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D´après l´article 25 du Code de procédure civile français, le juge statue en matière gracieuse lorsqu'en l'absence de litige, il est saisi d'une demande dont la loi exige, en

Section 1 Les différents critères d´identification de l´acte juridictionnel en France

30. D´après l´article 25 du Code de procédure civile français, le juge statue en matière gracieuse lorsqu'en l'absence de litige, il est saisi d'une demande dont la loi exige, en

raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant, qu'elle soit soumise à son contrôle. Ainsi, dans certaines hypothèses prévues par la loi, malgré l´absence de litige136, les demandes doivent nécessairement être soumises au contrôle du juge, en raison de la gravité des intérêts en cause ou pour prévenir l´apparition d´un contentieux éventuel, de sorte que l’efficacité juridique de l’acte de volonté privée reste conditionnée au contrôle et à la décision judiciaire. L´activité du juge dans ces hypothèses vise, soit à un simple contrôle de légalité de l´acte, soit à un contrôle de légitimité et d´opportunité, le juge s’assurant de la conformité de l’acte aux intérêts auxquels la loi subordonne la mesure envisagée137.

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CADIET Loïc, NORMAND Jacques et AMRANI-MEKKI Soraya, Théorie générale du procès, préc., pp. 313, 315-316.

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Le litige ici est compris dans sa notion traditionnelle : V. supra, nº 29. 137

La nature juridique des décisions gracieuses demeure ainsi un sujet controversé en France dans la mesure où ces décisions sont prises par le juge en l’absence de litige138. En outre, leur régime juridique diffèrerait de celui qui s’applique aux jugements : les décisions gracieuses n´ont pas, selon la Cour de cassation, l’autorité de chose jugée139 ; le juge n´est pas immédiatement dessaisi après le prononcé de sa décision140 ; leur procédure est en surplus inquisitoire, écrite, secrète et bien peu formaliste141.

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La Convention européenne des droits de l´homme a prévu, dans son article 6 § 1, le droit à un tribunal indépendant et impartial qui décidera les « contestations sur les droits et obligations de caractère civil » et le « bien-fondé de toute accusation en matière pénale ». Si l´article parle de tribunal et non d´acte juridictionnel, il semble indiquer que le droit au procès équitable s´applique seulement aux jugements contentieux, par lesquels le tribunal se limite à trancher les contestations sur les droits et obligations de caractère civil. Si le texte ne dit pas au moyen de quel instrument le tribunal doit trancher la contestation, la Cour a postérieurement éclairci que le tribunal est un organe qui statue en droit : CEDH, 29 avril 1988,

Belilos, série A, nº 132. – CEDH, 27 août 1991, Demicoli c/ Malte, série A, nº 210.

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Comme explique Frédérique Eudier, in verbis : « Cependant, la Cour de cassation refuse toujours de

reconnaître aux décisions gracieuses l’autorité de la chose jugée : ces décisions ne dessaisissent pas le juge et sont donc susceptibles d’être rapportées ou modifiées si les circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées ont changé (Civ. 1re, 6 avr. 1994, nº 92-15.170, Bull. civ. I, nº 141 ; RTD civ. 1994. 563, obs. Hauser ; Justices nº 2, juill.-déc. 1995. 283, obs. crit. G. Wiederkehr, pour une décision de rectification d’état civil. – Civ. 1re, 17 oct. 1995, nº 94-04.025, Bull. civ. I, no 367 ; Justices nº 4, juill.-déc. 1996. 266, obs. G. Wiederkehr, pour une décision d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire civil prononcée sans convocation préalable des parties, au seul vu des pièces produites par le débiteur). Pourtant, il n’est pas envisageable, par exemple, que d’anciens époux, divorcés par consentement mutuel, puissent réitérer leur demande en divorce (S. GUINCHARD, CHAINAIS et FERRAND, préc., nº 2057). La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé que la décision prononçant le divorce, y compris la convention homologuée par le juge, ne peut être attaquée qu’au moyen des voies de recours qui sont ouvertes à son encontre (Civ. 2e, 25 nov. 1999, nº 97-16.488, Bull. civ. II, nº 177). La décision rendue, quoique gracieuse, est définitive. Il ne faut donc pas confondre juridiction gracieuse et juridiction provisoire » : EUDIER

Frédérique, Vº Jugement, in Répertoire de procédure civile, Dalloz, septembre 2011, nº 11. – Loïc Cadiet et Emmanuel Jeuland affirment, cependant, in verbis : « Dans les deux cas, le juge “statue”, “se

prononce” (art. 25 et 28) et rend un “jugement” qui peut être frappé de voies de recours (ex. CPC, art. 543), ce qui n’a de sens qu’à la condition de lui reconnaître autorité de chose jugée. (...) Il suffit d’observer ici que l’ouverture de voies de recours à l’encontre des décisions gracieuses postule leur autorité de chose jugée. Notamment, les jugements gracieux peuvent être frappés d’appel (art. 543 et 546, al. 2) et de tierce opposition (art. 583, al. 2). Or, l’effet de ces recours est bien de remettre en cause la chose jugée pour qu’il soit de nouveau statué en fait et en droit (art. 561 et 582, al. 2) » : CADIET Loïc et

JEULAND Emmanuel, Droit judiciaire privé, préc., pp. 96 et 610. 140

V. l´article 481, alinéa 1er, du Code de procédure civile français, in verbis : « Le jugement qui tranche

dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ». La mention de la résolution d´une contestation met en évidence que le principe

du dessaisissement s´applique essentiellement aux jugements contentieux, excluant, par conséquent, les décisions gracieuses : V. infra, nº 37.

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AMBRA Dominique d´, L´objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, préc., pp. 291-292. – Il faut, cependant, nuancer ces affirmations, dans la mesure où certaines décisions contentieuses présentent des caractéristiques similaires à celles qui sont attribuées aux jugements gracieux. L’ordonnance sur requête, par exemple, est définie, précisément, comme la décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse (article 493 du Code de procédure civile français). Frédérique Eudier, de son côté, affirme, in verbis : « Le code de

Une partie minoritaire de la doctrine française refuse donc de qualifier ces décisions d´actes juridictionnels142, en affirmant que la fonction juridictionnelle consisterait à trancher les litiges et non pas à les prévenir. Mais tous les auteurs ne sont pas d’accord avec cette théorie et défendent le caractère juridictionnel des décisions gracieuses143, comme l’explique Dominique d’Ambra, in verbis :

« Tout a commencé, semble-t-il, avec le commentaire très nuancé d´Hébraud de la loi du 15 juillet 1944. Il a développé l´idée que la matière gracieuse constitue une véritable juridiction de nature spéciale qui se rapproche, en raison de la dégradation de ses caractères spécifiques, de la juridiction contentieuse. Pour lui les différences entre juridiction gracieuse et juridiction contentieuse sont plus de degré que de nature car il s´agit toujours de protéger les intérêts privés en les plaçant sous la tutelle du droit. Cette idée est reprise par M. Tomasin dans sa thèse. M. Balensi, quant à lui, affirme que les décisions du juge de l´homologation sont de véritables actes juridictionnels. De même, plusieurs        

454 et 466, faisant allusion aux jugements rendus en matière gracieuse). Elles sont donc soumises, en principe, au régime juridique de ceux-ci, sauf disposition expresse prévoyant des règles particulières à la matière gracieuse. Ainsi, par exemple, le juge peut, en matière gracieuse, se fonder sur des faits non allégués par le requérant (C. pr. civ., art. 26. – Pour une application de l’article 26 en matière de rectification d’état civil : Civ. 1re, 20 mai 1980, JCP 1981. II. 19549, note D. L. N. ; RTD civ. 1980. 803, obs. Normand ; RTD civ.1981. 212, obs. Perrot). Il peut se prononcer sans débat (C. pr. civ., art. 28. – Civ. 2e, 1er déc. 1993, nº 92-12.726, Bull. civ. II, nº 343 ; JCP 1995. II. 22399, note Le Ninivin : saisie d’un recours motivé et statuant sur les moyen invoqués par ce recours, une cour d’appel n’était pas tenue de convoquer le demandeur). Néanmoins, le juge statuant en matière gracieuse, qui retient des faits non allégués par le requérant, doit respecter le principe du contradictoire (Civ. 1re, 13 janv. 1993, nº 91- 04.135, Bull. civ. I, no 17 ; RTD civ. 1993. 647, obs. R. Perrot)» : EUDIER Frédérique, Vº Jugement, in Répertoire de procédure civile, préc., nº 10.

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Comme expliquent MM. Degoffe et Jeuland, in verbis : « (...) la discussion concernant les mesures

d´administration judiciaire est un peu à notre époque ce que la discussion sur l´acte gracieux a été au milieu du siècle dernier. Hébraud en 1952 comparait les actes gracieux et les mesures d´administration judiciaire en notant que le pouvoir discrétionnaire et l´absence de recours étaient des points communs mais il concluait : “les actes de nature proprement administrative, tendant à l´organisation du service judiciaire, sont en marge de la juridiction gracieuse, qui comprend essentiellement des actes, de nature très variée, faits à l´occasion de l´exercice des droits privés. Les actes d´administration judiciaire sont inspirés par l´intérêt du service, et cette considération y prédomine même lorsqu´ils retentissent sur des intérêts particuliers” » : DEGOFFE Michel, JEULAND Emmanuel, « Les mesures d´administration

judiciaire en droit processuel : problèmes de qualification », préc., p. 150. 143

JEULAND Emmanuel, Droit processuel général, préc., p. 485, in verbis : « La notion d’acte

juridictionnel est discutée en procédure civile. Certains auteurs considèrent qu’il n’existe un acte juridictionnel que si un litige entre deux personnes est tranché, ce qui exclut la matière gracieuse. Or, il ne semble pas qu’un litige soit nécessaire, il suffit d’une incertitude juridique ou autrement dit d’un trouble dans une relation juridique. Les actes gracieux seraient donc bien des jugements ». – CADIET Loïc et

JEULAND Emmanuel, Droit judiciaire privé, préc., p. 96. – CROZE Hervé, MOREL Christian, FRADIN Olivier, Procédure civile : manuel pédagogique et pratique, LexisNexis, 4e éd., 2008, p. 28. – CORNU et FOYER, Procédure civile, PUF, 3e éd., 1996, nº 21 ; GUINCHARD Serge, nº 162 ; HÉRON J., nº 269 ; AMIEL-COSME, Justices 1997, nº 5, apud : BANDRAC Monique, « De l´acte juridictionnel, et de ceux des actes du juge qui ne le sont pas », préc., p. 173.

auteurs estiment que la décision d´homologation de la convention définitive, dans le cadre du divorce sur requête conjointe, est un acte juridictionnel »144.

Ainsi, pour une partie de la doctrine, l´acte juridictionnel se passe de la présence de litige et constitue l’acte par lequel le juge dit le droit (jurisdictio), ainsi que MM. Cadiet et Jeuland en défendent la thèse, in verbis :

« Stricto sensu, l’acte juridictionnel est l’acte par lequel le juge dit le droit : juris dictio. Moins lapidairement, est juridictionnel l’acte du juge qui, saisi d´une situation donnée, statue par application des règles de droit relativement à cette situation, peu importe que le litige soit avéré ou non. Sans en faire un absolu, le traditionnel syllogisme judiciaire rend d´ailleurs compte de cette méthode caractéristique de la fonction juridictionnelle. Aux premisses correspondent les motifs du jugement : la majeure y exprime la règle du droit ; la mineure, les faits de l´espèce. Quant à la conclusion, elle prend la forme du dispositif du jugement qui énonce la décision à laquelle la confrontation du fait au droit a conduit le juge (CPC, art. 455). Partant, la fonction juridictionnelle combine deux démarches : une démarche inductive, consistant à confronter les faits de l´espèce aux présuppositions de la règle de droit (opération de qualification) et une démarche déductive, consistant à faire produire ou à ne pas faire produire, en l´espèce, l´effet juridique que la règle attache à son présupposé (opération de décision). La combinaison de ces deux opérations caractérise l´activité, donc l´acte juridictionnel ; elle rend compte, formellement, de la spécificité de l’acte juridictionnel et permet de déterminer les actes judiciaires d´ordre juridictionnel »145.

L’acte juridictionnel ne serait donc pas uniquement réduit à l’acte du juge qui tranche le litige soumis à son appréciation mais englobe au contraire, tous les actes du juge par lesquels il dit le droit, in verbis :

« Ce qui caractérise l´acte juridictionnel, c´est davantage l´application, par le juge, d´une règle de droit à une situation de fait dont il est saisi. Or, cette confrontation du fait au droit, d´où découle la décision, n´est pas propre aux décisions contentieuses ; le juge l´opère également dans son activité gracieuse. Dans les deux cas, le juge “statue”, “se prononce” (art. 25 et 28) et rend un “jugement” qui peut être frappé de voies de recours (ex-CPC, art. 543), ce qui n´a de sens qu´à la condition de lui reconnaître autorité de chose jugée »146.

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AMBRA Dominique d´, L´objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, préc., p. 291.

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CADIET Loïc et JEULAND Emmanuel, Droit judiciaire privé, préc., pp. 83-84. 146

En outre, s’il est vrai que les décisions gracieuses et contentieuses ont des régimes juridiques qui ne sont pas strictement identiques, ceci résulterait justement du fait qu’en matière gracieuse, qu’il n´y ait pas de contestation de prime abord. Il serait alors

« normal que les règles qui ne se justifient que par l´existence d´un litige ne soient pas applicables »147.

Il semble même que les rédacteurs du Code de procédure civile français avaient l’intention délibérée d´intégrer les décisions gracieuses au sein de la fonction juridictionnelle. En effet, le codex place, au sein des dispositions liminaires, un chapitre spécial consacré à la matière gracieuse (art. 25 à 29), comme s’il s´agissait d’un aspect spécial de la procédure juridictionnelle. Il règle donc parallèlement, et sous un même plan, la procédure applicable en matière contentieuse et gracieuse. En outre, l’article 454 du Code utilise expressément le terme jugement pour identifier les décisions rendues en matière gracieuse148. Ainsi, en matière gracieuse, même en l’absence de litige – au sens traditionnel, dans la mesure où il n’y a pas deux positions opposées –, le juge doit dire le droit en confrontant la situation dont il est saisi au respect de la règle juridique149.

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