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Les fondements normatifs de l’émergence d’un droit de mener une vie familiale normale normale

Titre I – L’IDENTIFICATION DE LA FAMILLE DYSFONCTIONNELLE

A. Les fondements normatifs de l’émergence d’un droit de mener une vie familiale normale normale

47. Le droit de mener une vie familiale normale est avant tout un droit d’inspiration européenne. En effet, qu’il s’agisse du droit européen ou du droit communautaire, ils ont contribué à poser un cadre normatif, relatif notamment aux droits et libertés fondamentales de l’individu et à sa libre circulation (1). De plus, au plan national, si le terme de « famille » apparaissait déjà dans la Constitution française219, cette référence demeurait timide et ne visait pas vraiment le droit de l’individu à une vie familiale. Il en allait également de même du Préambule de la Constitution de 1946, qui employait déjà le terme de « famille ». Mais cette référence demeurait ténue et imprécise.

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Le terme de famille se trouvait déjà dans le Préambule de la Constitution de 4 novembre 1849 instaurant la IIème République ; art. IV « (La République) a pour base la famille, le travail, la propriété et l’ordre public » et art. VIII « (La République) doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son

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Pour autant, elle avait le mérite d’exister (2) ; et c’est dans ce contexte précis qu’a été ressenti la nécessité de créer la notion de vie familiale normale.

1) Les fondements européens

48. La valorisation d’un droit de l’individu à la famille en droit européen. – D’une manière générale, le droit européen consacre un droit de l’individu à la famille. En effet, le Conseil de l’Europe s’est donné pour objectif de « promouvoir les idéaux et les principes d’un

patrimoine commun »220 entre les États membres, « notamment par la défense et le

développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales »221. Dès lors, il n’est rien d’étonnant à ce que les conventions et traités ratifiés au sein de ce Conseil assurent à la vie familiale, les garanties de subsistance et de développement nécessaires. Ainsi, la Charte sociale européenne – qui n’est que le pendant, au sein de l’Union européenne, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, s’agissant des droits économiques et sociaux – prévoit que les États membres « s’engagent à promouvoir la

protection économique, juridique et sociale de la vie de famille »222.

Mais surtout, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 joue un rôle indéniable dans la valorisation de cette protection de la vie familiale. En effet, sa portée est considérable en raison de son invocabilité directe à l’occasion d’un recours et du caractère contraignant de ses dispositions. Surtout, l’article 8 §1 de la convention précise clairement que « toute personne a droit au respect de

sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». De plus, son article 12

ouvre le droit pour toute personne, ayant atteint l’âge nubile légalement défini, de se marier et de fonder une famille.

Par ailleurs, la jurisprudence européenne n’est pas en reste sur cette question de la protection du droit à la vie familiale. En effet, dans sa décision du 13 juin 1979, la Cour européenne des droits de l’homme avait insisté sur le fait que le respect de la vie familiale au sens de l’article

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Préambule de la Charte sociale européenne signée à Strasbourg, 3 mai 1996 (entrée en vigueur le 1er juillet

1999), STCE n°163, [En ligne :

https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168007cf 94].

221 Préambule de la Charte sociale européenne signée à Strasbourg, 3 mai 1996, op. cit.

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8 de la convention impliquait, pour l’État, « l’obligation d’agir de manière à permettre le

développement normal des rapports [entre proches parents] »223.

49. La valorisation d’un droit de l’individu à la famille en droit communautaire. - Bien que les textes communautaires ne mentionnent pas directement un droit à la vie familiale normale, le droit de l’Union contribue matériellement à la mise en œuvre d’un cadre normatif concret, propice à l’émergence de celui-ci. Et pour cause, le droit communautaire a acquis progressivement un rôle prépondérant en droit des étrangers. En effet, il tient une place active dans l’encadrement du regroupement familial et de la libre circulation des personnes au sein des États membres de la Communauté.

Ainsi, le Titre VI du Traité sur l’Union européenne224 intitulé « Dispositions sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures » contient un article K-1 précisant qu’aux fins de la réalisation des objectifs de l’Union – à savoir essentiellement la libre circulation des personnes – les États membres partagent des « questions d’intérêt

commun ». Or, ces questions portent notamment sur les domaines de la politique d’asile, les

règles de franchissement des frontières extérieures des États membres, la politique d’immigration, les conditions d’entrée, de circulation et de séjour des étrangers, le regroupement familial ou l’accès à l’emploi de ces personnes.

Par ailleurs, le Traité d’Amsterdam de 1997225 modifiant le Traité fondateur de l’Union européenne tend à la communautarisation des questions de visas, d’asile, d’immigration et de libre circulation qui ne relèvent plus d’une stratégie intergouvernementale. Ainsi, l’article 73 K, 3° du Titre III « Visas, asile, immigration et autres politiques liés à la libre circulation des personnes » prévoit qu’il appartient dorénavant au Conseil européen de fixer les mesures relatives à la politique d’immigration quant à l’entrée et le séjour des étrangers, les procédures

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CEDH, 13 juin 1979, « Marckx c/ Belgique », req. n° 6833/74, § 45. Alexandra est l’enfant naturel de Mme Marckx, mère célibataire. La loi belge ne reconnaissait aucun lien juridique entre l’enfant naturel et sa mère du simple fait de la naissance. La reconnaissance de l’enfant ne modifiait pas davantage la situation juridique de l’enfant ; pire encore, elle interdisait au parent de léguer à celui-ci la totalité de son patrimoine. Dès lors, la requérante, ayant reconnue puis adoptée sa fille, a saisi la Cour de Strasbourg de cette discrimination légale fondée sur la naissance. Celle-ci estima que la législation belge était contraire à l’article 8 de la convention, aux articles 8 et 14 combinés de la dite convention, et à l’article 1er du Protocole n° 1 à la convention.

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Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht, 7 février 1992 (entrée vigueur le 1er novembre 1993),

JOCE du 29 juillet 1992, p. 1.

225 Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, 2 octobre 1997 (entrée en vigueur le 1er mai 1999), JOCE du 10 novembre 1997, p. 1.

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de délivrance par les États membres de visas et autres titres de séjour, y compris en vue d’un regroupement familial.

Enfin, dans un but d’harmonisation du droit et de l’espace européen, le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 insère dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne226, un nouveau chapitre II intitulé « Les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ». Les dispositions de ce chapitre tendent à instaurer une absence de contrôle des personnes lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures et ce quelle que soit leur nationalité (article 77 §1, a). Cependant, elles conviennent d’un contrôle et d’une surveillance efficaces des personnes franchissant les frontières extérieures, l’idée étant la mise en place progressive d’un « système intégré de gestion des frontières

extérieures » (article 77 §1, b et c). L’objectif affiché est donc clairement de développer une

politique commune de l’immigration en vue d’un contrôle des flux migratoires (article 79 §1). Cela passe notamment par la fixation des conditions d’entrée et de séjour, de délivrance des titres de séjour à longue durée et du regroupement familial des étrangers, par les Conseil et Parlement européens (article 79 §2, a).

La reconnaissance européenne du droit à mener une vie familiale normale trouve son équivalent en droit interne.

2) Les fondements nationaux

50. La norme constitutionnelle. – S’il doit n’être énoncé qu’un seul texte en droit interne, s’agissant de la protection de la vie de famille, c’est l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946. Celui-ci prévoit, en effet, que « la nation assure à l’individu et à la

famille les conditions nécessaires à leur développement ». Ce texte se double d’un onzième

alinéa ainsi formulé : « [la nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère […] la

protection de la santé, la sécurité matérielle, le repose et les loisirs.

Ces textes sont rédigés dans des termes pour le moins larges et imprécis. Dès lors, les modalités de mise en œuvre de ces droits familiaux se doivent d’être clairement déterminées.

226 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne modifié par le Traité de Lisbonne, signé à Lisbonne, 13 décembre 2007 (entrée en vigueur le 1er décembre 2009), JOUE du 30 mars 2010, p . 47.

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Le Conseil constitutionnel estime que cette tâche incombe au législateur et à l’autorité réglementaire, dans le respect de leurs compétences respectives227, conformément aux articles 34 et 37 de la Constitution.

Aussi, les textes précédemment étudiés, qu’ils soient européens ou nationaux, ont servi de jalons à la naissance du droit de mener une vie familiale normale. En effet, sans jamais le nommer expressément, ils ont fourni à la jurisprudence française de précieux instruments en vue de son émergence.