui a pour conséquence des débouchés différents de leur critique du temps abstrait. Chez Bergson, nous l’avons vu, la différence entre durée et espace s’appuie conceptuellement sur une analyse des types de multiplicités et du nombre et est articulée à sa justification transcendantale : Bergson trouve dans la conscience, parmi d’autres choses, les ressources nécessaires à la production d’un concept de multiplicité non numérique. Aussi la distinction entre multiplicité qualitative et quantitative (multiplicités non numériques et numériques) est-elle le versant proprement logique de la distinction transcendantale entre durée et espace abstrait, et c’est en ce sens qu’elle est tenue par Bergson comme son fondement et comme une sorte de preuve. Ce qu’il importe de souligner ici est que le concept de multiplicité qualitative est un concept de la continuité. Il s’agit de promouvoir sur le plan de l’abstraction logique l’idée d’une unité n’étant pas le résultat d’une synthèse par l’esprit d’unités indivisibles dans l’espace abstrait, mais plutôt celle d’une unité en elle-même complexe et indivisible. De fait, lorsque Bergson se penche sur les représentations abstraites du temps, c’est avant tout pour montrer qu’elles segmentent des phénomènes qui, de droit, ne

peuvent pas l’être, et, inversement, c’est aussi pour montrer que de telles segmentations ont pour condition de possibilité la production initiale par l’esprit d’une continuité entre les choses. Avec la durée, du moins dans l’Essai, Bergson veut avant tout restituer l’existence d’un certain type de rapport (explicité sur le plan logique par l’idée de multiplicité qualitative) entre les choses, qui est un rapport de continuité et d’interpénétration. Il s’agit, plus généralement, de se doter des moyens de penser cette sorte d’« inter-temps », c’est-à-dire la sorte de liaison réelle qui existe entre les « moments » que la pensée abstraite isole et sur lesquels elle travaille.

Chez Castoriadis, la base conceptuelle lui permettant de distinguer entre temps et espace est, comme nous l’avons vu, la distinction entre différence et altérité. Castoriadis ne s’appuie pas sur un concept de l’unité afin de penser le « vrai » temps, mais, tout au contraire, sur un concept de la rupture et de l’hétérogénéité. La critique du temps abstrait chez Castoriadis ne vise pas à montrer qu’il ne nous permet pas de penser le mouvement entre deux moments isolés du temps, mais qu’il n’est d’aucun secours afin de penser la nature des transformations

qualitatives dans le temps. La critique de Castoriadis consiste à dire que la rationalité

ensembliste-identitaire qui soutient la représentation abstraite du temps n’est d’aucun secours afin de penser, d’une part, la signification des transformations qualitatives (transformations des formes), et, d’autre part, la signification des nouvelles formes pour elles-mêmes. Pour Castoriadis, le temps abstrait peut bel et bien enregistrer la continuité et le mouvement, mais il ne peut pas expliciter la transformation qualitative qu’a pu subir l’objet à l’occasion de son altération, qui serait pourtant l’essence même de la temporalité. La différence est subtile, mais importante : d’un côté, nous avons un concept de durée qui permet de critiquer l’incapacité du temps abstrait à penser le mouvement pour lui-même ; d’une autre côté, nous avons un concept d’altérité et de création qui permet de critiquer l’incapacité du temps abstrait à penser l’altération ontologique. Ce n’est pas le « mouvement » qui intéresse Castoriadis, ce n’est pas la nature de l’« entre-deux » des moments du temps qui suscite son intérêt ; c’est, au contraire, l’altérité qualitative pour elle-même, indépendamment du processus qui l’a vue émerger. Le temps pour Castoriadis, c’est précisément cela : la transformation qualitative, et non « l’écoulement », le « mouvement » ou la liaison entre les « moments » du temps (même s’il est aussi cela). De manière très suggestive, Castoriadis ne s’attache d’ailleurs jamais à expliciter les conditions scientifiques qui devraient permettre la compréhension de « l’inter- temps ». À l’inverse, il pose toujours la création du côté de l’incompréhensible, et sa définition

du « temps pur » comme temps créateur doit se comprendre comme une sorte de succession saccadée d’altérations ontologiques sans motivations extrinsèques. À l’intérieur d’une telle succession, l’écart existant entre deux altérations ne saurait faire l’objet d’une détermination rationnelle ; elle reste toujours un point aveugle de la pensée, ce qui n’est nullement le cas chez Bergson, dont le projet philosophique vise à rendre pensable le flux du temps lui-même. 3.2. Approfondissement. La notion de création dans L’Évolution créatrice et sa différence avec celle de Castoriadis

3.2.1. La notion de création dans L’Évolution créatrice

On se convaincra de cette différence en examinant plus en détail la conception bergsonienne de la création. En effet, si la notion bergsonienne de durée est avant tout une notion continuiste, Bergson n’a pas non plus manqué de s’interroger sur le rapport qu’entretient la continuité avec le changement, plus précisément sur le rapport entre durée et création. Encore peu présente dans l’Essai1, c’est dans L’Évolution créatrice, plus précisément

dans les dernières pages du troisième chapitre, que Bergson conceptualise réellement la notion de création sur la base sous-jacente de sa distinction fondamentale entre durée et espace. Le problème dans lequel s’insère le développement bergsonien sur la création est celui de l’inversion des perspectives spatiales et temporelles sur l’être pour le sujet connaissant. Bergson se demande en effet comment le point de vue « spatial » sur l’être est devenu, pour nous, le seul et unique point de vue, au détriment de l’expérience de la durée, pourtant considérée par lui comme condition même de l’entendement2. Dans le cadre plus restreint du

contexte posé dans L’Évolution, c’est afin de comprendre, d’une part, la nature de l’inscription de l’intelligence humaine dans la vie et, d’autre part, les raisons du point de vue particulier de l’intelligence humaine sur la vie que Bergson s’engage dans une « genèse idéale de la matière » à l’occasion de laquelle il développe sa notion de création.

1 Ce sont dans les pages consacrées à la liberté de l’Essai, donc le troisième chapitre, qu’apparaît chez Bergson

pour la première fois le thème de la création. Il pose l’acte libre comme un acte créateur par lequel le « moi profond » se contracte tout entier dans un acte non causé par ses conditions préalables. Bergson ne manque pas de comparer les manifestations du « moi profond » aux actes créateurs des artistes. Cf. Ibidem, p. 129. Sa critique du déterminisme psychologique repose entièrement sur une différenciation, un peu comme chez Castoriadis d’ailleurs, des régimes ontologiques : on ne saurait appliquer la rationalité des sciences de la nature aux faits de conscience du fait de leur particularité ontologique, et l’on ne saurait par conséquent se doter d’une représentation fidèle de la psyché humaine en termes de rapports causaux gouvernés par le principe de raison suffisante. Dans ces développements, néanmoins, la notion de création reste en arrière-plan et n’est pas encore thématisée philosophiquement comme cela sera le cas dans L’Évolution créatrice.

Lorsque l’on examine attentivement les pages consacrées à la création chez Bergson, nous sommes toutefois surpris de voir que la notion n’est pas véritablement définie pour elle- même. Il faut dire que Bergson s’intéresse moins à la notion qu’à son fondement ontologique. Nous pouvons néanmoins dire que trois traits généraux la distinguent. Le premier est que la création est celle de forme et/ou de matière. Bergson pose l’être humain comme incapable de produire de la matière, mais pense qu’il peut être l’auteur original de nouvelles formes de l’être. Inversement, « le courant vital » peut être création de matière1. Notons, en passant, qu’il

en va de même chez Castoriadis, à l’exception importante que, pour ce dernier, il n’y a pas de création de matière, autant du point de vue anthropologique que cosmologique. Deuxièmement, Bergson conçoit la création comme un « accroissement », comme une « croissance perpétuelle […] qui se poursuit sans fin2 ». L’identification de la création à la

notion d’accroissement a pour enjeu interne la réfutation de la conception théologique de la création comme acte à la fois originaire et définitif. Il est intéressant de faire remarquer que