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Une normalité familiale appréciée au cas par cas

Titre I – L’IDENTIFICATION DE LA FAMILLE DYSFONCTIONNELLE

B. Une construction socio-idéologique de la normalité familiale

2) Une normalité familiale appréciée au cas par cas

62. L’absence de définition univoque de la normalité familiale. – La famille française traditionnelle de l’Après Guerre n’est pas la famille française du XXIème siècle. Comme nous l’avons précisé, auparavant, le modèle familial standard reposait tout entier sur une famille légitime, composée d’un homme et d’une femme mariés et de leurs enfants communs256. Aussi, les comportements individuels ou communautaires qui ne répondaient pas à ces exigences étaient rapidement rejetés dans l’anormalité. Ils étaient, de ce fait, impropres à fonder un lien familial juridiquement reconnu et protégé.

La normalité familiale n’est pas une notion univoque. Il est impossible d’en donner une définition précise. Mais certaines dispositions légales ou appréciations jurisprudentielles permettent de déterminer quelques-unes de ses composantes. Toutefois, la normalité familiale ne dépend pas seule de la forme familiale. Restreindre la notion à cet aspect serait erroné. En effet, le droit à la vie familiale normale est d’abord la liberté de posséder une vie familiale et intime. Cela implique, ensuite, que cette vie familiale normale soit protégée des ingérences extérieures. Enfin, il faut que cette vie familiale permette à l’individu de développer des liens affectifs avec ses proches ; ces liens devant produire de véritables effets juridiques et sociaux.

255 X. Vandendriessche, «Etrangers. Définitions, principes, orientation», J.-Cl. Adm. 2012, fasc. n°233-54, n°194.

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Toutefois, on ne peut ignorer que certaines formes familiales ont moins de chance que d’autres d’accéder, en droit interne, à la vie familiale normale. Force est de constater, dès lors, que la normalité familiale s’apprécie différemment en fonction de la situation familiale visée.

a) La vie familiale normale et la polygamie

63. La famille polygame jugée anormale en droit interne. – S’il est bien une forme familiale qui est considérée comme juridiquement anormale, c’est sûrement la famille polygame257. Le Conseil Constitutionnel précisait, sans détour, que « les conditions d’une vie

familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie »258. De telles conditions portent certes une atteinte évidente au droit à la vie privée et familiale de l’intéressé, et au regroupement familial. Néanmoins, elles ne sauraient être considérées comme contraires à la Constitution, pour des raisons d’ordre public.

Cela permet d’apprécier clairement les contradictions entre le « droit à une vie familiale » et le « droit à une vie familiale normale ». Ainsi, certaines pratiques comme la polygamie, sortent du champ du droit à une vie familiale normale. Pourtant, elles entrent parfaitement dans celui du droit à la vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la Convention européenne. La Commission européenne précisait, à ce propos, qu’ « un État contractant ne

peut être tenu, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, d’accorder une entière reconnaissance à la polygamie qui est en contradiction avec son propre ordre juridique »259. Finalement, ce qui fait la différence entre « vie familiale » et « vie familiale normale », c’est l’implication de l’État dans la détermination des conditions d’expérimentation de la seconde. En effet, le « droit à une vie familiale » contient une dimension plus personnelle et exclusive. A contrario, l’exercice du « droit à une vie familiale normale » est strictement soumis à la politique législative d’un État.

En somme, la vie familiale ne devient normale que si elle est avalisée par les autorités publiques françaises.

257 Sur les éléments constitutifs de l’infraction, V. infra, n°294 et s.

258 Cons. Const. Décision n°93-325 DC du 13 août 1993, L. relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, consid. 77.

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La Commission a été saisie de la question de savoir si les Etats membres, dont le principe matrimonial est celui de la monogamie, étaient obligés de reconnaître des mariages monogamiques célébrés à l’étranger ? Elle répond par la négative. V. Comm. EDH, 6 janvier 1992, A. et A. c/ Pays-Bas, req. n° 14501/89 rapportée par P. Hilt, Le couple et la Convention européenne des droits de l’homme. Analyse du droit français, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, n° 257, p. 132.

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b) La vie familiale normale et la vie commune

64. La dissociation entre vie familiale normale et vie commune. – Contrairement au droit européen qui tendait déjà vers davantage d’indulgence vis-à-vis des différentes structures familiales, le droit interne était encore en proie à de profondes inégalités sur le sujet. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme conçoit parfaitement qu’une vie de famille puisse exister même indépendamment d’une vie commune. En atteste la protection du droit de l’enfant d’entretenir des liens affectifs avec le parent à distance, qu’il soit enfant légitime260 ou naturel261. La Cour estime en effet, que « la notion de famille sur laquelle

repose l'article 8 inclut, même en l'absence de cohabitation, le lien entre un individu et son enfant, que ce dernier soit légitime ou naturel »262.

Le droit français lui, accuse un certain retard en la matière. En effet, la conception française de la normalité familiale reste très restrictive. Il faut bien garder présent à l’esprit que notre ordre juridique n’accorde pas toujours les mêmes droits aux différentes structures familiales. Ainsi, le droit interne fait une stricte distinction entre une vie de couple, qui se matérialise principalement par la communauté de vie, et la vie familiale. Dès lors, le Conseil constitutionnel fait de la vie commune une condition sine qua non du PACS. Selon lui, « cette

notion ne couvre pas seulement une communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence d'une simple cohabitation entre deux personnes ; [elle] suppose, outre une résidence commune, une vie de couple »263.

En revanche, il n’estime pas nécessaire de réformer la législation sur le droit de la filiation dans ce domaine264. Ainsi, l’enfant verra toujours sa filiation établie soit à l’égard de ses deux

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CEDH, 19 février 1996, Gül c/ Suisse, req. n° 23218/94 (existence d’une vie familiale entre un père parti en mission humanitaire et son fils).

261 CEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c/ France, req. n° 22070/93 (existence d’une vie familiale entre le père et l’enfant qu’il a reconnu malgré une séparation due à l’expulsion du requérant).

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CEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c/ France, précité. Cette position européenne est d’ailleurs très ancienne, V. CEDH, 13 juin 1979, « Marckx c/ Belgique », req. n° 6833/74, § 31 ; « En garantissant le droit au respect de

la vie familiale, l’article 8 [de la convention européenne des droits de l’homme] présuppose l’existence d’une famille. […] L’article 8 ne distingue pas entre famille “légitime” et famille “naturelle”. Pareille distinction se heurterait aux mots “toute personne” de l’article 8 […] ».

263 Cons. Const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, JO du 16 novembre 1999, p. 16962, consid. 26 : « […] la notion de vie commune ne couvre pas seulement une

communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence d'une simple cohabitation entre deux personnes ; [elle] suppose, outre une résidence commune, une vie de couple, qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte qui, soit reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l'inceste, soit évitent une violation de l'obligation de fidélité découlant du mariage ».

264 Cons. Const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, précité, consid. 78.

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parents biologiques, partenaires d’un pacte ; soit à l’égard d’un seul d’entre eux (en cas de recomposition familiale). On en déduit clairement que si la vie commune scelle une vie de couple, elle n’offre pas pour autant un droit à une vie familiale normale, à proprement parler. Un tel constat est d’autant plus patent s’agissant de l’adoption simple.

c) La vie familiale normale et l’adoption simple

65. Une autorité parentale strictement soumise au mariage entre adoptant et parent de l’adopté. – L’article 365 du code civil prévoit que l’adoption simple n’entraîne un partage de l’autorité parentale entre l’adoptant et le parent de l’adopté, que si ceux-ci sont mariés. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité selon laquelle une telle disposition serait contraire au droit de mener une vie familiale normale et au principe d’égalité devant la loi265, le Conseil constitutionnel statue de la façon suivante266.

Il estime d’une part, que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas que la relation entre un enfant et la personne qui vit en couple avec son père ou sa mère ouvre droit à l'établissement d'un lien de filiation adoptive ». Il précise, d’autre part, que le législateur s’est contenté – dans le cadre de ses compétences définies par l’article 34 de la Constitution – de relever que la différence de situation entre les couples mariés et les autres couples justifiait cette différence de traitement quant à la filiation adoptive, dans l’intérêt de l’enfant.

d) La vie familiale normale et la procréation médicalement assistée

66. Procréation médicalement assistée et incohérences législatives. – Cette particularité susvisée quant à l’adoption peut étonner quand on sait qu’a contrario, la loi octroie un accès à la procréation médicalement assistée aux couples mariés, mais également aux couples justifiants d’une vie commune d’une durée d’au moins deux ans267. En effet, l’adoption comme la procréation médicalement assistée contribuent finalement, toutes deux, à

265 Les requérantes regrettaient en effet que « […] l'article 365 du code civil prive l'enfant mineur de la

possibilité d'être adopté par le partenaire ou le concubin de son père ou de sa mère », et que ce faisant il

interdisait toute « reconnaissance juridique du lien social de filiation préexistant », Cons. const., décision n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010, « Mmes Isabelle D et Isabelle B », JO du 7 octobre 2010, p. 18154, consid. 4.

266 Cons. const., décision n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010, consid. 8-9, précité.

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l’établissement d’un lien de filiation. Néanmoins, contrairement à l’adoption qui peut constituer un projet solitaire268, la procréation médicalement assistée est une démarche qui, d’emblée, se conçoit conjointement et en concertation.

Aussi, la loi française n’octroie-t-elle ce droit qu’aux personnes en couple, à l’exclusion des personnes célibataires269. L’alinéa 1er de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique précise expressément que « l'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la

demande parentale d'un couple ». Cette assistance médicale ne vient qu’en soutien d’une

procréation naturelle et biologique défectueuse, en raison d’une infertilité ou d’une maladie particulièrement grave qu’il est souhaitable de ne pas transmettre à l’enfant.

Ainsi, même en cas d’intervention d’un tiers donneur, celui-ci ne se voit accorder aucun rôle dans la famille. Le lien de filiation est fictivement rattaché aux seuls membres du couple. La famille ainsi formée est considérée comme normale aux yeux de la loi française.

Mais alors, que dire lorsque la procréation médicalement assistée est refusée spécifiquement au couple homosexuel, même marié ?

e) La vie familiale normale et la famille homoparentale

67. Généralités. – La famille homoparentale demeure une famille à part. Bien que le législateur consente à lui reconnaître certains droits essentiels à sa formation270, elle demeure victime d’une présomption d’anormalité. En effet, de tout temps, a été remise en cause la capacité des personnes de même sexe à apporter à un enfant un environnement familial stable et équilibré, à pourvoir à son éducation et à son bon développement. Cette suspicion émanait non seulement de l’opinion publique, mais aussi des institutions sociales, administratives et normatives271.

268 Art. 343-1 du C. civ.

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Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes avait d’ailleurs formulé plusieurs recommandations à l’attention du Gouvernement en 2015. Il demandait notamment que soit étendue l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et homosexuelles, V. Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (Hcefh), Contribution au débat sur l’accès à la PMA, Avis n° 2015-07-01-SAN-17, 26 mai 2015, recommandation n°1 [En ligne : http://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_avis_no2015-07-01-san-17.pdf].

270 Nous pensons au mariage et à l’adoption ici, V. Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JO du 18 mai 2013, p. 8253 ; V. infra, n°69.

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Ainsi, les entraves à l’adoption d’un enfant par un homosexuel célibataire étaient nombreuses ; tandis que l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel était légalement impensable.

68. Les obstacles à l’adoption par un célibataire homosexuel. – La législation civile prévoit qu’un individu seul puisse adopter un enfant272. Toutefois, l’exercice d’une telle prérogative posait davantage question lorsque l’adoptant était homosexuel. Dans un premier temps, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, face à « une absence totale de

consensus sur l’opportunité de permettre à un célibataire homosexuel d’adopter un enfant »273, il ne lui appartenait pas de se substituer aux États pour trancher une polémique aussi délicate. Elle décidait, dès lors, de s’en remettre à l’appréciation des autorités publiques internes dans ce domaine. Ainsi, dans l’affaire Fretté, un homosexuel s’est vu opposer un refus d’agrément en vue d’une adoption, en raison de ses « choix de vie » et « ses difficultés

pour projeter dans le concret les bouleversements occasionnés par l’arrivée d’un enfant »274. Les autorités françaises relevaient que seul l’intérêt supérieur de l’enfant sous-tend l’admission ou non d’une adoption ; que dès lors, en l’état des savoirs sur l’homoparentalité à cette époque, il n’existait aucune certitude concernant les conséquences éventuelles d’une telle adoption sur « le développement psychologique et la vie future de l’enfant ». Aussi, la Cour dut-elle conclure qu’une telle différence de traitement n’était pas contraire aux articles 14 et 8 de la Convention européenne combinés, parce que proportionnée et raisonnable compte tenu des buts qu’elle poursuivait275.

Dans un deuxième temps, la Cour européenne a été amenée à revoir sa position dans une décision notoire du 22 janvier 2008276. La requérante, une institutrice de maternelle, vit en couple depuis plusieurs années avec une autre femme. Désireuse d’adopter, elle dépose auprès du Conseil général, une demande d’agrément à cet effet. Sa compagne ne souhaitant pas s’engager davantage dans cette démarche d’adoption, c’est en tant que personne célibataire que la requérante agit. Cependant, suite à une enquête sociale ayant abouti à plusieurs avis défavorables, son agrément à l’adoption lui est refusé. Les motivations de ces avis, sans jamais mentionner explicitement l’homosexualité de la requérante, portent sur deux points.

272

Art. 343-1 du C. civ.

273

CEDH, 26 février 2002, Fretté c/ France, req. n°36515/97, § 36 in fine.

274 CEDH, 26 février 2002, Fretté c/ France, req. n°36515/97, § 36.

275 À savoir la protection de la santé et des droits de l’enfant susceptible d’être adopté.

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D’une part, il s’agit de l’absence de référents paternels susceptibles de favoriser le développement harmonieux d’un enfant ; et d’autre part, de l’imprécision de la place de la compagne dans la vie de l’enfant, préjudiciable à l’acquisition de repères par celui-ci.

Saisie par la requérante, s’estimant victime de discrimination à raison de sa sexualité, la Cour européenne ne s’attarde pas sur l’opportunité ou non d’une adoption homosexuelle. Néanmoins, elle met l’accent sur l’ambiguïté et l’hypocrisie des autorités françaises. En effet, elle estime que l’argument portant sur l’investissement réel de la compagne dans l’éducation et l’accueil de l’enfant est justifié, au regard de son intérêt supérieur 277. En revanche, elle s’interroge sur le bien-fondé du premier motif, relatif à la présence d’un référent maternel ou paternel, au foyer ou dans l’entourage du demandeur. Un tel motif aboutit finalement à vider de sa substance, le droit pour une personne célibataire d’adopter seule, sur le fondement de l’article 343-1 du code civil278. La Cour considère par ailleurs, que ces deux motifs dégagés par les autorités françaises devaient être pris en compte comme formant un tout ; que dès lors, le caractère partial du premier motif viciait le bien-fondé du second.

Partant, le refus d’agrément à une demande d’adoption qui se fonderait essentiellement sur l’homosexualité du demandeur, doit être considéré comme arbitraire et discriminant, au sens des articles 14 et 8 de la Convention. Cependant, l’interprétation de cette jurisprudence pourrait être perçue comme bien moins glorieuse. En effet, ici la Cour européenne ne contredit pas sa première jurisprudence « Fretté ». Dans le principe, elle ne consacre pas le droit du célibataire homosexuel à former une famille, par le biais de l’adoption. Elle ne déclare pas davantage que cette adoption serait conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle constate seulement que l’argument employé par les autorités françaises, en l’occurrence, était inapproprié et peu objectif. Par conséquent, il leur est loisible de continuer à retenir un raisonnement plus spécieux, afin d’invalider ces adoptions.

69. Le nouveau régime lacunaire d’adoption par le couple homosexuel. – Il fallut attendre la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 pour que l’accès à l’adoption soit ouvert aux

277 En effet, il est normal que les autorités s’assurent que l’enfant adopté trouve sa place au sein d’un foyer déjà formé par l’adoptant avec un(e) partenaire, V. CEDH, 22 janvier 2008, « Emmanuelle B. c/ France », req. n°43546/02, § 76.

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Allant plus loin, la Cour relève que les autorités françaises n’ont pas été en mesure de présenter des statistiques pour justifier qu’elles recouraient à un tel motif, peu importe l’orientation sexuelle du demandeur célibataire. Cela dit-elle, aurait permis de se convaincre qu’il n’y avait point de discrimination en l’espèce. Ce faisant, elle indique clairement aux autorités françaises, son absence de naïveté, V. CEDH, 22 janvier 2008, « Emmanuelle B. c/ France », précité, §74.

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couples de personnes de même sexe (articles 6-1, 343 et suivants modifiés du code civil). De même, le conjoint homosexuel du père ou de la mère de l’enfant peut désormais adopter celui-ci (article 345-1, 1° bis nouveau du code celui-civil).

Toutefois, la décision du Conseil constitutionnel, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi, peut prêter à confusion. En effet, on pourrait penser qu’en déclarant la loi de 2013 conforme à la Constitution, le Conseil reconnaît au couple homosexuel un droit de mener une vie familiale normale. Mais la réalité est tout autre. Pour preuve, il s’est contenté de démontrer que l’adoption par deux personnes de même sexe n’est pas contraire au droit de l’enfant de mener une vie familiale normale279. Bien que subtile, la différence de raisonnement est palpable. Il ne s’agit pas là de consacrer un « droit à l’enfant » au profit des couples homosexuels ; mais de déterminer objectivement si l’adoption par un couple homosexuel est conforme ou non à l’intérêt supérieur de l’enfant.

De plus, si cette évolution est considérable, elle creuse encore les inégalités entre les couples homosexuels mariés et ceux qui ne le sont pas. Il s’agit d’une confirmation supplémentaire du fait que la vie commune ne confère pas nécessairement, en France, un droit à la famille normale280. Seules la parenté et/ou l’alliance le pourraient. En outre – en raison de la pression sociale qui a entouré l’adoption de ce texte ; et parce que les mentalités n’y étaient pas préparées – le législateur dut renoncer à ouvrir la procréation médicalement assistée à ces couples281. Il en va de même, pour la gestation pour autrui qui demeure illégale en France282.

279 Cons. const., décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JO du 18 mai 2013, p. 2013, consid. 46-55. Les détracteurs de la loi rétorquaient qu’autoriser une adoption par un couple homosexuel porterait atteinte au droit de l’enfant de mener une vie familiale normale et à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ils soutenaient également que l’adoption plénière de l’enfant par deux personnes de même sexe ne permettait pas de préserver le secret de l’adoption en faisant entrer l’enfant dans sa nouvelle famille comme un enfant « biologique ». Cela porterait donc atteinte à la vie privée de l’enfant. Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel précise qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur. Or, celui-ci a estimé que l’homosexualité des adoptants ne faisait pas obstacle à l’établissement d’un lien de filiation adoptive. Dans un deuxième temps, il rétorque que le droit au respect de la vie privée n’implique pas une dissimulation du caractère adoptif de la filiation. Enfin, il