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CHAPITRE 2. CADRE THEORIQUE D’ANALYSE DES INNOVATIONS AGRICOLES FACE A LA

2.6 APPROCHES SOCIOLOGIQUES D’ANALYSE DES FACTEURS D’ADOPTION ET DE DIFFUSION

2.6.1 Théorie de la diffusion

Selon la théorie de la diffusion, l’adoption et la diffusion des innovations dépendent de cinq facteurs à savoir : l’avantage relatif, la compatibilité, la complexité, la possibilité d’essai et le caractère observable (Rogers, 1995). L’avantage relatif correspond au degré selon lequel une innovation est perçue comme étant meilleure que ce qu’elle remplace. Ce degré d’avantage relatif peut être exprimé en termes de rentabilité économique, de prestige social ou d’autres types de bénéfices. Agarwal et Prasad (1998) soulignent que l’avantage relatif capture la perception qu’a l’adoptant potentiel du degré d’avantage offert par l’innovation sur les autres façons de réaliser la même tâche. La compatibilité de l’innovation renvoie aux valeurs suivant les expériences passées et les besoins de l’adoptant potentiel. Une innovation compatible doit ainsi correspondre aux attentes de l’adoptant potentiel (Tornatzky et Klein, 1982). Dans ce cas, elle est rapidement adoptée. La complexité correspond à la difficulté perçue de comprendre les principes, le fonctionnement et l’utilisation de l’innovation (Rogers, 1995). Elle exprime la facilité d’utilisation de l’innovation. Les innovations perçues comme étant plus faciles à utiliser et moins complexes ont plus de chance d’être acceptées et utilisées par les adoptants potentiels. La possibilité d’essai d’une innovation représente la facilité avec laquelle l’innovation peut être utilisée à faible échelle ou sur un petit périmètre avant de devoir être adoptée complètement. Une innovation qu’un individu ou une organisation peut essayer expérimentalement aura tendance à être adoptée plus facilement, car l’incertitude quant à ses conséquences sera levée plus rapidement. Enfin, le caractère observable correspond à la possibilité pour les adoptants potentiels d’observer les effets de l’innovation. Contrairement à la TAR et au MAT, la théorie de la diffusion a été adoptée pour représenter l’évolution spatio-temporelle du taux d’adoptants des innovations agricoles dans la mesure où elle tient compte des facteurs exogènes.

Selon Rogers (1995), l’innovation atteint d’abord un premier individu d’une population (ou un premier village d’une région) et se diffuse spontanément, de proche en proche, par effet de contamination, un peu comme une épidémie. Ce modèle rapportant le nombre d’adoptants en fonction du temps traduit la vitesse de diffusion des innovations agricoles. La courbe de diffusion en « S » permet de distinguer cinq catégories d’adoptants: les pionniers, les innovateurs, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires (Figure 4). Cette conception a donné lieu à la mise en place d’approches verticales et descendantes de transfert technologique, visant à transmettre directement aux agriculteurs des techniques nouvelles élaborées en stations expérimentales et l’expression la plus aboutie est la méthode Formation et Visites (Training and Visits ou T&V). Dans cette méthode, mise au point pendant les années de la révolution verte et appuyée par la Banque mondiale au tournant des années 1970- 1980, les agents de vulgarisation sur le terrain sont responsables d’un groupe d’agriculteurs auxquels ils enseignent les techniques de production préconisées par la recherche agricole. Ces groupes d’agriculteurs, appelés agriculteurs contacts (Contact Groups), sont sensibilisés et formés à la nouvelle technique dans le cadre d’une série de visites régulières au champ (Farmer Field School) organisées par les agents de vulgarisation. Une fois la technique introduite auprès de ces agriculteurs contacts, elle est censée se diffuser selon le modèle épidémiologique. En principe, les visites doivent aussi permettre aux techniciens d’évaluer les besoins des paysans, afin d’en informer les institutions de recherche qui mettront au point de nouvelles techniques adaptées de production agricole.

En somme, l’approche T&V est basée sur l'établissement d'un dialogue permanent entre les populations et les agents techniques, le respect mutuel et le principe de partenariat ainsi que la reconnaissance du savoir-faire local. Un accent particulier est mis sur la valorisation des connaissances et savoirs des populations locales et leur combinaison avec la connaissance scientifique moderne (Gueye et Freudenberger, 1991). La courbe rend assez bien compte des catégories d’agriculteurs en fonction de la diffusion des innovations agricoles. Néanmoins, elle a été remise en cause, car elle exclut les non-adoptants dans la catégorisation des agriculteurs. Si la distribution des différents types d’innovateurs en fonction du temps est construite en incluant les non-adoptants, la courbe ne suit pas une courbe en « S » (Sibelet, 1995), ce modèle ne s’applique donc pas à l’ensemble de la société. De plus, le modèle ne tient pas compte de la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les différentes catégories d’agriculteurs. Les caractéristiques socio-économiques, institutionnelles et géographiques ne sont pas prises en compte dans la catégorisation des innovations agricoles

(Bentz et GRET, 2002). Par ailleurs, la théorie de la diffusion ne permet pas d’examiner les corrélations entre les caractéristiques des agriculteurs et leurs décisions d’adoption ou rejet des innovations agricoles (Bodiguel, 1970).

Figure 4. Courbes de diffusion temporelle des innovations agricoles Source : Rogers (1995)

2.6.2. Approche de l’appropriation

L’approche de l’appropriation de l’innovation est une composante de la sociologie qui s’intéresse à l’usage de l’innovation dans la vie quotidienne des usagers. Contrairement à l’approche de la diffusion qui s’attarde à constater et à expliquer les disparités en différenciant des profils des adoptants (usagers), l'approche de l'appropriation met en évidence la disparité des usages et des usagers en montrant la construction sociale de l'usage, notamment à travers les significations qu'il revêt pour l'usager (Millerand, 1998).

L’approche de l’appropriation met en relief les écarts entre les usages prescrits et les usages effectifs, entre les usages prévus et les usages réels d’une innovation donnée (Perriault, 1989). Elle se distingue ainsi en analysant la formation des usages du point de vue des usagers et non à travers l’évolution d’un taux d’adoption d’une innovation. Selon Chambat (1994), les différences des taux d’adoption des innovations agricoles ne sont que le révélateur des disparités de signification que revêtent les pratiques concernées pour les différents groupes sociaux. Ces disparités sont plutôt liées à l’origine socioculturelle de l’usager ainsi qu’aux contextes d’usages (Jouet, 1993).

Toutefois, l’approche de l’appropriation révèle plusieurs lacunes. Du point de vue démarche, elle assimile l’usager à un acteur et cherche à analyser les motivations des usages qu’il développe à partir de l’innovation de départ et la manière dont il se définit par rapport à cette dernière (Millerand, 1998). Pourtant, l’usager n’est pas que simple utilisateur de l’innovation ; il ne fait pas exactement ce que l'on attend de lui. Selon Certeau (1980), l’usager est actif, rusé et capable de créer ses propres usages. Il y a une réinterprétation de la part de l’usager, qui peut conduire à une adoption sélective, un rejet partiel et/ou une transformation partielle de l’innovation. Ainsi, les effets d’une innovation ne prennent véritablement sens qu’à travers l’utilisation que les usagers en font. Sur le plan méthodologique, l’approche de l’appropriation emploie les méthodes qualitatives empruntées à l’ethnographie dont notamment l’observation participante et les entrevues en profondeur (Lacroix, 1994). Elle utilise également les méthodes quantitatives ainsi que l’analyse du discours (Proulx et Laberge, 1995). L’ensemble de ces méthodes a également fait l’objet de maintes critiques. Ces méthodes font glisser l’approche de l’appropriation vers une problématique psychologisante qui se réduirait à l’unique prise en compte des facteurs personnels des usagers, sans aborder les dimensions économiques (Millerand, 1999). Ces limites ont incité ainsi les sociologues et les économistes à s’orienter vers de nouvelles approches pour analyser des déterminants d’adoption des innovations agricoles.