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Accumulation de charges : un effet de capacité

2.3 Effet de champ électrique : origine

2.3.1 Accumulation de charges : un effet de capacité

Nous avons vu, grâce au travail de Duan et al. [62] présenté précédemment, que l’application d’un champ électrique à la surface d’un matériau ferromagnétique contribuait à une variation de deux paramètres principaux que sont le moment magnétique m et l’anisotropie magnétocristal- line. Duan et al. ont prédit une variation assez linéaire de ces deux paramètres en fonction du champ électrique appliqué. Nous verrons dans ce paragraphe comment les études suivantes ont interprété l’origine de ces effets de champs, et les différentes théories associées.

2.3.1.1 Modification du remplissage des orbitales atomiques - 2009-2010

Les travaux théoriques de Tsujikawa et al. [64] et de Niranjan et al. [40], ainsi que les ob- servations et déductions expérimentales de Maruyama et al. [38]16ont clarifié le travail de Duan

et al. [62] en assimilant la variation du moment orbital (calculée par Niranjan et al.), et donc de l’anisotropie magnétocristalline, à une modification de l’occupation relative des orbitales 3d des atomes de Fe. Ces travaux se sont basés sur ceux de Kyuno et al. [65] qui avaient calculé qu’une modification dans le remplissage des bandes 3d , dans un système de type Au/Fe(001 ), avait un effet sur l’anisotropie perpendiculaire de ce système.

Dans le cas d’interfaces, la symétrie du système est brisée et le couplage spin-orbite joue un rôle très important dans l’expression d’un terme d’anisotropie perpendiculaire à la couche. Dans le cas d’une interface de type métal ferromagnétique/oxyde (comme étudiée par Maruyama et al. [38] et Niranjan et al. [40]), le couplage spin-orbite est faible, ce qui favorise une hybridation entre les orbitales de plus basse énergie17, ainsi qu’une hybridation entre les orbitales 3d du métal

et 2p de l’oxyde [4]. A l’inverse, dans le cas d’une interface de type métal lourd/métal ferroma- gnétique (comme étudiée par Tsujikawa et al. [64]), le fort couplage spin-orbite aura pour effet d’élargir le gap d’énergie présent entre les orbitales des états parallèles et celles des états perpen- diculaires [4]. Une anisotropie perpendiculaire magnétique peut alors être induite plus facilement. A cause de ce couplage spin-orbite, les orbitales 3d de symétries différentes vont contribuer différemment à l’anisotropie magnétocristalline18, et plus particulièrement à l’anisotropie de sur- face pilotant l’anisotropie globale dans le cas des couches minces. Ces termes d’anisotropie sont donc très sensibles au remplissage électronique de ces différentes orbitales 3d . Le fait de modifier leur occupation peut donc affecter l’anisotropie magnétique.

L’application d’un champ électrique sur une interface de type métal ferromagnétique/oxyde (comme l’ont étudié Maruyama et al. [38]) se traduit par une accumulation/déplétion de charges

16. Dont les résultats sont présentés en section 2.1.3.2 17. Orbitales perpendiculaires dxz, dyz et dz2

électroniques à cette interface et modifie donc la densité d’électrons pour chaque atome de ferro- magnétique en surface. Ceci induit une modification du remplissage des bandes 3d , ce qui peut être imaginé comme équivalent à un décalage du niveau de Fermi [48] (cf fig.2.12).

V=0 V>0

a) b)

- - - -

FIGURE2.12: a) Représentation d’orbitales atomiques de type planaire (dxy et dx2−y2), présentant

une basse symétrie, et qui sont celles préférées à tension nulle et de celles de type perpendiculaire qui sont celles préférables lors de l’application d’une tension négative sur la contre-électrode (cf fig.2.13a).

b) Représentation des orbitales de type perpendiculaire, allongées le long du diélectrique et qui sont celles préférées lors de l’application d’une tension positive sur la contre électrode. [Ces figures sont reportées de la présentation de Y. Suzuki donnée à Skymag 2017].

c) L’application d’une tension sur la contre-électrode change la densité d’électrons remplissant les orbitales et ceci est équivalent à un décalage du niveau de Fermi, qui est représenté pour le métal de la contre électrode et pour le métal ferromagnétique. Adaptée de [48].

Dans l’étude de Maruyama et al. [38], l’application d’une tension négative sur l’électrode supérieure du système vient augmenter l’énergie des orbitales hybridées entre les orbitales 3d du Fe et 2p de l’oxyde19(d

3z2−r2), et donc réduire le nombre d’électrons présents dans ces orbitales

(l’effet inverse avec l’application d’une tension positive sur l’électrode supérieure est donnée en figure2.12 a et b). Une redistribution de ces électrons est alors dirigée vers les orbitales libres20

de type dx2−y2 (cf fig.2.13 a), qui possédaient jusqu’alors une énergie plus importante [4]. Le

moment magnétique orbitalaire mz variant alors d’une valeur nulle à une valeur de 2. Une varia-

tion des propriétés magnétiques, et donc de l’anisotropie de surface de la couche de Fe est alors induite.

Une déplétion d’électrons dans les orbitales de type perpendiculaire de basse énergie se tra- duit par une augmentation de l’énergie d’anisotropie magnétique (donc par une augmentation de la PMA). L’application de cette tension négative a donc augmenté l’anisotropie magnétique per- pendiculaire du système comme cela l’est représenté en figure2.13b. De plus, Kyuno et al. [65] avaient conclu qu’une forte densité de moments magnétiques orbitalaires mz = 2 pouvait être à

19. Et allongées perpendiculairement à la couche de ferromagnétique 20. Allongées le long de la surface

l’origine d’une anisotropie magnétique perpendiculaire (cf représentation en fig.2.12a).

FIGURE 2.13: a) Schéma de la redistribution (flèche rouge) des électrons dans les différentes or- bitales atomiques 3d du fer pour le système étudiée en référence [38].

b) Et cycles d’hystérésis associés témoignant d’une anisotropie perpendiculaire plus importante sous l’application d’une tension négative (−200V ). Est donné en encart la direction de l’aiman- tation possible pour ces deux cycles.

Au cours de leur étude (par DFT ), Niranjan et al. [40] ont aussi montré que la force de l’effet sur la variation d’anisotropie magnétique est très dépendante du diélectrique utilisé au contact du métal ferromagnétique. En effet, ils ont déduit une variation de l’énergie d’anisotropie magnétique de 100f J/(V.m) pour une interface de Fe/MgO , ce qui est 5 fois plus important que ce qu’avaient déduit Duan et al. [62] pour une interface de type Fe/vide.

2.3.1.2 Modification de la structure de bandes (2009)

De leur côté, Nakamura et al. [66] ont proposé une alternative à l’explication de l’origine physique de la modification de l’anisotropie magnétique par l’application d’un champ électrique. Ils se sont concentrés sur la modification de la structure de bandes de trois matériaux ferroma- gnétiques : Fe(001 ), Co(001 ) et Ni (001 ), entrainant la modification de l’anisotropie magnéto- cristalline de ces couches.

Il a été indiqué que l’anisotropie magnétocristalline provient du couplage entre les bandes de spins minoritaires qui croisent le niveau de Fermi [66]. Ils se sont donc focalisés sur la structure de bandes des spins minoritaires, qui était celle présentant des modifications en champ électrique. Le bas des bandes des spins majoritaires étant plus éloignés du niveau de Fermi, ils seront consi- dérés stables sous l’application d’un champ électrique.

Ils ont donc calculé la structure de bandes pour ces matériaux (cf fig.2.14), et ont pu démon- trer que, malgré de fortes similitudes entre les structures de bandes avec et sans champ électrique appliqué21, un couplage (hybridation) entre les différentes orbitales a modifié localement les pro-

priétés en énergie, et ce, pour un niveau très proche du niveau de Fermi (cf flèches en fig.2.14). Ceci conduit à une rupture entre certaines bandes (comme indiqué par les flèches) et un décalage en énergie. Cette valeur de décalage peut alors amener le nouveau profil d’énergie de bandes à

FIGURE 2.14: a) Structure de bandes des spins minoritaires calculée par Nakamura et al. [66]

pour une monocouche de Fe(001 ). Ce calcul s’est fait sans champ électrique appliqué (pointillés) ou avec un champ électrique de 10V /nm (lignes rouges). Le niveau d’énergie à 0 représente le niveau de Fermi. Les bandes 1,3, 4, 5 et 5∗ représentent les différentes orbitales dz2, dx2−y2, dxy,

dxz et dyz.

b) Calcul de la structure de bandes d’une monocouche de Fe(001 ) sans champ électrique, en mettant en évidence les bandes qui possèdent des composantes (> 1 %) des orbitales p. Les ronds rouges représentent les composantespz et les triangles bleus les composantespx ,y.

être très proche de la valeur de l’énergie de Fermi (cf flèche encerclée en fig.2.14). Cela pourrait donc conduire à un décalage très fort passant au-dessous du niveau de Fermi pour des valeurs suffisantes de champ électrique, et ainsi conduire à un remplissage des bandes différent et donc à des modifications des propriétés magnétiques.

Cette hybridation est décrite comme poussée jusqu’aux états de nombre angulaire différent amenant ainsi à une hybridation entre les orbitales 3d et 2p du matériau. L’expression de faibles composantes des orbitales 2p, proches du niveau de Fermi est l’une des raisons de ce couplage et donc de cette rupture et de ce décalage des bandes. L’expression de ces composantes est repré- sentée en figure2.14b, les cercles représentant les composantes pz, se couplant avec les orbitales

dz2, et les triangles représentant les orbitales px ,y se couplant avec les orbitales dxz ,yz.

Notons que ces observations ont été déduites des calculs dans le cas duFe(001 ), car dans le cas duCo(001 ), ce décalage en énergie apparaissait au dessous du niveau de Fermi et les états ainsi obtenus étaient occupés et ne contribuaient donc pas à une variation de l’anisotropie magnétocristalline.

Ces modifications de la structure de bandes pourraient donc induire des variations de l’ani- sotropie de l’ordre de ≈ 10f J/(V.m) et pourraient même jouer sur le signe de cette anisotropie d’interface [48,66].

Finalement, il est difficile d’établir une origine microscopique précise (unique) pour les effets décrits en section 2.1.3. Nous pourrions donc imaginer que l’application d’un champ électrique s’exprime par ces deux types d’effets, et qu’il y aurait, à la fois, une modification des états proches du niveau de Fermi, et que cela viendrait altérer le remplissage électronique des orbitales 3d .