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Chapitre 4 Croissance de BiFeO 3

4.1 Le composé BiFeO 3

4.1.3 BiFeO 3 en couches minces

4.1.3.1

Etat de l’art des résultats expérimentaux

BiFeO3 a été étudié de façon importante dans les années 1960-1970 [ALE1966, FIS1972]. Face

à ses faibles propriétés électriques ainsi qu’à son magnétisme complexe, les études autour de ce composé ont été délaissées. Les perspectives technologiques des matériaux magnétoélectriques en couches minces ont amené récemment un regain d’intérêt pour le composé BiFeO3.

La majorité des études sur BiFeO3 en couches minces portent sur la croissance par dépôt laser

pulsé (PLD), qui est une technique de dépôt relativement simple de mise en œuvre, qui permet des dépôts en épitaxie avec un très bon contrôle de la microstructure mais qui ne permet pas de travailler facilement sur des échantillons de grande dimension.

Avec cette technique de dépôt, Wang et al. [WAN2003] ont récemment mis en évidence une structure et un comportement très différents de ceux du matériau massif, pour des couches minces de BiFeO3 en hétéroépitaxie sur une électrode de SrRuO3. En dessous d’une épaisseur

critique, la structure de BiFeO3 est stabilisée par hétéroépitaxie sous forme d’une phase

tétragonale, au lieu de la phase rhomboédrique classique*. Les films obtenus (e=200 nm) présentent alors une polarisation électrique augmentée d’un facteur 10 par rapport au matériau massif, soit une polarisation électrique rémanente Pr ~55 µC/cm2 (SI : 0,5 – 0,6

C.m-2) et une polarisation spontanée Ps~60 µC/cm2. Leurs calculs ab initio confirment ces

résultats, en soulignant qu’une très faible modification des paramètres de maille peut avoir une influence importante sur la polarisation électrique. Les films obtenus par Neaton et Wang présentent de plus des propriétés magnétiques supérieures à celles de la céramique massive. Pour des films de 70 nm, ils mesurent une aimantation à saturation de 70 emu.cm-3 (soit 70

*

On note que Qi et al [QI2005] ont récemment remis en cause la stabilisation d’une phase tétragonale de BiFeO3 sur

(001) STO. Les auteurs supposent que la stabilisation d’un rhomboèdre (BiFeO3 a une structure pseudo cubique

distordue rhomboédriquement) sur un cube introduit une contrainte de cisaillement supplémentaire, même si les axes a et b de BiFeO3 sont très proches du paramètre de SrTiO3.

kA/m en SI), et pour des films de 400 nm, l’aimantation à saturation décroît jusqu’à 5 emu.cm-3 (soit 5 kA/m en SI). Ruette et al. [RUE2004] avancent l’hypothèse que ces

propriétés magnétiques améliorées peuvent être liées à la destruction de la spirale cycloïdale au sein de cette structure tétragonale de BiFeO3.

Ces résultats restent actuellement controversés et Eerstein et al. [EER2005] avancent l’hypothèse que le fort moment magnétique détecté résulte d’une valence mixte Fe2+/Fe3+. La

présence de lacunes d’oxygène pour les films très fins peut être une cause de cette valence mixte.

Bea et al. [BEA2005] ont étudié l’effet de la température et de la pression sur la formation de phases parasites au sein de films de BiFeO3, pour des dépôts par PLD sur substrat SrTiO3. Ils

trouvent la formation de BiFeO3 pur à P=10-2 mbar et T=580°C. A plus basse température ou

plus haute pression, ils détectent la présence de précipités de Bi2O3 qui nuisent à la résistivité

des films. A plus haute température ou à plus basse pression, il y a formation de α et γ-Fe2O3.

La présence de γ-Fe2O3 conduit à une aimantation spontanée de 480 emu.cm-3, alors que le

film de BiFeO3 pur présente une aimantation de 2-3 emu.cm-3.

Yun et al. [YUN2004] ont obtenu par PLD des films de BiFeO3 de structure tétragonale sur un

substrat Pt/TiO2/SiO2/Si (épaisseur 350 nm). Ils soulignent que si la distorsion tétragonale est

induite par la différence de paramètre de maille avec le substrat, elle varie aussi en fonction de la pression partielle d’oxygène. Ils obtiennent des couches avec une polarisation Pr = 36 µC.cm-2. Les mesures magnétiques effectuées sur le même film donnent M

S=6 emu.cm-3 et

Hc=100 Oe.

Les premiers films de BiFeO3 pur par pulvérisation ont été synthétisés en 2005 par Lee et al.

[LEE2005a, LEE2005b] (dépôts par pulvérisation magnétron RF dans un système sous un vide de 7.10-5 mbar). Leurs dépôts sont effectués à basse température (300-350°C). Ils mesurent

une polarisation rémanente de 25-50 µC.cm-2 pour des films orientés selon la direction <001>

et une polarisation de 100 µC.cm-2 pour un film orienté selon la direction <111> (la

polarisation mesurée correspond à la projection de la polarisation rémanente selon l’axe <111>).

Au début de ce travail, aucun groupe n’avait reporté la synthèse de BiFeO3 par MOCVD. Yang

et al. [YAN2005] sont parvenus à déposer BiFeO3 par LI-MOCVD (Liquid Injection Metal

Organic Chemical Vapor Deposition) sur SrRuO3(70nm)/SrTiO3 et sur

SrRuO3(70nm)/SrTiO3(20nm)/Si, à partir des précurseurs organométalliques Fe(tmhd)3 et

Bi(tmhd)3 dissous dans du tétrahydrofurane. Nous avions auparavant rapporté la synthèse de

BiFeO3 par MOCVD pulsée [THE2005]. Ils obtiennent la phase BiFeO3 pour un ratio molaire

Bi(tmhd)3/Fe(tmhd)3 de 2,33 et une température de dépôt de 650°C. Les films (250 nm) sur

SrRuO3/SrTiO3 présentent une polarisation rémanente PR=55-60 µC.cm-2. Les films sur

SrRuO3/SrTiO3/Si, moins contraints, présentent une polarisation de 42-45 µC.cm-2. Ce faible

nombre de publications sur les dépôts de BiFeO3 par CVD souligne la difficulté de la synthèse

d’un tel composé. Nous pensons que cette difficulté est principalement liée aux précurseurs de bismuth, qui sont très instables chimiquement (voir § 4.2.1). En outre, comme cela est expliqué dans [KUM2000b] et [BEA2005], la phase BiFeO3 est stable pour une gamme étroite

de températures, et il y a facilement formation de phases parasites telles que Bi2Fe4O9,

4.1.3.2

Bilan

Les calculs ab initio aboutissent à une valeur de la polarisation spontanée PS ∼ 95 µC.cm-2 et à

un moment magnétique de 7 emu.cm-3 pour le composé BiFeO

3. Ces valeurs sont en accords

avec les mesures expérimentales les plus récentes. Cependant, on observe quand même une grande disparité des propriétés électriques et magnétiques expérimentales de BiFeO3 (voir le

Tableau 16 de la page suivante).

Les constations suivantes ressortent des différentes études sur BiFeO3 :

- La synthèse de BiFeO3 pur est difficile car il y a facilement formation de phases parasites

telles que α, γ- Fe2O3, α-Bi2O3, Bi2Fe4O9 etc… qui faussent les propriétés électriques et

magnétiques des films. En outre, les propriétés électriques de BiFeO3 sont fortement

dépendantes de la pression partielle en oxygène pendant le dépôt.

- Pour des épaisseurs des films inférieures à la centaine de nanomètres, les différents groupes de chercheurs s’accordent sur le fait qu’il y a stabilisation par hétéroépitaxie d’une structure cristalline tétragonale, plutôt que la structure rhomboédrique classique de BiFeO3 massif. Les

mesures de polarisation ferroélectrique pour des couches minces de BiFeO3 aboutissent à une

polarisation comprise entre 50-100 µC.cm-2 selon l’axe [111] (en fonction des différentes

conditions de dépôt). Ces valeurs sont supérieures aux mesures sur le matériau massif et cohérentes avec les calculs ab initio.

- Les propriétés magnétiques des films de BiFeO3 en couches minces sont mal comprises.

Wang et al. ont obtenu des propriétés magnétiques améliorées, pour des couches minces d’une épaisseur inférieure à 120 nm. Ces constatations sont communes à différents groupes [WAN2003, EER2005] et il apparaît que ce comportement magnétique anormal puisse être lié à la présence de cations Fe2+ inattendus au sein des films.

- Les propriétés ferroélectriques et magnétiques des films de BiFeO3 épitaxiés ont en outre été

présentées comme étant dépendantes de l’épaisseur des films. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ces observations : cela peut être lié au fait que la contrainte dans le film augmente quand l’épaisseur diminue (pour les systèmes en hétéroépitaxie) ou à une variation de la concentration des défauts tels que les lacunes d’oxygène. Néanmoins, Ederer et Spaldin excluent ces deux possibilités pour le cas de BiFeO3 dans [EDE2005b]. Ils montrent

que la configuration ionique de BiFeO3 est trop stable pour que des déplacements relatifs des

ions, induits par les contraintes dans le film, modifient la polarisation électrique. Pour les mêmes raisons, la présence de lacunes d’oxygène ne doit pas perturber la stabilité de l’ordre ferroélectrique. Leurs calculs aboutissent en outre à la conclusion que les contraintes ne modifient pas le moment magnétique des films. Par contre, la présence de lacunes d’oxygène mène à la formation de cations Fe2+, ce qui influence les propriétés magnétiques. Leurs calculs

ab initio font état de modifications des propriétés magnétiques trop faibles pour expliquer les observations expérimentales de Wang et al. [WAN2003].

Dans ces conditions, les propriétés anormalement élevées obtenues par Wang et al. sont difficilement explicables. En plus, si on considère que la présence d’une valence mixte Fe2+/Fe3+ au sein de leurs films fins est liées à la formation de lacunes d’oxygène, les

propriétés ferroélectriques mesurées devraient alors être diminuées. Une possibilité est que la formation des cations Fe2+ ne soit pas liée à l’existence de lacunes d’oxygène, et que la

présence de ces cations permettent de stabiliser une structure magnétique différente de celle du composé massif, de type ferro ou ferrimagnétique par exemple.

Tableau 16 : Récapitulatif des principaux résultats expérimentaux pour les propriétés ferroélectriques et magnétiques de BiFeO3.

REFERENCE TECHNIQUE DE DEPOT EPAISSEUR PR (µC.cm-2)

selon <111>c

Ms (emu.cm-3)

TEA1970 frittage Monocristal massif 6,1 à 70 K

PAL2002 PLD sur Pt/TiO2/SiO2/Si polycristallin 2,2

WAN2003 PLD SrRuO3/(001) SrTiO3 400 nm

200 nm 70 nm 55-60 8 20 70

YUN2003 PLD Pt/TiO2/SiO2/Si polycristallin 350 nm 36

WAN2004 PLD sur SrRuO3/(001) SrTiO3/Si 200 nm 45

LI2004 PLD sur SrRuO3/(001)SrTiO3

PLD sur SrRuO3/(101)SrTiO3

PLD sur SrRuO3/(111)SrTiO3

55 80 100

YUN2004 PLD Pt/TiO2/SiO2/Si polycristallin

300 nm

158

EER2005 PLD sur SrRuO3/(001)SrTiO3 50 – 300 nm constante

εR=70

8-10 LEE2005a Pulvérisation sur Pt/TiOx/SiO2/Si

Sur LaNiO3/Pt/TiOx/SiO2/Si

200 nm 200 nm

8 27 LEE2005b Pulvérisation sur Pt/TiOx/SiO2/Si

sur LaNiO3/Pt/TiOx/SiO2/Si

sur BaPbO3/Pt/TiOx/SiO2/Si

200 nm 200 nm 200 nm 4 50 100

YAN2005 MOCVD surSrRuO3/(001)SrTiO3

sur SrRuO3/(001) SrTiO3/Si

250 nm 250 nm

55-60 42-45