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Approche sociolinguistique de la néotoponymie

Chapitre IV : Perspective méthodologique et approche

4.3. Approche sociolinguistique de la néotoponymie

4.3.1. Territoire, territorialité et territorialisation

La sociolinguistique, vaste champ qui va de la description des variations linguistiques dans l’espace social à l’analyse des discours,225est, de fait, ancrée dans les territoires. La territorialité est d'abord dérivée de territoire qu'on définit souvent comme un concept du XXème siècle. Il est plus ancien et il est né dans un contexte plutôt animal 226 . Dans notre étude, l'intérêt pour cette notion découle de son rapprochement des deux notions qui sont au centre de la néo-toponymie à savoir, le lieu et l'espace. Ces trois concepts sont souvent assimilés. Ce qui nous amènera à apporter un éclairage à chacun. Le territoire est défini comme :

Une portion d’espace terrestre envisagée dans ses rapports avec des groupes humains qui l’occupent et l’aménagent en vue d’assurer la satisfaction de leurs besoins. Notion

223Bulot et Veschambre, 2004 .p

224Giraut,F and Houssay-Holzschuch,M. Néotoponymie : formes et enjeux de la dénomination des territoires émergents, L'Espace Politique.Online since 11 May 2009. URL: http://espacepolitique.revues.org/161. , connections on 24 August 2014.

225Moise, C.57.Citée par Méfidéne.T,2006"espace. Langage et représentations dans la ville d'Alger "dans mots, traces et marques. Dimensions spatiales et linguistiques de la mémoire urbaine, Bulot T et Veschambres, V.(Dirs) . L'Harmattan Paris .2003.p 143.

autonome, le territoire, en géographie n’est ni un synonyme, ni un substitut du mot espace.227

Le territoire n'est pas neutre, de par sa composition environnementale, sociale, économique et institutionnelle qui façonne l'identité qui déterminera les relations des individus dans le territoire. Le territoire est, ici, issu des nouveaux découpages qui ont structuré le nouvel espace des autochtones. La toponymie n’est pas restée à l’écart de ces usages dont nous décrirons la mise en mots à travers les entretiens que nous réaliserons dans notre enquête. Un processus se met en place suite à la nouvelle décomposition du territoire, appelé territorialisation. Il est défini ainsi :

La territorialisation telle qu’elle est envisagée en sociolinguistique urbaine se conçoit également comme un processus engageant un procès d’une part d’appropriation et de discrimination de l’espace par des attributs corrélés aux parlures et, d’autre part, de mise en

mots de la complexité locative (i.e. rapportée aux ‘lieux de ville228. 4.3.2. Le lieu et l'espace dans le développement du territoire

Traditionnellement, la définition du lieu renvoie à une portion déterminée de l'espace. Le lieu est une localisation matérielle où s'établissent des populations ou des structures auxquelles sont souvent associés des toponymes appelés aussi noms de lieux. Ils sont l'objet d'étude des géographes, toponymistes, cartographes. Dans leurs écrits, les géographes « classiques » et nombre d’auteurs contemporains ne cessent de faire référence à ce que le sens commun définit comme lieux, c’est-à-dire des portions déterminées et singulières de l’espace auxquelles sont associés des toponymes. Il est défini aussi comme "une unité spatiale élémentaire dont la position est à la fois repérable dans un système de coordonnées et dépendante des relations avec d’autres lieux dans le cadre d’interactions "229. Dire que l'espace est une somme de lieux en mouvement renvoie à dire " c'est par la langue que ces espaces se mettent en discours, se donnent à exister"230. Les noms de lieux sont,

227 Elissalde, Bernard.Une géographie des territoires, L'information géographique Année 2002, Volume 66 Numéro 3 pp. 193-205.

228Bulot, T. La double articulation de la spatialité urbaine : « espaces urbanisés » et « lieux de ville» en sociolinguistique », dans Lieux de ville et identité (perspectives en sociolinguistique urbaine), L’Harmattan, Paris, 2004.pp113-146.

229Béguin, H,. Méthodes d'analyse géographiques quantitatives, Paris. 1979. Litec.252p.79. 230Moise, Claudine. Des configurations urbaines à la circulation des langues… ou… les langues peuvent-elles dire la ville ? , Journée internationale de sociolinguistique urbaine, Kénitra, Maroc, 12 décembre 2003, Bulot, T. et L. Messaoudi, (Eds.), Sociolinguistique urbaine (frontières et territoires), Éditions Modulaires Européennes, Cortil-Wodon, Belgique, 2003.pp 53-80. p 59.

en fait, des discours sur l'espace car c'est la langue qui l'anime et le met en discours. S'il y a, bien entendu, de l’espace dans le territoire, celui-ci n’est pas considéré comme un support neutre car l’idée d’appropriation est souvent mise en avant dans les processus de territorialisation. C’est ce qui justifiera le choix d'un locuteur pour un usage que pour un autre d'où la définition de l'espace comme un lieu pratiqué. Cette pratique, à notre niveau, est celle de la pratique odonymique au sein de la ville de Boussemghoun à partir de laquelle, nous vérifierons à quel degré la toponymie peut participer à la construction d'un espace, voire même d'un territoire, en plus de ses fonctions premières, celle de la localisation et de l'orientation.

L’appropriation d’un espace se fait « par le corps », dans l’usage, les pratiques quotidiennes, mais également par le langage, la mise en mot de cet espace. La dénomination d’un espace

atteste de son appropriation (il est un signe, au sens fort, de son appropriation) mais pas seulement, elle est partie prenante de cette appropriation : toute pratique sociale est tissée de

langage, ponctuée de langage.231

Cette définition est l'explication de la notion d'espace et de ses liens avec les autres notions de langage, de lieu et de la matérialité qu'ils confèrent au territoire en participant à sa mise en mots , à sa création par l'acte de la dénomination qui est un acte du langage. Une réflexion reprise par Thierry Bulot dans les propos qui suivent et dans lesquels il définit la sociolinguistique ainsi :

La sociolinguistique urbaine tente d’évaluer l’efficacité sociale de tous ces discours relatifs au socio-spatial et au socio-langagier; pour tenter d’analyser comment le discours et la pratique de l’espace peuvent modeler les comportements

linguistiques et langagiers des sujets, et comment, a contrario, ce discours (leurs discours) contribue à façonner l’espace social, l’espace énonciatif, et au final le

territoire 232.

Et du rapport au toponyme, il explique aussi; Il ne fait pas de doute que ce fonctionnement socio-pragmatique du toponyme qui en fait un instrument de localisation est au principe même de l’acte toponymique, qui vise à «s’approprier [l’espace] », à « en faire du territoire233.

231 Lefebvre H. La production de l’espace, Paris. Éd Anthropos.1974 .p 222

232 Bulot T. Matrice discursive et confinement des langues : pour un modèle de l’urbanité dans Cahiers de Sociolinguistique 8, Presses Universitaires de Rennes 2, Rennes, 2003.99-110.

233Akin, Salih. Pour une typologie des processus redénominatifs », S. Akin éd., Noms et re-noms. La dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, Rouen, Publications de l’Université de Rouen.1999 .p 9.

4.4. Diversité de la perspective sociolinguistique dans les champs

d'étude de la toponymie : méthodes et mode de collecte

Les premiers travaux de toponymie se sont vus s'inscrire dans la science de la dialectologie, en raison de l'aide que cette dernière a fourni à la toponymie pour se réaliser et prendre corps. Le linguiste Antoine Meillet a affirmé avec raison "qu'il n'y a pas d'histoire de la langue sans une dialectologie et surtout sans une géographie linguistique complète et bien établie" 234 .Cette dernière est définie ainsi :"La géographie linguistique est cette branche de la dialectologie qui s’occupe de localiser, les unes par rapport aux autres, les variations linguistiques, au sein d’une aire linguistique déterminée et de les cartographier."235 De l'étude quantitative de la stratification des dialectes sociaux urbains, bien que parfois située exclusivement dans le champ limité de l'observation synchronique, s'est bientôt enrichie d'une perspective diachronique à travers l'étude de la dynamique du changement linguistique. Pour établir l'histoire des variantes synchroniques urbaines et les situer par rapport à leur distribution géographique dans les régions avoisinantes, les sources d'information privilégiées ont été les observations dialectologiques existantes.

Notre recherche repose sur l'investigation de terrain qui lui permet de collecter les données, de les analyser et enfin rendre compte des résultats pour les interpréter. A ce titre, notre approche s'est vue une approche sociolinguistique où l'espace rend compte des rapports complexes entre socialisation, lien social, langues et pratiques langagières; ce qui confère à ce lien la mise en mots des toponymes, sujet de notre recherche, par des pratiques et des représentations de lieux par les autochtones .Le choix de l'approche est un choix qui découle de la nature des composants du sujet. Les noms de lieux sont des noms propres mais dont l'usage peut révéler plusieurs caractères. Ils ne sont pas dotés de la fonction simple de localisation et d'orientation mais du sentiment d'appartenance qui est mis en discours dans l'évocation du nom de ce lieu; d'où l'importance de la socio-toponymie dans son étude.

234Bull, de la Soc. De Ling. de Paris, t. XXX, 1929, p. 200.

235Chaker, S. Géographie linguistique, Encyclopédie berbère, 20 | Gauda – Girrei, Aix-en-Provence, Edisud, 1998, pp. 3059-3061

4.4.1. La socio-toponymie comme approche à la toponymie

La socio-toponymie est une démarche synchronique dans la recherche toponymique dans laquelle nous inscrivons la perspective de notre enquête.La socio- toponmie est définie :

On a parlé de sociotoponymie à propos de la démarche qui considère la toponymie «sous un aspect plus synchronique que diachronique », et surtout qui s’intéresse « moins [aux] préoccupations étymologiques qu’ [à] l’évolution, la transformation ou l’apparition et la

disparition de formes toponymiques 236 .

Nous avons orienté notre enquête vers la socio-toponymie, une démarche qui considère la toponymie « sous un aspect plus synchronique que diachronique ». "Et surtout qui s’intéresse « moins [aux] préoccupations étymologiques qu’ [à] l’évolution, la transformation ou l’apparition et la disparition de formes toponymiques "237.

De ce point de vue notre étude se déroulera en deux étapes pour mieux exploiter le terrain de façon synchronique à travers une analyse lexico sémantique ayant la sociolinguistique comme approche dont l’objet primordial est la connaissance de la société par le moyen de la langue, ensuite mettre en exergue la néo-toponymie dont il est question dans notre sujet dans le second volet Autrement dit, elle trace comme seul objet de recherche les faits de langue et de discours et, dès lors, les faits de société deviendront les moyens d’appréhender le réel linguistique. En bref, c’est connaître la société à travers le langage. On vérifiera à partir de la lecture du terrain d’où cette toponymie a émergé. Le Ksar de Boussemghoun sera notre point de départ et fera l'objet d'une investigation de type descriptif.

4.4.2. Toponymie vecteur de l'identité

La toponymie est ici considérée dans ses rapports avec le nouveau régionalisme qui fait émerger de nouveaux territoires. Dans cette situation, on considère qu'il s'agit de transmettre, par les toponymes, une vision construite de l'identité régionale, particulièrement aux générations non arabes majoritaires. Sur ce modèle toponymique, quelles peuvent être les informations transmises aux générations futures ? C'est en trois points que nous étudierons la dynamique

236Guerrin, Christian. Les processus redénominatifs dans les noms de communes françaises depuis 1943. Etude socio-toponymique de la variation dans la nomenclature administrative ., S. Akin éd., Noms et re-noms….1999, p 210.

identitaire et sociolinguistique berbère. Quelles sont les caractéristiques de l'acte de communication toponymique et quelle communication passe par les toponymes?. Quelles informations sont transmises et à qui ? Et enfin, comment les toponymes permettent-ils de fonder la conscience d'appartenance à l'identité berbère des utilisateurs de langues régionales sous la forme de toponymes urbains ? (Principalement, dans cette deuxième partie de l'enquête qui s'oriente comme approche synchronique). Les toponymes que nous ne considérons plus comme simples étiquettes sont plus désignateurs de l’identité,

Le toponyme n’accomplit pas seulement une dénomination géographique, mais dessine des cheminements sémantiques complexes, contingents et parfois originaux, à travers les cadres

culturels, identitaires, affectifs et mémoriels d’un Sujet ou d’un groupe238