Chapitre 4 Croissance de BiFeO 3
4.1 Le composé BiFeO 3
4.1.2 BiFeO 3 massif
BiFeO3 est un composé de structure perovskite distordue rhomboédrique. Il est simultanément
ferroélectrique et antiferromagnétique. Les propriétés de BiFeO3 sont complexes, et les
données varient selon les conditions d’élaboration. Nous faisons dans ce paragraphe un état de l’art sur les propriétés ferroélectriques et magnétiques de BiFeO3 sous forme massive et nous
présentons ensuite les comportements observés lorsque BiFeO3 est déposé en couches minces.
4.1.2.1
Structure cristallographique
A la température ambiante, BiFeO3 présente donc une structure de type perovskite, distordue
rhomboédriquement, de groupe d’espace R3c [SMO1963, KIS1963, FIS1980, KUB1990]. Selon une description pseudo cubique de la maille à la température ambiante, les paramètres cristallins sont : a=0,396 nm et α=89,5°. Selon la description hexagonale, les paramètres de maille sont: a=0,558 nm et c=1,390 nm.
En comparaison d’une structure perovskite idéale, les cations Bi3+ et Fe3+ sont déplacés par
rapport à leurs positions centro-symétriques, le long de l’axe [111]C (ou [001]H), et les
octaèdres d’oxygène sont tiltés d’un angle θ = +/- 13,8°, autours de l’axe triple [111]C. La
Figure 4.1.3 présente la maille de BiFeO3 selon différentes vues. L’octaèdre d’oxygène est
distordu avec des distances O-O maximales et minimales de 2,710 Å (a) et 3,015 Å (b). Les autres distances O-O sont respectivement de 2,825 Å (c) et 2,866 Å (d) (voir la Figure 4.1.3- a). L’atome de Fer est déplacé d’environ 0,134 Å le long de l’axe triple par rapport au centre du polyèdre. En conséquent, il y a deux types de distances Fe-O : 1,958 Å et 2,110 Å, (e et f sur le schéma de la Figure 4.1.3-b). L’atome de bismuth est déplacé, par rapport à sa position idéale entre les deux centres des octaèdres voisins, de 0,540 Å le long de l’axe triple ce qui
Figure 4.1.2 : représentation
schématique de la relation entre la description cubique et la description hexagonale d’une maille perovskite
mène aux distances Bi-Fe, le long de l’axe [111]C, de 3,062 Å et 3,873 Å (k et l). Les autres
distances Bi-Fe sont 3,307 Å et 3,579 Å (m et n) [KUB1990].
Figure 4.1.3 : a) représentation de la maille perovskite de BiFeO3 le long de l’axe [111]C ; b) représentation
de la maille perovskite de BiFeO3 perpendiculairement à [111]C (source [KUB1990])
a) b)
4.1.2.2
Comportement ferroélectrique
BiFeO3 est un composé ferroélectrique, avec une
température de Curie relativement élevée, TC∼820°C–850°C [SOS1982, TEH1997]. En
dessous de la température de Curie, la maille est distordue rhomboédriquement, avec un tilt de 13,8° des octaèdres d’oxygène, et un déplacement des ions Bi3+ le long de l’axe [111]
C, ce qui
entraîne l’apparition d’une polarisation spontanée le long de cette axe. Au-dessus de la température de Curie, BiFeO3 subit une transition structurale
vers une structure cubique classique Pm-3m, non ferroélectrique (voir la Figure 4.1.4 ci-contre). D’après les mesures de polarisation effectuées sur
BiFeO3 massif à une température T ∼ –200°C, la polarisation spontanée Ps est de 3,5 µC.cm-2,
le long de [001]c [TEA1970] (soit ∼ 6 µC.cm-2 le long de l’axe [111]C). Pour les matériaux
ferroélectriques, si la température de Curie est élevée, cela signifie que la polarisation des ions dans la phase ferroélectrique est importante (Cf. Chap. I, § 1.2.2.1). Les mesures de polarisation effectuées pour BiFeO3 massif sont très inférieures à ce qu’on pourrait attendre
pour un composé avec une température de Curie aussi élevée. Pour PbTiO3 (TC ~ 490°C), on
mesure déjà une polarisation spontanée de 80 à 100 µC/cm2. L’explication avancée est la suivante [KUM2000b, CHE2003, YUN2003, YUN2004] : BiFeO3 sous forme massive présente
des valeurs très élevées de courant de fuite, vraisemblablement dus à une déviation de la composition en oxygène par rapport à la stœchiométrie (lacunes d’oxygène).
Il semble difficile d’empêcher la formation de ces lacunes d’oxygène, même en synthétisant BiFeO3 en atmosphère fortement oxydante [PAL2002]. Pour contourner ce problème, et
améliorer les propriétés électriques de BiFeO3, la synthèse de solutions solides de BiFeO3 avec
des composés tels que BaTiO3 , PbTiO3, et PrFeO3-PbTiO3 [UED1999, CHE2003, KIM2003b],
permet de limiter la formation des lacunes d’oxygène indésirables. Pour une solution solide 0,7
Figure 4.1.4 : Représentation de la structure de BiFeO3 à partir des octaèdres
d’oxygène FeO6. T<TC - R3c T>TC- Pm3m FeO FeO66 Bi Bi T<TC - R3c T>TC- Pm3m FeO FeO66 Bi Bi
BiFeO3-0,3 PbTiO3 Cheng et al. mesurent une polarisation spontanée de 12 µC.cm-2
[CHE2003].
Nous avons expliqué dans le chapitre I, § 1.2.2 que le comportement ferroélectrique des perovskites ABO3 est dans la majorité des cas relié à l’hybridation des cations B avec les
anions O2- des l’octaèdres d’oxygènes. Néanmoins, pour les perovskites multiferroïques, le
mécanisme moteur de la ferroélectricité ne peut pas être lié à l’hybridation du cation B, car les mécanismes mis en jeu pour l’établissement du magnétisme et ceux impliqués dans la distorsion structurale polaire s’opposent : sans électrons 3d (pour le cation B - métal de transition) pour l’apparition d’un moment magnétique local, il ne peut y avoir aucun type d’ordre magnétique au sein du composé (à la température ambiante). Cependant, si le niveau 3d est partiellement occupé, la distorsion structurale polaire ne peut pas s’établir [HIL2000]. Pour les cations dont le niveau électronique 3d est partiellement rempli, la distorsion structurale est majoritairement de type Jahn-Teller, soit une distorsion spontanée de l’octaèdre d’oxygène. Le déplacement des cations par rapport à leur position centrale est alors minimisé. Pour comprendre simplement la ferroélectricité de BiFeO3, on peut regarder le cas des
orthoferrites de terre rares, type RFeO3 où R=terre rares (Sm, Nd, Eu). Leur structure est
similaire à celle de BiFeO3 (perovskite ABO3 distordue) néanmoins, ces composés ne sont pas
ferroélectriques. En conséquence, cela laisse penser que la ferroélectricité de BiFeO3 n’est pas
directement dépendante du comportement du cation fer (B), mais semble vraisemblablement dirigée par le comportement du cation Bi3+ (A). La structure électronique de Bi3+ est la
suivante : [Xe] 4f14 5d10 6s2. Bi3+ possède donc une paire d’électrons non appariés 6s2 et a
donc la possibilité de s’hybrider fortement avec un anion oxygène O2p. Le doublet électronique 6s2 orienté selon l'axe polaire, provoque une importante déformation de l’octaèdre d’oxygènes.
Comme les cations Fe3+ sont hybridés avec les anions O2-, cette déformation de l’octaèdre
d’oxygène entraîne aussi un déplacement du cation Fe3+. Ainsi, pour BiFeO
3 (et d’autres
composés tels BiMnO3), c’est le cation A qui est à l’origine de la ferroélectricité plutôt que le
cation B.
4.1.2.3
Comportement magnétique
Figure 4.1.5: représentation schématique de la structure antiferromagnétique de BiFeO3.
BiFeO3 est antiferromagnétique, avec une
température de Néel TN~920°C. Le spin vient des
cations Fe3+. Les cations Fe3+ voisins sont orientés
antiparallèlement, ce qui conduit à un antiferromagnétisme de type G, (chaque cation Fe3+ est entouré de 6 proches voisins Fe3+ de spin
antiparallèle - voir sur la Figure 4.1.5) [WOL1955]. Les moments magnétiques sont orientés perpendiculairement à l’axe [111] mais la symétrie autorise une inclinaison des sous-réseaux antiferromagnétiques, ce qui entraîne l’apparition d’une faible aimantation macroscopique (weak ferromagnetism) [MOR1960, LAN1997]. Ce moment est estimé à 7 emu.cm-3 [NEA2005a].
001H 111C 010H 100H Fe3+ 110H
Spin up et spin down dans le plan (110)H
Cependant, pour les monocristaux de BiFeO3, l’ordre antiferromagnétique n’est pas homogène.
distance, qui présente la forme d’une spirale cycloïdale de période λ ~600 Å [SOS1982, WAN2005]. Cette structure est dite « incommensurable », car elle n’a pas de relation avec les paramètres cristallographiques de la maille. Elle est dirigée selon l’axe [110]H, avec une
rotation des spins dans le plan (110). Ce type de structure est inhabituel pour les matériaux perovskites et son existence est attribuée aux interactions d’échange magnétique [SOS1995]. Des mesures en résonance magnétique nucléaire (RMN) ont confirmé son existence [ZAL2000]. Cette spirale cycloïdale conduit à l’annulation de l’aimantation macroscopique, et inhibe les possibilités d’observer des effets magnétoélectriques. Des études en RMN ont montré que le profil de spin devient anharmonique quand la température décroît [ZAL2000], ou sous champ magnétique suffisamment important. Une transition de phase magnétique à H>18 Teslas a été mise en évidence par différents groupes [POP1993, KAD1995, POP2001, RUE2004]. Ruette et al. [RUE2004] avancent l’hypothèse que cette transition de phase correspond à la destruction de l’ordre cycloïdal à longue distance et permet l’existence d’un état homogène de spins.