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La légitimation de l'intervention du droit pénal dans la famille

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01630455

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Submitted on 7 Nov 2017

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La légitimation de l’intervention du droit pénal dans la

famille

Gaëlle Serva

To cite this version:

(2)
(3)

2

Résumé en français:

La famille est une cellule qui relève de l'intimité de tout un chacun. Dès lors, comprendre l'intrusion d'un droit répressif en son sein n'est pas chose évidente. Pourtant, force est de constater que l'activité pénale s'y est intensifiée ces dernières années.

La question est alors de savoir quelles sont les raisons qui justifient cette intervention du droit pénal au sein de la famille. Cette problématique nous conduit à interroger la place du droit pénal dans la famille. Cette étude met en lumière deux conditions de l'intervention du droit pénal : l'existence d'un dysfonctionnement dans la famille, une condition indispensable ; et la protection de valeurs sociales au sein de la famille, une condition nécessaire.

Il convient par conséquent de construire, premièrement, le concept de dysfonctionnement familial autour de trois critères que sont la nature du dysfonctionnement, la gravité de ce dysfonctionnement et enfin le moment de son apparition.

Deuxièmement, s'agissant de la protection des valeurs sociales dans la famille, deux modalités d'intervention sont à dissocier : une modalité classique selon laquelle le droit pénal est essentiellement un droit sanctionnateur et une modalité novatrice selon laquelle le droit pénal affirme sa singularité.

Titre en anglais : The legitimization of the intervention of the criminal law in the family

Et résumé en anglais :

The family is an entity that falls under the privacy of everyone. Therefore, understanding the intrusion of a repressive law within it is not something obvious. Yet it is clear that penal activity has increased in the family those past years.

Then the question is what are the reasons that justify the intervention of penal law within the family. This problem leads us to question the place of criminal law in the family. This study highlights two conditions for the intervention of penal law: the existence of a malfunction in the family, an indispensable condition; the protection of social values within the family, a necessary condition.

First, it is therefore necessary to build the concept of family dysfunction on three criteria which are the nature of the malfunction, the severity of this dysfunction and finally the moment of its appearance.

Second, with regard to the protection of social values in the family, two modalities of intervention are dissociated: a classic mode that penal law is essentially an accessory law and an innovative modality that penal law asserts its singularity.

Discipline :

Droit et sciences criminelles ...

Mots-clés :

Droit pénal ; Famille ; Droit civil ; Droit public ; Immunités familiales ...

Intitulé et adresse de l’U.F.R. ou du Laboratoire :

(4)

3

« L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur »

(5)

4

À mes parents, pour leur amour et leur indéfectible confiance

À Feus grand-père, tonton Georges et tonton Raoul

(6)

1

REMERCIEMENTS

Mes premiers remerciements sont adressés à ma directrice de thèse, Madame le Professeur Marie-Christine SORDINO, grâce à laquelle mon désir de mener à bien un travail de recherche a pu se concrétiser. De par sa patience, son expertise, sa clairvoyance et sa disponibilité, elle a été d’un soutien inestimable tout au long de cette aventure. La flexibilité dont elle a fait preuve au cours de la direction de mes travaux et ses conseils avisés m’ont assuré une grande liberté, quant au traitement de mon sujet. Elle a su enrichir ma réflexion avec justesse, me permettant de la faire émerger plus clairement. Au-delà, c’est pour sa bienveillance de tous les instants et ses constants encouragements qu’il me tient à cœur de la remercier.

Également, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à Madame le Professeur Haritini MATSOPOULOU, pour m’avoir offert la chance d’encadrer mes premières séances de travaux dirigés à l’Université Paris XI. Outre l’enrichissement professionnel et personnel que cette expérience m’a apporté, c’est aussi à cette occasion que s’est précisé mon raisonnement.

Parce que l’étude transversale exigée par le thème de recherche choisi, appelait à la réunion de données juridiques et extra-juridiques, éparses, théoriques mais également pratiques, la contribution des personnes qui m’ont chaleureusement reçue et conseillée, fut précieuse. Je tiens donc, tout particulièrement, à remercier Madame Sylvie CHANTELAUZE, chef de service éducatif au foyer les « Pressoirs du Roy » de Samoreau, Monsieur Jean SAINT-CLÉMENT, directeur de la CAF Guadeloupe, Monsieur Michel VELAYANDON, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, Maître Hubert JABOT, mon ancien directeur de stage, Madame Audrey THÉOPHILE, assistante sociale et Monsieur Charly POMPILIUS, directeur d’école. Ma gratitude va aussi à l’équipe de l’Association d’aide aux victimes de Montpellier, et particulièrement à Mesdames Cecilia LLOR et Audrey FRAUD, ainsi qu’à celle du Parquet du Tribunal de grande instance de Fontainebleau.

(7)

2

SOMMAIRE

Introduction

Première Partie - Un préalable à l’intervention du droit pénal, l’existence d’une famille dysfonctionnelle

Titre I - L’identification de la famille dysfonctionnelle Chapitre I - Le rejet d’un critère de normalité familiale

Chapitre II - Un critère de définition, la « dysfonctionnalité familiale »

Titre II - Le moment de l’apparition du dysfonctionnement dans la famille Chapitre I - La révélation du dysfonctionnement familial

Chapitre II - Le traitement du dysfonctionnement familial

Deuxième partie - Une condition nécessaire de l’intervention, la protection de valeurs sociales et familiales

Titre I - Une modalité d’intervention classique du droit pénal Chapitre I - La subsidiarité du droit pénal dans la famille

Chapitre II - Le droit pénal dans la famille, entre adaptation et dénaturation

Titre II - Une modalité d’intervention novatrice du droit pénal dans la famille Chapitre I - L’expression d’une singularité du droit pénal dans la famille Chapitre II - La résilience du droit pénal

(8)

3

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS 1

SOMMAIRE ... 2

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ... 8

INTRODUCTION ... 11

Première Partie ... 55

UN PREALABLE À L’INTERVENTION DU DROIT PÉNAL, L’EXISTENCE D’UNE FAMILLE DYSFONCTIONNELLE ... 55

Titre I – L’IDENTIFICATION DE LA FAMILLE DYSFONCTIONNELLE ... 56

Chapitre I. Le rejet d’un critère de normalité familiale ... 58

Section I. Du droit de mener une vie familiale normale au concept de famille normale ... 59

§1 - La reconnaissance du droit de tout individu à mener une « vie familiale normale » ... 59

A. Les fondements normatifs de l’émergence d’un droit de mener une vie familiale normale 59 1) Les fondements européens ... 60

2) Les fondements nationaux ... 62

B. L’émergence jurisprudentielle du droit de mener une vie familiale normale ... 63

§2 - L’avènement du concept de normalité familiale ... 66

A. La liberté de mener une vie familiale normale, un droit susceptible d’ingérence publique 66 B. Une construction socio-idéologique de la normalité familiale ... 68

1) Les acteurs de la définition de la normalité familiale ... 68

a) La société ... 68

b) Le législateur et le juge ... 69

2) Une normalité familiale appréciée au cas par cas ... 71

a) La vie familiale normale et la polygamie ... 72

b) La vie familiale normale et la vie commune ... 73

c) La vie familiale normale et l’adoption simple ... 74

d) La vie familiale normale et la procréation médicalement assistée ... 74

e) La vie familiale normale et la famille homoparentale ... 75

f) La vie familiale normale, le transsexualisme et la « transparentalité » ... 79

Section II. La normalité familiale, un critère insatisfaisant en droit pénal ... 82

§1 - Un critère inadapté à la logique pénale ... 82

A. L’absence de clarté du paradigme de normalité familiale ... 82

B. L’indifférence du paradigme de normalité familiale en droit pénal ... 84

§2 - Un critère dépourvu de fiabilité scientifique ... 85

A. La limite subjective à la fiabilité du critère de normalité ... 85

B. La limite objective à la fiabilité du critère de normalité ... 87

Chapitre II. Un critère de définition, la « dysfonctionnalité familiale » ... 88

Section I. Les contrariétés au « bon vivre ensemble » ... 92

§1 - La famille violente ... 92

A. La violence intraconjugale ... 93

1) La nature des violences ... 95

a) Les violences physiques ... 95

(9)

4

c) Les violences psychologiques ... 112

d) Les violences par intimidation ... 124

2) Les caractéristiques des violences conjugales ... 126

a) Une violence cumulative ... 126

b) Une violence graduelle ... 128

c) Une violence non « genrée » ... 134

d) Les principaux facteurs objectifs de violences ... 140

3) Les profils criminologiques des protagonistes ... 145

a) Le profil du conjoint violent ... 145

b) Le profil du conjoint victime ... 154

B. Les violences envers les autres membres de la famille ... 158

1) Les violences à l’encontre de l’enfant ... 158

2) Les violences à l’encontre de l’ascendant ... 167

§2 - La famille homicide ... 168

A. L’homicide intrafamilial ... 169

1) Le crime passionnel ... 170

2) Le meurtre de l’enfant ... 173

B. La légitime défense différée ... 174

Section II. Les contrariétés au « bien vivre ensemble » ... 182

§1 - La défaillance familiale par abandon du mineur ... 182

§2 - La défaillance familiale entraînant une mise en péril du mineur ... 186

Conclusion du Titre I ... 197

Titre II - LA PRISE EN CHARGE DU DYSFONCTIONNEMENT FAMILIAL ... 199

Chapitre I. La révélation du dysfonctionnement familial ... 200

Section I. La dénonciation du dysfonctionnement familial ... 200

§1 - Les écueils liés à la dénonciation des dysfonctionnements familiaux ... 201

A. Un dysfonctionnement familial difficilement quantifiable ... 202

1) Le huis clos familial ... 203

2) Le faible taux de dénonciation ... 205

3) Le caractère lacunaire des données statistiques recueillies ... 210

B. Un dysfonctionnement familial difficile à prouver ... 214

§2 - Les acteurs de la dénonciation ... 216

Section II. L’appréciation du dysfonctionnement ... 218

§1 - Une appréciation objective du dysfonctionnement familial ... 219

A. Le trouble familial pénalement « impunissable » ... 219

B. Le dysfonctionnement familial non-imputable à l’auteur ... 224

§2 - Une appréciation subjective du dysfonctionnement familial ... 225

A. Le législateur ... 225

B. Les différents acteurs de la justice pénale ... 227

1) Les principaux acteurs judiciaires ... 227

2) Un acteur judiciaire essentiel : l’expert judicaire ... 232

Chapitre II. Le traitement du dysfonctionnement familial ... 234

Section I. Vers une meilleure prise en charge du dysfonctionnement ... 234

§1 - La lutte contre les violences au sein du couple ... 234

A. Le volet préventif de la lutte contre les violences conjugales ... 235

1) La mesure d’éviction du conjoint violent ... 235

2) L’accompagnement du conjoint victime ... 242

3) Quelques pistes de travail à caractère préventif à approfondir ... 248

(10)

5

§2 - La protection de l’enfance en danger ... 252

A. L’enfant co-victime des violences conjugales ... 253

B. La sécurisation du parcours de protection de l’enfant ... 257

Section II. Vers une meilleure formation des professionnels au contact de la famille ... 263

§1 - Le caractère essentiel de la formation à la détection des dysfonctionnements intrafamiliaux ... 264

§2 - Une meilleure définition de l’orientation à donner au traitement des dysfonctionnements familiaux ... 267

Conclusion du Titre II ... 271

Conclusion de la Partie I ... 272

Deuxième Partie ... 274

UNE CONDITION NÉCESSAIRE DE L’INTERVENTION, LA PROTECTION DE VALEURS SOCIALES ET FAMILIALES ... 274

Titre I - UNE MODALITÉ D’INTERVENTION CLASSIQUE DU DROIT PÉNAL .. 276

Chapitre I. La subsidiarité du droit pénal dans la famille ... 279

Section I. Une subsidiarité du droit pénal quant aux valeurs sociales attenantes à la famille 279 §1 - La famille, une valeur sociale non consacrée par le droit pénal ... 280

A. La famille, reconnue comme valeur sociale essentielle ... 283

1) L’appréhension du concept de valeurs sociales protégées ... 283

a) La source de la valeur sociale, l’éthique ... 283

b) La valeur sociale préexistante au droit ... 286

2) Un concept de valeur sociale applicable à la famille ... 290

B. La famille, consacrée comme valeur sociale par des disciplines juridiques principales ... 293

§2 - La famille, fédératrice de valeurs sociales protégées par le droit pénal ... 296

A. La protection pénale de la famille en qualité de sujet créateur de valeurs sociales ... 296

1) La famille, sujet titulaire de valeurs sociales ... 296

2) La famille, sujet créateur de valeurs sociales ... 302

B. La protection pénale accessoire de valeurs sociales propres à la famille ... 303

1) La protection pénale accessoire de l’intérêt de l’enfant ... 303

2) La protection pénale accessoire de l’intégrité physique et morale du conjoint ... 306

3) La protection pénale accessoire de l’institution du mariage ... 308

Section II. Une subsidiarité du droit pénal quant à ses fonctions dans la famille ... 314

§1 - Le droit pénal accessoire, instrument de contrôle social au sein de la famille ... 315

A. Le droit pénal, gardien d’ordre public dans la famille ... 315

B. Un droit pénal essentiellement dissuasif dans la famille ... 322

1) Une peine prononcée ultima ratio ... 322

2) Le rôle préventif du droit pénal ... 324

§2 - Rejet d’un droit pénal accessoire à la loi morale au sein de la famille ... 329

A. Droit pénal et morale, des notions distinctes ... 330

B. D’un souci de prévention sociale à un risque de contrôle social : les nouvelles fonctions de la peine ... 332

Chapitre II. Le droit pénal dans la famille, entre adaptation et dénaturation ... 336

Section I. L’adaptation de l’application du droit pénal au contact de la famille ... 336

§1 - Une répression soumise à l’existence d’une famille ... 337

A. La famille, élément de définition de l’infraction ... 337

1) La limitation du champ de compétence du droit pénal ... 338

(11)

6

2) L’action du droit pénal soumise à une identité familiale forte ... 356

B. La famille, circonstance de la répression ... 359

1) Une circonstance aggravante ... 359

2) Une circonstance atténuante ... 363

§2 - La répression contrariée par l’existence d’une famille, la famille-écran ... 367

A. La famille, obstacle à la répression ... 368

B. La famille, frein à la répression ... 371

Section II. La dénaturation du droit pénal au contact de la famille ... 372

§1 - Une technique d’incrimination atypique en droit pénal ... 374

A. Une vocation illusoire à l’autonomie ... 375

B. Un caractère personnalisable à l’envi ... 380

§2 - Un raisonnement d’incrimination atypique en droit pénal, ou l’opportunisme législatif 390 A. Le détournement de la finalité du droit pénal à des fins stratégiques ... 391

1) Le détournement à des fins pédagogiques ... 391

a) La soustraction à l’obligation scolaire, une incrimination dépourvue d’effectivité ... 392

b) L’extension de l’application du droit pénal à la soustraction à l’obligation d’assiduité scolaire ... 399

2) Le détournement à des fins purement pragmatiques ... 404

B. Le détournement de la finalité du droit pénal à des fins victimologiques ... 409

Conclusion du Titre I ... 411

Titre II - UNE MODALITÉ D’INTERVENTION NOVATRICE DU DROIT PÉNAL DANS LA FAMILLE ... 413

Chapitre I. L’expression d’une singularité du droit pénal dans la famille ... 422

Section I. Une singularité fonctionnelle dans la famille ... 424

§1 - La neutralité du droit pénal vis-à-vis de la famille ... 424

A. La neutralité vis-à-vis de la conjugalité ... 426

1) La consolidation d’un véritable concept de couple en droit pénal ... 426

2) Droit pénal et liberté sexuelle ... 430

B. La neutralité vis-à-vis du tiers ... 431

1) La reconnaissance par le droit civil d’une fonction affective du beau-parent ... 433

2) L’admission par le droit pénal d’une fonction d’autorité du beau-parent ... 436

§2 - L’originalité fonctionnelle du droit pénal dans la famille ... 441

Section II. Une singularité conceptuelle dans la famille ... 445

§1 - Une singularité conceptuelle et des divergences interprétatives ... 446

A. La notion de communauté de vie reconsidérée en droit pénal ... 446

1) Communauté de vie et proxénétisme ... 447

2) Communauté de vie et violences conjugales ... 451

B. L’absence de répression du délit de bigamie quant au PACS ... 453

1) Le constat d’une absence de répression ... 454

2) Des éléments d’explication de l’absence de répression ... 455

§2 - La singularité conceptuelle et les absorptions interprétatives ... 460

A. L’absorption pénale du concept civil d’inceste ... 460

1) L’alignement du droit pénal sur le droit civil quant à l’inceste ... 461

2) Les limites à l’alignement du droit pénal sur le droit civil quant à l’inceste ... 463

B. La consécration par le droit pénal de la valeur probante de la déclaration sur l’honneur en droit civil ... 469

Chapitre II. La résilience du droit pénal ... 472

Section I. La famille, une valeur secondaire en droit pénal ... 473

(12)

7

A. La valeur sociale protégée, un outil de structuration en droit pénal ... 473

B. La supériorité de valeurs-finalité autres que la famille en droit pénal ... 476

1) La valeur-finalité, l’objet réel de l’infraction d’emblée familiale ... 477

2) La famille, une valeur-témoin en droit pénal ... 478

a) Un simple repère de protection ... 478

b) L’absence de consécration d’un intérêt familial en droit pénal ... 481

c) Un refus conscient de consécration d’un intérêt familial en droit pénal ... 484

d) Un tempérament en demi-teinte, l’action civile des associations familiales ... 487

§2 - La famille, un intermédiaire de protection ... 490

A. La protection affirmée de l’individu au sein de sa famille ... 491

1) Le droit pénal défenseur d’un ordre public de protection dans la famille ... 492

2) Les manifestations d’un ordre public de protection en droit pénal ... 496

B. La protection passive d’une entité familiale méconnue ... 502

Section II. Le repli général du droit pénal dans la famille ... 502

§1 - La décriminalisation du lien familial ... 503

A. La décriminalisation de l’adultère ... 504

1) L’importance passée de la répression de l’adultère dans la pensée collective ... 504

2) La suppression du délit d’adultère ou la révélation de la juste mesure du droit pénal ... 508

B. La décriminalisation de l’avortement ... 511

§2 - La désacralisation du lien familial ... 514

A. Le lien familial exempt de privilèges ... 514

1) Le droit de correction discrédité ... 515

2) L’effet limité des immunités familiales ... 517

B. Le lien familial en proie à l’intransigeance pénale ... 520

(13)

8

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AJ Pénal Actualités juridiques de droit pénal Al. Alinéa

Arch. Po. Crim. Archives de politique criminelle

Art. Article

Ass. plén. Assemblée plénière

Bull. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre criminelle Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre civile

c/ Contre

CA Arrêt de Cour d’appel

C. civ. Code civil

C. const. Conseil constitutionnel

Cass. crim Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation Cass. civ. Arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation

CE Arrêt du Conseil d’État

CEDH Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme

C. éduc. Code de l’éducation

CESEDA Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

Ch. acc. Chambre d’accusation

Ch. corr. Chambre correctionnelle

Chron. Chronique

Circ. Circulaire

Coll. Collection

Comm. Commentaire

(14)

9

Contra Solution contraire

Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme

C. pén. Code pénal

C. pr. pén. Code de procédure pénale

CPCE Code de procédure civile d’exécution

CSP Code de la santé publique

D. Recueil Dalloz

DH. Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz (années

antérieures à 1944)

dir. Sous la direction de

Doctr. Doctrine

Dr. Fam. Revue Droit de la famille (LexisNexis)

Dr. Pén. Revue Droit pénal (LexisNexis)

éd. Édition

Fasc. Fascicule

Gaz. Pal. Gazette du palais

in Dans

infra Ci-dessous

in fine en fin de

inf. rap. Informations rapides

J.-Cl. Juris-Classeur (Encyclopédies)

JCP. éd. G Juris-Classeur périodique (Semaine juridique), édition générale

JO Journal officiel

JOCE Journal officiel de Communauté européenne

JOUE Journal officiel de l’Union européenne

LPA Les Petites Affiches (Lextenso)

n° Numéro

not. Notamment

NP non publié au bulletin

obs. Observations

op. cit. Opere citato

Ord. Ordonnance

(15)

10

Pan. Panorama

préc. précité

préf. Préface

QPC Question prioritaire de constitutionnalité

RDSS Revue de droit sanitaire et social

Rép. dr. eur. Répertoire de droit européen

Rép. pén. Répertoire de droit pénal et de procédure pénale

Rép. civ. Répertoire de droit civil

RSC. Revue de sciences criminelles

Rev. sociétés Revue des sociétés

RFDA Revue française de droit administratif

RTD. civ. Revue trimestrielle de droit civil

s. Suivant(e)s

spéc. Spécialement

ss. Sous

supra Ci-dessus

T. corr. Tribunal correctionnel

TGI Tribunal de grande instance

V. Voir

(16)

11

INTRODUCTION

« La famille n’est pas naturelle, elle est d’emblée culturelle. Ceux qui invoqueront, qu’elle

devrait être ceci ou cela se tromperont dans leurs prémisses et développeront surtout le modèle qu’ils ont choisi ».1

1. Famille et criminalité, des liens passés et contemporains étroits. – Que le pénaliste s’intéresse aux interrelations existant entre droit pénal et famille ne devrait point étonner. Et pour cause, famille et criminalité ont toujours été étroitement liées.

Déjà dans les civilisations primitives, à « un moment où l’État n’avait pas encore pris

conscience de lui-même »2, la famille tenait une place essentielle dans l’organisation des formes ancestrales de justice pénale. La vengeance privée – première expression du droit criminel – s’organisait au sein même des groupes familiaux, des tribus, ou entre membres de clans ennemis3. Même lorsque, peu à peu, ce mode de résolution des conflits fut orchestré par un pouvoir étatique centralisé, un large champ de compétences fut abandonné à la famille, incarnée en la personne du pater familias4. À Rome, deux catégories de ius étaient dissociées5 : le ius publicum qui régissait les relations entre les citoyens et la chose publique, et le ius privatum qui gouvernait les rapports interindividuels. Alors que le premier relevait de la puissance publique, le deuxième lui était laissé à la discrétion des justiciables. C’est ainsi que la répression des « crimes publics » était placée sous le joug de l’État, lorsque celle des « délits privés » était naturellement reléguée aux réseaux familiaux.

2. Des familles mafieuses. – Aujourd’hui encore, on s’aperçoit que ce lien entre la famille et la criminalité est réactualisé à travers certaines pratiques de groupes claniques marginaux. Ici, le lien familial vient véritablement justifier le passage à l’acte criminel.

Ce phénomène a d’abord été observé au sein de groupes mafieux. Les exemples des très célèbres mafias de la Comorra6 ou de la Casa Nostra7 permettent de dresser un portrait de ces

1 P. Steck, Droit et famille. Tous les droits, Economica, 1997, p. 2, n°2.

2 A. Prins, Science pénale et droit positif, Bruxelles, Emile Bruylant, 1899, n°54-55, p. 28-29. 3

M.-C. Sordino, Droit pénal général, 6e éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 14.

4

À Rome, le pater familias désigne le chef de famille sous l’autorité duquel était placée toute la maisonnée.

5

H. Inglebert, « Le droit romain », in Histoire de la civilisation romaine, Paris, PUF, 2005, p. 115.

6 Le terme Comorra n’est employé que par les personnes extérieures au clan (policiers, magistrats,

(17)

12

familles criminelles8. Traditionnellement, ce groupe se forme par la double sélection du sang9 et du sexe10. Majoritairement liés par des liens filiaux, les membres de ce dernier apparaissent comme particulièrement solidaires et loyaux. Pour fortifier le clan, la confiance est essentielle. Ceci explique, d’ailleurs, que les tiers initiés aux « combines » mafieuses soient peu nombreux. De structure pyramidale, le plus souvent, la famille mafieuse est dirigée par le

parrain. Il est le chef du clan. Il accède généralement à cette place par hérédité et c’est lui qui

fédère les différentes composantes de celui-ci. Il décide de la tactique à adopter, des meurtres à commettre et gère la manne financière générée par les activités illégales du groupe. Secondé hiérarchiquement par un consigliere, des chefs de dizaine ou capos, et des soldats11, il est détenteur d’un pouvoir sans faille sur le reste du clan.

Un des objectifs essentiels de la famille mafieuse est d’exercer sur un territoire donné « une

souveraineté territoriale rivale de celle de l’État »12. À ce titre, elle n’entend pas seulement posséder un territoire : elle prétend l’incarner. Un tel contrôle passe nécessairement par une infiltration de l’économie nationale, via une indicible violence et une intimidation perpétuelle. Dès lors, c’est la loi du silence ou omertà qui vient garantir l’impunité du clan ; et quiconque dérogeant à cette règle maîtresse est puni de mort.

Le rôle des femmes est également primordial dans ces organisations13. Faussement perçues comme des victimes dociles et aveuglées quant aux agissements de leurs époux, elles sont en réalité des membres actifs. D’une part, en effet, elles sont les premières dissimulatrices des crimes commis par les hommes de la famille. Parées de beaux habits, assistant pleinement à la vie sociale du quartier (cérémonies, messes, etc.), ces femmes font office de façade au crime. Mais, d’autre part – et contre toute attente – elles sont surtout les premières initiatrices discrètes de leurs fils. Elles les incitent ainsi, dès leur plus jeune âge, à prendre part aux règlements de comptes jugés nécessaires à la survie du groupe. En cela, elles apparaissent

considérable grâce à l’installation de filières de sous-traitance notamment du cuir et du textile, situées dans tous les pays occidentaux, V. R. Saviano, Gomorra. Dans l’empire de la camorra, Gallimard, 2007, p. 53 sq.

7 La Cosa Nostra, autrement dit « Notre chose », est une organisation criminelle qui sévit en Sicile depuis plus de

cinquante ans.

8

Tant, d’ailleurs, dans leurs disparités, que dans leurs similitudes.

9 En l’espèce, le clan de la Cosa Nostra tient lieu d’exception puisque les « cosche » (familles) ne sont pas unies

par un lien de sang mais par un lien essentiellement spatial. La famille est étendue à l’échelle d’un quartier, d’un village ou d’une région dirigés par une unité de base, V. M. Kahn et A. Véron, Des femmes dans la mafia :

marraines ou madones, Paris, Nouveau Monde, 2015, p. 13.

10 « Ce sont des organisations criminelles dites “monosexuelles”, où seuls les hommes sont admis au rite

d’initiation », M. Kahn et A. Véron, op. cit., p. 15.

11

C. Champeyrache, « L’économie mafieuse : entre principe de territorialité et extraterritorialité », Hérodote, n°151, 2013, p. 89. Le consigliere, ou conseiller, est le bras droit du chef. En général, il n’a pas de lien de parenté avec le parrain, mais est un homme de confiance. Il est les yeux et les oreilles du chef.

12 C. Champeyrache, op. cit., p. 83-84. 13

(18)

13

comme les garantes des valeurs mafieuses. Ces femmes, véritables madones, vont parfois jusqu’à reprendre la tête de cartel, suite au décès ou à l’incarcération de leur mari14.

3. Des frères terroristes. – Plus récemment, certains analystes ont encore mis en évidence ce lien de causalité entre parenté et criminalité, concernant ce que l’on a nommé les « fratries

de djihadistes »15. Interrogés sur ce phénomène « crimino-fraternel », certains spécialistes avançaient alors quelques éléments de réponse sur l’explication et les enjeux de celui-ci. Ainsi, selon Rik Coolsaet, expert belge pour The Guardian, « le recrutement est d’abord une

affaire de parenté ou d’amitié bien plus que de religion ou de nationalité »16. Les membres d’une même fratrie, s’idéologisent et se radicalisent bien plus facilement, qu’ils sont unis par un sentiment de loyauté, de complicité, de dette affective ou de devoir moral. On s’aperçoit, toutefois, que cette radicalisation d’un frère par l’autre ne repose pas nécessairement sur la différence d’âge existant entre les sujets17. Ainsi, il arrive parfois que ce soit le frère cadet de la fratrie – plus charismatique – qui enrôle et emporte son aîné dans ce que l’on a appelé une « folie à deux »18. Par la suite, se met en place, entre les intéressés, une sorte de compétition et de surenchère de loyauté : « une fois que la parole est donnée, il est impossible de la

rendre »19. Cette émulation fraternelle donne donc à chacun des protagonistes, la force d’aller jusqu’au bout de l’entreprise criminelle. James Allan Fox, criminologue américain20, étudie depuis plusieurs années, les diverses affaires criminelles – non terroristes incluses – impliquant des coauteurs unis par un lien familial. Il dénote que cette circonstance particulière accélère et intensifie le passage à l’acte, car la présence du frère accrédite, justifie le comportement criminel. De plus, le partage de responsabilité entre ces agents allège le fardeau de la décision, puis du crime21. Mais, il a été démontré que cette radicalisation ne se limite pas toujours à l’alliance fraternelle. En effet, le binôme peut former un groupuscule soudé à l’intérieur même de la famille nucléaire22.

14

M. Kahn et A. Véron, ibidem, p. 217.

15

Journal télévisé, le Non Stop, « DAESH : Des fratries de djihadistes », BFMTV, 24 mars 2015.

16 F. Renard-Gourdon, « Pourquoi tant de fratries parmi les terroristes », Les Echos, 17 novembre 2015.

17 Journal télévisé, le Non Stop, « DAESH : Des fratries de djihadistes », Interview d’Amélie Boukhobza,

psychologue spécialiste de la déradicalisation, BFMTV, 24 mars 2015.

18 N. Pointcarré, Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », Propos recueillis de Pierre

Vermeren, historien spécialiste du Maghreb et Professeur à l’Université Paris I, France 2, 21 avril 2016.

19

N. Pointcarré, op. cit.

20

James Allan Fox est le directeur de l’Ecole de criminologie de la Northeastern University, aux Etats-Unis.

21

S. Humez et M. Dreujou, « Mon frère, ce terroriste », Entretien de James Allan Fox, criminologue, Enquête diffusée dans l’émission Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016.

22 C’est le cas des frères ABDESLAM dont les parents étaient intégrés socialement, depuis leur arrivée en

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14

Néanmoins, souvent les convictions extrémistes sont partagées par toute la cellule familiale ; les terroristes frères et sœurs n’étant finalement que les bras armés de cette idéologie. Ainsi, on estime aujourd’hui qu’1/3 des djihadistes occidentaux auraient gagné la Syrie ou l'Irak accompagnés d’un ou plusieurs frères23. De plus, il est vérifié qu’un homme – père ou frère – radicalisé devient rapidement le formateur, le « prédicateur », des autres membres du groupe24.

Enfin, dans 64% des cas, l’entourage familial ou amical de l’auteur extrémiste aura eu connaissance de ses intentions, sans jamais les dénoncer au demeurant25. Finalement, l’entreprise terroriste vient, en dernier lieu, en réponse à un sentiment antérieur de rejet et d’injustice sociale – réel ou non, exacerbé ou provoqué – partagé par les membres d’un même foyer. En effet, ces sociétés familiales à prévalence patriarcale auront souvent connu un parcours social chaotique26 : les enfants s’adonnent très jeunes à de petits larcins sans envergure et présentent un fort taux d’absentéisme scolaire. Arrivés à l’âge adulte, ils posséderont souvent d’importants antécédents judiciaires. Cependant, il ne faudrait pas oublier que cette entreprise à l’échelle familiale, n’est pas le fait d’agents isolés. Bien au contraire, elle est portée par une organisation bien plus grande et structurée, qui donne du sens à une cause commune exacerbant les haines et colères individuelles.

En somme, s’il était encore nécessaire de le préciser, la spécificité familiale du crime s’inscrit, au même titre que la violence, dans l’histoire de l’humanité. Or si « le crime est souvent une

Démontier, B. Maraoui et M. Pacros, « Abdeslam : une histoire de famille ? », Enquête diffusée dans l’émission Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016.

23 Abdelhamid Abaaoud a par exemple enlevé son frère Younes, âgé de treize ans, à la sortie de l’école, pour

l’emmener faire le djihad en Syrie en 2014. V. L’Obs, « Younes Abaaoud, 15 ans, de retour en France pour venger son frère ? », Le Nouvel Observateur, 11 avril 2016 (en ligne) disponible sur le site du Nouvel Observateur : http://tempsreel.nouvelobs.com/attentats-terroristes-a-paris/20160411.OBS8243/younes-abaaoud-15-ans-de-retour-en-france-pour-venger-son-frere.html ; Journal télévisé, le Non Stop, « DAESH : Des fratries de djihadistes », BFMTV, 24 mars 2015.

24 F. Renard-Gourdon, « Pourquoi tant de fratries parmi les terroristes », Les Echos, 17 novembre 2015. Ainsi,

par exemple, l’ensemble de la famille MERAH avait été endoctriné Abdelkader MERAH, le cadet. Ses frère et sœur, Souad et Mohammed MERAH sont ceux qui ont épousé le plus sa cause. Ils avaient également tenté d’idéologiser leur jeune neveu, fils d’Abdelghani, l’aîné de la fratrie MERAH. Ce dernier avait collaboré avec les services enquêteurs en vue de l’interpellation de son petit frère. Il est devenu un paria et un traître aux yeux de sa famille, avec qui il a coupé tout contact depuis quatre ans. Aujourd’hui, il témoigne que leurs parents leurs ont inculqué dès leur plus jeune âge, la diabolisation des personnes d’obédience juive, eu égard au conflit israélo-palestinien.

25

F. Renard-Gourdon, op. cit.

26

(20)

15

affaire de famille : la réaction [sociale] qu’il engendre [l’est] également »27. Aussi, semble-t-il banal de préciser que le droit pénal s’applique à la famsemble-t-ille. Bien plus encore, semble-t-il est à noter le récent regain d’intérêt de cette discipline et de ses différents acteurs pour la chose familiale (I). Néanmoins, cette immixtion du juridique – et en l’occurrence du droit pénal – dans la sphère autarcique familiale ne se fit pas instantanément. Elle est le résultat d’un long processus (II). Pourtant, alors qu’elle est aujourd’hui entrée de plain-pied sur la scène publique, son appréhension demeure sûrement le plus grand défi scientifique de notre ère. Aussi, le droit pénal peine-t-il encore à en appréhender précisément les contours, tant la notion est polysémique. Et force est de constater que la famille n’est pas définie juridiquement (III). Pour autant, le droit pénal n’a de cesse d’investir la famille et la pénalisation croissante de cette sphère privée ne fait aucun doute. Or, s’il est vrai que les membres de certaines fratries participent à l’entreprise criminelle, il serait erroné d’en faire une généralité. En effet, la famille recouvre une réalité et des vertus tout autres – plus proches heureusement de l’amour et de la cohésion que de la perversion. Dès lors, de prime abord, une certaine antinomie semble se dresser entre la famille, d’une part, et le droit répressif, d’autre part. Aussi, faut-il se poser la question de la teneur du rapport existant entre le droit pénal et la famille (IV).

I. Le regain d’intérêt de la matière pénale pour la chose familiale

4. La famille, « le parent pauvre du droit pénal »28. – Le droit pénal ne consacrait jadis

qu’une place ténue à la famille. En effet, pendant longtemps, il s’exerçait en périphérie du périmètre familial. Et pour cause, on estimait que la cellule familiale devait rester l’espace privilégié du non-droit. Le Doyen Carbonnier préconisait à ce propos que, « le non-droit ne

[vienne] pas se mélanger au droit ; il est d’un côté, et le droit est de l’autre. Il y a [donc] de longs jours de non-droit, pour quelques instants de droit »29. Aussi, les familles devaient-elles vivre et mourir à l’ombre du droit30. Le droit pénal n’échappait pas à cette règle31. Ainsi, l’État se refusait à intervenir dans l’intimité des familles. Le groupe familial était perçu

27 H. Périnet-Marquet, « L’ouverture du droit pénal à l’action civile familiale », in Le droit non-civil de la

famille, Tome X, préf. Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 281.

28

P. Couvrat, « La famille, parent pauvre du droit pénal », in Le droit non-civil de la famille, Tome X, préface Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 133-145.

29

J., Carbonnier, Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, 1ère éd. 1969, Paris, LGDJ, 10ème éd, 2001, p. 28.

30 H. Fulchiron et P. Malaurie, Le droit de la famille, 5e éd., Paris, Defrénois, 2016, p. 25, n° 47. 31

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16

comme une cellule hermétique, autogérée par le père de famille. L’objectif était d’éviter que soient exposés sur la scène publique des secrets et mœurs privés. Aussi, le droit pénal avait-il à cœur de préserver la paix et la cohésion familiales. L’idée était alors très simple : elle consistait à dire que le remède apporté à ces problématiques familiales serait finalement plus néfaste que le mal lui-même32. C’est ainsi que furent instituées les immunités familiales visant à faire échapper à la répression certains agissements familiaux33.

Toutefois, bien que paré de bonnes intentions, il faut avouer que le droit pénal – sous prétexte d’un respect de l’intimité – faisait preuve d’un excès de pudeur34, passant parfois de la tolérance au mutisme, voire à l’indifférence. Or, nombre de faits intrafamiliaux étaient socialement si contestables que le législateur et le juge35 – acculés par les revendications des « laissés pour compte » – ne purent y demeurer indéfiniment insensibles. Ainsi, depuis plus d’une trentaine d’années, le lien familial n’a cessé d’être désacralisé tant dans les textes législatifs que dans la jurisprudence pénale36. C’est notamment le cas s’agissant de la suppression de l’immunité jurisprudentielle qui tendait à faire découler du devoir conjugal une impunité du mari imposant à sa femme des relations sexuelles non consenties. Par ailleurs, l’apparition expresse du terme « famille » dans l’ancien Code pénal de 1810 déjà dénotait une intervention assumée de la matière pénale dans cette sphère37. De même, le Chapitre VII du Titre II du nouveau code pénal de 1994, relatif aux « atteintes à la personne humaine », est consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille.

5. Un regain d’intérêt d’ordre doctrinal. – Nombreuses sont les études, d’ores et déjà, menées sur cette thématique familiale. Dans le milieu universitaire, elles sont le fait d’éminents ambassadeurs de la doctrine française moderne. Pour n’en citer que quelques-uns38, dès les années 1990, Alain et Jacqueline Pousson n’ont pas hésité à dédier une partie de leur réflexion aux effets de l’affection constatée au sein du groupe familial sur l’application

32 J. et A. Pousson, ibidem, p. 213. 33

Cette question étant développée dans le corps de la thèse, nous ne l’approfondirons pas ici, V. infra, n°317 et s.

34 A. Montas et G. Roussel, « La pénalisation explicite de l’inceste : nommer l’innommable », Arch. po. crim.,

n°32, 2010, p. 292.

35

Si le juge ne détient pas en théorie de pouvoir normatif, la pratique nous démontre que c’est souvent cet acteur de terrain qui impulse – avant tout projet législatif – une nouvelle vision des mœurs et pratiques sociales. À l’écoute de ses convictions personnelles, il est le détenteur d’une mission concrète de règlement des contentieux dont il est saisi. Pour aller plus loin, V. E. Salomon, Le juge pénal et l’émotion, Thèse de doctorat, Université de Paris II, 2015.

36

J. et A. Pousson, ibidem, p. 217.

37 Les article 357-1 et article 357-2 de l’ancien code pénal de 1810 prévoyaient expressément les infractions

d’abandon de famille : respectivement l’abandon matériel et moral de famille et l’abandon pécuniaire de famille.

38

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17

de la règle pénale39. Dans un temps proche, Christine Gialdini-Escoffier a consacré sa recherche de doctorat à la place de la famille dans le Nouveau Code pénal de 1994, à la lumière des liens d’alliance et de parenté40. Une dizaine d’années plus tard, c’est au tour du Professeur Edouard Verny d’œuvrer à une meilleure connaissance des relations entre ces deux notions, dans le cadre d’une analyse de la protection pénale de l’individu, membre d’un groupe41.

6. Un regain d’intérêt d’ordre politique. – Les interactions entre droit pénal et famille ne préoccupent pas uniquement le monde universitaire. Il est à constater un récent regain d’intérêt des autorités politiques et normatives pour la cellule familiale. En effet, la famille est objet de politiques législatives, à coloration pénale pour la plupart. La multiplication des dernières réformes dans ce domaine en atteste. On constate alors que le mouvement de dépénalisation massive qu’a connu le droit de famille – qu’il s’agisse de l’avortement, de l’homosexualité ou de l’adultère – a laissé place ces dernières années à une pénalisation croissante de cette sphère à caractère privé42. Faut-il citer, pour exemple, l’adoption de lois telle que celle du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes43, ou celle du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes44, ou encore celle du 14 mars 2016 garantissant la protection de l’enfant45.

7. Le regain d’intérêt du praticien. – Sur le terrain aussi, la question familiale touche particulièrement, comme nous le verrons plus en détail par la suite. En effet, il n’est pas un seul praticien de la justice pénale et de l’action sociale qui ne soit pas actuellement sensibilisé aux fléaux des « violences conjugales », de la « maltraitance à enfant » ou de « l’inceste ». Procureurs, magistrats du siège, policiers, gendarmes, huissiers, travailleurs sociaux, personnel médical, psychologues ou éducateurs … tous œuvrent à la constatation, la poursuite et la sanction de comportements familiaux incriminés pénalement.

39

J. et A. Pousson, ibidem, p. 209-220.

40 C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994. 41 Il analyse notamment la manière dont le droit pénal – oscillant entre méfiance ou mansuétude – protège

l’individu, en dépit ou en raison de son appartenance à un groupe d’identité ou d’intérêt, V. E. Verny, Le

membre d’un groupe en droit pénal, Paris, LGDJ, 2002.

42 C. Pomart-Nomdédéo, « Droit pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9 septembre

2010, étude 20, n° 1.

43

Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO du 10 juillet 2010, p. 12762.

44 Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO du 5 août 2014, p.

12949.

45

(23)

18

8. L’intérêt du justiciable. – Enfin, la médiatisation d’affaires pénales mettant en scène les déchirements, parfois sanglants, de familles en perte de contrôle est croissante46. Elle n’a, pour ainsi dire, pas laissé le justiciable indifférent. En effet, les campagnes d’information portant sur les déviances familiales n’ont jamais été plus nombreuses que ces cinq dernières années. Le phénomène criminel au sein de la famille est désormais mis à nu. Il crée l’émotion souvent, ou est parfois objet d’évitement et d’aveuglement47. Mais parfois, aussi, il attise le regard malsain du spectateur48.

En somme, il semble que l’activité pénale « bouillonnante » se développant autour de la chose familiale n’a jamais été aussi importante que de nos jours.

II. Une ouverture progressive de la famille française

9. L’histoire de la famille française, entre transitions et mutations. – Parler de la famille implique - avant toute autre démarche - de se pencher sur son histoire. Or, toutes les formes que prend la famille à un moment de son histoire, sont transitoires. En effet, la richesse de l’histoire de la famille, notamment celle de la famille française, ne cesse et ne cessera d’étonner, tant les mutations de celle-ci sont nombreuses. C’est ainsi, à juste titre que, Martine Segalen précise que « la famille est une institution changeante, un ensemble de

processus ; chaque époque connaissant ses formes de familles »49. Pourtant, en dépit de ces reconversions familiales successives, il est possible de relever deux époques forces et duales dans l’évolution de la famille française. Dans un premier temps, la famille de l’Après-guerre

46

La diffusion en un temps très court de films, de reportages ou documentaires sur le sujet de la famille en témoigne, V. M. Madani, « Polisse », Film drame, France, 19 octobre 2011 ; A. Mogaïzel, « Parents criminels : l’omerta française », LCP, 17 février 2014 ; S. Mercurio, « Intime Violences », Enquête Infrarouge, 1er octobre 2015 ; M. Carrères d’Encausse, « Soirée spécial “Au nom des femmes” », Emission, France 5, 24 novembre 2015 ; E. Bercot, « La tête haute », Film drame, 13 mai 2015 ; J. Daguerre, B. Démontier, B. Maraoui et M. Pacros, « Abdeslam : une histoire de famille », Enquête diffusée dans l’émission Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016 ; D. Lenglart et Guénola Gazeau, Enfants maltraités,

un silence à briser, Documentaire, France 5, 13 septembre 2016.

47

« La difficulté de ces sujets qui touchent à l’intimité de la famille, c’est qu’ils sont pesants. Personne n’a envie d’entendre parler d’inceste à un dîner de famille ou entre amis. On ne peut pas parler de nos journées de travail dans notre entourage », V. D. Lenglart et G. Gazeau, « Enfants maltraités, un silence à briser », Entretien de Guy Bertrand, commandant de police à la brigade de protection des mineurs de Paris, Documentaire, France 5, 13 septembre 2016.

48 Le fait divers a toujours fasciné. Il renvoie à l’observateur sa propre image ; il lui permet de se rassurer

lui-même sur son propre bonheur ou à relativiser ses propres ennuis. Tel un roman à sensation, la lecture de drames familiaux est une manière pour lui de vivre à bonne distance des émotions, telles que l’empathie, la tristesse, l’indignation ou l’adrénaline. De plus, ces émotions fortes, sur l’instant présent, impactent peu leur quotidien à long terme. D’autres auteurs expliquent cette fascination pour le fait divers, par un goût du lecteur pour la violence et sa tendance à attendre une cause pour l’expliquer, V. B. Thibault, J.M.G. Le Clézio et la métaphore

exotique, New York, Rodopi, coll. Monographique Rodopi en littérature française contemporaine, 2009, p. 124.

49

(24)

19

apparaissant comme resserrée (1), alors que dans un second temps, plongée dans un mouvement de modernisation, elle semble en rupture avec son héritage traditionnel (2).

1) La famille française de l’Après-guerre, une famille close

10. La famille-refuge. – Nous sommes en 1939. La France s’apprête à rentrer en guerre pour la seconde fois. La population française ignore encore alors, quelle sera l’indicible cruauté de ce conflit, qui durera cinq longues années. Ayant eu des retombées dévastatrices aussi bien sur les soldats au front, que sur les civils restés sur place50, la Seconde Guerre mondiale laisse dans son sillage une France fortement affaiblie.

Le 10 juillet 1940, le Général Pétain instaure le Régime de Vichy mettant ainsi fin à la IIIème République. La devise «Egalité, Liberté, Fraternité » est remplacée par l’emblème « Travail, Famille, Patrie ». Le gouvernement pétainiste appelle aussitôt à la collaboration tant économique, que militaire, mais également idéologique avec l’Allemagne d’Hitler. En sus, le grand chambardement économique, dû notamment au versement de lourdes indemnités au régime allemand au titre de l’occupation, ne tarde pas à plonger la France dans une période de pénurie sans précédent (rationnement des denrées, développement du marché noir). Pour la grande majorité des français, vivant sous l’ « Occupation », il s’agit de survivre à la précarité, mais aussi à l’oppresseur. C’est, dès lors, naturellement que – pris au piège, au cœur d’un conflit les acculant – les français expérimentent la famille comme un lieu de refuge ; l’unique lieu leurs conférant un sentiment de sécurité. De plus, ce mouvement de « recroquevillement » des familles sur elles-mêmes est vérifiable tant dans les familles ouvrières que bourgeoises, de telle sorte que les notions d’individualisme ou d’intimité sont inconnues à cette époque. Evelyne Sullerot précisait que les familles se resserraient dans une seule pièce chauffée : enfants, adultes, vieux, hommes comme femmes51.

Du reste, la rudesse économique de cette époque conduisit les familles à s’organiser en véritables unités de production et de consommation vivant en vase clos52. En effet, il régnait un esprit de méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics. De plus, les familles occupaient, une fonction économique importante. Certains auteurs insistaient sur la place de « l’exploitation

familiale agricole, artisanale, commerciale ou industrielle. L’activité commune assurait alors

50

Elle engendre six cents mille morts - soit 1,5% de la population totale et six fois plus de pertes humaines que la précédente Guerre de 14-18, V. M. Nouschi, Bilan de la Seconde Guerre Mondiale. L’après guerre

1945-1950, Paris, Seuil, 1996, passim.

51 E. Sullerot, Le grand remue-ménage, La crise de la famille, Paris, Fayard, 1997, p. 13. 52

(25)

20

la cohésion du groupe »53. La fonction de reproduction de la famille était également mise en avant54. Il s’agissait d’assurer une certaine reproduction sociale tant dans la perpétuation de la race humaine que dans l’apprentissage des normes sociales nécessaires à l’éducation du citoyen en devenir.

11. Le statut social précaire de la femme et la natalité. – Par ailleurs, alors qu’en temps de guerre, la femme pourvoyait aux besoins alimentaires et économiques de son foyer, dès le retour des hommes partis au combat, son statut social est profondément remis en question. Elle se voit, désormais, reléguée aux tâches ménagères et assignées à une fonction de procréation. Et pour cause, le Régime de Vichy mène une politique propagandiste, tendant clairement à faire de la famille le pilier social élémentaire. En témoigne l’adoption de réformes telles que l’interdiction du travail des femmes mariées dans les services de l’État et collectivités locales55, ou encore l’érection de l’avortement en « crime contre la sûreté de l’État » par la loi du 15 février 194256. De plus, la loi du 22 septembre 1942 restaure le titre de « chef de famille » du père et mari. Ainsi, l’article 213 du Code civil, prévoyait dans sa version de 1942, que la femme ne remplacerait son époux dans sa fonction de chef de famille, qu’en cas de carence de ce dernier57. Elle était, en outre, soumise à son époux dans le choix du logement familial et contrainte de cohabiter avec lui. Pour tout acte de disposition, le mari avait la faculté de les conclure, avec l’autorisation de la justice, sans le consentement de son épouse. Toutefois, l’acte contracté dans ces conditions demeurait opposable à la femme58. Ce musellement social de la femme tendait, avant tout, à satisfaire un courant nataliste. En effet, avec un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF)59 inférieur à 1,8 enfant par femme en

53

H. Fulchiron et P. Malaurie, Le Droit de la famille, 5e éd., Paris, Defrénois, 2016, n° 5, p. 7.

54

M.-A. Barrère-Maurisson, « L’évolution des rôles masculin et féminin au sein de la famille », Comment va la

famille ?, Paris, Cahiers français n°371, La Documentation Française, novembre-décembre 2012, p. 22.

55 Loi du 11 octobre 1940 relative au travail féminin, JO du 27 octobre 1940, p. 5447 ; F. Battagliola, Histoire

du travail des femmes, 3e éd., La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2008, p. 75-76 [En ligne :

http://www.cairn.info.www.ezp.biu-montpellier.fr/histoire-du-travail-des-femmes--9782707166258.htm].

56

D. Detragiache, « Un aspect de la politique démographique de l’Italie fasciste : la répression de l’avortement », in Mélanges de L’Ecole française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, tome 92, n°2, 1980, p. 701 ; V. l’affaire Marie-Louise Giraud : elle fut guillotinée le 30 juillet 1943 sous le Régime de Vichy pour avoir réalisé 27 avortements dans la région de Cherbourg. L’avortement, alors considéré comme un crime contre la sûreté de l’Etat, était puni de la peine de mort.

57 Art. 213 du Code civil, alinéas 1 et 2, dans sa version de 1942 : « Le mari est le chef de la famille. Il exerce

cette fonction dans l'intérêt commun du ménage et des enfants. La femme remplace le mari dans sa fonction de chef s'il est hors d'état de manifester sa volonté en raison de son incapacité, de son absence, de son éloignement ou de tout autre cause ».

58 Art. 215 du Code civil dans sa version de 1942.

59 L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) ou somme des naissances réduites est selon l’INSEE, le nombre

(26)

21

1941, la France connaissait une chute de sa natalité60. Dès lors, le repeuplement et le redressement de la Nation deviennent grande cause nationale. La question démographique est au cœur des débats politiques et scientifiques. Natalité et famille occupent, dorénavant, une place centrale au XIXème siècle et le premier champ d’attaque de l’État consiste à la relance de la fécondité. Ce « consensualisme familial »61 se poursuivra largement, même après la Libération. Les années 1945 sont, ainsi, marquées par une grande politique familiale impulsée avec la création de la Sécurité sociale. Par la suite, l’ordonnance du 4 octobre 1945 fait de la caisse d’allocations familiales une branche autonome de cette dernière – ces allocations étant jusque-là gérées par les caisses patronales. La loi de finances du 31 décembre, alors adoptée à l’unanimité, établit le quotient familial – diminuant ainsi le montant de l’impôt sur le revenu en fonction du nombre d’enfants à charge présents dans les foyers.

Mais, cette politique passe surtout – en particulier dans les années 1950-1970 – par la régulation du travail des femmes. En effet, l’image de la famille véhiculée, aux commencements du capitalisme, est celle où seul l’époux travaille à l’extérieur et pourvoit aux besoins du groupe ; la femme accomplissant, elle, ses devoirs dits « naturels » en éduquant ses enfants, en étayant ses relations sociales et en veillant à la bonne tenue de son foyer. D’ailleurs, cette vision de la répartition des rôles masculin et féminin est largement défendue par les érudits de l’époque62 : l’omniprésence de la mère au foyer était perçue indispensable au bon développement des enfants. Assurément, la société moderne et la période dite des « Trente Glorieuses » - période de forte consommation et de croissance économique – achèveront d’enchaîner la femme à une fonction de « ménagère » d’apparat63. À vrai dire, la mise des femmes à l’écart du marché du travail était le corollaire de la transition spatiale du lieu de travail. En effet, alors que jusque-là ce dernier se confondait avec le domicile familial, dès le milieu du XIXème siècle – suite à l’industrialisation – travailler

chaque âge demeuraient inchangés. Il offre une vision synthétisée de la situation démographique au cours d’une année précise, sans permettre d’anticiper l’avenir d’une population.

60 F. Prioux, « COMBIEN D’ENFANT ? A QUEL AGE ? L’évolution de la fécondité en France », Comment va

la famille ?, Paris, Cahiers français n°371, La Documentation Française, novembre-décembre 2012, p. 30-34.

61

E. Sullerot, ibidem, p. 23-32.

62 Talcott Parsons, illustre sociologue, dissociait par exemple rigoureusement ces rôles au sein de la famille.

Selon lui, alors que l’homme devait y jouer un rôle « instrumental » en pourvoyant aux biens matériels et assurant le lien social, la femme devait tenir un rôle « expressif » en apportant de l’affection à l’intérieur de son foyer, V. pour une vue d’ensemble de sa pensée, M. Segalen, Sociologie de la famille, 1ère éd. 1981, Paris, Armand colin, 2010, p. 233-296 ; M. Segalen, « La révolution industrielle », in Histoire de la famille. Le choc

des modernités, tome III, Paris, Armand Colin, 1986, p. 509. Cette vision de la femme explique également que,

pendant longtemps, les criminologues aient considéré qu’elle soit incapable de commettre des actes criminels d’une violence inouïe. La seule criminalité qu’on lui reconnaissait alors – vue d’ailleurs comme la plus dangereuse – était la prostitution, V. infra, n°125.

63 Mais cette image de la « bonne » épouse vue comme valorisante, tire directement ses origines de la

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nécessitait de se déplacer en usine, c’est-à-dire à l’extérieur du foyer. Dès cet instant, s’élevèrent, toutes classes sociales confondues, les premières voix moralisatrices dénonçant l’incompatibilité entre le travail de la femme et sa fonction au sein de sa famille64.

Dans tous les cas, cette idéologie nataliste semble fructueuse, puisque dès 1946, une forte augmentation du taux de fécondité fut constatée. En effet, au cours de cette année, l’indicateur conjoncturel de fécondité plafonne à 2,4 enfants minimum par femme65. Cette période nommée Baby-boom durera jusqu’à 1972 approximativement. Ce phénomène s’accompagnait, de plus, d’un abaissement de l’âge au premier mariage. De même, le taux de divortialité relativement faible est demeuré constant jusqu’à 196566, et l’institution du mariage forte jusqu’en 197567.

12. Une institution du mariage forte. – L’institution du mariage – unique mode de formation de la famille – ne souffre à cette époque d’aucune concurrence. Certains auteurs y percevaient une vraie protestation de vie face à l’occupant allemand. Dans un monde où tout était incertain, le mariage était le seul acte d’engagement, la seule promesse de sécurité, l’unique affirmation de liberté. Cette liberté « n’est pas vécue comme une aspiration

individuelle, mais comme une nostalgie collective »68.

Bien que cette thèse paraisse séduisante, nous ne pouvons occulter d’autres causes essentielles de la longévité des unions, telle que le poids de la famille tout d’abord. En effet, au-delà de l’union entre deux personnes, le mariage créait avant tout un véritable lien entre deux familles. Il assurait la transmission de certaines traditions familiales, la préservation d’un certain rang social, tant dans l’aristocratie que dans le milieu paysan ; et, à ce titre, il avait des

64

En effet, le retrait des femmes de la vie professionnelle n’a pas toujours été une réalité. Au XVIème siècle, la femme participait à l’entreprise familiale aux côtés de l’homme. Tous deux collaboraient alors au travail quotidien au foyer comme aux champs, V. P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris, Seuil, 1973, p.379. Aussi, contrairement aux idées reçues, le travail féminin n’est-il pas apparût tardivement avec le mouvement féministe. Même au sein des couples mariés de fonctionnaires ou de cadres, de commerçants ou d’artisans, il était apprécié que l’épouse perçoive un salaire, quand bien même il ne s’agissait alors que d’une rémunération secondaire, V. M.-A. Barrère-Maurisson, op. cit., p. 23.

65 C. de Guibert-Lantoine et A. Monnier, « Conjoncture démographique : l’Europe et les pays développés

d’Outre-Mer », Population, 48e année, n°4, 1993, p. 1060 ; F. Prioux, op. cit., p. 30.

66 L’indice de divortialité est de 9,8 en 1955 et grimpe à 15,6 dès 1975 ; en 1990 il sera de 31,5. V. C. de

Guibert-Lantoine et A. Monnier, op. cit, p. 1060.

67

Toutefois, il faut noter qu’en particulier en 1965, les causes de l’intensité nuptiale et l’infléchissement de l’âge des conjoints au premier mariage, sont à rechercher dans le caractère précoce de la sexualité des jeunes majeurs, alors nés au lendemain de la Libération. La pression familiale poussait bon nombre de ces adolescents à régulariser a posteriori une conception prénuptiale. Ainsi, le mariage semblait déjà ne plus être perçu comme le cadre nécessaire - la condition sine qua non - à l’expression de l’amour charnel, V. infra, n°20.

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implications patrimoniales et économiques fortes. S’agissant de la famille occidentale à l’heure de la révolution industrielle, « le mariage [faisait] figure d’établissement ; il [était]

l’objet de stratégies patrimoniales complexes, s’apparentant à celles des riches paysans qui apparient leurs patrimoines à travers l’union de leurs enfants »69.Des pratiques telles que la consanguinité ou l’endogamie sont, alors, fréquentes70. En outre, la dot des filles demeurait une stratégie patrimoniale usitée dans les sociétés occidentales, mais également dans des populations mondiales autres, sans distinction de classe sociale. Ainsi, au XVIIIème siècle dans la moyenne noblesse toulousaine, une jeune fille recevait une dot égale à trois ou quatre années du revenu global de sa famille de provenance. De la même façon, dans lemilieu paysan, nous retrouvons cette coutume consistant à doter les filles en argent et à faire transiter les terres par les hommes. Mais cette dot occupe encore une place essentielle au XIXème siècle en raison de l’apport financier procuré aux jeunes époux lors de leur installation71. En conclusion, le mariage représentait vraisemblablement une opportunité de fusionner biens et richesses patrimoniales familiaux.

Ensuite, le poids de la religion, faisant obstacle à la séparation des conjoints, semble devoir expliquer également le maintien des alliances. En effet, le mariage religieux représente un sacrement qui ne peut être dissous par l’Homme, la mort seule le pouvait. C’est ainsi que – en dépit d’une remise en question du principe catholique d’indissolubilité du mariage72 – la pression exercée par l’Eglise sur les unions demeure omniprésente. En outre, Jack Goody percevait un aspect lucratif dans l’intérêt que portait l’Eglise dans le contrôle des mariages73. L’interdiction du divorce permettait d’éviter d’éventuels remariages avec un non chrétien, desquels naîtraient des héritiers, privant l’Eglise d’échoir des biens de famille.

69

M. Segalen, « La révolution industrielle : du prolétaire au bourgeois », in Histoire de la famille. Le choc des

modernités, tome III, Paris, Armand Colin, 1986, p. 509.

70 M. Segalen, op. cit., p. 104-505. La consanguinité est observée dans les milieux aisés, notamment dans le

milieu de l’artisanat afin de faire fructifier l’affaire et perpétuer un certain savoir-faire ou encore dans un but d’associations commerciales. Dans les milieux paysans, elle serait due selon les études à la « petitesse du lieu » dans lequel les paysans choisissent leurs partenaires. L’endogamie, vue comme un comportement voulu, consiste à élire son conjoint à l’intérieur d’un groupe partageant les mêmes valeurs sociales, professionnelles mais aussi religieuses. Le taux d’endogamie dans un village serait, de plus, proportionnel à la taille de sa paroisse.

71

M. Segalen, ibidem, passim.

72

Le Concile de Trente (1545-1563), sous l’influence de l’Eglise catholique, est venu renforcer les conditions auxquelles deux époux baptisés pouvaient rompre leur union, V. C. Bertrand-Xémard, Cours de droit des

personnes et de la famille, 2ème éd., Lextenso Gualino, 2016, n° 1170.

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